Nouvelles Frontières : un tour opérateur intégré

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Nouvelles Frontières : un tour opérateur intégré
Nouvelles Frontières :
un tour opérateur intégré
Thierry Pénard et Eric Darmon
Université de Rennes 1
Historique de l’entreprise
• Fondée en 1967
• 30 ans de forte croissance pour devenir un des leaders
français du tourisme organisé
– => marché des séjours incluant le transport, l’hébergement et
des activités
• Un tour opérateur fortement intégré
– Une compagnie aérienne Corsairfly, des hôtels-club, un réseau
d’agence exclusive et un site Web NouvellesFrontières.fr, …
• 236 agences (dont 143 magasins en « succursales » - 80% du CA- et le
reste en franchise
• Mais racheté par l’allemand TUI (N°1 européen), un
tour opérateur intégré
– Depuis 2007, Marmara et NF dans le même groupe TUITravel
=> N°1 en France devant Club Med et Fram
Pourquoi NF a été racheté par
TUI ?
Une rentabilité insuffisante de NF
CA - achats
• Un taux marge brute =
< 10%
CA
– devant couvrir les coûts de l’activité TO (60%) et de
l’activité distribution (40%)
• Et une marge nette très faible < à 1%
– lié au positionnement : « être le moins cher du
marché », « rendre le voyage accessible à tous »
C A (m illiard s € )
R ésu lta t n et
(m illio n s € )
19 8 9 -9 0
0 ,6
1 0 ,6
19 9 4 -9 5
1 ,1
24 ,4
1 99 6 -9 7
1,3
-1 8 ,6
1 9 9 7-98
1 ,4
1 8 ,6
2 0 02
1,1
-1 7 ,7
• Forte croissance interne de 15 à 20 % du CA en valeur dans les
années 90
• au prix d’un fort endettement et de difficultés de trésorerie début 2000
conduisant au rachat par TUI
NF sur la voie du redressement ?
• Une réduction de l’endettement et des coûts depuis
2002
– Cession d’actifs …non stratégiques
• …au service d’une politique tarifaire plus agressive
– Une nouvelle équipe de pricing
• en charge des politiques tarifaires
• principe d’ajustement permanent de l’offre à la demande => yield
management
• …et au service d’une nouvelle politique de
distribution
– Lancement de la marque TUI et promotion du
canal Internet
NF sur la voie du redressement ?
• Mais des résultats très décevants
– En 2006, TUI en France (Groupe NF+ TUI France)
• Un CA en stagnation lié à la politique de prix agressive
• Un résultat opérationnel de -30 millions € en 2006-2007
– Réduction des surcapacités, plan social à Corsair et à NF
• Des changements incessants au niveau de
l’équipe dirigeante
• Et un malaise croissant dans les agences NF et
chez les franchisés de NF
– Grève et procédure de médiation en cours entre les
franchisés et Nouvelles Frontières
NF sur la voie du redressement ?
1er point de crispation : cannibalisation et parasitisme du site
Internet nouvellesfrontières.fr (15% du CA)
–
–
Un site qui bénéficie des conseils et informations fournis aux clients dans
les agences, sans en supporter les coûts
Une stratégie marketing et tarifaire plus agressive sur Internet =>
promotion de dernière minute
« La politique de distribution multi-canal est nécessaire, mais c’est
une erreur de la traiter sur le mode de la concurrence interne
(…) NF a crée une concurrence entre les agences physiques et le
site NF où certains vols sont vendus jusqu’à 52€ moins chers »
(P. Catrix, association des franchisés de NF)
NF sur la voie du redressement ?
2ème point de crispation : lancement par le groupe de marques
concurrentes
–
–
TUI France : gamme supérieure => pas distribués dans les agences
NF !
Ultravacances : un TO low-cost pour concurrencer
Lastminute.com, Expedia, Opodo, => un site fermé récemment
« [Ultravacances.com] doit nous permettre de satisfaire trois
objectifs. Mieux répondre aux attentes des internautes qui
souhaitent avant tout des prix bas et qui recherchent des
disponibilités à des dates très proches du départ. Optimiser nos
performances économiques en accroissant le taux de remplissage
de nos avions et de nos hôtels et en assurant une couverture
optimale du marché. Enfin, mieux se démarquer de la concurrence
et faire en sorte que Nouvelles Frontières apparaisse comme un
acteur incontournable dans l'e-tourisme en France. » (Claude
Blanc, directeur e-business de NF)
Défi de Nouvelles Frontières
• Un TO menacé par une tendance sectorielle à la
désintermédiation
– Internet permet à un client de faire soi-même le travail
du tour-opérateur => auto-assemblage
• Un TO engagé dans une stratégie multicanal :
comment concilier les différents canaux de
distribution ?
– Internet et les agences physiques : complémentaires
ou substituables ?
• Internet comme outil pour préparer son voyage
Mise en place d’un nouveau plan
stratégique
• Exploiter les synergies entre Nouvelles Frontières et
Marmara
– 2,6 millions de clients français en 2007
– Synergies (économie sur les coûts) dans le transport
aérien, l’hotellerie, la distribution
• Distribution des voyages Marmara dans les agences Nouvelles
Frontières
• Vols communs NF et Marmara
• Meilleures conditions d’achat
• Plan de développement de nouvelles agences
• Annonce d’un retour à des résultats positifs pour
2008 après plusieurs années déficitaires
– Malgré un recul de 6% des ventes sur le premier trimestre
2008
Seconde partie
Analyse économique du cas
Caractéristiques du marché des
tours opérateurs
• Produit = voyage organisé comprenant un vol, un
hébergement et des activités
– métier d’assembleur : offre de « package »
– en amont du TO : les prestataires ou fournisseurs de
services (vol = 40% du prix, hébergement, excursions)
– en aval : distribution/vente du voyage
• Différenciation dans les offres/segmentation
– durée du transport (courte, moyenne et longue
destination) : des substituts imparfaits
– qualité (confort, …)
– positionnement du voyage (culturel, aventure, …)
Caractéristiques (suite …)
• Contraintes de capacité (en haute saison)
– sièges d’avion, chambres d’hôtel
– nécessité de réserver/ de s’engager sur des capacités 1
an à l’avance
• décision risquée en environnement incertain
• Produit périssable : soldes et effets d’anticipation
• Demande
– croissance tendancielle de la demande depuis 30 ans
– mais demande instable et volatile
• effets conjoncturels ou de cycle (pouvoir d’achat)
• effets géo-politiques, sanitaires, climatiques
Caractéristiques …
• Des barrières à l’entrée de plus en plus faibles
– Libéralisation du transport aérien
– Internet comme canal de distribution
• Les principaux concurrents de NF => certains
sont des nouveaux entrants
– Club Méditerranée, FRAM, Kuoni, Thomas Cook
• Un marché en voie de réglementation ?
– Projet d’instauration d’un « label bleu » comme signal
de qualité du TO
– Création du label « Tourism For Developement »
Analyse de la concurrence entre TO
• Une forme de concurrence « à la Cournot »
– Premier temps : choix des quantités
• choix du nombre de séjours proposés sur chaque
destination du catalogue (à l’avance)
– Deuxième temps : choix des tarifs
• en fonction des quantités choisies par les
concurrents
– si offre importante, pression à la baisse sur les prix
– si offre réduite, pression à la hausse sur les prix
• Prix catalogue, mais révisable (promotion) si
invendus nombreux
Analyse de la concurrence entre TO
(passer)
• Soit deux voyagistes en concurrence sur une
destination/pays
• Choix simultané des quantités/capacités
Quantités de
séjours offerts
par 2
Fonction de réaction ou
de meilleure réponse de 1
Fonction de réaction ou
de meilleure réponse de 2
Q2
Situation
d’équilibre
concurrentiel
Q1
Quantités de
séjours offerts
par 1
Analyse des choix organisationnels
de NF par la TCT
• Choix entre l’intégration verticale ou le recours au
marché (contrat avec fournisseurs et distributeurs)
– Selon l’ampleur des coûts de transaction
– Actif spécifique : le catalogue et l’image de marque NF
• Distribution
– fréquence et spécificité d’actifs
• risque d’opportunisme des agences de voyages
• commissions élevées des agences (plus de 10%)
– intégration ou quasi-intégration (franchise) préférable
pour NF
Choix organisationnels (suite)
• Transport
– fréquence, spécificité, incertitude
– monopole d’Air France dans les années 70 et 80
– intégration préférable sur certaines destinations :
maîtrise des sièges et des destinations
• Hébergement
– fréquence, incertitude selon les destinations, mais
faible spécificité
• Hôtel standard et interchangeable dans certains pays
touristiques (pas de spécificité)
– Intégration pour certains pays (Hôtels Paladiens)
– Mais recours à des solutions de marché en général
• contrat long terme (forme hybride)
• contrat de court terme selon le degré d’incertitude
La marque comme actif stratégique
et spécifique
• Une marque est un nom, terme, signe, dessin ou toute
combinaison de ces éléments servant à identifier des biens
ou services d’un vendeur et à les différencier des
concurrents
– logos, signature, couleur, personnage publicitaire, son, odeur, goût,
design du packaging, des produits et des points de vente
• Typologie
– Marque-gamme=plusieurs produits proches ou variétés d’un même
produit
• IPOD
– Marque ombrelle=plusieurs produits hétérogènes (sur différents
marchés)
• Sony, Orange
• Économie d’échelle sur la communication, moins de dépendance à un
cycle de vie produit
Le rôle d’une marque
• La marque comme signe de propriété
• La marque comme certification ou garantie de
qualité
– Réduction des risques perçus d’achat, surtout pour des
biens d’expérience ou des services
• information asymétrique sur la qualité du bien ou de l’offreur
• La marque comme aide à l’achat
• La marque comme identification à un groupe, à
une personnalité
– Dimension symbolique, sociale, imaginaire
Le capital marque
• La marque est un actif intangible/immatériel => un
actif spécifique
– Permettant de se différencier, de vendre plus cher
– Permettant d’avoir une valeur boursière plus élevée
• Mesurée par la notoriété
– Degré de (re)connaissance d’une marque
• Le taux de notoriété spontané de premier rang (top of mind)
– % de personnes citant spontanément le nom de la marque en premier
• Le taux de notoriété spontané
– % de personnes citant spontanément le nom de la marque
• Le taux de notoriété assisté
– % de personnes déclarant connaître le nom de la marque dans une
liste de marque présentée
Le modèle de Brand Valuation
(Interbrand) créé en 1988
Rang mondial
Marques
Valeur en millions $
1
Coca Cola
67 394
2
Microsoft
61 372
3
IBM
53 791
7
McDonalds
25 001
Rang français
Marques
Valeurs en millions €
1
Louis Vuitton
16 176
Carrefour
4 273 (+9%)
Orange
4 326 (+36,5%)
Renault
1 924 (+27%)
Sources : Business Week et Challenges
Les stratégies de
prolifération de marques
• Principe : proposer à chaque type de
consommateurs une marque différente
• Objectifs
– Couvrir tous les segments du marché
– Ériger des barrières à l’entrée
• Exemples : Procter et Gamble dans les
lessives
– Ariel, Axion, Bonux, Mr Propre, Vizir, Dash
Les stratégies de prolifération de
marque et Nouvelles Frontières
Entrée de
gamme: Prix
discount &
Lastminute
« Milieu»
de gamme
« Haut
de gamme »
En savoir plus sur les marques …
La marque
Chantal Lai
Collection Topos, Editions Dunod
Normes, labels et stratégie d’entreprise
• Volonté des acteurs d’une industrie de
promouvoir la mise en place de normes, labels
ou « chartes » dans différents domaines
– Environnement : développement durable
– Sécurité des produits
– Ethique : commerce équitable
• Des stratégies ambivalentes
– qui peuvent bénéficier aux consommateurs ou à la
société dans son ensemble …
– … mais qui peuvent servir les intérêts des
entreprises
Exemples d’utilisations stratégique
Grolleau & al. (2005)
• Les briquets Bic
– Forte concurrence de l’industrie chinoise, perte de PDM
– Campagne de lobbying pour la mise en place d’une norme de
sécurité auprès des instances européennes: succès
– Nouvelle norme déjà appliquée par BIC, mais coût élevé de mise
en conformité pour les entreprises chinoises
• Dupont de Nemours et les normes anti-CFC
– DDN, leader historique sur la production d’aérosols, mais brevets
expirés: nouvelle concurrence
– Volonté des acteurs publics d’interdire le CFC: stratégie de bluff
de DDN
• Officiellement, protestation de DDN contre la réglementation
• Pendant le temps d’élaboration de la réglementation, stratégie
de R&D intensive pour développer des produits alternatifs
• Une fois la norme adoptée, domination de DDN sur ce nouveau marché
L’économie des labels/normes
• La norme ou les labels comme un moyen d’augmenter
les coûts des rivaux et de renforcer son avantage
concurrentiel pour une firme installée
– Théorie de l’augmentation des coûts des rivaux de Salop et
Scheffman
– La firme installée peut influer sur le choix de la norme ou du
label
• Son coût pour adopter la norme sera moindre que celui des
concurrents => barrière à l’entrée
Application à NF
• Adoption du label « TFD »
– Développé par une association : objectif de « fédérer la
profession du tourisme […] », reconnaissance du Ministère
du Tourisme
– NF: peut afficher le label sur certains produits, en
contrepartie du versement d’une subvention (20 000€,
« proportionnelle au CA ») à l’association pour financer des
projets
• Application de l’argument de Salop/Scheffman
– Le groupe TUI, fortement intégré peut avoir une meilleure
maîtrise du coût des inputs : point décisif ?
– Surtout, volonté d’anticiper sur des futures réglementations
et de répondre aux nouvelles attentes de la demande