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CONSEIL
DE L’EUROPE
COUNCIL
OF EUROPE
COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME
EUROPEAN COURT OF HUMAN RIGHTS
TROISIÈME SECTION
DÉCISION
Requête no 538/02
présentée par Abdallah GUERMOUD
contre la France
La Cour européenne des Droits de l’Homme (troisième section), siégeant
le 27 septembre 2007 en une chambre composée de :
MM. B.M. ZUPANCIC, président,
C. BIRSAN,
J.-P. COSTA,
mes
M E. FURA-SANDSTRÖM,
A. GYULUMYAN,
M. E. MYJER,
Mme I. BERRO-LEFEVRE, juges,
et de M. S. QUESADA, greffier de section,
Vu la requête susmentionnée introduite le 21 décembre 2001,
Vu la décision de la Cour du 7 mars 2006 de communiquer la requête au
gouvernement défendeur et d’appliquer l’article 29 § 3 de la Convention,
Vu la décision de traiter en priorité la requête en vertu de l’article 41 du
règlement de la Cour,
Vu les observations soumises par le gouvernement défendeur et celles
présentées en réponse par le requérant ainsi que les lettres des parties
parvenues au greffe les 3 et 25 juillet 2007,
Après en avoir délibéré, rend la décision suivante :
EN FAIT
Le requérant, M. Abdallah Guermoud, est un ressortissant algérien et
français, né en 1945 à El Asnam (Algérie). Il est représenté devant la Cour
par Me S. Miravete, avocat à Reims. Le gouvernement défendeur était
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représenté par son agent, Mme E. Belliard, directrice des Affaires juridiques
au ministère des Affaires étrangères.
Les faits de la cause, tels qu’ils ont été exposés par les parties, peuvent se
résumer comme suit.
A la suite du décès de sa mère en 1949, le requérant, alors âgé de
quatre ans, fut confié à un orphelinat. En 1959, à l’initiative de cette
institution, il fut placé en France métropolitaine où il passa son adolescence.
Il abandonna sa scolarité à l’âge de seize ans.
Le 12 mai 1964, il fit l’objet d’une mesure d’expulsion après avoir été
reconnu coupable des chefs de vols à la roulotte, coups et blessures
volontaires avec arme et attentats à la pudeur avec violence sur mineur.
Il revint en France en 1967 et, en 1973, se maria avec une ressortissante
française avec laquelle il eut deux enfants.
Le 22 septembre 1980, à la suite d’un certain nombre de condamnations
intervenues entre 1974 et 1978, le requérant comparut devant la commission
d’expulsion de la Marne qui rendit un avis défavorable à son expulsion
compte tenu de ce que l’épouse du requérant avait quitté le domicile
conjugal et que celui-ci vivait alors seul avec ses deux filles.
L’épouse du requérant décéda en 1984.
Par un arrêté du 8 août 1984, le ministre de l’Intérieur abrogea l’arrêté
d’expulsion du 12 mai 1964 ainsi que l’arrêté du 3 novembre 1980 plaçant
le requérant sous le régime des sursis semestriels. Il lui fut alors délivré un
certificat de résidence d’une durée de cinq ans qui fut renouvelé jusqu’au
7 août 1999.
Le requérant vécut ensuite, de 1984 à 1990, en concubinage avec une
ressortissante française et un enfant naquit de cette union en 1987.
Enfin, il vécut en concubinage avec D., ressortissante française, avec
laquelle il eut un enfant, né le 15 juin 1994.
Le 8 avril 1994, il fut condamné à sept ans d’emprisonnement et à la
privation de ses droits familiaux pour dix ans, pour avoir, en 1982 et 1983
commis à plusieurs reprises des viols d’une fille de 12 ans avec le
consentement du père qui participait aussi à ces agissements. Une procédure
d’expulsion fut engagée à son encontre à la suite de cette condamnation.
Le 15 mars 1995, alors qu’il se trouvait en prison, il épousa D.
Le 15 juin 1995, il fut convoqué devant la commission spéciale
d’expulsion du département de la Marne, qui rendit un avis favorable à son
expulsion.
Le 26 décembre 1995, le ministre de l’Intérieur prit une décision
d’expulsion. Le requérant saisit les juridictions administratives d’un recours
contre cette décision.
Le 17 septembre 1996, le tribunal administratif de Nancy rejeta son
recours. Les juges relevèrent que le requérant ne justifiait d’aucune vie
familiale avec ses trois premiers enfants. S’il s’était remarié avec une
ressortissante française dont il avait eu un enfant en 1994, l’atteinte portée à
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cette vie familiale n’était pour autant pas excessive, eu égard à la gravité des
faits pour lesquels il avait été reconnu coupable.
Par un arrêt du 14 décembre 2000, la cour administrative d’appel de
Nancy confirma ce jugement. Les juges d’appel rappelèrent que le requérant
avait fait l’objet d’une première mesure d’expulsion en 1964 et qu’il avait
été condamné le 8 avril 1994 pour viol aggravé sur mineur de moins de
quinze ans avec plusieurs auteurs. Ils jugèrent que la gravité des actes et
l’ensemble du comportement du requérant rendait la mesure d’expulsion
nécessaire à la défense de l’ordre public. Cette mesure ne portait en outre
pas une atteinte excessive à la vie familiale du requérant dans la mesure où
celui-ci était « privé de ses droits familiaux pour dix ans ».
Afin d’introduire un pourvoi en cassation contre l’arrêt du 14 décembre
2000, le requérant déposa une demande d’aide juridictionnelle devant le
bureau compétent auprès du Conseil d’Etat.
Par une décision du 15 mai 2001, le bureau d’aide juridictionnelle rejeta
sa demande aux motifs qu’elle ne présentait pas de moyens sérieux de
cassation. Cette décision fut notifiée au requérant le 19 juin 2001.
Par un courrier du 25 juin 2004, le requérant demanda l’abrogation de
l’arrêté ministériel d’expulsion, sur le fondement d’un recours issu de
nouvelles dispositions législatives.
Par un courrier du 22 juillet 2004, le ministre de l’Intérieur accusa
réception de la demande et lui indiqua que celle-ci était transmise pour
instruction au préfet de la Marne.
Le 13 mars 2006, le préfet rejeta la demande d’abrogation de l’arrêté
d’expulsion.
Le même jour, le requérant se vit notifier un arrêté préfectoral fixant le
pays de renvoi, en application de l’arrêté ministériel d’expulsion, ainsi
qu’un arrêté le plaçant en rétention administrative pour une durée de
quarante-huit heures.
Le 15 mars 2006, le requérant saisit le tribunal administratif de Châlonsen-Champagne d’une requête en référé en vue d’obtenir la suspension de la
décision de refus d’abrogation et de toute mesure tendant à l’éloigner du
territoire français. Le même jour, il introduisit une requête au fond tendant à
l’annulation de la décision de rejet de l’abrogation de son arrêté
d’expulsion.
Par une ordonnance du 14 juin 2006, le juge des référés ordonna que les
effets de la décision prise par le Préfet de la Marne le 13 mars 2006 soient
suspendus jusqu’à ce qu’il ait été statué sur le fond.
Par un courrier du 27 juin 2007, la Cour a demandé aux parties, sur le
fondement de l’article 49 § 3 a) du Règlement de la Cour, des
renseignements complémentaires concernant l’état de cette procédure.
Par des lettres des 3 et 25 juillet 2007, les parties ont informé la Cour de
ce que, par un jugement du 14 juin 2007, le tribunal administratif de
Châlons-en-Champagne, statuant sur le recours introduit au fond le 15 mars
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2006, avait annulé la décision du 13 mars 2006 par laquelle le préfet de la
Marne avait rejeté la demande du requérant tendant à l’abrogation de
l’arrêté d’expulsion dont il faisait l’objet.
Ce jugement, dans ses motifs pertinents, se lit comme suit :
« (...) Considérant que nul ne peut être expulsé du territoire de l’Etat dont il est
ressortissant ; qu’en vertu de l’article L. 111-1 du code de l’entrée et du séjour des
étrangers et du droit d’asile, les mesures de police des étrangers dictées par ce code ne
sont pas applicables aux ressortissants français ;
Considérant que M. Guermoud a produit en cours d’instance un certificat de
nationalité française délivré par le tribunal d’instance de Reims le 28 mars 2007,
indiquant que ce dernier « relevant du statut de droit commun par ces faits, il a donc
conservé de plein droit la nationalité française lors de l’accession à l’indépendance de
l’Algérie, en vertu des dispositions de l’article 32-1 du code civil » ;
Considérant par suite que la décision du 13 mars 2006, par laquelle le préfet de la
Marne a rejeté la demande d’abrogation de l’arrêté d’expulsion du 26 décembre 1995
frappant M. Guermoud, encourt l’annulation, quand bien même la nationalité
françaises de l’intéressé n’a été établie que postérieurement à la décision attaquée, dès
lors que cette nationalité lui est reconnue depuis sa naissance ; (...) »
Il ne ressort pas des observations des parties qu’il ait été interjeté appel
de ce jugement lequel est par conséquent, désormais, définitif.
GRIEF
Le requérant soutient qu’en cas d’exécution, la mesure d’expulsion prise
à son égard portera atteinte à sa vie privée et familiale, en violation de
l’article 8 de la Convention. Il rappelle qu’il est arrivé en France à
quatorze ans, qu’il s’y est installé définitivement en 1967 et qu’il y a fondé
trois foyers, dans lesquels sont nés quatre enfants. Il ne dispose plus
d’attaches avec l’Algérie, où il n’est plus retourné depuis 1967.
EN DROIT
La Cour note que les dernières informations fournies par les parties font
état d’un jugement rendu par le tribunal administratif de
Châlons-en-Champagne le 14 juin 2007. La Cour doit rechercher si cet
élément, nouveau à sa connaissance, peut l’amener à conclure que le litige
est désormais résolu et que, dès lors, la requête peut être rayée du rôle de la
Cour en application de l’article 37 § 1 de la Convention, ainsi libellé :
« A tout moment de la procédure, la Cour peut décider de rayer une requête du rôle
lorsque les circonstances permettent de conclure
a) que le requérant n’entend plus la maintenir ; ou
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b) que le litige a été résolu ; ou
c) que, pour tout autre motif dont la Cour constate l’existence, il ne se justifie plus
de poursuivre l’examen de la requête.
Toutefois, la Cour poursuit l’examen de la requête si le respect des droits de
l’homme garantis par la Convention et ses Protocoles l’exige. »
La Cour observe que, dans sa requête introductive, le requérant se
plaignait essentiellement d’un risque de violation de l’article 8 de la
Convention dans le cas où la décision de l’expulser vers l’Algérie venait à
être exécutée.
La Cour constate tout d’abord que la décision contestée n’a jamais été
exécutée. Elle relève ensuite, à la lecture du jugement du 14 juin 2007, que
la nationalité française du requérant est désormais avérée et certifiée par une
décision de justice. Il en découle, et le Gouvernement le reconnaît
explicitement, que le requérant ne peut plus à ce jour être légalement soumis
à une mesure d’expulsion du territoire français.
Certes, il ne ressort pas de la lettre reçue par le requérant le 3 juillet 2007
que celui-ci n’entende plus maintenir sa requête ; en conséquence de quoi,
l’alinéa a) de l’article 37 § 1 n’est pas ici applicable.
Pour autant, l’application des alinéas b) et c) de l’article 37 § 1 n’est pas
conditionnée au consentement du requérant (voir Akman c. Turquie
(radiation), no 37453/97, CEDH 2001-VI ; voir également, Aleksentseva et
28 autres c. Russie (radiation), nos 75025/01 à 75038/01, 75136/01,
76386/01, 76542/01, 76736/01, 77049/01, 77051/01 à 77053/01, 3999/02,
5314/02, 5384/02, 5388/02, 5419/02, 8190/02 et 8192/02, 4 septembre
2003).
Ainsi, après avoir examiné les éléments nouveaux portés à sa
connaissance, compte tenu de leur nature ainsi que des observations des
parties, la Cour juge que le litige a été résolu au sens de l’article 37 § 1 b).
La Cour est par ailleurs convaincue que le respect des droits de l’homme
garantis par la Convention et ses Protocoles n’exige pas qu’elle poursuive
l’examen de la requête, au sens de l’article 37 § 1 in fine.
Partant, il convient de mettre fin à l’application de l’article 29 § 3 de la
Convention et de rayer l’affaire du rôle.
Par ces motifs, la Cour, à l’unanimité,
Décide de rayer la requête du rôle.
Santiago QUESADA
Greffier
Boštjan M. ZUPANČIČ
Président