Inauguration avril 2015 Izieu Ce sont les Enfants qui vous
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Inauguration avril 2015 Izieu Ce sont les Enfants qui vous
Inauguration avril 2015 Izieu Ce sont les Enfants qui vous accueillent ici , Monsieur le Président, les 44 enfants raflés avec leurs éducateurs, que nous célébrons chaque année à cette date du 6 avril, les Anciens enfants passés par la Colonie et sauvegardés, enfin tous les enfants et adolescents qui viennent chaque jour travailler, réfléchir, en ce lieu. La mission de cette Maison est que le présent et l'avenir se comprennent à la lumière du passé tragique. Ici même à l'issue d'une traque incessante, impitoyable, sont arrivés en mai 1943 des enfants juifs pourchassés à travers l'Europe comme s'il s'agissait de criminels. Devenus depuis le procès Barbie en 1987 un des emblèmes de la nation française. Aujourd'hui tous ensemble, avec autour de vous des élus, des responsables d'associations de tous ordres, d'éminents représentants étrangers, nous inaugurons une aile nouvelle du Mémorial destinée à amplifier l'enseignement pour la jeunesse, l'accueil des familles. L'actualité le réclame, une autre époque s'ouvre devant nous avec ses défis. Il y a soixante dix ans, le 6 avril 1944 Sabine Zlatin, la fondatrice de la Colonie était absente, partie dans l'urgence à la recherche d'abris pour disperser les enfants réfugiés. Des enfants juifs de 5 à 17 ans venus des pays d'Europe au fur et à mesure de l'occupation hitlérienne. La Gestapo fit irruption à l'heure du petit déjeuner. Regardons autour de nous, en ce lieu préservé, un hameau de montagne au terme d'un chemin montant en lacets à travers les pierres des murs et les vignes. Un promontoire d'où l'on admire un paysage magnifique, la vallée du Rhône et des contreforts à l'horizon comme une protection. Un asile au sens sacré, inviolable. Ce matin là, en un instant, une trêve de quelques mois de paix, de respiration a cessé, des camions réquisitionnés ont embarqué la colonie en son entier. Derrière les bâches, les enfants ont chanté Vous n'aurez pas l'Alsace ni la Lorraine, appris par leur professeur au collège de Belley. Je me souviens de l'avoir chanté à l'école du village où je fus cachée en 1942. C'était la déclaration d'attachement à la France, pays d'accueil, le refuge des doits de l'Homme. Quand le sort de la guerre était joué pour l'Allemagne, quand la région Rhône Alpes était un foyer si actif de la Résistance, le nazi Barbie s'acharnait sur des enfants juifs avant le retrait obligé en août de la même année. Le projet génocidaire révélait ici toute sa force dans l'idéologie nazie. L'innocence fut massacrée en ces lieux de beauté, de paix et chaque visiteur le comprend immédiatement sans qu'il soit besoin de discours. Il y a vingt ans en 1994, la Maison des enfants d'Izieu était inaugurée par le Président François Mitterrand. Une maison, j'aime ce simple mot dont la résonance est forte. Chaleur, abri, amour, nul besoin d'autre panthéon. Depuis la tragédie de 1944 Sabine Zlatin, la directrice à l'époque, était animée par la volonté de maintenir vivant le souvenir des victimes, dès 1946 une stèle était édifiée au village voisin de Brégnier Cordon. L'inauguration de la Maison suivit le procès de Barbie à Lyon au printemps 1987. Grâce à Serge et Beate Klarsfeld le bourreau avait été repéré en Amérique du Sud, puis extradé au terme d'un long combat. Traqueur d'archives Serge avait aussi découvert le télex signé de lui sur l'arrestation des Enfants. Merci à tous les deux d'avoir écrit avec Sabine Zlatin le second chapitre de notre histoire et de notre mémoire. Lors du procès l'épisode des Enfants d'Izieu fut décisif sous la conduite du Procureur Pierre Truche. La condamnation au titre du Crime contre l'Humanité fut irrévocable. La Maison fut choisie comme un des trois lieux de la mémoire nationale de la Déportation et de la Résistance que la fondatrice ne voulait pas dissocier dans le projet. La France retrouvait alors une mémoire refoulée, perdue, celle de la Déportation des Juifs de France. Triomphant de l'oubli, de l'indifférence, l'errance d'enfants pourchassés à travers l'Europe devenait un symbole de notre histoire et de ses dérives tragiques. A l'ouverture de la Maison, les enfants que leur départ avant le 6 avril fatal avait préservés, s'engagèrent dans une œuvre de témoignage. Ils n'hésitèrent pas malgré la souffrance causée par le rappel d'épreuves terribles. Enfants devenus nos Anciens, si présents pour l'œuvre de transmission, auxquels je veux rendre hommage. Je veux saluer leur génération, la mienne aussi. Je citerai quelques noms de ceux qui participent à la vie de la Maison et témoignent ici, Paul, Alexandre, Samuel, Hélène, Roger, Bernard, Henri, venus d'Allemagne, du Luxembourg, ou installés en France. Pour tous les scolaires qui viennent ici depuis plus de vingt ans, pour leurs enseignants, leurs familles, cet épisode offre dans sa simplicité l'exemple de la barbarie. Le paysage magnifique touche d'emblée, ensuite ce sont les récits puis le travail de mise en perspective historique d'une équipe reconnue. Massacre de l'innocence, volonté génocidaire au cœur de la politique nazie, traque impitoyable à travers tout le pays, héroïsme d'enfants jetés seuls souvent dans la pire tourmente. Les jeunes venus de différents horizons le comprennent. A l'ouverture de la Maison en 1994, il était impossible de deviner quelle serait son influence, son avenir. Serait-elle même ouverte toute l'année? La réalité a dépassé les prévisions les plus optimistes. Comment faire venir ici, sans transport en commun, en bravant les difficultés du climat, chaque jour des classes entières? Et pourtant, elles sont venues, elles viennent. Dès le mois de janvier le calendrier des réservations est plein jusqu'à l'été. L'affluence jamais démentie a permis de convaincre les plus hauts responsables du pays, le Premier ministre, Jean Marc Ayrault qui accorda l'autorisation de lancer le projet d'extension fin 2013. Le projet architectural de Dominique Lyon a su tirer le meilleur parti du lieu en préservant son authenticité. L'exposition rénovée, enrichie fait une très large place à l'histoire de la Colonie d'Izieu replacée dans le contexte de la Shoah des enfants juifs d'Europe, dont beaucoup aboutirent en France. Un million deux cents cinquante mille enfants juifs assassinés en Europe. Un million deux cent cinquante mille! Comment faire parler un tel chiffre? Ces vingt ans passés, les contacts nombreux avec des témoins d'autrefois, des familles liées à notre histoire, ont permis d'identifier des visages, de recueillir des documents, lettres, photos. Nous travaillons toujours à réduire la part d'anonymat pour faire revivre les enfants privés de vie, d'histoire, de sépulture. L'exposition rénovée intègre bien des éléments nouveaux. Par son scénario, ses choix d'archives, la variété des supports, elle va donner accès à une histoire lointaine, les technologies nouvelles aidant au repérage, à une recréation dynamique. Le rôle de l'image, les modes distincts de consultation selon qu'on vient pour une visite, une recherche, ou une enquête plus approfondie vont faciliter une appropriation par chacun. L'exposition est comme un grand récit avec son rythme propre qui va des dangers, aux mesures officielles de plus en plus restrictives, aux massacres en intégrant aussi les tentatives pour soustraire les Juifs à ce mécanisme infernal. Les Résistants, les Justes ont ici leur place comme pour l'épisode de salut à Vénissieux. Le Mémorial agrandi témoigne du rayonnement acquis depuis une dizaine d'années en France et en Europe. La présence du Président de la République et à ses côtés de la Ministre de l'Education exprime le sens de notre effort fondé sur les valeurs de tolérance, de combat contre la xénophobie, l'antisémitisme, toutes les formes de racisme. Mais les périodes de crise réveillent les mauvais démons, comme les faits révélateurs et tragiques de janvier l'ont montré. Où en sommes nous aujourd'hui, soixante dix ans et vingt ans après? Comme si le gouvernement et les Collectivités locales avaient anticipé les risques, autorisation nous fut donnée Il y a deux ans de lancer l'extension . Le ministère de la Culture, notre tutelle, donna le premier signe par une dotation d'un million et la mise à disposition des services constructeurs. Le Président de Région, Jean Jacques Queyranne, suivit avec générosité et nous a accompagnés de tout son soutien. Le Conseil général de l'Ain, a également participé dès le départ. Récemment le département du Rhône et la ville de Lyon se sont associés pour alléger l'investissement et nous permettre de préserver en partie le legs de notre fondatrice, nécessaire au fonctionnement annuel. Le Sénat vient de voter une subvention exceptionnelle. Nous continuons la recherche des fonds par le biais du mécénat et des recherches du côté des fondations. Celle du Crédit agricole, et également de la Mutualité nous aident. Que tous ceux qui participent soient chaleureusement remerciés. La question éducative est au cœur des préoccupations. Comment transmettre le legs des valeurs qui ont pendant quelques décennies soutenu le reconstruction d'un pays en ruines, puis son rayonnement? Les valeurs républicaines, beaucoup veulent s'en revendiquer aujourd'hui. Soyons vigilants, la laïcité qui est la marque de notre pays, loin d'être une arme de discrimination permet une coexistence pacifiée des diversités de tous ordres dans le respect des lois. Je sais combien vous vous interrogez, Monsieur le Président, sur l'avenir et sur le rôle de l'école dans la transmission. Beaucoup de mesures sont prises en ce sens. Il y a urgence. Qui des générations d'après guerre aurait pu croire qu'on en reviendrait à des actes ou des comportements qui rappellent les années noires? Les tabous tombent, des profanations, des meurtres mêmes appellent un sursaut de la nation tout entière pour défendre des valeurs qui sont universelles et qui ont construit notre histoire. La France perdrait- elle à nouveau la mémoire après l'avoir retrouvée dans la décennie des années 80? Des remèdes? Vigilance, punition et surtout éducation sans faillir. L'école ne peut tout à elle seule, elle est pourtant fondatrice et les enseignants assument largement cette responsabilité face à l'histoire de notre pays, à sa mission émancipatrice. A Izieu l'histoire des Enfants permet de dispenser un enseignement direct, à travers des récits particuliers de discrimination, d'enfermement, pour aboutir au transport à Auschwitz. Les jeunes comprennent la chaîne qui conduit au pire. Nous laissons parler les faits établis sans morale préalable. A chacun de s'approprier la leçon à tirer. Je vous remercie, Monsieur le Président, au nom de tous ceux qui travaillent ou concourent au succès de notre Maison, d'être venu en ce jour, renouant le fil avec l'ouverture du lieu par un précédent Président et d'encourager enseignants et élèves à travailler au délicat passage de témoin. Merci de donner un signal fort sur les enjeux de l'avenir. Merci à tous les responsables présents en très grand nombre de manifester leur soutien à la mission de la Maison d'Izieu. Pour conclure sur des mots appropriés à la situation, je citerai le philosophe, Emmanuel Lévinas, image même de l'intellectuel européen, né en Lituanie, disciple des maîtres universitaires en divers hauts lieux de l'époque, à Strasbourg, à Fribourg en Allemagne, naturalisé français en 1931. Ecoutons ses mots: La liberté consiste à savoir que la liberté est en péril. Mais savoir ou avoir conscience, c'est avoir du temps pour éviter et prévenir l'instant de l'inhumanité. Hélène Waysbord