551 La nature de la solidarité de l`article 1745 du CGI
Transcription
551 La nature de la solidarité de l`article 1745 du CGI
Étude 551 Procédures fiscales 551 La nature de la solidarité de l’article 1745 du CGI Stéphane Detraz, maître de conférences à l’université Paris Sud-XI, faculté Jean Monnet L’article 1745 du CGI prévoit que la personne pénalement condamnée du chef de fraude fiscale peut être rendue solidaire, avec le redevable légal, du paiement de l’impôt fraudé et des pénalités fiscales afférentes. Dans le silence de la loi, la Cour de cassation considère que cette solidarité est une mesure « à caractère pénal » mais qui, selon un tout récent arrêt 1, ne présente pas le « caractère d’une punition ». L’ambiguïté atteint ainsi son paroxysme : la qualification jurisprudentielle de la mesure demeure hasardeuse, critiquable, voire incohérente. 1 - La fraude fiscale, si elle est fort coûteuse pour le Trésor, est richement sanctionnée. D’un côté, au plan fiscal, la soustraction à l’impôt peut entraîner, outre le rétablissement de l’imposition dans son principe même ou ses proportions normales, l’application administrative des pénalités fiscales que constituent l’intérêt de retard, l’amende fiscale et la majoration. De l’autre côté, au plan pénal, le comportement correspond essentiellement au délit général de fraude fiscale défini à l’article 1741 du CGI et donne lieu, à ce titre, à un emprisonnement de cinq ans et à une amende de 750 000 €, sans préjudice de l’existence de circonstances aggravantes et de peines complémentaires. 2 - Lorsque la fraude fiscale est reconnue par le juge répressif, l’article 1745 du CGI 2 prévoit une garantie de paiement dans les termes suivants : « Tous ceux qui ont fait l’objet d’une condamnation définitive, prononcée en application des articles 1741, 1742 ou 1743 peuvent être solidairement tenus, avec le redevable légal de l’impôt fraudé, au paiement de cet impôt ainsi qu’à celui des pénalités fiscales y afférentes » 3. Cette solidarité passive – dite tantôt « fiscale », tantôt 1. Cass. crim., 12 sept. 2012, n° 12-80.574, QPC : JurisData n° 2012-020793. – Sur cet arrêt, V. également, R. Salomon, Droit pénal fiscal : Dr. fisc. 2012, n° 43, 493. 2. Ancien article 1835 bis du CGI. 3. Cette solidarité se distingue d’autres mécanismes voisins, prévus notamment par les articles L. 266 (abrogé) et L. 267 du LPF, V. Cass. crim., 22 mai 1975, n° 74-92.382 : JurisData n° 1975-095129 ; Bull. crim. 1975, n° 129. – Cass. crim., 13 oct. 1986, n° 86-90.179 : JurisData n° 1986-001966 ; Bull. crim. 1986, n° 281. – Cass. crim., 27 oct. 1999, n° 98-85.213, P, Braillon : Bull. crim. 1999, n° 236 ; Rev. sociétés 2000, p. 364, note B. Bouloc ; RJDA 3/2000, n° 285. – Cass. com., 13 janv. 2009, n° 07-21.680, MM. Coubry et Thibaudeau : JurisData n° 2009-046577 ; RJF 5/2009, n° 509. – Sur cet arrêt, V. également, R. Salomon, Droit pénal fiscal (déc. 2008/févr. 2009) : Dr. fisc. 2009, n° 16, 278 ; et l’article 283 du CGI, V. Cass. crim., 24 sept. 2008, n° 07-87.488. « pénale », selon qu’on se réfère à son objet ou à sa cause – est redoutable. Certes, elle serait complètement inerme dans l’hypothèse où le redevable légal de l’impôt et le condamné ne sont qu’une seule et même personne : le sort de l’intéressé ne serait alors pas aggravé – car il n’aurait pas à payer plus que sa part –, ni celui du Trésor amélioré – puisqu’il ne disposerait d’aucun débiteur supplémentaire ; c’est pourquoi – comme le texte le dit implicitement – elle n’est alors pas applicable 4. Dans le cas inverse, c’est d’une mesure gravement préjudiciable qu’il s’agit pour le coupable : il pourra se voir réclamer, en qualité de codébiteur solidaire, le paiement des dettes fiscales protégées. Comprenons par là que l’intéressé est simplement « obligé » au paiement : il ne peut être rendu codébiteur stricto sensu (contributeur) des dettes fiscales 5 et dispose donc d’une action récursoire, pour l’intégralité de ce qu’il verse, à l’encontre du redevable légal 6, ce dernier étant en revanche logiquement démuni d’un tel procédé 7. 3 - La solidarité de l’article 1745 du CGI a-t-elle dès lors – en tout ou partie – une nature punitive, ou s’agit-il d’une banale garantie de recouvrement ? La jurisprudence montre sa gêne à apporter une réponse claire et stable, lorsque de la qualification dépend la solution à telle ou telle difficulté. Elle peut, il est vrai, déclarer sans risque d’er- 4. Rappr., Cass. crim., 22 sept. 2004, n° 03-85.989, Mme D. JurisData n° 2004025422 ; Dr. fisc. 2004, n° 52, comm. 930 : « le juge pénal n’est pas compétent pour condamner le contribuable au paiement de l’impôt éludé ». 5. Cass. com., 8 oct. 2002, n° 99-11.530 et n° 99-12.320, M. Dezzuto : JurisData n° 2002-016131 ; Dr. fisc. 2002, n° 51, comm. 1021. – Adde, Cass. com., 19 nov. 2002, n° 99-15.721. – Rappr., en matière de prescription, CE, 9e et 10e ss-sect., 6 juin 2007, n° 282629, n° 282631 et n° 282632, Depouly : RJF 10/2007, n° 1163. 6. Cass. crim., 12 sept. 2012, n° 12-80.574, QPC, préc. 7. Cass. com., 19 nov. 1991, n° 89-19.709, M. Delhomme : Bull. civ. 1991, IV, n° 351 ; Dr. fisc. 1992, n° 13, comm. 686. REVUE DE DROIT FISCAL N° 50. 13 DÉCEMBRE 2012 1 551 reur que la solidarité fiscale est une « sanction » 8 ou une « modalité d’exécution » 9 puisque pareilles dénominations ne font que constater des réalités incontestables : la mesure préjudicie effectivement au condamné en ce qu’elle l’oblige au paiement d’une dette extérieure à son patrimoine et garantit donc le recouvrement de celle-ci. Mais la Cour de cassation s’est aventurée au-delà : après quelques hésitations, elle a choisi de qualifier durablement la solidarité fiscale de « mesure à caractère pénal », indiquant ainsi qu’il n’y a pas lieu d’y voir un simple instrument civil (1). Néanmoins, une décision du 12 septembre 2012 de la chambre criminelle 10, statuant sur la demande de transmission d’une question prioritaire de constitutionnalité, lui dénie le « caractère de punition » que l’observateur attentif s’attendait pourtant à voir consacrer tôt ou tard (2). 1. La solidarité fiscale, une mesure pénale 4 - Depuis quatre décisions du 29 février 1996, la jurisprudence qualifie la solidarité de l’article 1745 du CGI de « mesure à caractère pénal » 11 ou, plus rarement, de « mesure pénale » 12. La divergence d’appellation est très certainement sans incidence : il s’agit, pour la chambre criminelle,d’affirmer que la solidarité n’est pas une garantie de recouvrement ordinaire mais ressortit – selon des liens cependant tus – à la répression. La chose se comprend aisément au regard des conditions d’application de la mesure,qui la rattachent effectivement au droit pénal (A). Néanmoins, la portée de la qualification consacrée demeure insaisissable, en ce qu’elle ne lie en rien la Cour de cassation (B). A. - Les fondements de la qualification 5 - Si l’objet de la solidarité est fiscal (1°), sa cause, en revanche, en démontre l’appartenance au droit pénal (2°). 1° Un objet fiscal 6 - L’article 1745 du CGI ne prévoit la solidarité qu’au soutien du recouvrement de créances fiscales : il dispose, après avoir évoqué le redevable légal de l’impôt fraudé, de l’obligation solidaire au « paiement de cet impôt ainsi qu’à celui des pénalités fiscales y afférentes ». L’imposition garantie, tout d’abord, peut être de toute sorte – directe ou indirecte –, dès lors qu’elle se prête à la commission des infractions des articles 1741 et 1743 du CGI ; en pratique,il s’agira essentiellement de l’impôt sur le revenu 13, de l’impôt sur les sociétés 14 et de la taxe sur la valeur ajoutée 15. Quant aux « pénalités », ensuite, le texte est ambigu à deux égards. D’une part, il n’indique pas clairement si sont seules visées les 8. Cass. crim., 19 janv. 1987, n° 86-90.195 : Dr. fisc. 1987, n° 16, comm. 818. 9. Cass. crim., 2 mars 1987, n° 85-93.947 : JurisData n° 1987-000620 ; Bull. crim. 1987, n° 101. 10. Cass. crim., 12 sept. 2012, n° 12-80.574, QPC, préc. 11. Cass. crim., 29 févr. 1996, n° 93-84.785. – Cass. crim., 29 févr. 1996, n° 9284.481. – Cass. crim., 29 févr. 1996, n° 93-84.692 et n° 93-84.616 : Bull. crim. 1996, n° 100 ; Dr. pén. 1996, comm. 135, obs. J.-H. Robert ; Rev. sc. crim. 1996, p. 851, obs. B. Bouloc. – En dernier lieu, Cass. crim., 7 sept. 2011, n° 1085.519. – Rappr. déjà, Cass. crim., 12 nov. 1984, n° 83-92.805 : Bull. crim. 1984, n° 342, « sanction de nature pénale ». 12. Cass. crim., 5 mai 2004, n° 03-85.722. – Cass. crim., 4 nov. 2010, n° 1081.825 : JurisData n° 2010-021977 ; Bull. crim. 2010, n° 174 ; RJF 4/2011, n° 514 ; Rev. sc. crim. 2011, p. 628, obs. S. Detraz. – V. également, R. Salomon, Droit pénal fiscal : Dr. fisc. 2011, n° 3, 111. 13. V. par ex., Cass. crim., 23 mars 1987, n° 86-90.441. 14. V. par ex., Cass. crim., 1er déc. 2004, n° 04-83.940. 15. V. par ex., Cass. crim., 7 sept. 2011, n° 10-85.519, préc. 2 REVUE DE DROIT FISCAL N° 50. 13 DÉCEMBRE 2012 Étude majorations 16 et amendes fiscales 17 ou si l’intérêt de retard est également inclus. La seconde proposition semble la meilleure, comme l’admet la jurisprudence 18 : pour un argument de texte, premièrement, car le CGI place ces trois types de mesures sous un chapitre nommé « Pénalités » (pendant que les deux premiers figurent sous une subdivision intitulée « Sanctions ») ; pour un argument de fond, deuxièmement, puisque l’intérêt de retard se confond avec l’impôt, dont il compense l’encaissement tardif. D’autre part, il n’est pas dit si les pénalités fiscales doivent ou non être d’ores et déjà appliquées par l’Administration au moment où le juge pénal prononce la solidarité. La formule abstraite de l’article 1745 du CGI (« pénalités fiscales y afférentes »), qui ne se réfère pas au cas concret, incite à cet égard à accepter que la solidarité soit ordonnée en prévision des pénalités à venir 19. La solution peut sembler critiquable, en ce que la juridiction répressive autorise de la sorte l’emploi d’une mesure pénale sans en connaître précisément (numériquement) l’assise, outre qu’elle n’a pas à évaluer l’étendue de la fraude. En réalité – étant rappelé que le tribunal correctionnel n’a pas non plus à déterminer le montant de l’impôt 20 –, la loi fiscale et la jurisprudence administrative nuancent fortement l’inconvénient : les pénalités fiscales sont en effet, sauf exception, dotées d’un quantum fixe – quoique généralement proportionnel –, que ni l’Administration, ni le juge (administratif) de l’impôt ne peuvent moduler, si bien que leur montant résultera de l’application automatique des textes selon une formule mathématique préétablie. L’étendue de la solidarité ne risque donc pas, en définitive, d’être délimitée ou gonflée arbitrairement par l’Administration. 7 - Au bénéfice de l’ensemble de ces précisions, l’on observera que la solidarité fiscale se saisit de créances de deux sortes. Les unes n’ont qu’une nature civile lato sensu, c’est-à-dire non répressif : ainsi de l’impôt et de l’intérêt de retard. Les autres – c’est-à-dire les majorations et amendes fiscales – ont en revanche un aspect punitif, comme le reconnaissent en principe à l’unisson les juridictions suprêmes (Conseil constitutionnel, Cour européenne des droits de l’homme, Conseil d’État, Cour de cassation). L’objet même de la solidarité fiscale ne peut donc qu’en partie soutenir la qualification de « mesure à caractère pénal ». Mais il y a lieu de remarquer qu’une créance purement civile peut être épaulée par un procédé à caractère pénal. L’on se souvient par exemple que, jusqu’en 2004, la contrainte par corps était applicable, sur décision du président du tribunal de grande instance, et indépendamment de toute procédure ou infraction pénale, au recouvrement des impositions établies par voie de taxation d’office au nom de personnes changeant fréquemment de lieu de séjour ou séjournant dans des locaux d’emprunt ou des locaux meublés (LPF, art. L. 271 à L. 272 A, abrogés L. n° 2004-204, 9 mars 2004). La peine 16. La chambre criminelle a précisé – pour parer à des moyens de cassation le niant – que « les pénalités fiscales prévues par ce texte incluent les majorations visées aux articles 1728 et 1729 », cf. Cass. crim., 6 oct. 2004, n° 03-86.378, M. Versini. – Cass. crim., 17 janv. 2007, n° 05-84.857 : JurisData n° 2007-037535. – Adde, Cass. crim., 28 nov. 2007, n° 06-84.668 : JurisData n° 2007-042279. 17. V. par ex., Cass. crim., 3 déc. 2003, n° 02-87.334. 18. V. Cass. crim., 19 févr. 2003, n° 02-82.154, implicitement. 19. À cet égard, le juge pénal n’a pas à vérifier les conditions l’application des pénalités fiscales, notamment la « mauvaise foi » – selon la terminologie ancienne – au fondement de la majoration prévue par l’article 1729 du CGI, cf. Cass. crim., 19 févr. 2003, n° 02-82.154, préc. – Cass. crim., 6 oct. 2004, n° 03-86.378, M. Versini. 20. V. par ex., Cass. crim., 18 oct. 1973, n° 72-93.482 : Bull. crim. 1973, n° 368. – Cass. crim., 25 févr. 2009, n° 08-82.782. – Sur cet arrêt, V. R. Salomon, Droit pénal fiscal (déc. 2008/févr. 2009) : Dr. fisc. 2009, n° 16, 278. – Adde, Cass. crim., 7 sept. 2011, n° 10-85.519, préc. : la solidarité est une « mesure à caractère pénal sans incidence sur la détermination des droits dus ». – Rappr., Cass. crim., 19 déc. 1983, pourvoi c/ CA Colmar, 10 juin 1983, sur l’absence de sursis à statuer en cas de saisine du juge de l’impôt. Étude d’emprisonnement peut elle aussi sanctionner le défaut de paiement d’une dette civile 21, sans qu’elle dégénère alors en une simple garantie de recouvrement. L’élément déterminant n’est donc pas la nature de la créance renforcée mais soit la substance même de la mesure, soit les conditions d’application de celle-ci, en tant respectivement qu’indice ou que révélatrices de la finalité poursuivie par le législateur. 2° Une cause pénale 8 - Ce sont assurément les conditions du prononcé de la solidarité fiscale qui ont incité la Cour de cassation à y voir une mesure à caractère pénal. C’est ainsi, ratione materiae, que la solidarité ne peut être ordonnée que lorsque la fraude réalisée correspond à la définition du délit de l’article 1741 du CGI et que ce dernier, poursuivi, a été caractérisé par le tribunal correctionnel 22. Une irrégularité fiscale pénalement licite ou dont le caractère délictueux n’a pas été constaté par la juridiction compétente est donc indifférente. Ratione personae peuvent devenir solidaires du redevable légal de l’impôt « tous ceux qui ont fait l’objet d’une condamnation définitive 23 prononcée en application des articles 1741, 1742 ou 1743 » du CGI. Ces dispositions permettent ainsi d’appliquer la solidarité à trois catégories de personnes : tout d’abord, les auteurs ou coauteurs 24 du délit général de fraude fiscale établi à l’article 1741, notamment le dirigeant – y compris de fait 25 – d’une personne morale soustraite à l’impôt 26 ; ensuite, les complices de cette infraction, visés à l’article 1742 (lequel se borne à rappeler l’application des articles 121-6 et 121-7 du Code pénal) 27 ; enfin, les auteurs 28 des infractions de l’article 1743, et notamment de celle du 1° de ce texte, qui établit l’incrimination obstacle se saisissant de « quiconque a sciemment omis de passer ou de faire passer des écritures ou a passé ou fait passer des écritures inexactes ou fictives au livre-journal prévu par les articles L. 123-12 à L. 123-14 du Code de commerce, ou dans les documents qui en tiennent lieu » 29. S’agissant du redevable légal de l’impôt luimême, la mesure de solidarité ne lui est pas applicable, même s’il est condamné pénalement 30 : il est déjà tenu, par l’effet de la loi et de la décision administrative, au paiement des créances fiscales 31. Néanmoins, la Cour de cassation a indiqué que « la détermination des personnes redevables légales de l’impôt ne relève pas de la compé21. V. notamment, C. pén., art. 227-3, sur l’abandon de famille. – Rappr., C. pén., art. 131-3-8° et 131-8-1, pour la peine de sanction-réparation. 22. Cass. crim., 25 janv. 2006, n° 05-81.355 F-D, G. : JurisData n° 2006-032369 ; Dr. fisc. 2007, n° 12, comm. 321. 23. Ce caractère définitif est condition non pas du prononcé mais de mise en œuvre de la solidarité, V. Cass. crim., 8 déc. 1980, n° 79-94.929 : Bull. crim. 1980, n° 337. – Cass. crim., 6 avr. 1987, n° 85-96.581 : Bull. crim. 1987, n° 157. – Cass. crim., 2 mai 1988, n° 87-84.059, M. Etcheverry. 24. V. par ex., Cass. crim., 18 mars 1975, n° 74-92.076 : Bull. crim. 1975, n° 80, pour des époux. 25. Cass. crim., 23 mai 2007, n° 06-87.440, condamnation du gérant de droit et du gérant de fait. – Cass. crim., 1er déc. 2004, n° 04-82.170. 26. V. par ex., Cass. crim., 7 sept. 2011, n° 10-85.519, préc., gérant de société. 27. V. par ex., Cass. crim., 19 mars 1969, n° 68-92.606 : Bull. crim. 1969, n° 123. 28. Mais pas, semble-t-il, les complices, rappr., Cass. crim., 24 nov. 1986 n° 85-94.140 : Bull. crim. 1986, n° 352 ; Dr. fisc. 1987, n° 26, comm. 1233. 29. La commission de ce seul délit ne permet pas le prononcé de la solidarité, car cette dernière suppose l’existence d’un « impôt fraudé », V. Cass. crim., 7 nov. 1996, n° 96-80.411 : JurisData n° 1996-005293 ; Dr. fisc. 1997, n° 17, comm. 482 ; JCP E 1997, p. 110 ; JCP G 1997, IV, 655. – Cass. crim., 24 mars 2010, n° 09-84.198. 30. Rappr., Cass. crim., 5 déc. 2001, n° 01-81.995 : JurisData n° 2001-012599. – Comp. cependant, Cass. crim., 19 mars 1969, n° 68-92.606, préc. 31. V. Cass. crim., 24 mai 1982, pourvoi c/ CA Paris, 29 avr. 1981, inédit : la solidarité « ne peut affecter la situation du redevable légal de l’impôt fraudé, lequel, par application des règles propres au droit fiscal, demeure tenu au paiement total des impôts fraudés et aux pénalités qui sont la conséquence de cette fraude ». 551 tence de la juridiction répressive » 32 mais incombe aux seules « instances administratives » 33, alors que, en pratique, et sans jamais se le voir reprocher, les juges du fond désignent dans leurs décisions l’identité de ce redevable (telle personne physique, telle société, etc.). 9 - En somme, l’on constate que seuls des coupables déclarés sont susceptibles d’être rendus solidaires du paiement des créances fiscales et que tous ont par ailleurs participé de manière causale à la fraude fiscale, soit en la réalisant eux-mêmes (auteurs), soit en qualité d’instigateurs ou d’auxiliaires (complices ainsi qu’auteurs des délits satellites). À cet égard, la Cour de cassation veille normalement, en cas de pluralité de prévenus,à ce que la solidarité n’atteigne que ceux qui ont pris part, selon l’une des façons décrites plus haut, aux mêmes faits de fraude, donc à la soustraction au même impôt 34. Il ne saurait par exemple être question, au prétexte qu’ils sont poursuivis simultanément, de rendre un complice solidaire des conséquences pécuniaires de l’ensemble des fraudes fiscales commises par l’auteur, dès lors qu’il ne s’est associé qu’à l’une ou certaines d’entre elles. Elle a ainsi reconnu – mais en rendant applicable un texte en réalité étranger à la question 35 – que « les dispositions de l’article 1745 du Code général des impôts ?...? ne contiennent aucune dérogation au principe découlant de l’article 55 du Code pénal selon lequel il ne peut y avoir condamnation solidaire que pour un même délit ou des délits connexes » 36. Pour autant, l’invocation de ces dispositions peut n’être bénéfique qu’en apparence. En effet, tel qu’il est rédigé, l’article 1745 du CGI ne permet pas de prononcer la solidarité au seul motif que les personnes jugées dans la même procédure et rendues solidaires du redevable légal sont pénalement responsables d’infractions connexes : il faut que chacune d’elle soit l’auteur ou le complice de la fraude fiscale de l’article 1741 ou l’auteur de l’infraction obstacle de l’article 1743 en lien avec ladite fraude. Or, la jurisprudence retient une interprétation différente : elle a ainsi décidé que lorsque deux personnes physiques se sont succédé à la tête d’une société et qu’elles sont poursuivies pour des fraudes fiscales imputables à l’une ou à l’autre selon le moment de leur réalisation, les juges du fond peuvent les rendre chacune solidaires du paiement de l’ensemble des dettes fiscales de la personne morale sans distinguer entre les différentes infractions, dès lors qu’a été utilisé « un mode de fraude identique ?...?, d’où se déduit l’existence, entre les divers faits de fraudes fiscales commis par chacun des deux prévenus, d’un lien de connexité de nature à justifier le prononcé de la solidarité » 37. Cette interprétation large a été confirmée au détriment d’un complice, rendu solidaire de dettes fiscales correspondant à une période de fraude à laquelle il était étranger, la chambre criminelle jugeant que « la solidarité du complice avec le redevable de l’impôt fraudé, prévue à l’article 1745 du Code général des impôts, s’étend à tous les faits de fraude fiscale poursuivis et qui procède d’une conception unique » 38. 10 - En outre, la déclaration de culpabilité ne suffit pas : il faut, dit l’article 1745 du CGI, que la personne soit condamnée 39. La distinction, effectivement pratiquée par la jurisprudence, est capitale : si le prévenu est certes reconnu coupable mais que, par suite de l’octroi 32. Cass. crim., 6 oct. 2010, n° 09-87.562 : JurisData n° 2010-020217 ; Dr. pén. 2010, comm. 10, à propos d’une EURL. 33. Cass. crim., 3 nov. 1983, pourvoi c/ CA Paris, 20 oct. 1982, inédit 34. V. par ex., Cass. crim., 22 déc. 1986, n° 85-91.140 : Bull. crim. 1986, n° 382 ; Dr. fisc. 1987, n° 26, comm. 1234, pour un complice. – Adde, Cass. crim., 23 mars 1987, n° 86-90.441, préc. 35. L’actuel article 480-1 du Code de procédure pénale, rappr., Cass. crim., 29 mars 2000, n° 99-82.233. 36. Cass. crim., 10 janv. 1973, n° 71-93.351 : Bull. crim. 1973, n° 14. 37. Cass. crim., 21 juin 2000, n° 99-81.666. 38. Cass. crim., 22 oct. 2008, n° 07-88,134. 39. V. par ex. Cass. crim., 25 janv. 2006, n° 05-81.355 F-D, G., préc. REVUE DE DROIT FISCAL N° 50. 13 DÉCEMBRE 2012 3 Étude 551 d’une dispense de peine, aucune sanction pénale n’est prononcée à son encontre, il n’est pas « condamné » et ne peut donc être soumis à la solidarité. Au plan procédural, il en résulte que si, en première instance, le tribunal correctionnel a relaxé le prévenu ou l’a dispensé de peine, et qu’il n’est fait appel qu’à propos de l’action civile de l’Administration fiscale 40, la solidarité ne pourra être prononcée par les juges supérieurs 41 : en effet, dès lors que ces derniers ne sont pas saisis de l’action publique, ils ne peuvent ni déclarer l’individu coupable, ni prononcer une peine à son égard, en sorte que les deux conditions fondamentales posées par l’article 1745 du CGI ne peuvent être remplies.L’Administration n’a donc,techniquement,aucun intérêt à agir dans cette hypothèse ; la Cour de cassation lui dénie, plus radicalement, toute qualité pour ce faire 42. Lorsque, en revanche, il est fait appel des dispositions statuant sur l’action publique, la solidarité exclue en premier ressort, peut être ordonnée si l’individu a été condamné par le tribunal correctionnel 43 ; l’Administration peut également faire appel lorsqu’elle a déjà obtenu le prononcé de la mesure, pour en demander le maintien aux juges d’appel 44. 11 - Enfin, il convient de noter que, comme pour les peines en principe, le juge n’est pas contraint de prononcer la solidarité 45 et que, s’il le fait néanmoins, il n’a pas à motiver spécialement sa décision 46 ; c’est, pour reprendre des expressions habituelles de la Cour de cassation, une faculté que les juges « tiennent de la loi » 47 et dont ils « ne doivent aucun compte » 48.Ils peuvent à ce titre,en cas de pluralité de condamnés, n’ordonner la mesure qu’à l’égard d’un seul ou de certains d’entre eux 49. B. - Les implications de la qualification 12 - Qualifier la solidarité de mesure à caractère pénal indique, négativement, qu’elle n’est pas une sanction pénale (1°) mais, positivement, qu’elle est une sanction de type pénal (2). 1° Le rejet de la qualification de sanction pénale 13 - En déclarant qu’elle constitue une « mesure à caractère pénal », la Cour de cassation dénie implicitement mais assurément à la solidarité fiscale le statut formel de peine, c’est-à-dire de sanction pénale.Certes,elle a pu déclarer,dans un arrêt isolé,que « la solidarité instituée par l’article 1745 du Code général des impôts constitue une 40. Mais V. infra n° 27 à 30. 41. Cass. crim., 25 janv. 2006, n° 05-81.355 F-D, G., préc. 42. Cass. crim., 29 févr. 1996, n° 93-84.785, préc. – Cass. crim., 29 févr. 1996, n° 92-84.481, préc. – Cass. crim., 29 févr. 1996, n° 93-84.616 et n° 93-82.692, préc. – Adde, Cass. crim., 16 juin 2010, n° 09-86.536 : JurisData n° 2010014769 ; Bull. crim. 2010, n° 109. – Cass. crim., 9 mars 2011, n° 10-85.850. 43. Sous réserve, semble-t-il, du principe de la prohibition de la reformatio in pejus, selon lequel lorsqu’une seule partie forme un recours, celle-ci ne peut être placée par la juridiction saisie dans une position plus défavorable que si elle n’avait pas formé ce recours. 44. Cass. crim., 16 sept. 1997, n° 96-85.151. 45. V. par ex., Cass. crim., 10 juin 1987, n° 86-94.488 : Bull. crim. 1987, n° 239 ; Dr. fisc. 1988, n° 7, comm. 325. – Cass. crim., 13 sept. 2006, n° 05-86.489 : JurisData n° 2006-035751. – Cass. crim., 12 sept. 2012, n° 12-80.574, QPC, préc. 46. Cass. crim., 7 oct. 2011, n° 10-85.519, préc. – La Cour de cassation a cependant semblé, parfois, exiger une motivation minimale, V. par ex., Cass. crim., 6 avr. 1987, n° 85-96.581, préc. 47. Cass. crim., 10 oct. 2012, n° 11-87.292. – Cass. crim., 4 mai 2011, n° 1088.279, QPC. – Sur cet arrêt, V. également, R. Salomon, Droit pénal fiscal : Dr. fisc. 2012, n° 16, 262. – Il en résulte aussi que l’acte de poursuite n’a pas à faire mention de l’article 1745 du CGI, cf. Cass. crim., 1er juill. 2009, n° 08-86.816. – Cass. crim., 18 mai 1992, n° 91-81.518. 48. Cass. crim., 24 oct. 2001, n° 00-87.309. 49. Cass. crim., 30 mai 1983, n° 82-92.268, Perret : Bull. crim. 1983, n° 161 ; Dr. fisc. 1984, n° 6, comm. 229. 4 REVUE DE DROIT FISCAL N° 50. 13 DÉCEMBRE 2012 sanction de nature pénale » 50, mais il s’agissait alors d’une simple question d’attribution de la mesure aux dispositions civiles ou pénales du jugement qui la prononce. 14 - La solution se justifie a priori : n’est une peine, au seul sens du Code pénal, que la mesure qualifiée comme telle par le législateur, souverain en la matière ; et, de fait, ni l’emplacement, ni la teneur de l’article 1745 du CGI ne permettent de satisfaire à cette condition. En premier lieu, la solidarité ne peut à l’évidence être considérée comme une peine principale et n’apparaît d’ailleurs logiquement pas dans la liste des peines correctionnelles de cette nature établies aux articles 131-3 et suivants du Code pénal. Elle ne correspond pas non plus, en deuxième lieu, à l’une des catégories de peines complémentaires applicables à certains délits sur prévisions spécifiques des textes : sont telles, en effet, aux termes de l’article 131-10, les peines qui « emportent interdiction, déchéance, incapacité ou retrait d’un droit, injonction de soins ou obligation de faire, immobilisation ou confiscation d’un objet, confiscation d’un animal, fermeture d’un établissement ou affichage de la décision prononcée ou diffusion de celle-ci soit par la presse écrite, soit par tout moyen de communication au public par voie électronique ». L’on relèvera notamment que l’expression « retrait d’un droit » ne correspond pas à l’obligation de payer la dette d’autrui, et que l’adéquation de celle-ci à la notion d’« obligation de faire » est également fort douteuse. Si la solidarité fiscale est bien, par sa nature et son mécanisme, une « sanction complémentaire », comme a pu le dire la Cour de cassation 51, ce n’est donc pas techniquement une « peine complémentaire ». En dernier lieu, la solidarité n’est pas et ne peut être une peine accessoire, c’est-à-dire une sanction applicable de plein droit en conséquence du prononcé de la peine principale. En effet, la jurisprudence judiciaire indique suffisamment – sans avoir jamais éprouvé le besoin de le dire expressément – que, malgré le silence de l’article 1745 du CGI à cet égard,la mesure ne peut être mise en œuvre à l’encontre du coupable condamné qu’à la condition d’avoir été expressément ordonnée par la juridiction répressive à l’occasion du jugement de l’affaire pénale ; la solution s’impose d’ailleurs par le fait que la solidarité est facultative. Le Conseil d’État a quant à lui plusieurs fois énoncé que – à l’exclusion du juge civil ou fiscal – « le juge pénal peut seul décider s’il y a lieu de déclarer cette personne solidaire » 52 et a clairement précisé,dans un arrêt 53,que,en l’absence d’une telle décision pénale, l’Administration ne peut délivrer contrainte à l’égard de l’intéressé pour le paiement de l’impôt et des pénalités fiscales afférentes. 15 - Néanmoins, il arrive rarement à la Cour de cassation de procéder à l’assimilation de la solidarité à une sanction pénale, mais alors en évitant les inconvénients,pour la répression,qui en découleraient ; par exemple, il a été déclaré, en réponse à un moyen de cassation soutenant que le prononcé de la solidarité devait être motivé que, « hormis le cas où ils prononcent une peine d’emprisonnement sans sursis, les juges ne sont pas tenus de motiver spécialement le choix de la sanction qu’ils appliquent dans les limites fixées par la loi » 54. 2° La consécration d’une qualification ambiguë 16 - Que faire d’une « mesure à caractère pénal » telle que la solidarité fiscale ? En effet, qualification inconnue des textes, aucun ré50. Cass. crim., 12 nov. 1984, n° 83-92.805, préc. 51. Cass. crim., 10 juin 1987, n° 86-94.488, préc. 52. CE, 1er févr. 1974, n° 88506 : Rec. CE 1974, p. 76 ; Dr. fisc. 1974, n° 29, comm. 932, concl. D. Mandelkern. – Adde, CE, 9e et 10e ss-sect., 30 juill. 2003, n° 236702, M. Giscard d’Estaing : JurisData n° 2003-080414 ; Dr. fisc. 2004, n° 3, comm. 107 ; RJF 11/2003, n° 1314. 53. CE, 1er févr. 1974, n° 88506, préc. 54. Cass. crim., 22 mars 2006, n° 05-86.045. Étude gime ne lui est spécifiquement subordonné. La jurisprudence y associe néanmoins plusieurs sortes de conséquences. Les premières sont symboliques ; par exemple,la solidarité ne peut être prononcée en dehors des hypothèses prévues par la loi 55, ce qui rappelle le principe nulla poena sine lege. Les deuxièmes sont effectives et pertinentes. Ainsi, il est constamment jugé que « l’ouverture d’une procédure de redressement ou de liquidation judiciaire, à l’encontre d’un prévenu déclaré coupable de fraude fiscale ou du redevable légal de l’impôt, ne peut faire obstacle au prononcé de la solidarité, mesure à caractère pénal » 56. Il a de même été précisé que « le prévenu ou son avocat auront toujours la parole les derniers ; que cette règle, qui domine tout débat pénal, concerne toutes les procédures intéressant la défense et se terminant par un jugement ou un arrêt ; qu’il en est ainsi en cas de prononcé de la solidarité fiscale et de la contrainte par corps, mesures à caractère pénal prévues par les articles L. 272 du Livre des procédures fiscales et 1745 du Code général des impôts » 57. Les troisièmes semblent en revanche paradoxales, comme si le caractère pénal entraînait la soustraction de la solidarité aux règles gouvernant le prononcé et l’exécution des peines. Ainsi a-t-il été affirmé que « la solidarité prévue par l’article 1745 du Code général des impôts, mesure à caractère pénal sans incidence sur la détermination des droits dus et que le juge n’est pas tenu de motiver spécialement, ne peut être limitée à une part des impôts fraudés et des pénalités fiscales y afférentes », en réponse à un plaideur soutenant que, en vertu de l’article 132-24 du Code pénal, le juge dispose d’un « pouvoir modérateur ?...? dans la détermination de la nature, du quantum et du régime des peines devant être prononcées à la suite d’une déclaration de culpabilité ?qui? a vocation à s’appliquer à toute forme de sanction pénale » 58 ; doit en conséquence être cassé l’arrêt qui limite l’étendue de la solidarité au tiers des droits et pénalités fiscales, en la considérant comme une « peine » 59, ou à une somme déterminée, en tenant compte des circonstances de l’espèce 60. Cette solution est d’autant plus étrange que, avant l’invention de la catégorie des « mesures à caractère pénal », la Cour de cassation estimait au contraire qu’il « était loisible aux juges du fond,en considération de la part que ?le prévenu? avait prise dans le délit, de limiter à son égard la solidarité à une certaine proportion du montant des impôts éludés et des pénalités fiscales y afférentes devant être administrativement établis » 61. Dans le même ordre d’idées, fait jurer les mots l’arrêt qui affirme que « l’appel de l’administration des impôts, partie civile, contre les dispositions civiles et fiscales du jugement,donnait compétence à la cour d’appel pour statuer sur la solidarité fiscale et la contrainte par corps, mesures à caractère pénal relevant de la seule action civile » 62. Il s’accorde cependant très bien avec un autre qui décide que,si la solidarité est sans doute une mesure à caractère pénal, 55. Cass. crim., 28 mai 1998, n° 97-80.756, Louerat : 1998-003116 ; Bull. crim. 1998, n° 177 ; Bull. crim. 1998, n° 480. 56. V. par ex., Cass. crim., 27 janv. 2010, n° 09-84.239 : JurisData n° 2010000771. – Sur cet arrêt, V. également, R. Salomon, Droit pénal fiscal : Dr. fisc. 2010, n° 15, 270. – Adde, Cass. crim., 29 juin 1987, n° 84-94.871 : Bull. crim. 1987, n° 269 ; Dr. fisc. 1987, n° 49, comm. 2217, note G. Tixier et T. Lamulle. 57. Cass. crim., 20 sept. 2000, n° 99-81 392, M. Petrovic : Bull. crim. 2000, n° 272 ; Dr. fisc. 2001, n° 21, comm. 501. 58. Cass. crim., 7 sept. 2011, n° 10-85.519, préc. – Cass. crim., 30 mai 1983, n° 82-92.268, préc. 59. Cass. crim., 9 mars 2011, n° 09-86.568. 60. Cass. crim., 4 nov. 2004, n° 03-87.503, M. B. : JurisData n° 2004-025895 ; Bull. crim. 2004, n° 270 ; Dr. fisc. 2005, n° 8, comm. 241. – Cass. crim., 23 mars 2005, n° 04-87.437 : JurisData n° 2005-028269. 61. Cass. crim., 25 juin 1979, n° 78-92.720 : JurisData n° 1979-095223 ; Bull. crim. 1979, n° 233 ; Dr. fisc. 1979, n° 43, comm. 2065. – Adde, Cass. crim., 24 mai 1982, préc. 62. Cass. crim., 4 oct. 2000, n° 99-85.191. 551 les actes tendant à la mise en œuvre de cette mesure n’ont pas à être réalisés par le ministère public, ou à tout le moins par le comptable direct du Trésor au nom du procureur de la République en application de l’article 707 du Code de procédure pénale, mais peuvent l’être par le receveur principal des impôts 63. 17 - En somme, la Cour de cassation peut consacrer à titre général l’appellation de « mesure à caractère pénal » sans s’estimer ainsi liée pour l’avenir ou même le temps présent : cette qualification imprécise – la solidarité est-elle foncièrement pénale ou a-t-elle simplement un contexte pénal ? – peut s’accommoder de tout type de conséquences. L’on sait d’ailleurs depuis peu que le caractère « pénal » n’équivaut pas à celui du « punition ». 2. La solidarité fiscale, une mesure à caractère non punitif 18 - Par un arrêt non publié au Bulletin du 12 septembre 2012 64, la chambre criminelle de la Cour de cassation, saisie d’une question prioritaire de constitutionnalité invoquant le principe de personnalisation des peines, affirme que la solidarité de l’article 1745 du CGI « ne revêt pas le caractère d’une punition ». Elle se prononce ainsi pour la première fois sur la qualification constitutionnelle de la mesure, étant entendu que, selon le Conseil constitutionnel, le principe précité ainsi que d’autres principes pénaux – non-rétroactivité de la loi, etc. – s’appliquent non seulement aux « peines » mais également aux « sanctions ayant le caractère d’une punition ». Apparemment d’une importance décisive, la portée de la décision doit en réalité être minimisée (A), outre que la pertinence même en est fort douteuse (B). A. - Une solution à la portée minime 19 - L’arrêt dont il est question n’est pas révolutionnaire : le caractère non punitif est en effet pour l’essentiel indifférent au sort de la solidarité (1°) et n’en supprime pas le caractère pénal (2°). 1° L’indifférence du caractère punitif 20 - Dénier à la solidarité le « caractère d’une punition » ne consiste pas à la soustraire à l’empire de toute règle protectrice. Il est en effet intéressant de relever que la Cour de cassation motive sa décision du 12 septembre 2012, dans laquelle elle reconnaît que les dispositions de l’article 1745 du CGI « ne méconnaissent à l’évidence aucun des principes et droits garantis par la Constitution » – et, singulièrement,les « principes de l’individualisation des peines,du droit à un procès équitable, du respect des droits de la défense et du droit à un recours effectif » invoqués en l’espèce par la question prioritaire de constitutionnalité –,non pas en déclarant expressément ces principes inapplicables mais en analysant le régime de la mesure : il est noté que « le juge, tenant compte des faits et circonstances de la cause, n’est pas tenu de prononcer la solidarité », que le codébiteur solvens « dispose d’une action récursoire contre le débiteur principal » et qu’il « conserve le pouvoir de contester tant la qualité de débiteur solidaire que le bien-fondé et l’exigibilité de la dette et s’opposer aux poursuites devant les juridictions compétentes ». La dernière série d’observations est apportée pour répondre à la partie de la question prioritaire de constitutionnalité qui pas liée à l’éventuel caractère punitif (ou même pénal) de la solidarité. Concernant le tout premier élément qu’elle renferme, il convient d’observer que la qualité de codébiteur solidaire et l’étendue de la solidarité ne peuvent être contestées que devant la juridiction répressive et qu’elles 63. Cass. com., 31 janv. 2006, n° 03-18.573, M. Godefridus Bloemen et a. : JurisData n° 2006-032104. 64. Cass. crim., 12 sept. 2012, n° 12-80.574, QPC, préc. REVUE DE DROIT FISCAL N° 50. 13 DÉCEMBRE 2012 5 Étude 551 seront donc, le cas échéant, acquises définitivement à l’issue de la procédure pénale 65. Les autres points de l’affirmation sont plus intéressants : l’individu peut s’opposer – ce qui relève de l’évidence – à ce qu’on lui réclame davantage que l’impôt fraudé et les pénalités fiscales afférentes dont il a été rendu solidaire du paiement 66, mais également critiquer le bien-fondé et l’exigibilité de la dette, comme peut le faire le redevable légal 67. Il a cependant été précisé que « la décision judiciaire, exécutoire, qui déclare un dirigeant de société solidairement responsable avec celle-ci du paiement des impositions et pénalités dues par cette dernière, seule redevable légale, constitue un titre exécutoire suffisant pour fonder l’action du comptable public à l’égard de ce dirigeant » 68. Plus encore, le dépôt, par l’Administration, d’une plainte pour fraude fiscale à l’égard d’une personne physique (alors que le redevable légal est une personne morale) ainsi que l’ouverture consécutive d’une instruction préparatoire et la constitution de partie civile de l’Administration permettent de pratiquer une saisie conservatoire sur les meubles de l’intéressé 69. 21 - S’agissant du constat que la solidarité est facultative, il est surprenant. Souvenons-nous en effet que – par des arrêts trompeurs –, la Cour de cassation avait jugé que la question prioritaire de constitutionnalité, qui met en doute la conformité de l’article 1745 du CGI au principe de personnalisation des peines qui découle de l’article 8 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, « ne présente pas un caractère sérieux dès lors que cette mesure n’a pas un caractère obligatoire et qu’ainsi, en tenant compte des circonstances propres à chaque espèce, le juge n’est pas tenu de la prononcer » 70. Ces décisions sont difficilement conciliables, en la forme, avec l’arrêt du 12 septembre 2012 puisqu’elles acceptent d’examiner le sérieux de la question – sous-entendant que la solidarité est soumise au principe de personnalisation des peines – et qu’elles écartent ce dernier « dès lors » que la mesure est purement facultative. C’est, au total, déclarer qu’un principe est inapplicable mais respecté... À ce sujet, observons néanmoins que le Conseil constitutionnel ne se satisfait pas en principe du caractère non obligatoire d’une sanction pour conclure au respect de la personnalisation des peines, en ce qu’il exige – en plus ou à la place – une possibilité judiciaire de modulation. Mais il est également vrai, au rebours, qu’il se contente parfois d’une pseudopersonnalisation légale (ainsi pour les majorations fiscales, dotées de 65. V. CE, 8e et 3e ss-sect., 13 juill. 2011, n° 346743, M. Meniane : JurisData n° 2011-016555 ; Dr. fisc. 2011, n° 38, comm. 524, concl. L. Olléon. – CE, 7e et 8e ss-sect., 3 juill. 1985, n° 52011, Dega : Dr. fisc. 1985, n° 49, comm. 2160, concl. Mme Latournerie ; RJF 1985, n° 1393. – CE, 7e et 8e ss-sect., 25 avr. 1979, n° 7253 et n° 7254 : JurisData n° 1979-600306 ; Rec. CE, 1979, p. 167 ; Dr. fisc. 1979, n° 39, comm. 1845 ; Dr. fisc. 1980, n° 12, comm. 671, concl. D. Fabre ; RJF 6/1979, n° 398. – V. Instr. 7 nov. 1979 : BOI 13 O-11-79 ; Dr. fisc. 1979, n° 49, instr. 6292. 66. CE, 9e et 10e ss-sect., 30 juill. 2003, n° 236702, M. Giscard d’Estaing, préc. 67. CE, 8e et 3e ss-sect., 13 juill. 2011, n° 346743, M. Meniane, préc. – CE, 7e et 8e ss-sect., 3 juill. 1985, n° 52011, Dega : Dr. fisc. 1985, n° 49, comm. 2160, concl. Mme Latournerie ; RJF 1985, n° 1393. – CE, 7e et 8e ss-sect., 25 avr. 1979, n° 7253 et n° 7254 : JurisData n° 1979-600306 ; Rec. CE, 1979, p. 167 ; Dr. fisc. 1979, n° 39, comm. 1845 ; Dr. fisc. 1980, n° 12, comm. 671, concl. D. Fabre ; RJF 6/1979, n° 398. – V. Instr. 7 nov. 1979 : BOI 13 O-11-79 ; Dr. fisc. 1979, n° 49, instr. 6292. 68. Cass. com., 31 janv. 2012, n° 11-11.761. 69. Cass. com., 26 avr. 1984, n° 83-10.955 : JurisData n° 1984-701025 ; Bull. civ. 1984, IV, n° 139 ; BOI 12 C-16-85. – Cass. com., 10 nov. 1981, n° 80-13.473, DGI c/ M. Richard : JurisData n° 1981-703402 ; Bull. civ. IV 1981, n° 389. – Cass. com., 22 mai 1979, n° 78-11.782 : Bull. crim. 1979, n° 171. 70. Cass. crim., 6 avr. 2011, n° 10-87.634, QPC : JurisData n° 2011-028841 ; Rev. sc. crim. 2010, p. 268, obs. S. Detraz. – Cass. crim., 4 mai 2011, n° 10-88.279, QPC, préc. – Cass. crim., 27 juin 2012, n° 11-89.220. – Sur cet arrêt, V. également, R. Salomon, Droit pénal fiscal : Dr. fisc. 2012, n° 43, 493. – Adde, Cass. crim., 25 janv. 2012, n° 10-88.279, QPC, préc. 6 REVUE DE DROIT FISCAL N° 50. 13 DÉCEMBRE 2012 plusieurs taux proportionnels 71 ou d’une simple faculté d’éviction, lorsque la sanction est « directement liée » au comportement réprimé, c’est-à-dire – semble-t-il, car l’expression n’est guère éclairante – lorsque la substance de la sanction correspond à celle de l’infraction 72 ; or, en l’espèce, le condamné est rendu solidaire du paiement d’une somme d’argent consécutif à la violation de règles fiscales d’ordre financier ou comptable, l’adéquation étant ainsi vérifiée. 2° La permanence du caractère pénal 22 - Si la solidarité n’a pas le « caractère d’une punition », elle conserve selon toute vraisemblance le « caractère pénal » qui lui est traditionnellement attribuée par la jurisprudence depuis la seconde moitié des années 1990. Il en résulte que certains principes, inapplicables au titre de la première qualification,le sont en revanche conformément au second. Ainsi, à n’en pas douter, une « mesure à caractère pénal » est par exemple soumise au principe de légalité criminelle et à ses corollaires, tels le principe de non-rétroactivité de la loi plus sévère, le principe d’interprétation stricte et l’exigence de clarté et de précision de la loi, outre les solutions ponctuelles déjà évoquées. Par ailleurs, il n’est pas exclu que la Cour européenne des droits de l’homme puisse,à l’occasion,qualifier la solidarité de peine au sens de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme ou décider que son prononcé relève de la matière pénale au sens de l’article 6. Elle a jugé en ce sens, au regard du premier texte, à propos de la contrainte par corps 73 et,s’agissant du second,pour les pénalités fiscales 74. Néanmoins, l’hypothèse n’est pas assurée puisque, d’une part, la solidarité n’emporte pas privation de liberté – caractère ayant certainement joué un rôle déterminant aux yeux de la Cour de Strasbourg concernant la contrainte par corps – et que, d’autre part, la solidarité ne consiste pas à condamner stricto sensu le codébiteur aux pénalités 75 et s’applique aussi à l’impôt lui-même. Quoi qu’il en soit, la Cour de cassation juge que l’article 1745 du CGI n’est pas contraire à l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, non plus qu’aux articles 4 du protocole n° 7 (« non bis in idem ») et 1er du 71. V. par ex., Cons. const., 10 févr.2012, n° 2011-220 QPC, M. Ardouin : Dr. fisc. 2012, n° 7-8, act. 87 ; Procédures 2012, n° 3, comm. 100, note L. Ayrault ; RPDP 2012, p. 742. 72. Le lien direct a ainsi été fait entre : les pénalités fiscales (pécuniaires) et des infractions fiscales (de nature financière) ; la peine d’annulation du permis de conduire et les infractions commises à l’occasion de la conduite d’un véhicule ; la peine de publication du jugement et un comportement mensonger commis par voie de publicité. 73. V. notamment, CEDH, 8 juin 1995, Jamil c/ France : JCP G 1996, II, 22677, note G. Bourdeaux. 74. V. notamment, CEDH, 24 févr. 1994, n° 12547/86, Bendenoun c/ France : Dr. fisc. 1994, n° 21-22, comm. 989. – Sur cet arrêt, V. également, J.-P. Le Gall et L. Gérard, Les recours des contribuables sur le fondement de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales. A propos de l’arrêt Bendenoun : Dr. fisc. 1994, n° 21-22, 100027. – Pour le contentieux de l’impôt lui-même, comp., CEDH, gde ch., 12 juill. 2001, n° 44759/98, Ferrazzini c/ Italie : Rec. CEDH 2001-VII ; Dr. fisc. 2002, n° 10, comm. 187 ; JCP G 2002, I, 105 chron. F. Sudre ; RJF 2002, n° 128, chron. J. Maïa, Illusions et promesses de l’application à la matière fiscale de la Convention européenne des droits de l’homme, p. 3 et s. – Sur cet arrêt, V. également, L. Gérard, Sur l’applicabilité de l’article 6, volet civil, de la convention européenne des droits de l’homme aux contentieux fiscaux (À propos de l’arrêt CEDH, 12 juillet 2001, Ferrazzini c/ Italie) : Dr. fisc. 2002, n° 10, 9. – E. de Crouy-Chanel, L’arrêt Ferrazzini de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH) (12 juillet 2001) : réflexions sur la singularité du droit public : RRJ 2003, p. 1493 et s. 75. Comp., pour la condamnation de la transmission successorale des pénalités fiscales, CEDH, 29 août 1997, n° 20919/92, L. E., R.L. et J.O.-L. c/ Suisse, pt 46 : RJF 1997, n° 1097. – CEDH, 29 août 1997, n° 71/1996/690/882, A.P., M.P. et T.P. c/ Suisse. – Comp. également, Cons. const., 4 mai 2012, n° 2012-2369 QPC. Étude protocole n° 1 (respect des biens) 76, ainsi qu’à l’article 39 de la Charte des droits fondamentaux de l’Union (proportionnalité des peines) 77. B. - Une solution critiquable 23 - Refuser d’attribuer à la solidarité fiscale un caractère punitif peut surprendre. Il ne s’agit pas ici de considérer que la qualification de « mesure à caractère pénal » retenue par la Cour de cassation au plan législatif aurait dû inévitablement la conduire, au plan constitutionnel, à consacrer la qualification de « mesure ayant le caractère d’une punition », car, après tout, une mesure pénale (par exemple de sûreté ou de procédure pénale) peut effectivement être dépourvue de fonction punitive. C’est, plus radicalement, l’explication que fournit la Cour de cassation qui peine à emporter l’adhésion (A). Elle est d’autant plus insatisfaisante que, récemment, la jurisprudence a procédé au rattachement de la solidarité à l’action publique du parquet et à son détachement corrélatif de l’action civile de l’Administration (B). 1° La critique intrinsèque 24 - À n’en pas douter, la Cour de cassation s’est inspirée, dans son arrêt du 12 septembre 2012, de la décision du Conseil constitutionnel relative à la « responsabilité solidaire » instituée par l’article 1754, V, alinéa 3 du CGI 78. Il est en effet prévu par l’article 1759 du CGI que les personnes morales passibles de l’impôt sur les sociétés qui versent ou distribuent des revenus à des personnes dont, contrairement aux dispositions des articles 117 et 240,elles ne révèlent pas l’identité,sont en principe soumises à une amende fiscale égale à 100 % des sommes versées ou distribuées. Or, les dispositions de l’article 1754 précitées prévoient que les dirigeants sociaux mentionnés à l’article 62 du CGI et aux 1°, 2° et 3° du b de l’article 80 ter du CGI ainsi que les dirigeants de fait gestionnaires de la société à la date du versement ou,à défaut de connaissance de cette date, à la date de déclaration des résultats de l’exercice au cours duquel les versements ont eu lieu, sont solidairement responsables du paiement de l’amende prévue à l’article 1759. Saisi d’une question prioritaire de constitutionnalité leur faisant grief d’établir, à l’égard des dirigeants visés, une peine en violation des principes des droits de la défense et de la responsabilité personnelle en matière pénale, le Conseil constitutionnel a considéré « qu’il ressort des termes mêmes de l’article 117 précité du Code général des impôts que la pénalité instituée par l’article 1759 du même code frappe, à l’exclusion de ses dirigeants de droit ou de fait,la personne morale qui s’est refusée à répondre à la demande de renseignements que lui a adressé l’Administration ; que le 3 du paragraphe V de l’article 1754 du même code a pour objet de déclarer ces dirigeants solidairement tenus au paiement de la pénalité ; que la solidarité est fondée sur les fonctions exercées par les dirigeants au moment du fait générateur de la sanction ; qu’elle n’est pas subordonnée à la preuve d’une faute des dirigeants ; qu’elle constitue une garantie pour le recouvrement de la créance du Trésor public ; que, conformément aux règles de droit commun en matière de solidarité, le dirigeant qui s’est acquitté du paiement de la pénalité dispose d’une action récursoire contre le débiteur principal et, le cas échéant, contre les codébiteurs solidaires ; 76. Cass. crim., 17 juin 2009, n° 08-86.461. – Cass. crim., 25 févr. 2009, n° 0882.782, préc. – Cass. crim., 26 sept. 2012, n° 11-83.359 et n° 11-87.743 : JurisData n° 2012-023256. – Adde, Cass. crim., 13 janv. 2010, n° 09-84.977, F-D : JurisData n° 2010-051649. – Sur cet arrêt, V. également, R. Salomon, Droit pénal fiscal : Dr. fisc. 2010, n° 15, 270. 77. Cass. crim., 5 nov. 2008, n° 08-82.086 : JurisData n° 2008-046183. – Sur cet arrêt, V. également, R. Salomon, Droit pénal fiscal (sept./nov. 2008) : Dr. fisc. 2009, n° 3, 54. 78. Cons. const., déc. 21 janv. 2011, n° 2010-90 QPC, M. Cuaz : Dr. fisc. 2011, n° 4, act. 35. 551 qu’ainsi, cette solidarité ne revêt pas le caractère d’une punition au sens des articles 8 et 9 de la Déclaration de 1789 ; qu’il s’ensuit que les griefs invoqués par le requérant sont inopérants » 79. L’on retrouve ainsi dans l’argumentaire l’élément utilisé par la Cour de cassation, pour qui la solidarité de l’article 1745 du CGI « ne revêt pas le caractère d’une punition dès lors que celui qui s’est acquitté du paiement des impôts fraudés et des pénalités afférentes dispose d’une action récursoire contre le débiteur principal et, le cas échéant, contre les codébiteurs solidaires ». 25 - Mais l’ensemble ne convainc pas. S’agissant, en premier lieu, de la solidarité établie à l’article 1754 du CGI, il n’est pas déterminant de déclarer que les dirigeants de droit ou de fait sont tenus au paiement de la pénalité fiscale ès qualités sans que la preuve d’une quelconque faute de leur part doive être administrée. L’on sait en effet à quel point la jurisprudence criminelle – quand ce n’est pas la loi elle-même – présume aujourd’hui l’implication des dirigeants sociaux en matière de fraude fiscale, en relevant qu’il leur incombe de veiller personnellement au respect par la personne morale de ses obligations fiscales et en leur reprochant conséquemment et systématiquement une négligence consciente – alors assimilée au dol général – en cas de défaillance. Au demeurant, la solidarité de l’article 1745 du CGI suppose, elle, que l’intéressé soit pénalement condamné, si bien qu’elle repose bien sur la preuve d’une faute de sa part.En second lieu, l’octroi d’une action récursoire contre le débiteur principal (« et le cas échéant contre les codébiteurs solidaires » ajoutent les juges) ne prouve en rien le caractère non punitif des deux mécanismes de solidarité : la punition peut consister à devoir payer la dette d’autrui, serait-ce en vertu d’un simple système d’« obligation » (et non de « contribution ») à la dette. 26 - C’est d’ailleurs ce qu’avait jugé la Cour de cassation à propos de la contrainte par corps de l’ancien article L. 272 du LPF (autrefois article 1845 du CGI). Ce texte permettait notamment d’ordonner la mesure privative de liberté à l’égard de la personne condamnée en qualité d’auteur ou de complice du délit de l’article 1741 du CGI, pour le recouvrement de l’impôt direct fraudé et, le cas échéant, des majorations et amendes fiscales afférentes. Dans l’hypothèse où la contrainte par corps était prononcée à l’égard d’une personne qui n’était pas le débiteur naturel des dettes fiscales garanties (ainsi du complice de l’infraction ou de l’auteur personne physique ayant soustrait une personne morale à l’impôt), elle produisait donc directement le même effet que la solidarité, la vertu comminatoire en plus. Or, il est remarquable que, dans plusieurs décisions – et afin de résoudre le problème de l’application dans le temps des dispositions en question résultant de l’ordonnance du 29 décembre 1958 –, la chambre criminelle avait jugé que la contrainte par corps appliquée dans ces conditions était une « sanction » constitutive d’une véritable « peine complémentaire » (donc non rétroactive). Ainsi avait-elle énoncé que « si, en effet, la contrainte par corps réservée par l’article 749 du Code pénal à la garantie des amendes, frais et autres condamnations au profit du Trésor public, est une mesure d’exécution et n’a pas en général le caractère d’une peine, il en est autrement dans le cas de l’ordonnance précitée, lorsqu’elle est prononcée, en vertu de cette disposition de loi, pour assurer le recouvrement, sur ses biens personnels, d’une dette qui, dans son fondement, lui est étrangère » et « qu’elle prend alors le caractère d’une peine complémentaire » 80. Il importe donc peu, suivant ce raisonnement, qu’une action récursoire soit ouverte au codébiteur solidaire : dès lors que ce dernier 79. Ibidem. 80. Cass. crim., 30 avr. 1963, n° 62-90.938 : Bull. crim. 1963, n° 158. – Adde, Cass. crim., 30 juin 1960 : Bull. crim. 1960, n° 353 ; D. 1960, p. 706, note J.-M. R. ; Rev. sc. crim. 1961, p. 107, obs. A. Légal. – Cass. crim., 21 déc. 1960 : Bull. crim. 1960, n° 599 ; JCP G 1961, II, 12415, note Ph. Level. – V. S. Detraz, La contrainte par corps, th. dactylographiée, Bordeaux IV, 2002, n° 570 à 612. REVUE DE DROIT FISCAL N° 50. 13 DÉCEMBRE 2012 7 551 doit, en raison de sa faute pénale, assumer sur ses deniers personnels le paiement d’une dette préexistante et extérieure à son patrimoine (une dette « étrangère ») ainsi que de ses accessoires – à savoir,respectivement, l’impôt et les pénalités fiscales –, la solidarité ne peut être vue que comme une sanction punitive (rétributive et préventive) 81, à l’image de certaines peines complémentaires. Le caractère afflictif est en outre d’autant plus fort que l’action récursoire est illusoire, hypothèse que la jurisprudence judiciaire 82 a d’ailleurs envisagée en déclarant que « le fait d’avoir été déclaré solidairement tenu au paiement d’un impôt fraudé avec le redevable légal de celui-ci, s’il élargit les possibilités de recouvrement du Trésor public au co-obligé ainsi désigné, ne transforme pas automatiquement la dette fiscale du redevable légal en dette personnelle de son co-obligé au paiement » mais « qu’il ?...? en est ainsi ?...? lorsqu’est établie la défaillance totale et définitive du redevable légal » 83. 2° La critique extrinsèque 27 - À l’origine, la jurisprudence considérait que la solidarité fiscale était un instrument offert, dans l’intérêt du Trésor, à l’administration fiscale et qu’elle ressortissait donc exclusivement à l’exercice de l’action civile reconnue à celle-ci par l’actuel article L. 232 du LPF 84. Il en résultait deux conséquences majeures. D’une part, la mesure ne pouvait être ordonnée à défaut (cependant inhabituel 85 de constitution de partie civile de l’Administration ou de requête en ce sens de sa part 86. La chambre criminelle avait notamment jugé – après avoir visé l’article 3 du Code de procédure pénale et rappelé que « les juges du fond ne peuvent statuer sur les réparations civiles que dans la limite des conclusions dont ils sont saisis » – qu’une cour d’appel ne peut confirmer le jugement de première instance ayant prononcé ultra petita la solidarité alors que l’Administration lui avait demandé de ne pas l’ordonner 87. D’autre part, le ministère public était sans qualité pour demander la solidarité et pour contester les dispositions – alors de type civil 88 – de la décision statuant sur la mesure. Une situation procédurale complexe se dessinait ainsi : lorsque, par exemple, le tribunal correctionnel écartait la mesure, et que l’Administration fiscale n’interjetait pas appel, les juges supérieurs saisis par le parquet et le prévenu ne pouvaient ordonner la solidarité 89 ; à l’inverse, en cas d’appel de l’Administration – et à la condition qu’une condamnation pénale eût été prononcée en première instance –, la chose était possible, encore que le parquet restait inactif 90. En somme, la solidarité relevait de l’action civile. 81. Rappr., pour la solidarité pénale de droit commun, H. Perret, Le rôle pénal de la solidarité entre les condamnés à une peine d’amende : Rev. sc. crim. 1941, p. 77. 82. Rappr. CE, 8e et 3e ss-sect., 10 avr. 2001, n° 225 017, Knoell : JurisData n° 2002-080125 ; Dr. fisc. 2002, n° 17, act. 77 ; RJF 7/2002, n° 860. 83. Cass. com., 8 oct. 2002, n° 99-11.530 et n° 99-12.320, M. Dezzuto, préc., pour une question successorale. 84. Cass. crim., 4 oct. 2000, n° 99-85.191, préc. 85. Rappr., Cass. crim., 19 mars 1969, n° 68-92.606, préc. – Cass. crim., 24 sept. 1987, n° 86-95.480. 86. Cass. crim., 18 sept. 2002, n° 01-87.824 : JurisData n° 2002-015766 ; Bull. crim. 2002, n° 168. – Cass. crim., 15 juin 2005, n° 04-86.254 : JurisData n° 2005-029841 ; Dr. fisc. 2005, n° 41, comm. 687. – Rappr., moins clair, Cass. crim., 21 sept. 2005, n° 05-80.810 : JurisData n° 2005-030492. – Cass. crim., 4 sept. 2002, n° 01-86.705. – Cass. crim., 21 juin 1993, n° 92-83.978) 87. Cass. crim., 18 oct. 1982, n° 81-93.500 : JurisData n° 1982-702435 ; Bull. crim. 1982, n° 221. – Rappr., Cass. crim., 23 mars 1987, n° 86-90.441, préc. 88. V. Cass. crim., 4 oct. 2000, n° 99-85.191, préc. – Adde, CE, 30 avr. 1986, n° 49638. 89. Cass. crim., 18 sept. 2002, n° 01-87.824, préc. – Cass. crim., 15 juin 2005, n° 04-86.254, préc. 90. Cass. crim., 21 mars 1996, n° 94-85.492 : JurisData n° 1996-001820 ; Bull. crim. 1996, n° 130. – Cass. crim., 7 nov. 1996, n° 96-80.411, préc. – Cass. crim., 4 oct. 2000, n° 99-85.191, préc. 8 REVUE DE DROIT FISCAL N° 50. 13 DÉCEMBRE 2012 Étude 28 - Néanmoins,à cette même époque,la chambre criminelle rendait déjà ponctuellement des arrêts inconciliables avec la conception dominante. Par exemple, en application de celle-ci, elle avait certes déclaré que « les juges du second degré, saisis des intérêts civils par l’appel du prévenu, sont tenus de statuer sur les demandes de la partie civile telles qu’elles avaient été présentées devant les premiers juges » et ainsi approuvé une cour d’appel d’avoir confirmé l’application de la solidarité par le tribunal correctionnel 91. Mais, au rebours, elle avait affirmé que « la solidarité instituée par l’article 1745 du Code général des impôts constitue une sanction de nature pénale qui ne saurait être remise en cause par un appel limité aux seuls intérêts civils » 92. 29 - L’association de la solidarité à l’action civile était donc déjà vacillante. Elle se justifiait en outre de moins en moins au fur et à mesure que la qualification de « mesure à caractère pénal » s’installait solidement en jurisprudence. Aussi bien la Cour de cassation avaitelle pu finalement déclarer dans une décision que « c’est à tort que les juges ont prononcé la solidarité au titre de l’action civile » 93, satisfaisant ainsi un moyen de cassation soutenant que « la solidarité ?...? est une mesure à caractère pénal ?et? que, si elle ne peut être prononcée que sur demande de l’administration des Impôts, constituée partie civile, elle ne constitue pas une mesure de réparation pouvant être décidée dans le cadre de l’action civile exercée par cette dernière » 94. Pareille déclaration semblait retirer à l’Administration tout droit en matière de solidarité. En réalité, elle semblait vouloir distinguer – de manière insolite – la question des prérogatives de l’Administration (faculté de demander ou contester le prononcé de la solidarité 95,d’un côté, et celle du rattachement de la mesure à l’action civile ou aux dispositions du jugement relatives à ladite action, de l’autre. Elle procédait également à l’attribution d’une compétence concurrente au profit du ministère public. Ainsi a-t-il été indiqué que « la solidarité prévue par l’article 1745 du Code général des impôts, mesure à caractère pénal, peut être prononcée même en l’absence d’appel de l’administration fiscale », les juges supérieurs ayant en l’espèce été saisis par le ministère public et le prévenu 96. Nonobstant l’impression de désordre qui se dégageait de cette solution, l’éventuel maintien du lien entre la solidarité et l’action civile de l’Administration fiscale pouvait se comprendre. En effet, puisque, d’un côté, la loi permet à celle-ci de se constituer partie civile mais que, de l’autre, cela ne peut légalement aboutir à l’allocation de dommages-intérêts, la solidarité paraît être l’objet principal de l’action civile (il en était de même, avant son abrogation, de la contrainte par corps de l’article L. 272 du LPF) 97. 30 - La logique commandait néanmoins de rompre entièrement les rapports entre la solidarité et l’action civile pour raccorder cette « mesure à caractère pénal » exclusivement à l’action publique.L’évolution en ce sens semble s’opérer par un arrêt qui, au visa des articles 1745 du CGI et 497, 3° du Code de procédure pénale, énonce que « la solidarité, prévue par le premier de ces textes, est une mesure pénale (et(qu’il s’ensuit que les juges du second degré, saisis du seul appel de l’administration fiscale, ne peuvent prononcer une telle mesure qui avait été écartée par le tribunal après déclaration de culpabilité du prévenu, du 91. Cass. crim., 24 sept. 1987, n° 86-95.480, préc. 92. Cass. crim., 12 nov. 1984, n° 83-92.805, préc. 93. Cass. crim., 5 mai 2004, n° 03-85.722, préc. 94. Comp. cependant, Cass. crim., 9 mars 2005, n° 04-85.090 : JurisData n° 2005-027888. 95. Toujours admises, Cass. crim., 19 sept. 2007, n° 65-84.763 : Bull. crim. 2007, n° 214. – Adde, Cass. crim., 9 mars 2005, n° 04-85.090, préc. – Cass. crim., 10 mai 2007, n° 06-88.644. 96. Cass. crim., 19 mai 2010, n° 09-83.970 : JurisData n° 2010-008666 ; Bull. crim. 2010, n° 89. 97. V. Cass. crim., 11 mai 1981, n° 79-94.093 : JurisData n° 1981-001688 ; Bull. crim. 1981, n° 150. Étude chef de fraude fiscale » 98. Ce principe ne signifie pas simplement que, dans l’hypothèse d’une simple déclaration de culpabilité – accompagnée d’une dispense de peine – la solidarité ne peut être utilement prononcée, car tel n’était pas le problème posé en l’espèce : il dénie plus radicalement à l’Administration, lorsqu’elle interjette seule appel, la possibilité de demander le prononcé de la solidarité écarté par le tribunal correctionnel, même lorsque le prévenu a été condamné en première instance. En dernier lieu, la chambre criminelle a jugé que l’Administration fiscale « demanderesse ne saurait reprocher à l’arrêt attaqué d’avoir, sur l’appel du prévenu limité aux dispositions civiles d’un jugement l’ayant condamné solidairement au paiement des impôts fraudés et des droits y afférents, statué audelà de sa saisine en relevant celui-ci, comme il le demandait, de la solidarité, dès lors que, dans ses écritures devant la cour d’appel, l’administration fiscale concluait à la confirmation de la décision ayant prononcé cette mesure » 99. Cette décision semble uniquement vouloir indiquer que l’Administration n’est pas admise à se contredire au 98. Cass. crim., 4 nov. 2010, n° 10-81.825, préc. 99. Cass. crim., 4 avr. 2012, n° 11-82.053 : Dr. pén. 2012, chron. 8, n° 4, obs. S. Detraz. 551 détriment du prévenu en acceptant la compétence de la cour d’appel pour statuer sur la solidarité (en requérant d’elle le maintien de cette mesure) mais en niant cette même compétence devant la Cour de cassation (en demandant à celle-ci de dire que la solidarité ne relève pas des dispositions civiles du jugement dont il a été interjeté appel). Conclusion 31 - Cette évolution,difficilement saisissable,du régime procédural de la solidarité reflète parfaitement les hésitations et tâtonnements de la jurisprudence : la solidarité est, selon elle, une « mesure à caractère pénal » qui garde un caractère civil, une sorte de « sanction mixte » comme il en existe en matière douanière et de contributions indirectes. Elle participe de la répression mais sans être véritablement punitive. Elle ne relève pas de l’action civile mais peut encore être demandée, du moins en première instance, par l’Administration constituée partie civile. L’œuvre jurisprudentielle est donc loin d’être achevée. Mots-Clés : Solidarité - Paiement de l’impôt fraudé et des pénalités y afférentes (CGI, art. 1745) - Étude générale Fraude fiscale - Solidarité de la personne condamnée (CGI, art. 1745) Étude générale REVUE DE DROIT FISCAL N° 50. 13 DÉCEMBRE 2012 9