Etat des lieux

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Etat des lieux
LES NEGOCIATIONS AGRICOLES A L'OMC :
ETAT DES LIEUX
Bénédicte Hermelin
Karine Tavernier
Juin 2003
Document réalisé pour le Séminaire de haut niveau sur
les enjeux de la conférence ministérielle de Cancun
pour les pays francophones en développement,
organisé par l’Agence Intergouvernementale de la Francophonie
Les négociations agricoles à l’OMC : Etat des lieux
Sommaire
Sommaire .................................................................................................................................2
Liste des sigles utilisés.............................................................................................................3
Introduction...............................................................................................................................4
1. Les négociations agricoles à l'OMC : principaux enjeux ......................................................4
1.1. Les principaux éléments de l'Accord agricole................................................................4
1.1.1. L’accès au marché .................................................................................................4
1.1.2. Le soutien interne ...................................................................................................5
1.1.3. La concurrence à l’exportation ...............................................................................5
1.1.4. Les autres points de l’accord..................................................................................6
1.2. La mise en œuvre de l'Accord agricole : des résultats mitigés pour les PED................6
1.2.1. Les conséquence de l'Accord agricole ...................................................................7
1.2.2. Un Traitement spécial et différencié inefficace.......................................................8
1.3. Les enjeux des négociations .........................................................................................9
2. Les principales positions dans les négociations agricoles .................................................10
2.1. La position européenne : priorité à la multifonctionnalité de l'agriculture ....................10
2.1.1 La multifonctionnalité de l'agriculture au cœur de la position européenne............10
2.1.2 Les trois piliers de l'Accord agricole. .....................................................................11
2.1.3 Les propositions pour les pays en développement ...............................................11
2.1.4. Une proposition en trompe l'œil ?.........................................................................11
2.2. Les pays en développement : des revendications similaires.......................................12
2.2.1. Un changement radical dans l'Accord agricole : la "boîte développement"..........12
2.2.2. Les pays insulaires : des spécificités qui justifient un traitement particulier .........14
2.2.3 Les positions exprimées par les autres pays en développement ..........................15
Cette position identique à celle des autres PED proposent deux éléments originaux :......15
2.3. Les pays en transition..................................................................................................15
2.4. Le groupe de Cairns pour une libéralisation complète des marchés agricoles ...........16
2.5. Les Etats-Unis : entre libéralisme et interventionnisme...............................................17
2.6. Les autres positions exprimées ...................................................................................18
3. Les négociations à l'OMC et l'évolution des positions........................................................19
3.1. La Conférence ministérielle de Doha : des résultats mitigés pour l'agriculture ...........19
3.2. Les négociations depuis Doha.....................................................................................19
3.2.1. Le projet de modalités de Stuart Harbinson .........................................................20
3.2.2 Un accueil très mitigé ............................................................................................21
3.2.3 Le cas du coton .....................................................................................................22
3.2.4 La proposition européenne pour l’Afrique..............................................................22
4. Conclusion : quelles alliances possibles entre les pays de la Francophonie ? ..................23
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Les négociations agricoles à l’OMC : Etat des lieux
Liste des sigles utilisés
AsA
Accord sur l’agriculture de l’OMC
FMI
Fonds monétaire international
MGS
Mesure globale de soutien
OMC
Organisation mondiale du commerce
PMA
Pays les moins avancés
PED
Pays en développement
TSD
Traitement spécial et différencié
UE
Union européenne
UEMOA
Union économique et monétaire Ouest-africaine
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Les négociations agricoles à l’OMC : Etat des lieux
Introduction
Depuis son introduction dans les négociations commerciales multilatérales, l’agriculture
constitue un enjeu majeur des discussions, et cristallise souvent les divergences de position.
Lors du précédent cycle de négociations, la négociation agricole s’est essentiellement
déroulée entre les Etats-Unis et l’Union européenne, avec des interventions des pays
membres du Groupe de Cairns, les pays en développement restant largement absents du
débat. Depuis la réouverture des discussions sur l’Accord agricole de l’OMC, ces derniers
font entendre leur voix. En effet, ils considèrent que l’Accord de 1994 n’a pas pris en compte
leurs spécificités, alors que leur secteur agricole constitue encore souvent la base de
l’économie et occupe une grande partie de la main d’oeuvre.
La participation effective et efficace aux discussions des pays en développement est
indispensable pour qu’ils puissent défendre au mieux leurs intérêts. Dans la pratique, les
négociations sont complexes et très techniques. Mais elles renvoient en amont à une vision
qu’ont les pays de leur agriculture et des intérêts qu’ils entendent défendre. Et pour peser
dans les discussions, la construction de positions communes aux niveaux sous-régionaux et
régionaux s'avère souvent indispensable.
Ce document constitue une introduction aux débats de l’atelier « Un enjeu pour Cancun :
concilier agriculture et développement » du Séminaire de haut niveau sur les enjeux de la
conférence ministérielle de Cancun pour les pays francophones en développement. Il
présente successivement les principaux enjeux des négociations commerciales agricoles,
les principales positions en présence, l’avancement des débats depuis la Conférence
ministérielle de Doha. En conclusion, nous aborderons des pistes d’alliance possible pour les
pays de la francophonie.
1. Les négociations agricoles à l'OMC : principaux enjeux
Jusqu’en 1986, l’agriculture était exclue des négociations commerciales internationales, et
était considérée comme un secteur à part, qui pouvait bénéficier de protections importantes
et de politiques intérieures fortes. La guerre commerciale entre les Etats-Unis et l'Europe sur
le marché mondial dans les années 80 a exacerbé les tensions entre ces pays et avec les
autres pays exportateurs (Brésil, Argentine, Australie par exemple). L’agriculture a donc été
inclue dans les négociations commerciales multilatérales, et l’Accord sur l’agriculture fait
partie des Accords de l’OMC. Il est entré en vigueur le 1er juillet 1995, sa mise en œuvre se
déroule sur 6 ans pour les pays développés et 10 ans pour les pays en développement. Le
processus de renégociation a débuté le 1er janvier 2000.
L'Accord agricole a pour principal objectif d’introduire une certaine discipline dans les
échanges de produits agricoles et dans les politiques de soutien. Concrètement, il vise à
limiter l’utilisation d’outils de politique agricole ayant des effets négatifs, ou effets de
distorsion, sur le commerce mondial. Il couvre trois types d’instruments de politique agricole :
les mécanismes de protection aux frontières, les soutiens à l’exportation, car ils ont des
effets directs sur le commerce, et les soutiens à la production qui influent sur les volumes de
production ou sur les prix et ont donc des conséquences indirectes sur les échanges.
1.1. Les principaux éléments de l'Accord agricole
1.1.1. L’accès au marché
Il s’agit de faciliter l’accès au marché intérieur d’un pays pour les autres pays. Toutes les
mesures qui limitent l’accès sont concernées et doivent être réduites : droits de douane,
quotas d’importation, prix minimum à l’importation par exemple. Il est aussi prévu un seuil
minimum d’importation : les pays signataires s’engagent à laisser un accès minimum
correspondant à un certain pourcentage de leur consommation intérieure.
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Les négociations agricoles à l’OMC : Etat des lieux
1.1.2. Le soutien interne
L’objectif est de limiter les soutiens internes à la production agricole qui sont distorsifs parce
qu’ils sont un encouragement à la production. Les soutiens ont été classés en trois
catégories (les boîtes), en fonction de leur degré de distorsion :
•
La boîte verte : ce sont les soutiens à l’agriculture qui n’incitent pas à l’augmentation de
la production, et n’ont donc pas d’effets sur les échanges. Il s’agit :
-
des programmes de service public (recherche, formation, infrastructures, lutte contre
les parasites, stocks publics de sécurité alimentaire, …) ;
-
des aides directes aux producteurs indépendamment de leur production ou de leurs
facteurs de production (aide forfaitaire en cas de mauvaise récolte par exemple) ;
-
des programmes de protection de l’environnement et des aides aux régions
défavorisées.
Les aides de la boîte verte ne sont pas soumises à réduction, et peuvent même
augmenter.
•
La boîte bleue : elle contient les aides versées à des producteurs dans le cadre de
programmes de réduction de la production (aides liées à la jachère par exemple). En fait,
cette boîte a été créée pour les aides versées par l’Union européenne et les Etats-Unis à
leurs agriculteurs. Les aides de la boîte bleue ne sont pas soumises à réduction, mais
elles ne peuvent pas augmenter.
•
La boîte orange : dans cette catégorie se trouvent les mesures jugées les plus
distorsives, comme les soutiens aux prix agricoles et toutes les mesures qui visent à
garantir aux producteurs d’un pays un prix interne plus élevé que celui du marché
mondial, comme par exemple les caisses de stabilisation. Les mesures de la boîte
orange doivent être réduites. Pour définir les niveaux de réduction, on quantifie les
soutiens grâce à la mesure globale de soutien (MGS) : c’est la MGS d’un pays qui doit
ensuite être réduite. Les clauses de minimis permettent d’échapper à l'obligation de
réduction dans deux cas :
•
Si la valeur du soutien pour un produit donné, est inférieure à 5% de la valeur de la
production totale de ce produit (10% pour les PED) ;
•
Si la valeur du soutien non spécifique à un produit, est inférieur à 5% de la valeur
de la production agricole totale du pays (10% pour les PED).
1.1.3. La concurrence à l’exportation
Il s’agit de réduire les mesures visant à soutenir les exportations d’un pays qui faussent le
jeu de la concurrence, en permettant de vendre à un prix inférieur au prix intérieur du pays
producteur. Ce sont par exemple les restitutions aux exportations européennes (ou
subventions), la vente de stocks à prix inférieur au prix intérieur, les subventions aux
transports des produits.
Le niveau des engagements pour les trois principaux piliers de l'Accord agricole
Pour chaque volet de l’accord, les engagements sont différents selon qu’il s’agit d’un pays développé,
d’un pays en développement ou d’un pays moins avancé (PMA). En effet, les engagements des pays
en développement sont deux tiers des engagements des pays développés, et doivent être mis en
œuvre sur une durée plus longue (10 ans au lieu de 6). Par exemple, les droits de douane des pays
développés doivent être réduits de 36 % en 6 ans, alors que la réduction doit être de 24 % sur 10 ans
pour les pays en développement. Enfin, les PMA sont exemptés de réduction. Par exemple, un PMA
n’a pas obligation de réduire ses droits de douanes mais il ne peut pas les augmenter au-delà du
niveau déclaré initialement.
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Les négociations agricoles à l’OMC : Etat des lieux
1.1.4. Les autres points de l’accord
Dans le cadre des trois principaux piliers, l'Accord agricole de l'OMC prévoit des dispositions
particulières, notamment en faveur des pays en développement.
• Le traitement spécial et différencié
L'Accord de Marrakech reconnaissait que la situation des pays en développement nécessitait
de leur accorder des avantages spéciaux et des exceptions pour tenir compte de leur
situation particulière et de leurs besoins différents. Cette approche est notamment fondée
sur le constat que le secteur agricole occupe dans ces pays une place particulière : il
représente une part importante du produit intérieur brut, il emploie une forte proportion de la
main d'œuvre, il représente une source considérable de devise, il fournit les denrées
alimentaires de base et assure la subsistance des populations rurales nombreuses. Or dans
les pays en développement, ce secteur est fortement pénalisé par le niveau général de
développement, et en particulier le niveau des infrastructures (transport, communication,
transformation).
Le Traitement spécial et différencié dont ont bénéficié les PED consistait en :
-
des engagements de réduction plus faible et des délais de mise en œuvre plus longs,
-
des exemptions de réduction pour les PMA,
-
des soutiens exempts de réduction (aides à l'investissement agricole, subventions aux
intrants, aides à la commercialisation ou au transport, détention de stocks liée à un
programme de sécurité alimentaire, politique d'aide alimentaire intérieure, clause de
minimis plus élevée),
-
la possibilité de notifier des droits de douane élevés (mais dans ce cas une clause de
sauvegarde spéciale interdite),
-
la fourniture d'une assistance technique, notamment en matière de normes SPS et
techniques.
• La Décision ministérielle de Marrakech
De nombreux pays en développement importateurs de produits alimentaires avaient souligné
lors des négociations que la baisse des soutiens à l'agriculture pourrait se traduire par une
hausse des cours mondiaux des produits concernés, et donc une hausse de leur facture
d’importation. La décision ministérielle concernant les effets négatifs possibles du
programme de réforme sur les PMA et les pays en développement importateurs nets de
produits alimentaires, dite "décision de Marrakech", stipule que les signataires de l’accord
s’engagent à aider les pays concernés en cas d’augmentation des cours mondiaux et
d’augmentation des dépenses d’importation en produits alimentaires. Cette aide peut
prendre la forme soit d’une aide alimentaire, soit d’une aide au développement de
l’agriculture. A court terme, le FMI et la Banque mondiale pourraient fournir une assistance
financière.
1.2. La mise en œuvre de l'Accord agricole : des résultats mitigés pour les PED
La mise en œuvre de l'Accord s'est révélée particulièrement déséquilibrée, au détriment des
pays en développement.
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Les négociations agricoles à l’OMC : Etat des lieux
1.2.1. Les conséquence de l'Accord agricole
•
Conséquences de l'AsA sur les politiques agricoles des PED
- Dispositions en matière d'accès aux marchés :
La plupart des PED ont notifié des droits de douane à des taux plafonds. Cependant, les
taux réellement appliqués sont bien en deçà de ces notifications, notamment en raison des
contraintes imposées par les programmes d'ajustement structurels. De plus, la notification à
des taux plafonds empêche ces pays d'avoir accès à la clause de sauvegarde spéciale en
cas de forte hausse du volume des importations ou de chute importante des prix des
produits importés . Enfin, la mise en œuvre de droits antidumping contre les importations
subventionnées est rendue très difficile en raison des difficultés pour les PED de prouver
l'existence d'un dumping et les dommages qui en résultent.
- Dispositions en matière de soutien interne :
L'Accord agricole réduit fortement les soutiens aux prix de la boîte orange qui sont pourtant
les plus accessibles aux PED car ils ne sollicitent pas le budget de l'Etat. Même si la clause
de minimis autorise en théorie ces pays à utiliser les mesures de la boîte orange dans
certaines limites, ceux-ci ne doivent pas excéder les niveaux de 1992 ce qui, de fait,
empêche les PED de bénéficier de cette flexibilité. Les soutiens autorisés sont au contraire
des soutiens budgétaires inaccessibles à ces pays en raison de contraintes budgétaires et
des restrictions imposées dans les programmes d'ajustement structurels (cas des
subventions aux intrants commercialisés tels que les semences, les fertilisants, les
pesticides, etc.).
- Dispositions en matière de subventions à l'exportation :
Elles ne concernent pas les PED qui traditionnellement ont plutôt taxé que subventionné
leurs exportations.
•
Conséquences sur les politiques agricoles et les échanges des pays développés :
- Dispositions en matière d'accès aux marchés :
Même s'ils ont baissé leur protection douanière sur les produits agricoles, les pays
développés maintiennent des droits de douane élevés et des pics tarifaires sur certains
produits. De plus, la progressivité des droits de douane freine les exportations de produits
agricoles transformés en provenance des PED, la complexité des droits de douane nuit au
développement de nouvelles opportunités d'échange, et les normes sanitaires,
phytosanitaires et techniques constituent de plus en plus des barrières non-tarifaires qui
restreignent les exportations des PED.
- Dispositions en matière de soutiens internes :
Les pays développés conservent des niveaux élevés de soutien interne et ont même
augmenté les soutiens de la boîte verte. Or, même s'ils sont dits découplés et n'ayant pas
d'effet de distorsion sur les marchés, ces soutiens sont toujours des incitations à produire et
ils constituent une forme de dumping sur les marchés des PED.
- Dispositions en matière de subventions à l'exportation :
Les pays développé conservent également des subventions à l'exportation qui ont des effets
très négatifs sur les productions agricoles des PED (viande bovine, lait). De plus, certaines
formes de subventions aux exportations telles que les crédits à l'exportation, l'aide
alimentaire ou les monopoles d'exportation ne sont pas pris en compte dans l'Accord
agricole (voir plus loin).
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Les négociations agricoles à l’OMC : Etat des lieux
•
Conséquences pour les échanges des PED
- Les exportations de produits agricoles des PED n'ont pas progressé avec la mise en œuvre
de l'Accord agricole, et dans le cas des PMA, c'est même l'inverse qui s'est produit. Par
contre, les exportations agricoles des Etats-Unis et de l'Union européenne vers les PMA se
sont accrues.
- Les pays ACP ont vu leurs marges préférentielles diminuer sur le marché européen.
- La mise en œuvre de l'Accord n'a pas corrigé l'instabilité des marchés internationaux qui
pénalise les économies agricoles vulnérables des PED.
•
Conséquences pour la sécurité alimentaire des PED :
- Les pays importateurs nets de produits alimentaires ont vu leur facture alimentaire
augmenter, notamment en raison de la forte hausse des prix des céréales en 1995-1996 et
de la baisse des subventions aux exportations.
- Les fluctuations des prix agricoles qui n'ont pas été réduites ont des effets négatifs sur les
consommateurs des PED, et notamment les plus pauvres d'entre eux.
- La Décision de Marrakech n'a pas été mise en œuvre. Une des raisons avancées est qu'il
faut une preuve indiscutable d'un besoin d'assistance, qui résulte directement des réformes
entreprises en application de l'Accord agricole. De plus, la Décision prévoit des instruments
très divers, mais ne précise pas la responsabilité respective de tous les intéressés.
•
Les problèmes liés aux notifications des PED :
- Les PED ont notifié des soutiens de la boîte orange nuls ou négatifs ce qui les empêche
d'accorder de tels soutiens dorénavant.
- Un grand nombre de PED n'a pas fourni d'information sur les mesures de soutien qu'ils
accordent. Il est difficile pour eux de s'engager dans de nouvelles négociations dans ces
conditions.
1.2.2. Un Traitement spécial et différencié inefficace
Le Traitement spécial et différencié (TSD) appliqué aux pays en développement s'est avéré
inefficace pour répondre aux besoins de flexibilité et de différenciation des pays en
développement :
-
Du fait de leurs ressources financières insuffisantes, et des contraintes imposées par les
programmes d'ajustement structurels, la plupart des PED n'a pas eu recours aux
différentes formes de soutien qui leur sont autorisée. Les soutiens autorisés ne doivent
pas dépasser leurs niveaux de 1992. Or, à cette époque, beaucoup de pays n'avaient
pas recours à ces aides, ce qui les empêche aujourd'hui de les utiliser.
-
Le choix des taux plafonds pour la grande majorité des PED les empêche d'utiliser des
mesures de sauvegarde spéciale contre les importations soudaines de produits
alimentaires.
-
Les engagements plus faibles et les délais plus long ne remettent pas en cause l'objectif
final de libéraliser les secteurs agricoles des PED. De plus les délais sont fixés de
manière arbitraire, sans aucune référence à l'évolution de la situation de chaque pays.
Certains soutiens ne sont autorisés que de manière temporaire, alors qu'ils répondent à
des préoccupations de plus long terme des PED.
-
Les dispositions en matière d'assistance technique et d'assistance aux pays importateurs
nets de produits alimentaires (Décision de Marrakech) ne sont pas contraignantes et
n'ont pas été respectées par les pays développés.
-
Le TSD ne prend pas en compte les contraintes des PED, et en particulier les contraintes
institutionnelles et administratives.
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Les négociations agricoles à l’OMC : Etat des lieux
Finalement, l'inefficacité du traitement spécial et différencié de l'Accord agricole et les larges
marges de manœuvre qu'il accorde encore aux pays développés montrent que c'est au
contraire ces derniers qui ont bénéficié d'un traitement spécial et non les pays en
développement qui en avaient le plus besoin.
1.3. Les enjeux des négociations
Les Accords de l'OMC issus du cycle de l'Uruguay s'étaient traduits par une vaste réforme
des règles du commerce international. Certains pays membres ont voulu poursuivre cette
réforme. La 3ème Conférence Ministérielle de l'OMC à Seattle en décembre 1999 avait pour
objectif de lancer de nouvelles négociations, en déterminant les thèmes de discussion.
L'échec de cette Conférence n'a pas empêché le démarrage de nouvelles négociations
sectorielles, notamment dans l'agriculture et les services, en janvier 2000, conformément à
l'article 20 de l’Accord de Marrakech. Finalement, la 4ème Conférence Ministérielle de l'OMC
tenue à Doha en novembre 2001 aura réussi à programmer le lancement de nouvelles
négociations. Les négociations dans le secteur agricole en ont été accélérées.
Article 20 : Poursuite du processus de réforme
Reconnaissant que l'objectif à long terme de réductions progressives substantielles du soutien et de la
protection qui aboutiraient à une réforme fondamentale est un processus continu, les Membres
conviennent que des négociations en vue de la poursuite du processus seront engagées un an avant
la fin de la période de mise en œuvre, compte tenu :
a) de ce qu'aura donné jusque-là la mise en œuvre des engagements de réduction ;
b) des effets des engagements de réduction sur le commerce mondial des produits agricoles ;
c) des considérations autres que d'ordre commercial, du traitement spécial et différencié en faveur des
pays en développement Membres et de l'objectif qui est d'établir un système de commerce des
produits agricoles qui soit équitable et axé sur le marché, et des autres objectifs et préoccupations
mentionnés dans le préambule du présent Accord ; et
d) des autres engagements qui seront nécessaires pour atteindre l'objectif à long terme
susmentionné.
Les principaux enjeux de cette renégociation peuvent se résumer en trois questions :
Jusqu'ou poursuivre la libéralisation des échanges et des politiques agricoles ? Comment
prendre en compte les spécificités de chaque pays, et en particulier les préoccupations des
pays en développement ? Comment corriger les déséquilibres qui existent dans l'Accord
agricole de 1994 ?
Plus précisément, les principaux enjeux des négociations sont les suivants :
-
Accès aux marchés : améliorer l'accès aux marchés des pays développés en rendant la
protection plus transparente et en réduisant les pics tarifaires et la progressivité des
droits de douane. Permettre aux PED d'avoir accès à la clause spéciale de sauvegarde.
-
Concurrence à l'exportation : prendre en compte les instruments qui ont les mêmes effets
que les subventions aux exportations et qui sont ignorés dans l'Accord agricole (crédits à
l'exportation, aide alimentaire, offices de commercialisation).
-
Soutien interne : réduction des soutiens internes et réexamen de la définition des
soutiens, en particulier de la boîte verte et de la boîte bleue. Mettre fin à la clause de
paix.
-
Autres sujets : rendre la Décision de Marrakech opérationnelle et contraignante. Mettre
en place un traitement spécial et différencié efficace. Celui-ci devrait notamment
permettre aux PED de protéger par des barrières douanières et de soutenir des
productions essentielles pour la sécurité alimentaire. Prendre en compte les
considérations non-commerciales de l'agriculture
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Les négociations agricoles à l’OMC : Etat des lieux
2. Les principales positions dans les négociations agricoles
La renégociation de l'Accord agricole est l'occasion d'une nouvelle opposition entre des pays
qui ont des positions très divergentes. Ces lignes de fracture sont les même qui avaient
marqué les négociations agricoles du cycle de l'Uruguay Round. Elles s'expliquent par des
conceptions très différentes du rôle des échanges mondiaux de produits agricoles dans le
développement économique des pays. Certains pays considèrent que des échanges
mondiaux complètement libéralisés sont la meilleure réponse aux problèmes de
développement des pays, et notamment des plus pauvres d'entre eux, tandis que d'autres
estiment que les marchés internationaux sont une des sources de l'approvisionnement
alimentaire, mais qu'il faut maintenir un certains niveau de production nationale pour assurer
la sécurité alimentaire à long terme, même si cela nécessite certaines entorses à l'objectif de
libéralisation des marchés internationaux (protection des marchés domestiques ou
régionaux).
2.1. La position européenne : priorité à la multifonctionnalité de l'agriculture
L'Union européenne est passée en l'espace de cinquante ans d'un statut d'importateur net
de produits alimentaires à celui de second plus grand pays exportateur de produits agricoles
et alimentaires sur les marchés mondiaux. Ceci a été rendu possible grâce à une politique
agricole commune dont l'objectif clairement affiché était d'assurer l'autosuffisance alimentaire
de la région. La politique agricole européenne repose sur 3 principaux piliers : des soutiens
internes, d'abord liés au niveau de production, et qui se transforment aujourd'hui en mesures
de soutien forfaitaires, une protection du marché communautaire contre les importations de
produits plus concurrentiels, et des aides aux exportations pour concurrencer les produits
plus compétitifs sur les marchés internationaux. Ces instruments sont en contradiction avec
les objectifs affichés dans l'Accord agricole. Par conséquent, la position européenne se
caractérise principalement par la défense de ces instruments, qu'elle a cependant dû réduire
ou modifier à la suite de l'Accord de Marrakech.
2.1.1 La multifonctionnalité de l'agriculture au cœur de la position européenne
L'Union européenne justifie le maintien d'instruments de politique agricole par la nécessité
de préserver le caractère multifonctionnel de l'agriculture. En effet, elle considère que
l'agriculture n'est pas une activité comme une autre et qu'elle assure des fonctions qu'aucun
autre secteur de pourrait remplir. Ces principales fonctions sont : le développement rural, la
protection de l’environnement, l’aménagement du territoire, la réduction de la pauvreté, la
sécurité sanitaire des aliments et la protection du bien-être animal.
Au nom de ces fonctions non marchandes (ou considérations non-commerciales selon la
terminologie de l'OMC), l'Union européenne demande que certaines mesures de soutien, qui
encouragent à l'activité agricole et participent à un meilleur développement rural etc., soient
autorisées par l'OMC.
Cependant, la position européenne sur la multifonctionnalité de l'agriculture est ambiguë : en
effet, elle défend le rôle que peut jouer l'agriculture dans la préservation de l'environnement
tout en continuant à utiliser des instruments de politique agricole qui accroissent
l'intensification de l'agriculture avec des effets négatifs sur l'environnement. Les
conditionnalités environnementales pour l'attribution des aides, même si elles prennent de
plus en plus d'importance, sont encore très insuffisantes. De la même manière, l'Union
européenne utilise des subventions à l'exportation qui ont des effets négatifs sur les
agricultures des pays du Sud et les empêche de préserver un rôle important de leur secteur
agricole, celui d'assurer un certain niveau de sécurité alimentaire.
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Les négociations agricoles à l’OMC : Etat des lieux
2.1.2 Les trois piliers de l'Accord agricole.
•
Accès au marché :
L'Union européenne est prête à poursuivre la baisse des droits de douane selon une formule
identique à celle qui avait été appliquée lors de l'Uruguay Round, c'est à dire une baisse en
moyenne de 36%, avec une réduction minimale de 15% par ligne tarifaire.
•
Concurrence à l'exportation :
Les subventions à l'exportation pourraient être réduites, de 45% en moyenne, à condition
que toutes les formes de soutien à l'exportation soient prises en compte. Il faut notamment
soumettre les crédits à l'exportation à une discipline stricte et réglementer le fonctionnement
des entreprises commerciales d'État. L'aide alimentaire ne doit être accordée qu'à des
groupes vulnérables définis ou en cas de situation d'urgence et les denrées alimentaires
doivent être achetées dans le pays bénéficiaire ou dans d'autres PED.
L'Union européenne propose également de supprimer les subventions à l'exportation pour le
blé, les graines oléagineuses, l'huile d'olive, le tabac, à condition que les autres membres de
l'OMC agissent de même.
•
Soutien interne :
L'Union européenne propose une baisse de 55% de la mesure globale de soutien (boîte
orange) à partir du niveau d'engagement fixé lors du dernier cycle de négociation. La
définition actuelle du soutien doit être maintenue et la boîte bleue préservée.
Les soutiens accordés pour atteindre des objectifs tels que la protection de l'environnement,
le développement rural et le bien-être animal (boîte verte) ne doivent pas être considérés
comme une source de distorsion des échanges, à conditions que ces mesures soient ciblées
et transparentes.
La clause de paix doit être maintenue.
2.1.3 Les propositions pour les pays en développement
Pour les pays en développement, l'Union européenne propose plusieurs dispositions en
matière d'accès aux marchés :
-
La définition d'une boîte "sécurité alimentaire" qui permettrait aux PED de répondre à
leurs préoccupations en matière de produits agricoles sensibles pour leur sécurité
alimentaire en ayant accès à un instrument spécial de sauvegarde.
-
Des engagements plus faibles en matière d'accès à leur marché et des délais plus longs.
-
Un droit de douane zéro pour 50% minimum des importations de produits agricoles des
pays en développement vers les pays développés.
-
Un accès en franchise de droit et sans contingent pour toutes les exportations des PMA
vers les pays développés et les PED plus avancés.
-
Une réduction substantielle de la progressivité des droits de douane sur les produits
présentant un intérêt particulier pour les PED.
En ce qui concerne les mesures de soutien interne, l'UE propose la possibilité pour les PED
de soutenir leur secteur agricole afin d'assurer la sécurité alimentaire et de favoriser la
diversification agricole. Ce soutien ne serait pas considéré comme faussant la concurrence.
2.1.4. Une proposition en trompe l'œil ?
La proposition finale de l'Union présentée en janvier 2003 a fait l'objet de vives critiques de la
part de beaucoup d'Etats membres, et en particulier les pays du groupe de Cairns, qui la
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Les négociations agricoles à l’OMC : Etat des lieux
jugent très conservatrice. Cette proposition n'implique d'ailleurs aucune réforme de la
politique agricole commune.
Outre les engagements limités en matière de libéralisation des marchés et des politiques
agricoles communautaire, il est notamment reproché à l'UE de présenter des propositions
très insuffisante pour les PED. Il est par exemple fait observer que la proposition de diminuer
les subventions aux exportations de 45% par rapport aux engagements finaux de l'Uruguay
round n'est absolument pas contraignante pour l'UE, puisque les subventions sont
actuellement inférieures aux notifications enregistrées à l'OMC. Mais même inférieures aux
notifications à l'OMC, les subventions européennes ont toujours des effets très négatifs pour
les pays du Sud. La remarque est également valable pour les soutiens internes.
Le traitement spécial et différencié qui serait accordé aux PED n'est pas à la hauteur des
enjeux auxquels doivent faire face les agricultures de ces pays : l'approche en termes de
délais plus long est toujours une approche provisoire, la clause de sauvegarde spéciale
étendue aux PED n'est qu'une réponse transitoire, bien que essentielle, aux problèmes
rencontrés par les PED, qui requièrent au contraire des réponses structurelles.
L'ouverture aux marchés des pays développés est déjà réalisée en termes de barrières
tarifaires, mais les produits agricoles des PED rencontrent toujours d'importantes barrières
non-tarifaires, sur lesquelles le texte européen ne se prononce pas. S'il est fait référence à la
question de la progressivité des droits de douane (des tarifs de plus en plus élevés en
fonction du degré de transformation du produit), le texte ne mentionne pas le problème des
pics tarifaires qui persistent au sein des lignes tarifaires.
2.2. Les pays en développement : des revendications similaires
Les pays en développement représentent un groupe de pays très hétérogènes. Si leurs
positions divergent sur la nécessité ou non d’approfondir la libéralisation, ils se retrouvent
pour demander une plus grande discipline en matière de politique agricole dans les pays
développés, un meilleur accès à leur marché et, pour les pays en développement, une plus
grande flexibilité en matière de politique agricole, notamment le droit de protéger et soutenir
leur agriculture pour assurer leur sécurité alimentaire. L'objectif de ces pays est de corriger
les déséquilibres constatés dans l'Accord agricole de l'OMC et de mettre en œuvre un TSD
réellement opérant.
Plusieurs groupes de pays en développement se distinguent :
-
Les pays à l'origine de la proposition de "boîte développement" et les pays dont les
positions sont très proches comme ceux de l'UEMOA ;
-
Les pays qui ont des revendications particulières du fait de leur très faible niveau de
développement (PMA) ou de leurs caractéristiques géographiques (pays insulaires ou
enclavés) ;
-
Les pays qui appartiennent au groupe de Cairns, et dont les positions seront présentées
plus loin.
2.2.1. Un changement radical dans l'Accord agricole : la "boîte développement"
La proposition de boîte développement a été présentée à l'OMC en 2000 par plusieurs pays
en développement (Cuba, la République Dominicaine, le Honduras, le Pakistan, Haïti, le
Nicaragua, le Kenya, l'Ouganda, le Zimbabwe, Sri Lanka et El Salvador).
Solagral – juin 2003
12
Les négociations agricoles à l’OMC : Etat des lieux
La proposition vise à :
-
protéger et renforcer les capacités de production de produits alimentaire de base des
pays en développement ;
-
accroître la sécurité alimentaire et l'accessibilité aux produits alimentaires, en particulier
pour les plus démunis ;
-
préserver et accroître l'emploi des populations défavorisées dans les zones rurales ;
-
protéger les petits producteurs de produits alimentaires de base contre les importations à
bas prix ;
-
permettre une flexibilité suffisante pour mettre en œuvre les soutiens nécessaires aux
petits agriculteurs, en particulier pour accroître leur capacité de production et leur
compétitivité ;
-
mettre un terme au dumping d'importations subventionnées à bas prix dans les pays en
développement.
La proposition prévoit les dispositions suivantes :
-
Permettre aux pays en développement d'exempter certains produits agricoles de base
des engagements de réduction de l'Accord sur l'Agriculture.
-
En matière d'accès aux marchés :
o
Permettre aux pays en développement de réévaluer et d'ajuster leurs niveaux
tarifaires, et notamment d'augmenter les droit sur les produits essentiels pour
la sécurité alimentaire lorsque leur production est menacée par des
importations à bas prix;
o
Réduire les pics tarifaires et la progressivité des droits de douane pour les
pays de l'OCDE
o
Permettre l'accès au marché des pays développés sans droits de douane ni
quota pour les produits issus des petits producteurs ;
o
Permettre l'accès à la clause de sauvegarde spéciale à tous les pays en
développement en cas de prix bas ou de volume excessif, et l'interdire pour
les pays développés.
-
En matière de concurrence à l'exportation : Interdire le dumping sous quelque forme que
ce soit et éliminer toutes les formes de subvention à l'exportation de la part des pays
développés.
-
En matière de soutien interne :
-
o
Regrouper toutes les catégories de soutien interne en une seule catégorie
appelée “subventions générales”;
o
Ménager une flexibilité en ce qui concerne les niveaux de soutien interne pour
les pays en développement et inclure dans les mesures de la boîte verte des
mesures pour promouvoir l'intégration des petits producteurs ou des mesures
visant à accroître la production domestique d'aliments de base;
o
Abroger la clause de paix pour les pays développés.
Autres dispositions : Renforcement de la Décision de Marrakech et création d'un fonds
international pour aider les pays importateurs nets de produits alimentaires à acquérir sur
les marchés mondiaux les produits nécessaires pour assurer leur sécurité alimentaire.
La proposition de boîte développement est loin de faire l'unanimité parmi les membres de
l'OMC. Si elle est soutenue par une très grande majorité de PED (dont la Chine, l'Inde,
Solagral – juin 2003
13
Les négociations agricoles à l’OMC : Etat des lieux
l'Indonésie ou encore la Malaisie), certains pays ont exprimé des réserves vis-à-vis de cette
proposition, voire une opposition franche :
-
Les Etats-Unis, l'Union européenne, le Japon et certains membres du Groupe des Cairns
mettent en cause notamment la différenciation faite entre pays du Sud et pays du Nord et
le système à deux vitesses qu'elle induit. Ils mettent en gardent les PED contre des
politiques qui accroissent les distorsions commerciales.
-
Les Etats-Unis et les pays exportateurs du groupe de Cairns ont exprimé les critiques les
plus fortes contre cette proposition, en notant qu'elle empêcherait le commerce Sud Sud. Les Etats-Unis ont également ajouté que cette proposition sortait du mandat de
Doha, qui ne mentionne que le Traitement Spécial et Différencié.
-
Enfin, des pays comme le Chili, le Venezuela, le Brésil et la République Tchèque ont
estimé que la baisse des soutiens internes et des subventions aux exportations, ainsi
que l'ouverture des marchés devraient tout aussi bien permettre de résoudre les
problèmes mis en avant dans la proposition des PED.
Bon nombre de ces critiques adressées à la proposition de "boîte développement"
paraissent excessives et infondées :
-
La boîte développement est une proposition visant des productions vivrières qui assurent
la sécurité alimentaire. Ces productions ne sont donc par définition pas échangées sur
les marchés internationaux, et ne sont pas susceptibles d'engendrer des distorsions.
-
De plus, cette proposition est un moyen de palier à la contrainte budgétaire des pays du
Sud, qui n'ont pas les moyens de soutenir leurs agricultures, malgré les libertés qui leur
sont accordées dans le cadre du Traitement Spécial et Différencié (aides à
l'investissement agricole, subventions aux intrants pour les agriculteurs à faible revenu).
D'ailleurs, ce dernier ne remet pas en cause l'objectif final de libéralisation des marchés
agricoles mondiaux puisqu'il n'offre aux PED que des délais supplémentaires.
Il n'en reste pas moins que cette proposition nécessite des précisions : à quels pays
accorder ces dérogations? Quels sont les produits qui doivent être considérés comme
stratégiques pour la sécurité alimentaire ? Comment faire en sorte que ce soit réellement les
petits producteurs et des types d'agriculture durable qui en bénéficient?
2.2.2. Les pays insulaires : des spécificités qui justifient un traitement particulier
Du fait de leur insularité et des contraintes climatiques auxquelles ils doivent faire face, ces
pays ont un petit secteur agricole peu diversifié, et rencontrent des difficultés à être
concurrentiels dans le commerce agricole. Ils dépendent souvent de un ou deux produits
seulement pour leurs exportations et bénéficient pour la plupart de préférences
commerciales avec les pays développés. Leur niveau d’autosuffisance est très faible pour la
plupart des produits et ils sont importateurs nets de produits alimentaires.
Ces pays sont notamment l'île Maurice, Cuba, la République Dominicaine ou encore les
pays regroupés au sein du Caricom. Ils sont particulièrement actifs dans les négociations
pour revendiquer leurs spécificités. Notons que la République Dominicaine est aussi un des
pays à l'origine de la proposition de boîte développement. Maurice quant à elle a fait alliance
avec l'Union européenne et fait partie du groupe de pays des "amis de la multifonctionnalité".
Les positions exprimées par ces pays sont très proches de celles exprimée dans la boîte
développement. Ils demandent également que soient maintenues les préférences
commerciales qui assurent des débouchés sûrs pour leurs exportations. En raison du faible
niveau de diversification de leur secteur agricole, ils insistent sur la nécessité de l'assistance
technique dont ils ont besoin pour développer leurs exportations.
Solagral – juin 2003
14
Les négociations agricoles à l’OMC : Etat des lieux
2.2.3 Les positions exprimées par les autres pays en développement
Un grand nombre de pays en développement s'est également exprimé, soit individuellement,
soit en groupe. Parmi les prises de position notables, signalons :
•
La position du Groupe africain :
Outre les revendications classiques des pays en développement, les pays africains
proposent une série de mesures spécifiques pour régler rapidement les problèmes de
sécurité alimentaire des PMA et des pays en développement importateurs nets de denrées
alimentaires :
-
Création d’un fonds de roulement inter organisations pour aider ces pays à régler leur
facture alimentaire.
-
Surveiller et évaluer l’incidence du programme de réforme de façon régulière sur les
PMA et élaborer des instruments pour répondre aux préoccupations de ces pays. Fournir
l’aide alimentaire uniquement sous forme de dons.
-
Etablir un mécanisme pour faire en sorte que l’aide alimentaire ne perturbe pas les
marchés locaux
-
Prévoir une coopération technique et financière pour améliorer la productivité agricole,
mettre en place des infrastructures, diversifier les produits, transférer les technologies
nouvelles et diffuser l’information sur les marchés.
•
La position de l'UEMOA :
Cette position identique à celle des autres PED proposent deux éléments originaux :
-
En matière de traitement spécial et différencié : l'attribution de délais plus longs et
d'engagements réduits fondée sur des indicateurs économiques prenant en compte le
niveau de développement économique et la situation du secteur agricole
-
Compatibilité OMC/PAS : Les niveaux de libéralisation demandés par les PAS sont plus
importants que ceux exigés par l’Accord de l’OMC, tant au niveau de l’ouverture des
marchés que des niveaux de soutiens pour l’agriculture. Il faut donc négocier une clause
de conformité minimale entre les mesures autorisées par l’OMC et les conditionnalités
imposées par les Institutions de Bretton Woods.
•
Le Maroc et l'Egypte
Outre les demandes classiques des pays en développement (meilleur accès au marché des
pays développés, redéfinition des mesures de la boîte verte, élimination de la boîte bleue et
de la boîte orange pour les pays développés, suppression des subventions à l’exportation),
le Maroc et l’Egypte se distinguent par la demande de création d’un fonds de solidarité entre
les pays. se distingue par une proposition originale. Le Maroc, estimant que les arguments
sur la multifonctionnalité s’appliquent plus au PED qu’aux pays développés, propose de
créer un fonds mondial alimenté par les pays du Nord pour financer la multifonctionnalité des
pays en développement. La proposition égyptienne s’adresse aux pays en déficits vivriers et
aux PMA, pour une prise en charge financière du coût supplémentaire d’achat de produits
alimentaires non subventionnés. Ce fonds serait alimenté par les institutions financières
internationales, les agences des Nations Unies, les pays développés et les principaux
exportateurs.
2.3. Les pays en transition
Ces pays d'Europe de l'Est qui sont passés d'une économie totalement centralisée à une
économie de marché demandent que la spécificité de leur phase de transition soit reconnue
dans l'Accord agricole. Ils considèrent que la pénurie de capital, les problèmes de
Solagral – juin 2003
15
Les négociations agricoles à l’OMC : Etat des lieux
fonctionnement de leur système de crédit, les contraintes budgétaires auxquelles doivent
faire face leurs gouvernements, ainsi que de nombreux autres problèmes auxquels ils sont
confronté impliquent une mise en péril de leur agriculture si celle-ci devait être exposée très
rapidement aux forces du marché international. Ceci est d'autant plus vrai que la phase de
transition est aussi marquée par un changement dans les structures des exploitations
agricoles, avec la fin des grandes exploitations agricoles d’Etat et le développement de
structures privées, de taille plus ou moins importante en fonction des pays. Ce changement
a été accompagné d'une baisse spectaculaire de la production agricole.
En conséquence, ces pays demandent qu'une flexibilité supplémentaire leur soit accordée
en matière de soutien interne, notamment pour accorder des aides aux intrants, à
l'investissement ou encore au remboursement des dettes. Ils demandent aussi à maintenir
leurs niveaux de droit de douane pour protéger leur production domestique. Ces pays
n'envisagent ces exceptions que transitoires, le temps de leur phase de transition.
Enfin, plusieurs pays soutiennent également la multifonctionnalité de l'agriculture (Pologne,
République Tchèque).
2.4. Le groupe de Cairns pour une libéralisation complète des marchés agricoles
Les membres de ce groupe sont des pays agro-exportateurs qui soutiennent peu leur
agriculture. Il s’agit de l’Afrique du Sud, l’Argentine, l’Australie, la Bolivie, le Brésil, le
Canada, le Chili, la Colombie, le Costa Rica, Fidji, le Guatemala, l’Indonésie, la Malaisie, la
Nouvelle-Zélande, le Paraguay, les Philippines, la Thaïlande, et l’Uruguay. Ils considèrent
que les politiques agricoles conduisent à une concurrence déloyale sur les marchés
mondiaux et les empêchent de profiter pleinement de leurs avantages comparatifs. Pour ces
pays, ces distorsions empêchent les pays en développement de résoudre leurs problèmes
de sécurité alimentaire et de développement agricole. Ils militent en faveur d'une
libéralisation totale de l’agriculture.
Notons cependant que les positions des pays ne sont pas toujours uniformes : les pays en
développement asiatiques (surtout l'Indonésie) font souvent entendre une voix discordante
en ce qui concerne la nécessité de poursuivre la libéralisation des échanges à tout prix,
notamment pour des raisons de sécurité alimentaire (l'Indonésie est devenu un notable
importateur net de produits alimentaire depuis la libéralisation de l'agriculture).
•
Accès aux marchés
Les pays du Groupe de Cairns demandent une réduction drastique des droits de douane :
l'Argentine par exemple a proposé une baisse initiale de 50% pour les pays en
développement et de 70% pour les pays développés, avec par la suite l'application de la
formule suisse (voir page suivante). La mesure de sauvegarde spéciale doit être supprimée
pour les pays développés, mais autorisée pour les produits des pays en développement
essentiels pour leur sécurité alimentaire.
•
Concurrence à l'exportation
Les pays du groupe de Cairns proposent une suppression totale des subventions à
l'exportation, avec une première réduction de moitié en 3 ans.
Sur les autres formes de subvention aux exportation, les pays de ce groupe (principalement
Nouvelle Zélande, l'Australie et le Canada) ne voient pas la nécessité de réglementer les
entreprises commerciales d'Etat. Ils demandent d'encadrer par des règles strictes les crédits
à l'exportation et estiment que l'aide alimentaire ne doit pas être utilisée pour contourner les
règles sur les subventions à l'exportation.
•
Soutiens internes
Les soutiens internes devraient être fortement réduits : renforcer les critères sur la boîte
verte, supprimer les mesures de la boîte orange en 5 ans pour les pays développés et 9 ans
Solagral – juin 2003
16
Les négociations agricoles à l’OMC : Etat des lieux
pour les pays en développement, et éliminer à terme les mesures de la boîte bleue, diminuer
puis supprimer le seuil de minimis.
Un traitement spécial doit être accordé pour les pays en développement afin qu'ils puissent
atteindre des objectifs de sécurité alimentaire ou de développement rural : améliorer les
dispositions de la boîte verte, maintien de la clause de minimis, fourniture d'assistance
technique.
•
Considération non-commerciales
La plupart de ces pays reconnaissent l'existence de considérations non-commerciales dans
l'agriculture, mais ils estiment qu'elles peuvent et doivent être traitées par des mesures qui
n'entraînent pas de distorsions sur les marchés et la production. Un commerce agricole
complètement libéralisé n'empêcherait aucunement les pays de prendre en compte leurs
considérations non-commerciales. Le Traitement Spécial et Différencié et les mesures de la
boîte verte sont suffisantes. Enfin, ils soulignent que la prise en compte des considérations
non-commerciales par des mesures distorsives conduit à menacer les préoccupations noncommerciales des autres pays.
Cependant, certains pays comme l'Indonésie soulignent l'importance de la sécurité
alimentaire comme préoccupation non-commerciale. Ils reconnaissent que les politiques
mises en œuvre pour des objectifs de sécurité alimentaire ne doivent pas être limitées par
les règles de l'OMC.
2.5. Les Etats-Unis : entre libéralisme et interventionnisme
La position américaine dans les négociations agricoles est assez singulière : ils sont assez
proche des pays du groupe de Cairns en demandant une libéralisation poussée des
échanges internationaux, mais ils soutiennent aussi fortement leur agriculture, surtout depuis
le vote du nouveau Farm Bill en 2002. Ils défendent cette position en arguant du fait que les
types de soutien qu’ils accordent ne sont pas distorsifs sur les marchés internationaux, et
qu’ils sont conformes à leurs engagements à l’OMC puisque inférieurs à la clause de minimis
non spécifique par produit. Cependant, ces arguments sont fortement contestés par tous les
partenaires des Etats-Unis dans les négociations mais aussi par de très nombreuses ONG :
ces soutiens, du fait notamment de leur montant très élevé, ont toujours des effets de
dumping qui ont des effets dépressifs sur les cours mondiaux et menacent les filières des
production dans les pays en développement (Cf. le cas du coton).
Dans les négociations, les Etats-Unis défendent les positions suivantes :
•
Accès aux marchés
Les Etats-Unis proposent de réduire les droits de douane selon une formule appelée
"formule suisse" (à la fin de la période, tous les droits de douanes devront être inférieurs à
25%). En ce qui les concerne, ils sont prêts à s'engager pour une baisse des droits de
douane, mais faible, car ils estiment que les tarifs américains sont bien en-deçà de la
moyenne mondiale. Ils demandent également une augmentation des quotas tarifaires de
20% et une suppression des droits de douane sur les quantités in-quota en 5 ans. Ils
proposent enfin de supprimer la clause spéciale de sauvegarde pour tous les pays.
•
Soutien interne
En matière de soutien interne, ils réclament une simplification des classifications (soutiens
exemptés de baisse et soutiens non exemptés), et une baisse importante du niveau des
soutiens distorsifs. Ils sont donc favorable à la suppression de la boîte bleue.
•
Concurrence à l’exportation
Les Etats-Unis proposent l’élimination totale des subventions à l’exportation en l’espace de 5
ans. Ils demandent aussi l’interdiction des monopoles d’exportation détenus par les
Solagral – juin 2003
17
Les négociations agricoles à l’OMC : Etat des lieux
entreprises commerciales d’Etat qui existent dans les pays du groupe de Cairns (Canada,
Australie).
En revanche, ils sont très réticents à discuter de l'aide alimentaire dans cette enceinte, en
renvoyant les débats à la Convention Internationale de l'Aide alimentaire ou au Comité sur la
Gestion des Surplus. Or, les principaux reproches adressés à l'aide alimentaire américaine
sont la persistance d'aide alimentaire à crédit, la fluctuation des volumes d'aide en fonction
des surplus américains et non selon les besoins des bénéficiaires, et l'insuffisante prise en
compte des effets négatifs de cette aide massive sur les marches locaux et régionaux.
Finalement, sur l’aide alimentaire comme sur les crédits à l’exportation, les Etats-Unis se
disent prêts à s’engager sur des discussions sur la transparence, ou sur des règles de bonne
pratique, mais rechignent à s’engager dans des discussions plus poussées.
•
Traitement spécial et différencié
La poursuite de la libéralisation des échanges telle que formulée dans la proposition
américaine est le principal bénéfice que les Etats-Unis estiment accorder aux pays en
développement. Ils sont opposés à la proposition de boîte développement défendue par un
certain nombre de pays en développement.
•
Considérations non-commerciales
Les Etats-Unis, reconnaissent l'importance de préoccupations non-commerciales telles que
la sécurité alimentaire, la conservation des ressources naturelles, le développement rural ou
la protection de l'environnement. Mais ces objectifs doivent être atteints par des mesures
ciblées et non-distorsives (par exemple, programmes d'investissement, d'assistance
technique et d'information pour le développement rural). Quant à la sécurité alimentaire, elle
doit pouvoir être assurée par un marché international des produits agricoles. Celui-ci doit
donc être davantage libéralisé et stabilisé grâce au renforcement des règles de l’OMC, en
particulier celles concernant les restrictions à l'importation.
2.6. Les autres positions exprimées
•
Le Japon et la Corée
Ces deux pays soutiennent la position européenne, mais ils soulignent plus particulièrement
le rôle important de l’agriculture en matière de sécurité alimentaire. La Corée mentionne
également le rôle culturel de l’agriculture. Le Japon souligne aussi la nécessité de préserver
la diversité et la coexistence de plusieurs types d’agriculture.
Ces pays rejoignent l’Union européenne pour demander une amélioration de la boîte verte et
un maintien de la boîte bleue. Mais ils insistent davantage sur la nécessité pour chaque pays
de pouvoir poursuivre sa propre politique de sécurité alimentaire, et donc le besoin de
flexibilité dans l’accord agricole.
Pour le Japon, c’est l’intérêt du consommateur qui justifie cette position tandis que pour la
Corée, c’est l’intérêt des producteurs.
•
La Suisse et la Norvège
La Suisse et la Norvège se classent aussi parmi les défenseurs de la prise en compte des
fonctions non commerciales de l’agriculture. L’agriculture produit des biens publics, et les
instruments de politique agricole qui les favorisent doivent être maintenus, quelque soit la
catégorie dans laquelle ils sont classés. La Norvège propose d’ailleurs que les disciplines
soient différentes entre les soutiens aux produits destinés à la consommation intérieure, et
ceux destinés à l’exportation. Enfin, ces deux pays reconnaissent une spécificité aux pays en
développement, auxquels ils convient d’accorder une marge de manœuvre plus importante.
Solagral – juin 2003
18
Les négociations agricoles à l’OMC : Etat des lieux
3. Les négociations à l'OMC et l'évolution des positions
Comme prévu dans l'Article 20 de l'Accord agricole, les négociations ont redémarré en
janvier 2000. La Conférence ministérielle de Doha en novembre 2001 a permis de relancer
ces négociations, qui n'avaient consisté jusque là qu'en un échange de points de vue.
3.1. La Conférence ministérielle de Doha : des résultats mitigés pour l'agriculture
La Déclaration ministérielle de Doha consacre deux paragraphes à l'agriculture. Elle rappelle
les objectifs à long terme de la discussion (promouvoir un commerce équitable et axé sur le
marché). Les membres s’engagent, sans préjuger du résultat final sur trois points :
•
Améliorations substantielles de l’accès au marché
•
Réduction de toutes les formes de subventions à l’exportation, en vue de leur retrait
progressif ;
•
Réduction substantielle des formes de soutien interne ayant des effets distorsifs.
Ces trois points confirment les travaux déjà engagés depuis le 1er janvier 2000, et prévoient
à terme, la suppression des soutiens à l’exportation, tant les subventions européennes que
les crédits à l’exports et l’utilisation abusive de l’aide alimentaire par les Etats-Unis.
Cependant, l’UE a obtenu que le terme ne soit pas défini, ce qui réduit la portée de
l’engagement.
Le traitement spécial et différencié (TSD) fait partie intégrante des éléments de négociation,
ce qui est plutôt positif pour les pays en développement. Mais la notion de boîte
développement n'est pas évoquée dans le texte.
Enfin, la dernière phrase du paragraphe aborde les « considérations d’ordre non
commerciales » chères à l’UE, et confirme qu’elles seront prises en compte dans les
négociations. Mais le fait que cette phrase soit la dernière montre le peu d’importance en fait
accordée à cette notion, l’UE ayant une nouvelle fois privilégié la défense de ses
subventions aux exportations.
Le texte précise également le calendrier des négociations et prévoit la conclusion des
négociations agricoles dans le cadre du futur cycle, au plus tard le 1er janvier 2005. A noter
que la clause de paix expire fin 2003, et que l’avancée des discussions à cette date signifiera
ou non la reprise des hostilités entre le Groupe de Cairns et l’UE principalement.
3.2. Les négociations depuis Doha
En mars 2002, les pays membres de l'OMC se sont réunis pour fixer le calendrier détaillé de
la poursuite des discussions. Les négociations sont entrées dans une étape cruciale puisqu'il
s'agit de discuter des modalités et des engagements (y compris des engagements chiffrés)
qui permettront d'atteindre les objectifs fixés dans la Déclaration ministérielle de Doha
(amélioration de l'accès au marché, réduction des subventions aux exportations et réduction
des soutiens domestiques qui ont un effet de distorsion sur le commerce). Comme indiqué
dans le texte de Doha, le Traitement Spécial et Différencié et les considérations non
commerciales de l'agriculture doivent être abordés dans chacun des trois thèmes de
négociation.
Le calendrier prévoyait que les pays membres devaient tomber d'accord sur un texte final sur
les modalités avant le 31 mars 2003. Les pays membres devaient présenter leurs projets
d'engagements à l'occasion de la prochaine Conférence ministérielle en septembre 2003 à
Cancun. Mais l'échéance du 31 mars 2003 n'a pas été respectée, et les discussions
avancent peu.
Solagral – juin 2003
19
Les négociations agricoles à l’OMC : Etat des lieux
3.2.1. Le projet de modalités de Stuart Harbinson
En mars 2003, le Président du Comité spécial sur l'agriculture de l'OMC, Stuart Harbinson, a
présenté un projet de texte sur les modalités pour un nouvel accord agricole, censé être une
synthèse des différentes positions exprimées par les pays membres, et des discussions
depuis la Conférence Ministérielle de Doha. Les différents points abordé par le texte sont les
suivants :
•
Accès aux marchés
Il est proposé une réduction des droits de douane d'autant plus importante que le niveau
actuel de ces droits est élevé, sur une période de 10 ans pour les pays développés et 5 ans
pour les pays en développement. Sur certains "produits stratégiques", les pays en
développement ne devront diminuer les droit que de 10 %.
Bandes tarifaires
Pays
PED
développés
> 90 %
> 120 %
90 - 15 %
120 - 60 %
15 - 0 %
60 - 20 %
20 - 0 %
Engagements de réduction Période de mise en oeuvre
Pays
PED
Pays
PED
développés
développés
Produits agricoles
60/45
40/30
5 ans
10 ans
50/35
35/25
5 ans
10 ans
40/25
30/20
5 ans
10 ans
25/15
Produits stratégiques
10/5
10 ans
(lecture du tableau : les PED devront réduire en moyenne de 35% les droits sur les produits agricoles dont le taux
est situé entre 60 et 120%, avec une réduction minimum de 25% sur chaque ligne tarifaire, sur 10 ans)
Source : ICTSD
Les PED pourraient avoir accès à une mesure spéciale de sauvegarde spéciale qui reste à
définir. Elle serait en revanche supprimée pour les pays développés à l'issue de la période
de 5 ans.
•
Soutien interne
Les mesures de la boîte verte seraient maintenues mais les critères qui définissent ces
mesures seraient renforcés. A noter que des dispositions en matière de soutien interne pour
le bien-être animal ont été prévues. Les pays développés pourraient également avoir recours
à des mesures du traitement spécial et différencié pour des objectifs de développement
rural.
La boîte bleue serait également maintenue mais les dépenses limitées à leur dernier niveau
notifié, et réduites de 50% sur 5 ans.
Les mesures de la boîte orange devraient diminuer de 60% en 5 ans pour les pays
développés. La clause de minimis serait abaissée à 2,5%.
•
Concurrence à l'exportation
Le texte propose de supprimer en 5 ans au moins 50% des subventions à l'exportation pour
les pays développés, et de supprimer le reste des subventions en 9 ans. Le texte propose
également des éléments pour discipliner les crédits à l'exportation, l'aide alimentaire et
l'activité des entreprises commerciales d’Etat à l’exportation.
•
Les considérations non commerciales
Elles sont quasiment absentes du texte, à l'exception de la notion de bien-être animal.
Comme dans la Déclaration de Doha, il est uniquement rappelé qu'elles doivent être prises
en compte dans les négociations.
•
Traitement spécial et différencié (TSD)
Comme dans l'Accord agricole, le projet propose d'accorder aux PED des réductions plus
faibles, des délais plus longs, et des exemptions de réduction de certains soutiens. Seuls
quelques "produits stratégiques" bénéficient d'exemption supplémentaires, et d'un "TSD
amélioré". Les PMA sont exempts de tout engagement de réduction. Les pays qui ont adhéré
Solagral – juin 2003
20
Les négociations agricoles à l’OMC : Etat des lieux
récemment à l'OMC (principalement la Chine) ont la possibilité de différer de 2 ans la mise
en œuvre de leurs engagements. Il est également prévu que le situation des petits pays
insulaires ou des pays en développement vulnérables soit abordée dans les négociations.
•
Préférences commerciales
Le texte de Harbinson prévoit que les pays développés maintiennent, "dans la mesure
maximale de ce qui est techniquement faisable", les marges nominales de préférences
tarifaires et les autres modalités et conditions qu'ils accordent aux pays membres en
développement au titre d'accords préférentiels. Deux mesures sont proposées : une période
de mise en œuvre des réductions tarifaires pour les pays développés plus longue (8 ans au
lieu de 5), et un moratoire de deux ans pour les réductions tarifaires sur les produits
importants pour les pays en développement bénéficiaires.
3.2.2 Un accueil très mitigé
Le projet Harbinson a été rejeté par la plupart des Etats membres de l'OMC :
•
Des critiques virulentes de la part de l'Union européenne
L'Union européenne, mais aussi le Japon, la Chine, la Bulgarie, Maurice ou la Suisse ont
fortement critiqué l'approche de Stuart Harbinson. L'UE reproche le déséquilibre entre les
pays exportateurs (Etats-Unis et groupe de Cairns) qui seraient les principaux bénéficiaires
de ce texte, et les pays comme l'UE qui supporteraient la plus grande partie des coûts de la
réforme.
En particulier, l'Union européenne critique la formule de réduction des droits de douane ainsi
que les propositions très faibles en matière d'accès aux marchés des pays développés pour
les produits en provenance des pays en développement. Comme le Japon, elle critique une
baisse trop importante des droits de douane.
La proposition de Harbinson en matière de soutien interne est également rejetée par l’Union
européenne : la baisse des mesures de la boîte bleue est trop importante. Elle demande que
en échange, la clause de minimis soit supprimée. Cette position s’explique par le fait que
l’Union européenne est la principale utilisatrice de mesures de cette boîte, alors que pour
leur part, les Etats-Unis ont classé une grande partie de leurs soutiens dans la catégorie de
minimis, exempte de réduction.
L'Union européenne regrette aussi fortement la très faible prise en compte des
considérations non-commerciales, et l'absence de mention du maintien de la Clause de paix.
L'UE est très fermement attachée au maintien de cette clause de paix, mais certains
observateurs font remarquer qu'il s'agit davantage d'un position stratégique, qui vise à
obtenir des concessions sur d'autres sujets de discussion.
•
Les Etats-Unis et le groupe de Cairns : encore plus
Les Etats-Unis et le groupe de Cairns voudraient au contraire que l'accès aux marchés soit
davantage amélioré. Les Etats-Unis ont accueilli favorablement la proposition de supprimer
les subventions aux exportations et les dispositions sur le soutien interne, mais ils
demandent que les réductions sur les mesures des boîtes orange et bleue soient plus
importantes.
Pour le groupe de Cairns, il s’agit d’un premier pas intéressant, mais qui manque d’ambition
en matière d’amélioration de l’accès aux marchés et de réduction des soutiens internes très
élevés dans certains pays.
•
Les pays en développement
Les pays en développement qui avaient proposé la boîte développement ont applaudi la
reconnaissance de "produits stratégiques", mais ils critiquent la baisse des droits de douane
trop importante sur ces produits et les délais trop courts de mise en œuvre. Ils demandent
Solagral – juin 2003
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Les négociations agricoles à l’OMC : Etat des lieux
également que le concept de « produits stratégiques » soit étendu aux deux autres piliers de
l’Accord sur l’agriculture.
Les pays africains tels que l'Ouganda, le Sénégal ou le Kenya ont critiqué l'érosion des
préférences tarifaires qui résulterait de la baisse importante des droits de douane. Ils
regrettent que le texte ne mentionne pas la question de la mise en œuvre de la Décision de
Marrakech. Ils regrettent le manque d’ambition en matière de traitement spécial et
différencié.
Enfin, les PMA ont demandé que le problème des normes sanitaires et phytosanitaires et
des obstacles techniques au commerce qui freinent leurs exportations vers les pays
développés soit traité plus précisément.
La date du 31 mars 2003 ayant été dépassée sans accord entre les Etats membres, la
plupart des observateurs et des pays membres espèrent arriver à un nouvel arrangement
avant la cinquième Conférence Ministérielle qui se tiendra à Cancun du 10 au 14 septembre
2003. Mais l'ampleur des divergences sur le projet de modalité de Stuart Harbinson rend la
poursuite des discussions particulièrement difficile.
3.2.3 Le cas du coton
Le coton est une production non alimentaire, essentielle pour de nombreux pays en
développement, particulièrement ceux de l’Afrique de l’Ouest et du Centre à qui elle procure
la plus grande partie des recettes d’exportation, qui depuis un peu plus d’un an représente
l’exemple même des oppositions agricoles pays en développement pays développés. En
effet, les Etats-Unis, premier producteur et premier exportateur mondiaux (un quart des
exportations mondiales annuelles) soutiennent fortement leur production cotonnière,
entraînant ainsi une baisse des cours mondiaux, qui a des conséquences dramatiques pour
les pays en développement exportateurs. L’Union européenne accorde aussi des aides
importantes à ce secteur, mais sa production étant plus faible, cela pèse moins sur le
marché mondial.
En septembre 2002, le Brésil a porté plainte devant l’organe de règlement des différents de
l’OMC contre les politique américaine de soutien au secteur coton. En mai 2003, quatre pays
Africains francophones (Bénin, Burkina Faso, Mali et Tchad), ont demandé qu’à Cancun soit
prise une initiative sectorielle en faveur du coton, pour lutter contre la pauvreté. Ils exigent en
particulier la mise en place d’un système de réduction du soutien à la production cotonnière
en vue de son élimination totale, et une indemnisation financière pour les PMA pour
compenser leurs pertes de ressources.
3.2.4 La proposition européenne pour l’Afrique
En février 2003, la France a présenté une initiative pour l’Afrique, reprise depuis par l’Union
européenne. Elle comporte trois volets :
•
Un moratoire sur les soutiens aux exportations à destination de l’Afrique jusqu’à la fin des
négociations de l’OMC. Ce moratoire concernerait les subventions à l’exportation, les
crédits à l’exportation et l’utilisation abusive de l’aide alimentaire ;
•
L’instauration d’un traitement commercial préférentiel qui assure un accès privilégié et
pérenne aux marchés des pays développés, en créant un régime commun fondé sur le
régime le plus favorable ;
•
Ouvrir une réflexion sur les mesures de réduction de la volatilité des prix des matières
premières agricoles.
Cette proposition, discutée lors de la réunion du G8 à Evian début juin 2003 sera portée par
l’Union européenne à Cancun. Si elle comporte des imperfections (limitation de la
proposition à l’Afrique, simple moratoire et non élimination sur les aides aux exportations, par
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Les négociations agricoles à l’OMC : Etat des lieux
exemple), elle marque une évolution intéressante dans la position européenne, en direction
des pays en développement.
4. Conclusion : quelles alliances possibles entre les pays de la Francophonie ?
Le cas du coton, devenu emblématique, ainsi que le peu d’avancée des négociations depuis
Doha montre à la fois combien les enjeux de Cancun sont importants pour les pays en
développement, et combien les discussions risquent d’être difficiles. Il appartient donc aux
pays en développement de constituer des alliances dans la préparation de Cancun, afin de
peser sur les négociations.
Les pays membres de la Francophonie se retrouvent dans des groupes différents de
négociations en fonction de leurs caractéristiques géographiques et/ou économiques (voir
page suivante). Ils se doivent donc d’agir au sein de leurs groupes de négociations ou
géographiques pour porter des positions communes, sur plusieurs sujets.
•
Des réponses aux propositions Harbinson : par exemple, sur le sujet du traitement
spécial et différencié, l’érosion tarifaire ou la notion de produits stratégiques ;
•
Renforcer la position européenne, en l’élargissant par exemple à l’ensemble des PMA,
de façon à acter la fin des exportations déstabilisantes, et à poser la question de la
régulation des prix agricoles mondiaux ;
•
Reprendre l’exemple du coton, en l’adaptant aux situations géographiques : les exemples
de déstabilisation engendré par les politiques agricoles des pays développés ne
manquent pas et sont « pédagogiques », permettant ainsi le soutien de la société civile.
Que ces exemples ne soient pas portés par un pays mais un groupe de pays renforce le
demande.
Pour finir, il est essentiel de poursuivre le dialogue et la concertation entre les négociateurs
des pays francophones en développement, en y associant les experts agricoles des pays,
afin de comprendre les positions réciproques et de préparer au mieux la 5ème Conférence
ministérielle de l’OMC.
Solagral – juin 2003
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Les négociations agricoles à l’OMC : Etat des lieux
Les pays de la Francophonie
dans les négociations agricoles multilatérales
Économies en transition
Albanie, Bulgarie,
Roumanie
UEMOA
Bénin, Burkina Faso,
Côte d ’Ivoire, Guinée
Bissau, Mali, Niger,
Sénégal, Togo
Boîte développement
Haïti
N’ont pas déposé
de positions de
négociations
Burundi,
Cameroun,
République
centrafricaine,
Djibouti, Gabon,
Guinée,
Madagascar,
Moldova, Rwanda,
Mauritanie, Tunisie
Autres pays en
développement
RD Congo,
Égypte, Maroc
Groupe de Cairns
Canada
Amis de la Multifonctionnalité
Union européenne (Belgique,
France, Luxembourg), Suisse,
Maurice
25
Observateur à
l’OMC
Cambodge, Cap
Vert, Guinée
Equatoriale,
Laos, Liban,
Sao Tomé et
Principe,
Seychelles,
Vanuatu,
Vietnam
Petits pays en développement
insulaires
Dominique, Sainte Lucie

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