Doctrine OHADATA D-06-47

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Doctrine OHADATA D-06-47
Ohadata D-06-47
REFLEXIONS SUR LE PRINCIPE DE L'EGALITE ENTRE LES CREANCIERS
DANS LE DROIT DES PROCEDURES COLLECTIVES D'APUREMENT DU PASSIF
(O.H.A.D.A.)
Par Alassane KANTE
Docteur d'Etat en Droit privé
Assistant à la Faculté des Sciences Juridiques et Politiques de l'UCAD DAKAR
(Sénégal)
EDJA n° 56
SOMMAIRE
INTRODUCTION
1ère Partie : L'EGALITE AFFIRMEE ENTRE LES CREANCIERS
A – Le raffermissement des droits des créanciers pour le passé
1° – Les actes inopposables à l'égard des créanciers
2° – Les actes annulables au profit des créanciers
B – Les restrictions aux droits individuels des créanciers pour l'avenir
1° – Les restrictions formelles aux droits individuels des créanciers
2° – Les restrictions substantielles aux droits individuels des créanciers
a – La suspension des poursuites individuelles des créanciers
1. Fondement et évolution de la règle
2. Domaine d'application de la règle
b – L'arrêt du cours des inscriptions des sûretés
c – L'arrêt du cours des intérêts
3° Le monopole de la représentation des intérêts collectifs des créanciers.
2ème PARTIE : L'EGALITE RELATIVE ENTRE LES CREANCIERS
A – La liberté d'action individuelle des créanciers
1° – Les tempéraments à la suspension des poursuites individuelles
a – Les tempéraments légaux
1. Les actions des créanciers munis de sûretés réelles spéciales
2. Les actions en nullité et en résolution d'un contrat
b – Les tempéraments jurisprudentiels
2° – Les tempéraments à l'arrêt du cour des intérêts
3° – Le particularisme des actions en revendication des créanciers.
B – Le sort différencié des créanciers face au concordat
1° – La discrimination entre les créanciers concordataires eux-mêmes
2° – La discrimination entre les créanciers concordataires et les créanciers postconcordataires.
CONCLUSION
REFLEXIONS SUR LE PRINCIPE DE L'EGALITE ENTRE LES CREANCIERS
DANS LE DROIT DES PROCEDURES COLLECTIVES D'APUREMENT DU PASSIF
(O.H.A.D.A)
Par Alassane KANTE
INTRODUCTION
La vie des affaires ne se déroule pas toujours sur une page blanche.
Lorsqu'un débiteur constate des difficultés économiques ou financières dans son activité ou
bien qu'il est en état de cessation de paiements, c'est-à-dire que son actif disponible ne peut
plus faire face à son passif exigible, ou bien encore qu'il est en état de déconfiture totale, il
devient alors nécessaire de procéder au règlement de son passif à l'égard de tous les
créanciers.
En matière de droit civil, les créanciers disposent individuellement de moyens juridiques,
telles que les actions en justice et les voies d'exécution, afin de contraindre le débiteur à
exécuter ses obligations.
Toutefois, ces voies de droit présentent l'inconvénient que ce sont des moyens qui ne sont pas
organisés et qu'ils s'exercent de façon anarchique et concurrente.
Dans le souci de pallier cet inconvénient majeur, le droit des procédures collectives instaure
une discipline collective des créanciers en les soumettant au principe de l'égalité entre les
créanciers(1).
En vertu de ce principe d'égalité, à partir de l'ouverture des procédures collectives, tous les
créanciers, sans distinction, subiront des atteintes à leurs droits individuels au profit d'une
organisation collective.
A l'heure actuelle, la signification de ce principe d'égalité connaît une fortune diverse dans la
jurisprudence et dans la doctrine.
Si la jurisprudence reconnaît formellement le caractère relatif du principe d'égalité entre les
créanciers(2), dans la doctrine, le principe de l'égalité entre les créanciers a été analysée tantôt
comme un principe en déclin(3), tantôt comme un principe ambigu ayant valeur de mythe(4).
Cet ensemble de considérations jurisprudentielles et doctrinales annonçait déjà la prémisses
du déclin d'une vieille notion dont l'importance est toujours perceptible aujourd'hui dans la
mesure où elle vient de faire l'objet d'une récente systématisation dans la doctrine française(5).
Ceci étant, la notion de créanciers concernés par le principe de l'égalité mérite d'être précisée
en raison de la présence de nombreux partenaires qui sont soit en relations d'affaires avec le
débiteur, soit en relations de travail avec le même débiteur en difficulté économique.
De façon général, les créanciers, ce sont toutes les personnes qui sont titulaires d'un droit
personnel en vertu duquel elles ont le droit d'exiger du débiteur la remise d'une somme
d'argent.
Ils peuvent être classés suivant qu'ils sont des créanciers ordinaires ou chirographaires(6) ou
bien des créanciers munis de sûretés réelles spéciales comme l'hypothèque, le privilège, le
gage, le nantissement, etc.
En outre, il convient de préciser que la situation des créanciers est contrastée dans la mesure
où le principe de l'égalité des créanciers ne concerne que les créanciers dont le droit de
créance est antérieur au jugement d'ouverture(7).
En effet, comme le souligne, avec juste raison, un auteur : "si les créanciers postérieurs se
voyaient imposer les mêmes sacrifices que les créanciers antérieurs, ils refuseraient
assurément de nouer des relations avec l'entreprise en difficulté"(8).
A propos du sort des créanciers antérieurs, il sera diversement apprécié en fonction de la place
qu'il occupent dans la procédure. Aussi bien, si les créanciers ordinaires sont, en principe,
entièrement soumis à la règle de l'égalité stricte, à l'inverse, les créanciers spéciaux, eux,
échappent, pour une large part, à la loi de l'égalité dans la mesure où ils bénéficient largement
de la liberté d'action individuelle après l'ouverture des procédures collectives.
En outre, dans le cadre du concordat de redressement, le droit des procédures collectives
réserve un sort différencié entre les créanciers en fonction des délais et remises qu'ils ont bien
voulu consentir au débiteur.
Toutefois, il faut bien voir que le principe de l'égalité entre les créanciers n'est pas totalement
remis en cause. Mieux, on peut même dire qu'il joue encore un rôle essentiel dans la mesure
où il assure, d'une part, la discipline collective des créanciers et, d'autre part, il permet de
sauvegarder l'intégrité du patrimoine du débiteur.
Dès lors, les réflexions sur le principe de l'égalité entre les créanciers dans le droit des
procédures collectives d'apurement du passif s'ordonneront autour de l'idée directrice de
l'affirmation d'un principe strict (I) qui, à bien des égards, mérite d'être relativisé (II).
1ère PARTIE – L'EGALITE AFFIRMEE ENTRE LES CREANCIERS
L'égalité affirmée entre les créanciers revêt un caractère strict que l'on peut déceler tant dans
leur situation antérieure que dans leur situation postérieure. Si, dans le passé, l'ouverture des
procédures collectives entraîne le raffermissement des droits des créanciers (A), à l'inverse,
dans le futur, elle entraîne la restriction des droits individuels des créanciers (B).
A – Le raffermissement des droits des créanciers pour le passé
Ce raffermissement des droits des créanciers consiste en une neutralisation de tous les actes
du débiteur portant gravement atteinte au principe de l'égalité des créanciers. En effet, le
comportement répréhensible du débiteur peut le conduire à accomplir sciemment des actes qui
avantagent une partie des créanciers au détriment des autres.
Dans le souci d'assurer un traitement égalitaire des droits de tous les créanciers, le législateur
les soumet à l'obligation de rapporter à la collectivité des créanciers tous les avantages
consentis indûment par le débiteur. C'est ainsi que le raffermissement des droits des créanciers
pour le passé apparaît, d'une part, par l'inopposabilité de certains actes (1) et d'autre part, par
l'annulation d'autres actes (2).
1° – Les actes inopposables à l'égard des créanciers
Il s'agit d'actes dont l'accomplissement au cours de la période suspecte menace les droits de
certains créanciers par la faveur qu'ils confèrent à d'autres créanciers. Cette période suspecte
correspond à une période débutant à la date de cessation des paiements et finissant à la date de
la décision d'ouverture.
Toutefois, cette durée peut être augmentée par un jugement de report dans la limite maximale
de 18 mois. Au cours de cette période, un doute entoure la gestion du patrimoine commercial
du débiteur qui, sentant venir les difficultés économiques peut, avec la complicité de certains
créanciers, les favoriser au détriment des autres.
C'est ainsi que, dans le souci d'assurer l'égalité stricte entre tous les créanciers, le législateur
décide que les actes passés par le débiteur pendant la période suspecte, sont inopposables de
droit ou peuvent être déclarés inopposables à la masse des créanciers(9).
Par suite, cette privation d'effet à l'égard de la masse concerne, d'une part les actes
inopposables de droit et, d'autre part les actes susceptibles d'être déclarés inopposables.
En premier lieu, parmi les actes inopposables de droit, il apparaît que l'accomplissement de
certains actes du débiteur tels que les garanties suspectes et les paiements anormaux entraîne
une rupture d'égalité entre les créanciers.
S'agissant des garanties suspectes, leur prohibition se justifie dans la mesure où, en période
suspecte, si le débiteur est aux abois et qu'il accepte de consentir une garantie particulière à un
créancier, il lui accorde un avantage au détriment des autres.
En application de ce principe, le législateur déclare inopposables des sûretés comme
l'hypothèque conventionnelle, le nantissement consenti sur les biens du débiteur pour dette
antérieurement contractée et les inscriptions provisoires d'hypothèque judiciaire conservatoire
ou de nantissement judiciaire conservatoire(10).
S'agissant des paiements anormaux effectués par le débiteur aux abois, le législateur prévoit
deux situations.
Dans le premier cas, le caractère anormal repose sur une idée de suspicion légitime du
débiteur qui réussit à honorer des dettes non échues alors qu'il est dans l'impossibilité de payer
une dette déjà échue.
Toutefois, lorsque le paiement est effectué au moyen d'un effet de commerce tel que la lettre
de change, le billet à ordre ou le chèque, l'inopposabilité ne joue plus dans la mesure où le
porteur a toujours l'obligation de présenter l'effet au paiement, sous peine d'être déchu de son
droit.
Dans le second cas, par mode anormal, il faut comprendre tous les actes extinctifs comportant
un risque de favoriser un créancier. A titre d'exemple, on peut citer la dation en paiement qui,
bien qu'étant un procédé normal de paiement, peut être répréhensible en période suspecte. En
effet, dans la dation en paiement, le risque est qu'il existe un danger d'inéquivalence dans les
objets remis en échange.
En second lieu, parmi les actes susceptibles d'être déclarés inopposables, sont visés :
Tout d'abord, il y a les inscriptions de sûretés réelles mobilières ou immobilières consenties
ou obtenues pour des dettes concomitantes.
Il s'agit ici, d'une part, de sûretés conventionnelles prises pour garantir des dettes
concomitantes et, d'autre part, d'inscription définitive d'une hypothèque judiciaire qui
constituent des avantages consentis à un créancier au détriment des autres.
Ensuite, ce sont des actes à titre onéreux. Cette formulation large englobe de nombreux actes
susceptibles d'être accomplis après la date de cessation des paiements. Sont concernés
notamment, les ventes, les échanges, les apports en sociétés, etc.
Encore que ce soient des actes susceptibles d'être conclus en période normale, ils peuvent être
cependant condamnables en période suspecte lorsque les obligations du débiteur dessaisi
excèdent notablement celles de l'autre partie.
Enfin, il y a les paiements volontaires des dettes échues sous réserve du paiement d'une lettre
de change, billet à ordre ou d'un chèque.
En l'occurrence, il s'agit de paiements faits avec la connaissance par l'occipiens de la cessation
des paiements du débiteur(11)
Il convient de préciser, en outre, que toutes ces inopposabilités facultatives sont soumises à
deux conditions strictes. Il s'agit, d'une part, du préjudice causé à la masse des créanciers et,
d'autre part, de la connaissance de la cessation des paiements au moment ou l'acte a été
passé(12).
Il s'y ajoute une condition de bon sens dans la mesure où l'acte doit avoir été accompli
pendant la période suspecte et non après l'ouverture de la procédure.
Dans tous les cas, que ce soit l'inopposabilité de droit ou bien l'inopposabilité facultative, il
convient de préciser que l'efficacité de ces sanctions pourrait être limitée par le fait que les
actes déclarés inopposables ne seront pas anéantis.
Or, dans le souci d'obtenir une neutralisation beaucoup plus efficace de l'acte prohibé, c'est
l'annulation de l'acte au profit des créanciers qui s'imposera.
2° – Les actes annulables au profit des créanciers
Lorsque le tribunal saisi retient la solution du redressement judiciaire, le débiteur sera soumis
à l'obligation de proposer un plan de sortie de crise dans le cadre d'un concordat de
redressement qui peut être approuvé et rejeté par l'assemblée des créanciers.
De surcroît, si le juge homologue le concordat, cette décision ne peut, en aucun cas, valider
des avantages particuliers consentis à certains créanciers en raison de leur vote au cours des
délibérations de la masse.
Le danger de ces avantages particuliers réside dans le fait que ce sont des actes qui profitent à
une partie des créanciers au détriment des autres. C'est pourquoi, le législateur a pris soin
d'annuler la convention illégale de vote et les avantages particuliers privilégiant certains
créanciers(13).
Toutefois, il convient de préciser que l'annulation d'un avantage particulier ne rejaillit pas sur
la validité du concordat. Ce dernier est annulable en cas de dol résultant d'une dissimulation
d'action ou d'une exagération du passif si le dol a été découvert après l'homologation du
concordat de redressement(14).
Dans le souci de rétablir l'égalité stricte des créanciers, il sera procédé à la reconstitution du
patrimoine du débiteur dans la mesure où le créancier ayant bénéficié d'un avantage indu est
tenu de rapporter les sommes ou les valeurs qu'il a reçues en vertu des conventions
annulées(15).
En somme, on peut dire que les actes annulables au profit des créanciers, à savoir les actes
d'un concordat de redressement judiciaire, ont pour rôle le sauvegarde des droits antérieurs
des créanciers de la masse dans la mesure où les créanciers qui ont perçu un avantage indu
sont tenus de le restituer à la masse.
En définitive, on peut affirmer que le raffermissement des droits des créanciers, pour le passé,
constitue un argument essentiel dans l'affirmation de l'égalité stricte entre les créanciers, sans
considération de qualité.
Au demeurant, ceci a été rendu possible grâce, d'une part à l'inopposabilité de certains actes
du débiteur à l'égard des créanciers et, d'autre part à l'annulation d'autres actes au profit des
créanciers.
Par suite, il s'agit d'appréhender le second volet de l'affirmation du principe de l'égalité stricte
entre les créanciers qui se traduit par l'idée de restriction aux droits individuels des créanciers
pour l'avenir.
B – Les restrictions aux droits individuels des créanciers pour l'avenir
La volonté de réaliser l'égalité stricte des créanciers conduit, en outre, à l'instauration d'une
discipline collective qui peut se résumer à l'idée selon laquelle il convient de restreindre les
droits individuels que chaque créancier était en droit d'exercer.
Dans cette perspective, le jugement prononçant le redressement judiciaire ou la liquidation
des biens emporte, pour l'avenir, des effets comme la suspension des poursuites individuelles
des créanciers, l'arrêt du cours des intérêts, l'arrêt du cours des inscriptions ainsi que
l'obligation pour les créanciers de produire leurs créances auprès du syndic qui vérifie les
titres de créances avant leur admission.
Il s'agit de montrer que si certaines restrictions aux droits des créanciers sont d'ordre formel, à
l'inverse, d'autres restrictions sont plus strictes dès lors qu'elles touchent le fond même du
droit en privant les créanciers de prérogatives essentielles.
Par suite, la recherche de l'égalité stricte par la restriction aux droits individuels des créanciers
pour l'avenir sera effectuée en analysant, tour à tour, les restrictions au plan purement formel
(1), les restrictions au plan substantiel (2) et le monopole de la représentation des intérêts
collectifs des créanciers qui est le corollaire de leur discipline collective (3).
1° – Les restrictions formelles aux droits individuels des créanciers
Au plan purement formel, des règles impératives gouvernent la détermination du passif du
débiteur puisque l'observation d'un formalisme est toujours indispensable pour la validation
des états des créances.
En l'occurrence, ces restrictions consisteront en une soumission de tous les créanciers à la
règle de la production des créances, d'une part, et, de l'autre, à la règle de la vérification et de
l'admission des créances.
La production des créances signifie que, à partir du jugement d'ouverture, tous les créanciers
privilégiés ou non, y compris le trésor public, doivent produire leurs créances entre les mains
du syndic(16). A cet égard, il convient de préciser que l'obligation de production concerne non
seulement les créances déjà échues mais aussi les créances non encore échues dans la mesure
où le jugement prononçant la liquidation des biens emporte la déchéance du terme(17).
Concrètement, tous les créanciers doivent remettre au syndic une déclaration du montant des
sommes réclamées accompagnée d'un bordereau récapitulatif des pièces produites à l'appui.
Au surplus, ils doivent accomplir cette formalité au plus tard 15 jours après l'insertion de
l'avis du syndic dans un journal d'annonces légales et dans le journal officiel.
Ce formalisme est d'autant plus rigoureux que son inobservation entraîne l'exclusion des
créanciers défaillants dans la répartition des dividendes(18).
S'agissant de la vérification et de l'admission des créances, c'est une opération juridique qui
est à la fois l'œuvre combinée du syndic et du juge-commissaire.
D'abord, elle est faite par le syndic, sous le contrôle du débiteur qui doit agir, au plus tard,
dans les 3 mois qui suivent le jugement déclaratif.
Ensuite, l'état des créances dressé par le syndic est vérifié par le juge-commissaire avant d'être
déposé au greffe du tribunal.
Cet état comporte l'indication de la décision du juge-commissaire et précise le montant de
l'admission ainsi que son caractère privilégié ou chirographaire. Puis, le greffe informe tous
les créanciers du dépôt par une double insertion dans un journal d'annonces légales, et dans le
journal officiel.
Il s'ensuit que tout créancier ayant produit son état sera admis à formuler des réclamations au
greffe dans un délai de 15 jours à compter de la publicité.
Mais lorsque c'est la créance qui est contestée, le syndic devra aviser, par lettre recommandée,
le créancier qui dispose d'un délai de 8 jours pour fournir ses explications écrites ou verbales
au juge-commissaire qui a le pouvoir d'admettre la créance par provision pour le montant qu'il
détermine.
En substance, on peut dire que les restrictions formelles aux droits des créanciers tendant à
assurer l'égalité stricte entre eux concernent la production, la vérification et l'admission des
créances selon des formalités légales strictes.
Au demeurant, si ces restrictions ne concernent pas le fond du droit, il faut préciser que
d'autres plus substantielles, enlèvent d'importantes prérogatives des créanciers.
2° – Les restrictions substantielles aux droits individuels des créanciers
En vertu du principe de l'égalité stricte entre tous les créanciers, le droit des procédures
collectives les prive de certaines prérogatives essentielles en les soumettant respectivement à
la règle de la suspension des poursuites individuelles (a), à la règle de l'arrêt du cours des
inscriptions (b) et à la règle de l'arrêt du cours des intérêts (c).
a – La suspension des poursuites individuelles des créanciers
Il résulte de l'article 75 de l'AUPC que l'ouverture des procédures collectives suspend ou
interdit automatiquement toutes les poursuites individuelles des créanciers. Cela signifie que
lorsque les poursuites ne sont pas encore exercées, elles ne pourront plus l'être, alors que
lorsqu'elles sont en instance, elles devront être interdites.
La force et l'affirmation du caractère d'ordre public de la règle(19) méritent que l'on examine,
d'une part, son fondement et son évolution et d'autre part, son domaine.
1 – Fondement et évolution de la règle
Son fondement repose sur l'idée selon laquelle il faut assurer la discipline collective de tous
les créanciers en leur refusant le droit d'agir individuellement au risque d'installer l'anarchie
dans le patrimoine de leur débiteur commun.
A l'origine, le législateur sénégalais établissait une discrimination entre les créanciers
chirographaires et les créanciers munis de sûretés(20). C'est ainsi que dans la législation
antérieure, seuls les créanciers munis de sûretés échappaient à la règle de la suspension des
poursuites individuelles elle qu'elle résultait de l'article 962 alinéa 1 du COCC(21).
A l'heure actuelle, le droit communautaire a considérablement innové la règle de la
suspension des poursuites individuelles en rétablissant l'égalité stricte entre toutes les
catégories de créanciers chirographaires ou munis de sûretés(22).
2 – Le domaine d'application de la règle
Il concerne les actions en justice exercées par les créanciers ainsi que les voies d'exécution
engagées par les créanciers.
En premier lieu, les actions en justice concernées sont celles qui tendent à faire reconnaître les
droits et des créances à l'issue de la décision d'ouverture des procédures collectives(23).
L'application de la règle issue de l'article 75 al. 1 A.U.P.C. précité, révèle que ces actions en
justice tendent soit à la résolution d'un contrat pour défaut de paiement du prix(24), soit à des
actions tendant à la condamnation du débiteur au paiement d'une somme d'argent.
Il s'y ajoute, d'une part, que les actions qui ont été intentées doivent faire l'objet d'une
interruption d'instance(25) et que, d'autre part, la règle de la suspension s'applique aux actions
civiles exercées devant les juridictions répressives(26).
Par ailleurs, dans le souci de faciliter les opérations de l'actif, il est prévu un cas de suspension
provisoire des poursuites individuelles. En effet, le droit individuel de poursuite du trésor et
des créanciers munis de sûretés réelles spéciales est suspendu jusqu'à l'expiration d'un délai de
3 mois suivant le jugement prononçant la liquidation des biens(27).
Après avoir délimité le domaine de la suspension des actions en justice, il convient
d'examiner leur complément naturel, à savoir le domaine des voies d'exécution concernées par
la règle de la suspension des poursuites individuelles.
En second lieu, la suspension ou l'interdiction des voies d'exécution engagées par les
créanciers s'appuie sur la même disposition légale s'appliquant aux actions en justice.
De façon générale, toutes les voies d'exécution restent soumises à la rigueur de la suspension
ou de l'interdiction lorsqu'elles sont engagées par les créanciers à l'issue de l'ouverture de la
procédure collective.
Cette suspension ou cette interdiction s'appuie tant sur les meubles que sur les immeubles du
débiteur.
Peu importe la nature de la voie d'exécution : sont concernées la saisie-attribution, les saisies
conservatoires, la saisie-vente, la saisie immobilière, etc(28) ; l'essentiel est qu'aucune voie
d'exécution ne peut plus être entreprise et que les voies d'exécution déjà entreprises ne
pourront plus prospérer après l'ouverture de la procédure.
Ceci étant, lorsque l'on pousse la réflexion vers la garantie des droits, l'on se rendra compte
que la restriction aux droits individuels des créanciers concerne également l'arrêt du cours des
inscriptions des sûretés.
b – L’arrêt du cours des inscriptions des sûretés
Cette règle est prévue par l’article 73 de l’A.U.P.C. qui dispose : "la décision d’ouverture des
procédures collectives arrête le cours des inscriptions de toute sûreté mobilière ou
immobilière".
L’inscription peut être définie comme une formalité par laquelle est obtenue la publicité de
certains actes portant sur des immeubles ou sur certains meubles(29). Il résulte de cette
définition que l’inscription est une opération essentielle qui conditionne l’opposabilité et
l’efficacité des sûretés assises, d’une part, sur un bien mobilier comme le nantissement du
fonds de commerce ou de biens d’équipement professionnel, le gage de véhicules automobiles
achetés à crédit, etc., et, d’autre part, sur un bien immobilier comme l’hypothèque légale,
judiciaire ou conventionnelle.
L’application stricte de ce principe permettrait au créancier ayant inscrit son droit de pouvoir
mettre en œuvre les garanties assortissant ses créances personnelles.
Toutefois, dans le souci d’assurer l’égalité stricte entre tous les créanciers, après l’ouverture
des procédures collectives, le droit uniforme adopte une solution contraire au droit commun
en ce sens qu’il neutralise le cours des inscriptions de toutes les sûretés assortissant les
créances.
Précisons, enfin, qu’au-delà des sûretés, l’ouverture des procédures collectives a également
pour conséquence l’arrêt du cours des intérêts.
C – L’arrêt du cours des intérêts
Cette règle est énoncée par l’article 77 de l’A.U.P.C. qui prévoie l’arrêt du cours des intérêts
légaux et conventionnels de tous les intérêts et majorations de retard de toutes les créances
chirographaires ou garanties après la décision d’ouverture des procédures collectives.
Sur cette question, le droit uniforme apporte une innovation car l’ancienne législation
sénégalaise établissait une distinction en ce sens que le jugement d’ouverture arrêtait
uniquement le cours des intérêts des créances qui n’étaient pas garanties par un privilège
spécial, un nantissement ou une hypothèque(30). Il s’ensuivait alors que la règle ne jouait pas
au détriment des créanciers titulaires de sûretés spéciales(31).
Par suite, à l’heure actuelle, on peut dire, en somme, que contrairement à la législation
antérieure, la règle de l’arrêt du cours des intérêts s’applique indistinctement à tous les
créanciers chirographaires ou bien munis de sûretés : l’essentiel est que la créance soit née
avant l’ouverture de la procédure(32).
En définitive, on peut affirmer que, en matière de restriction substantielle aux droits
individuels des créanciers, l’innovation majeure de l’A.U.P.C. a consisté à soumettre au
même régime juridique tous les créanciers qui étaient traités différemment selon qu’ils étaient
des créanciers nantis ou des créanciers ordinaires.
Au demeurant, cette observation milite en faveur de l’affirmation du principe de l’égalité
stricte entre tous les créanciers sans distinction de qualité.
Enfin, il faut noter que la force du principe de l’égalité stricte apparaît en outre dans
l’organisation spécifique de la collectivité des créanciers pour lesquels il est prévu un
monopole dans la représentation de leurs intérêts collectifs.
3° – Le monopole de la représentation des intérêts collectifs des créanciers
Le droit des procédures collectives établit une situation de monopole des intérêts collectifs des
créanciers tant en matière de redressement judiciaire que de liquidation des biens.
Dans le premier cas, il est institué une masse du concordat de redressement judiciaire. Cette
masse résulte de la décision judiciaire d’ouverture qui constitue tous les créanciers en une
masse représentée par le syndic qui, seul, agit en son nom et dans son intérêt collectif et peut
l’engager.
En outre, il faut préciser que le législateur a élaboré des règles de formation du concordat et
que son homologation judiciaire le rend obligatoire pour tous les créanciers antérieurs à la
décision d’ouverture, quelle que soit la nature de leurs créances(33). Il s’ensuit que le
concordat établit de nouveaux rapports juridiques dès lors qu’il est voté par les créanciers à
une majorité qualifiée. En effet, contrairement au principe de l’effet relatif des conventions, le
concordat s’impose à tous les créanciers y compris ceux qui n’ont pas produit leurs créances
et ceux qui n’étaient présents lors de l’Assemblée ou qui ne se sont pas prononcés
favorablement en votant contre le concordat ou bien en s’abstenant.
Dans le second cas, c’est une union de la liquidation des biens qui est instituée. Cette union
résulte de la décision judiciaire ordonnant la liquidation des biens qui constitue
automatiquement les créanciers en état d’union(34). Une fois l’union constituée, apparaît une
nouvelle organisation de la discipline collective des créanciers qui sont toujours représentés
par un syndic qui procède à l’établissement des créances, aux opérations de liquidation et de
répartition de l’actif disponible entre tous les créanciers dont la créance est vérifiée et
admise(35).
Enfin, dans le même souci d’assurer l’égalité stricte entre tous les créanciers, le législateur
prévoit, dans la phase de l’apurement du passif, l’obligation pour le juge-commissaire de
veiller à ce que tous les créanciers en soient avertis(36).
En définitive, on peut dire que l’affirmation et le renforcement du principe de l’égalité stricte
entre tous les créanciers reposent essentiellement sur deux idées de base : à savoir le
raffermissement des droits des créanciers pour le passé et la restriction de leurs droits
individuels pour l’avenir.
Il s’agit, au demeurant, d’appréhender les principaux arguments qui fondent la relativité du
principe de l’égalité entre les créanciers.
2ème PARTIE : L’ÉGALITÉ RELATIVE ENTRE LES CRÉANCIERS
Tous les partenaires du débiteur en difficulté économique ne sont pas totalement soumis à la
loi de l’égalité stricte puisque l’on sait déjà que le principe tiré de l’égalité des créanciers dans
les procédures collectives n’est pas absolu(37).
Dans cet ordre d’idées, il s’agit de démontrer que la relativité du principe de l’égalité entre les
créanciers repose essentiellement sur deux idées de base. Il s’agit, d’une part, de la relativité
de l’égalité du fait de la liberté d’action individuelle des créances (A) et, d’autre part de la
relativité de l’égalité du fait du sort différencié des créanciers face au concordat (B).
A – La liberté d’action individuelle des créanciers
La liberté d’action individuelle rend compte de la situation contrastée des créanciers parmi
lesquels certains bénéficient de multiples tempéraments aux restrictions formelles et
substantielles à leurs droits individuels.
Toutefois, les tempéraments aux restrictions formelles ne feront pas l’objet de
développements importants puisque, à notre connaissance, contrairement au principe de
l’irrévocabilité de l’admission des créances(38), seuls le trésor public, l’administration des
douanes et les organismes de sécurité et de prévoyance sociale produisent leurs créances sous
réserve des créances non encore établies et des redressements ou rappels individuels(39).
En d’autres termes, ces organismes publics sont habilités à compléter leurs déclarations tant
que leurs titres de créances subsisteront.
Ceci étant, hormis la règle de l’arrêt du cours des inscriptions qui ne prévoit pas de
tempérament, la restriction substantielle des droits individuels des créanciers admet
expressément de notables restrictions qui découlent de la règle de la suspension des poursuites
individuelles (1), de la règle de l’arrêt du cours des intérêts (2) et de l’autorisation des actions
en revendication qui présentent des particularités par rapport aux autres (3).
1° – Les tempéraments à la suspension des poursuites individuelles
Ils sont soit d’origine légale (a), soit d’origine jurisprudentielle (b).
a – Les tempéraments légaux
Ils s’appliquent à de multiples actions susceptibles d’être exercées par les créanciers. Il s’agit
d’un certain nombre d’actions qui sont expressément soustraites de la règle de la suspension
des poursuites individuelles, à savoir les actions des créanciers munis de sûretés réelles
spéciales (1-) et les actions en nullité et en résolution d’un contrat (2-).
1 – Les actions des créanciers munis de sûretés réelles spéciales
À l’heure actuelle, s’il est admis que le créancier titulaire d’une sûreté réelle spéciale est celui
qui a le pouvoir de réaliser un bien meuble ou immeuble spécialement affectés à la sûreté, il
faut bien reconnaître, cependant, que l’absence de définition légale était à l’origine des
incertitudes de la notion de sûreté réelle(40).
Au Sénégal, ces incertitudes ont persisté dans la mesure où, si les sûretés étaient définies
comme les moyens donnés au créancier par la loi ou par la convention pour garantir
l’exécution de l’obligation(41), le législateur s’était contenté d’une classification des sûretés
dans laquelle il se bornait à préciser que la sûreté réelle affecte un bien meuble ou immeuble
au payement d’une dette(42).
Certes, dans cette classification légale, il existait déjà les germes d’une définition.
Toutefois, les incertitudes de la notion de sûreté réelle n’ont été totalement dissipées que
grâce à l’Acte Uniforme sur le Droit des Sûretés qui la définit clairement comme celle qui
consiste dans le droit du créancier de se faire payer, par préférence, sur le prix de réalisation
du bien meuble ou immeuble, affecté à la garantie de l’obligation de son débiteur(43).
Il résulte de cette définition que les créanciers peuvent bénéficier de sûretés réelles mobilières
ou immobilières qui leur permettent d’échapper à la règle de l’égalité stricte entre tous les
créanciers. C’est dans cette perspective que seront exclus expressément de la règle de la
suspension des poursuites individuelles les créanciers titulaires de sûretés réelles spéciales tels
que les créanciers hypothécaires, les créanciers titulaires d’un privilège mobilier spécial, d’un
gage ou d’un nantissement ainsi que les créanciers publics comme le trésor public,
l’administration des douanes et les organismes de sécurité et de prévoyance sociale.
Au demeurant, il s’agit d’analyser les raisons diverses qui fondent la soustraction de ces
créanciers à la règle de la suspension des poursuites individuelles.
S’agissant des créanciers titulaires d’un privilège ou d’une hypothèque, la raison tient à la
nature de leurs créances puisqu’ils sont bénéficiaires d’une sûreté qui leur confère un droit de
préférence et un droit de suite(44). Ainsi donc, s’il s’agit d’un privilège, l’assiette de la sûreté
reposera sur un bien meuble ou un bien immeuble et, à l’inverse, s’il s’agit d’une hypothèque,
elle repose uniquement sur des biens immobiliers.
S’agissant plus particulièrement des créanciers privilégiés, une discrimination existe en
faveur, notamment, des salariés, des bailleurs d’immeuble et des personnes publiques comme
le trésor public qui conservent un droit de préférence attaché à leur créance.
— En premier lieu, il faut dire que les salariés bénéficient d’une double faveur concernant
leurs créances superprivilégiées et leurs créances globales qui font l’objet d’une protection
tant dans la phase du redressement judiciaire que de la liquidation des biens. En effet, il
résulte des articles 95 et 96 de l’A.U.P.C. que, en cas de redressement judiciaire ou de
liquidation des biens, les créances résultant du contrat de travail ou du contrat d’apprentissage
sont garanties à la fois par un privilège et par un superprivilège(45).
S’agissant plus spécialement du superprivilège, il est légitimé par son caractère alimentaire
qui engendre une triple conséquence.
D’abord, une obligation pèse sur le syndic de payer les créances superprivilégiées, au plus
tard, dans les 10 jours qui suivent la décision d’ouverture et sur simple décision du jugecommissaire.
Ensuite, au cas où il n’y aurait pas des fonds nécessaires, l’obligation pèse sur le syndic
d’acquitter les créances superprivilégiées sur les premières rentrées de fonds avant toute autre
créance.
Enfin, au cas où lesdites créances sont payées grâce à une avance faite par le syndic ou toute
autre personne, le prêteur est, par la même, subrogé dans les droits des travailleurs et doit être
remboursé dès la rentrée des fonds nécessaires sans qu’aucune autre créance puisse y faire
obstacle.
— En deuxième lieu, que le bail des immeubles affectés à l’activité professionnelle du
débiteur soit résilié ou non, le bailleur d’immeuble bénéficie d’un privilège qui est égal au
douze derniers mois de loyers échus ou à échoir(46).
Il s’y ajoute que s’il y a vente ou enlèvement des meubles garnissant les lieux loués, le
privilège du bailleur d’immeuble garantit les mêmes créances et s’exerce de la même façon
qu’en cas de résiliation(47).
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— En troisième lieu, la loi prévoit que les personnes publiques comme le trésor public,
l’administration des douanes et les organismes de sécurité et de prévoyance sociale disposent
du même droit pour le recouvrement de leurs créances privilégiées. Au surplus, elles
l’exercent dans les mêmes conditions que les créanciers gagistes et nantis, à savoir dans un
délai de 3 mois suivant la décision de liquidation des biens(48).
Toutefois, l’efficacité du privilège accordé au moment de la réalisation de l’actif du débiteur
est subordonné à une importante publicité qui justifie que, en cas d’union, les créanciers
privilégiés bénéficient d’un règlement prioritaire par rapport aux créanciers ordinaires.
Ceci étant, quelle que soit la qualité des créanciers titulaires de sûretés réelles spéciales,
lorsqu’ils exercent ou reprennent leurs actions individuelles, ils doivent le faire contre le
débiteur assisté ou représenté par le syndic selon qu’il s’agit d’une procédure de redressement
judiciaire ou de liquidation des biens.
Dans le premier cas, les droits des créanciers peuvent cependant se heurter à un obstacle du
fait que les créanciers ne peuvent réaliser les garanties qu’en cas d’annulation ou de résolution
du concordat auquel ils ont consenti ou qui leur a été imposé(49).
Dans le second cas, à savoir la liquidation des biens, tant pour les créanciers hypothécaires
que pour les créanciers gagistes ou les créanciers nantis, l’exercice ou la reprise des actions
individuelles tendant à la réalisation de l’actif du débiteur demeure subordonné à des
conditions strictes. En effet, ces actions individuelles ne peuvent prospérer que si le syndic
n’a pas retiré le gage ou le nantissement ou entrepris la procédure de réalisation de gage ou du
nantissement(50) ou bien encore s’il n’a pas entrepris la procédure de réalisation des
immeubles(51).
En définitive, les créanciers titulaires d’une sûreté réelle spéciale tels que l’hypothèque, le
privilège, le gage ou le nantissement et les créanciers publics comme le trésor, les douanes,
les organismes de sécurité et de prévoyance sociale ainsi que les salariés ne sont pas
entièrement soumis à la loi de l’égalité entre les créanciers. En effet, après la décision
d’ouverture des procédures collectives, ces créanciers recouvrent leur liberté d’action
individuelle car ils sont autorisés à exercer ou à reprendre leur droit de poursuites
individuelles contre le débiteur assisté ou représenté par le syndic.
Si on poursuit l’analyse des différentes actions soustraites à la règle de la suspension des
poursuites individuelles, on se rendra compte que les créanciers titulaires d’une action en
nullité et en résolution d’un contrat échapperont, en outre, à la loi de l’égalité stricte entre les
créanciers.
2 – Les actions en nullité et en résolution d’un contrat
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S’agissant des actions en nullité, leur liberté d’agir résulte de l’article 75 de l’A.U.P.C. qui
dispose que les actions tendant à contester la formation d’un contrat échappent à la règle de la
suspension des poursuites individuelles.
Peut-on en dire autant des conséquences de la nullité ?
De façon générale, lorsqu’un contrat est anéanti rétroactivement, il doit s’ensuivre des
obligations réciproques de restitutions entre les parties(52).
Normalement, si les actions en nullité échappe aux règles gouvernant les procédures
collectives, par voie de conséquence, les résultats de cette action devront être régis par le droit
commun. Suivant ce raisonnement, on devrait pouvoir considérer que tous les biens, à
l’exception de ceux représentés par une somme d’argent, doivent être restitués.
S’agissant, ensuite, des actions en résolution d’un contrat, elles échappent à la suspension des
poursuites individuelles dans le mesure où elles tendent à la résolution d’un contrat pour une
cause autre que le défaut de paiement du prix. Il s’agit, par exemple, de l’action intentée pour
un vice caché(53), de l’action demandée pour l’inexécution d’une obligation de faire(54).
Aussi bien, lorsque la demande qualifiée d’obligation de faire implique des paiements de
sommes d’argent, elle sera soumise à la suspension des poursuites individuelles(55).
Par contre, la jurisprudence décide que la suspension des poursuites individuelles était
inapplicable à l’action en résiliation d’un bail commercial fondée tant sur le non-paiement de
loyers que sur l’inexécution par le locataire d’une obligation de faire(56).
En d’autres termes, le juge affirme la primauté du principe selon lequel l’action visant à la
résiliation d’un bail pour inexécution d’une obligation de faire n’est pas suspendue malgré la
présence d’une demande de somme d’argent qui aurait pu conduire à la suspension de
l’action.
En somme, l’analyse des actions en nullité et en résolution d’un contrat ainsi que leurs
conséquences démontre que leur soustraction à la règle de la suspension des poursuites
individuelles est due essentiellement à l’argument selon lequel elles ne tendent pas au
paiement d’une créance de somme d’argent à la charge du débiteur.
Au demeurant, cette soustraction de ces créanciers à la règle de la suspension des poursuites
individuelles connaît d’autres tempéraments dans la jurisprudence.
b – Les tempéraments jurisprudentiels.
L’usage de l’adverbe notamment dans l’énumération des exceptions à la règle de la
suspension des poursuites individuelles des créanciers permet d’affirmer que la liste n’est pas
exhaustive.
Dès lors, l’interprétation jurisprudentielle de la règle de la suspension des poursuites
individuelles révélera l’existence de multiples tempéraments à la règle précitée.
Dans ce cadre, la jurisprudence décide que la règle de la suspension ne joue pas lorsque le
créancier poursuivant possède un droit acquis à la date du prononcé du jugement et qu’un tel
droit n’existe pas pour le créancier poursuivant en vertu de l’exécution provisoire d’une
décision frappée d’appel(57).
Egalement, l’analyse de la jurisprudence par la doctrine française a permis de systématiser
l’ensemble des poursuites individuelles non suspendues par l’ouverture d’une procédure
collective et qui n’ont pas été expressément dégagées par la loi(58). Ainsi donc, sont
concernées notamment par cette non suspension les poursuites tendant à obtenir la
reconnaissance d’un droit réel issu d’une convention ou de la loi(59), les poursuites engagées
contre les tiers(60) ; les poursuites tendant à l’exécution d’une décision passée en force de
chose jugée(61).
L’admission de ces dernières poursuites individuelles permet alors de mettre en œuvre la
clause résolutoire insérée dans un contrat et d’exercer les voies d’exécution.
En définitive, on peut affirmer que l’analyse des exceptions de la règle de la suspension des
poursuites individuelles, sous l’éclairage de la jurisprudence, permet de mieux circonscrire le
domaine légal des poursuites individuelles non suspendues par l’ouverture d’une procédure
collective et que, dans le même temps, elle permet de raffermir la conclusion selon laquelle
l’absence de paiement d’une somme d’argent par le débiteur est à la base des tempéraments à
la règle de la suspension des poursuites individuelles.
En résumé, on peut dire que ces tempéraments manifestent un important volet de la relativité
du principe de l’égalité entre les créanciers qui est également exprimée à travers les
tempéraments à l’arrêt du cours des intérêts.
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2° – Les tempéraments à l’arrêt du cours des intérêts
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Ces tempéraments sont aménagés dans le cadre de l’ouverture d’une procédure de
redressement judiciaire dans la mesure où la règle de l’arrêt du cours des intérêts ne
s’applique pas aux intérêts résultant de contrats de prêt conclu pour une durée égale ou
supérieure à un an ou de contrats assortis d’un paiement différé d’un an ou plus(62).
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Il apparaît que cette exception repose sur la nécessité d’encourager le crédit remboursable sur
une période relativement longue(63).
Au surplus, elle vise surtout à protéger les organismes professionnels du crédit qui
accepteront facilement de consentir des crédits à long terme qui préservent la valeur du loyer
et de l’argent.
En définitive, la continuation du cours des intérêts légaux, conventionnels, moratoires et des
majorations résultant, en particulier, des contrats de prêts crée une situation privilégiée en
faveur des prêteurs de deniers qui ne subiront pas la loi de l’égalité stricte entre tous les
créanciers.
Au demeurant, l’analyse de cette liberté d’action individuelle sera close avec le particularisme
des actions en revendication des créanciers.
3° – Le particularisme des actions en revendication des créanciers
Les actions en revendication sont des actions accordées à tout propriétaire pour faire
reconnaître son titre.
Dans le droit des procédures collectives, elles se singularisent dans la mesure où le but de ces
actions est de réclamer moins un droit de créance qu’un droit de propriété. On en déduit que
l’ouverture des procédures collectives ne peut paralyser l’exercice de telles actions en
revendication qui sont bien spécifiées par la loi.
En l’occurrence, il s’agit, d’une part des valeurs qui se trouvent encore dans le portefeuille du
débiteur(64) et, d’autre part des marchandises consignées et des objets mobiliers remis au
débiteur, soit pour être vendus pour le compte du propriétaire, soit à titre de dépôt, de prêt, de
mandat ou de location ou de tout autre contrat à charge de restitution(65).
S’agissant des valeurs en portefeuille, l’objet de la revendication ne peut porter sur des effets
de commerce ou autres titres non payés qu’à la double condition qu’ils se trouvent encore
dans le portefeuille du débiteur et que les titres non payés soient remis par leur propriétaire
pour être spécialement affectés à des paiements déterminés.
En outre, la revendication peut s’exercer sur des objets mobiliers remis au débiteur. Dans
cette hypothèse, le propriétaire sera dans l’obligation de les individualiser pour éviter tout
risque de confusion ou de contestation.
S’agissant des marchandises consignées ou des objets mobiliers consignés, tant qu’ils sont en
nature, ils peuvent également faire l’objet d’une revendication lorsqu’ils sont dans le
patrimoine du débiteur.
En cas d’expédition au débiteur, les marchandises en cours de route et les objets mobiliers
expédiés peuvent être revendiqués tant que la tradition n’en a point été effectuée dans les
magasins du débiteur ou dans ceux du commissionnaire chargé de les vendre pour son compte
ou d’un mandataire chargé de les recevoir(66).
Toutes les revendications sont autorisées même en présence d’une clause subordonnant le
transfert de propriété au paiement intégral du prix(67).
Il s’y ajoute que même la présence d’une clause résolutoire ou bien d’une condition
résolutoire acquise ne peuvent faire obstacle à ces revendications(68).
Mieux encore, quelquefois, la reprise du bien du propriétaire est facilitée par une dispense de
revendication. Ce sera le cas, notamment, dans trois situations :
— si, avant la restitution des marchandises et objets mobiliers, le prix est payé
intégralement(69) ;
— également, il n’y a pas lieu à revendication si, avant la restitution des marchandises et
objets mobiliers, outre les frais et les dommages et intérêts prononcés, le prix est payé
intégralement et immédiatement par le syndic assistant ou représentant le débiteur(70) ;
— enfin, c’est le vendeur de marchandises et d’objets mobiliers qui exerce son droit de
rétention lorsque ces biens ne sont pas délivrés ou expédiés au débiteur ou à un tiers agissant
pour son compte(71).
Cette exception est recevable même si le prix est stipulé payable à crédit et le transfert de
propriété opéré avant la délivrance ou l’expédition.
Au total, on constate que, contrairement aux tempéraments de la suspension des poursuites
individuelles et de l’arrêt du cours des intérêts, la soustraction des actions en revendication
des créanciers repose moins sur l’absence de réclamation d’une somme d’argent que sur la
revendication d’un droit réel de propriété qui leur confère un caractère spécifique.
Si on conjugue le particularisme des actions en revendication des créanciers avec les
tempéraments à l’arrêt du cours des intérêts et à la suspension des poursuites individuelles, on
se rend positivement compte qu’ils constituent un volet essentiel de la manifestation de la
relativité du principe d’égalité entre les créanciers.
Peut-on en dire autant du sort différencié des créanciers face au concordat ?
B – Le sort différencié des créanciers face au concordat
Le concordat peut être défini comme un contrat passé entre le débiteur et ses créanciers, dans
les conditions précisées par la loi.
Ce contrat à la particularité de s’imposer à tous les créanciers, y compris ceux qui ne l’ont pas
voté.
Toutefois, au cas où le concordat est voté et homologué par le tribunal72, les délais et remises
consentis par les créanciers peuvent être différents.
Selon les termes concordataires consentis, il y aura, en outre, un sort différencié entre les
créanciers concordataires et les créanciers post-concordataires.
Par suite, une double discrimination apparaît entre les créanciers : il s’agit, d’une part, de la
discrimination entre les créanciers concordataires eux-mêmes (1) et, d’autre part, une
discrimination entre les créanciers concordataires et les créanciers post-concordataires (2).
1° – La discrimination entre les créanciers concordataires eux-mêmes
Dans le concordat de redressement judiciaire, lorsque la proposition concordataire comporte
une demande de remise ou une demande de délai dépassant deux ans, le concordat peut être
voté et homologué en des termes diversement acceptés par les créanciers73. En l’occurrence, il
s’agit des créanciers munis de sûretés réelles spéciales qui doivent faire connaître au greffier
et au syndic s’ils acceptent les propositions concordataires ou entendent accorder des délais et
des remises différents de ceux proposés et lesquels74.
Ces créanciers sont favorisés dans la procédure collective dans la mesure où ils ne sont
obligés que par les délais et remises particuliers qu’ils ont consentis75.
De la même façon, les travailleurs bénéficient d’une protection spéciale puisque,
normalement, ils ne peuvent se voir imposer aucune remise ni délai excédant deux ans76.
Enfin, en principe, il est formellement interdit à l’administration de consentir des remises ou
des délais77.
En application de cette dernière règle, le paiement des créances fiscales, douanières et de
sécurité sociale, etc., n’est normalement susceptible ni de remises, ni de délais.
On le voit donc, si le concordat voté et homologué s’impose à tous les créanciers, il n’en
demeure pas moins que les délais et remises concordataires sont laissés à la libre appréciation
individuelle des créanciers s’ils ne sont pas tout simplement interdits par la loi.
Cette discrimination entre les créanciers concordataires eux-mêmes existe en outre entre les
créanciers concordataires et les créanciers postérieurs au concordat.
2 – La discrimination entre les créanciers concordataires et les créanciers postconcordataires
En cas de résolution ou d’annulation du concordat de redressement, s’il existe de nouveaux
créanciers, leurs titres de créances devront être produits et vérifiés pour leur admission dans la
masse unique des créanciers antérieurs et postérieurs au concordat.
Toutefois, malgré la fusion de tous ces créanciers dans une même masse, il subsistera une
discrimination en faveur des anciens créanciers concordataires qui bénéficient d’une priorité
de traitement au détriment des créanciers post-concordataires.
Aussi bien, après l’opération de vérification des nouveaux titres de créances produits, les
créances antérieurement admises sont reportées d’office au nouvel état de créances, sous
déduction des sommes qui auraient été perçues par les créanciers au titre des dividendes78.
En outre, si avant la résolution ou l’annulation du concordat, le débiteur n’a payé aucun
dividende, les remises concordataires sont anéanties et les créanciers antérieurs au concordat
recouvrent l’intégralité de leurs droits79.
En somme, on peut dire que les relations entre les créanciers concordataires et les créanciers
postérieurs au concordat sont essentiellement marquées du sceau de l’inégalité qui débouche
sur une discrimination qui se traduit par un sort différencié entre tous ces créanciers.
Au demeurant, ceci constitue le second volet de la manifestation de la relativité de l’égalité
entre les créanciers dans le droit des procédures collectives.
CONCLUSION
Au terme de cette étude, la conclusion majeure que l’on peut dégager est que le
raffermissement des droits des créanciers pour le passé et 1 restriction aux droits individuels
des créanciers pour l’avenir constituent des idées de base de l’affirmation du principe de
l’égalité stricte entre tous les créanciers dans le droit des procédures collectives d’apurement
du passif. Par suite, force est de constater que le principe de l’égalité entre les créanciers
permet d’assurer, d’une part, une discipline collective des créanciers et, d’autre part une
sauvegarde de l’intégrité du patrimoine du débiteur en difficulté économique.
Toutefois, à bien des égards, il convient de remarquer que le principe de l’égalité n’est pas
absolu dans la mesure où la liberté d’action individuelle de certains créanciers ainsi que le sort
différencié des créanciers face au concordat constituent des manifestations de la relativité
dudit principe.
Pour l’essentiel, les bénéficiaires de cette relativité sont des créanciers spéciaux tels que le
trésor public, le fisc, l’administration douanière, les organismes de sécurité et de prévoyance
sociale et les créanciers munis de sûretés réelles spéciales comme l’hypothèque, le privilège,
le gage et le nantissement, ainsi que les travailleurs et les créanciers concordataires qui
échappent, dans une large mesure, à la règle de l’égalité stricte entre les créanciers.
Par suite, on en déduit, en définitive, que les seuls partenaires du débiteur qui sont
entièrement soumis à la règle de l’égalité stricte demeurent les créanciers ordinaires ou
chirographaires dépourvus d’une garantie particulière pour le recouvrement de leurs créances.