H2VTH Ut]t Quand la danse est ancrée à la vie - aKoma névé

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H2VTH Ut]t Quand la danse est ancrée à la vie - aKoma névé
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Docteur en histoire de l’art contemporain, chargée de
cours à l’Université Lille 3, membre associé du Centre
d’Étude des Arts Contemporains (CEAC) - Lille 3
En mai dernier, la Compagnie aKoma névé a passé quatre semaines en résidence à l’E.P.S.M. (Établissement Public
de Santé Mentale) d’Armentières. Pure coïncidence ? Certainement pas. Baptisée Synapse 1, la prochaine création
– en cours d’élaboration – d’Isida Micani (chorégraphe) et Spike (compositeur et vidéaste) explore les (dys)fonctionnements du cerveau. Mettre en connexion le spectateur avec des tranches de vie, tel est l’objectif de la compagnie.
C
Hana © Spike
ette nouvelle aventure a été déclenchée par un reportage télévisé de Philippe Borrel diffusé sur France 5 :
Un monde sans fous ?12 qui aborde la question de la folie
et analyse les réponses sécuritaires apportées par la
société contemporaine. Dès lors, la chorégraphe Isida Micani,
comme elle a pris l’habitude de le faire pour d’autres projets,
se plonge dans la lecture de textes et de documents qui vont
alimenter la création en cours de gestation. La compagnie,
qui ne dispose pas de son propre espace de travail, est accueillie
régulièrement en résidence. En l’occurrence, la résidence
à l’E.P.S.M. d’Armentières s’inscrit dans le programme
de la Maison des Artistes du Vivat 3 (scène conventionnée
danse et théâtre). Par ailleurs, la compagnie travaille
fréquemment avec la Compagnie de l’Oiseau Mouche à
Roubaix et bénéficie du soutien de Danse à Lille (Centre
de Développement Chorégraphique) 4. Dans un premier
temps, les concepts prennent forme par le biais de l’improvisation qui autorise toutes les potentialités d’exploration.
Puis, les propositions chorégraphiques se dessinent et se
cristallisent pour être finalement confrontées au public.
Des destins singuliers
Loin d’être un choix hasardeux, la recherche en cours sur le
cerveau fait écho aux autres créations de la compagnie : Hana
(2009) 5 et Mira Dora (2007-2008) 6 qui interrogeaient,
sous d’autres angles, la question de l’identité et du rapport
à autrui. Hana énonce la destinée des « vierges jurées », ces
femmes albanaises qui ont pris, pour des raisons personnelles
ou sociales, le statut d’homme. Hana, au-delà de la curiosité
ethnographique – et de l’attachement d’Isida Micani pour
son pays natal – explore plus globalement la question de la
normalisation du masculin et du féminin. Quelles sont les
codifications en usage ? Sont-elles d’ordre inné ou acquis ?
Quels sont les comportements induits par l’éducation ?
Quant au solo Mira Dora, il évoquait la vie de la photographe
Dora Maar (1907-1997), compagne de Picasso de 1936 à 1943
qui, suite à leur rupture, s’est délibérément enfermée pendant
près de 40 ans. À sa mort, son appartement avait l’allure d’un
musée figé, dans lequel elle conservait une collection d’objets,
comme autant de reliques de ses propres souvenirs d’un passé
perdu. Dans la première partie de la pièce, présentée en 2008
dans le cadre des Repérages (rencontres internationales de la
jeune chorégraphie) 7, des bocaux, récipients de verre transparent, fermés hermétiquement, jonchent le sol et dessinent un
labyrinthe, métaphore des méandres de la pensée et des émotions de l’égérie déchue. Dans la seconde partie 8, le décor est
façonné par les jeux de lumière et les projections vidéos. Le
corps, éprouvé par le mysticisme et la folie qui l’habitent, se
heurte à une camisole immatérielle qui se dessine ou se dilate
au fil du temps.
Création 2009. Chorégraphie : Isida Micani. Musique, vidéo : Spike. Lumières :
Pierre-Yves Aplincourt. Interprètes : Sandrine Becquet, Alexandra Besnier, Isida
Micani. Prix du public au concours (Re)connaissance de Meylan en 2009.
5
1
Création 2010-2011. Chorégraphie : Isida Micani. Installation audio et vidéo :
Spike. Danseurs : Isida Micani, Benjamin Bac. Comédien : Philippe Polet.
2
http://www.mediapart.fr/content/un-monde-sans-fous-ou-les-derives-de-la-psychiatrie
3
http://www.levivat.net/
4
Danse à Lille (CDC) est installé au Gymnase à Roubaix. wwww.dansealille.com
Création 2008. Chorégraphie : Isida Micani. Musique : Spike. Vidéo et
scénographie : Isida et Spike. Interprète : Isida Micani.
6
7
Festival organisé par Danse à Lille/Centre de Développement Chorégraphique.
Version intégrale de la chorégraphie présentée au Garage, Théâtre de l’Oiseau
Mouche en décembre 2008.
8
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Environnement sonore et visuel
Synapse © Spike
De fait, les créations de la compagnie sont caractérisées
par leur ancrage humain. Elles évoquent, le temps d’un spectacle, des récits de vie, des destins singuliers qui entrent
en écho avec la propre expérience du spectateur. Les sens
en alerte, il perçoit la parfaite symbiose qui existe entre
l’ambiance sonore et l’évolution des corps en mouvement.
Élaborés dans la même temporalité que la chorégraphie,
la musique, les sons, les bruitages créés par Spike étayent
parfaitement le propos. Dans Mira Dora : les informations
déblatérées en espagnol cèdent la place à un tango lancinant
qui semble s’échapper d’un bocal entr’ouvert. Pendant
un instant, la musique envahit l’espace avant que le son ne
soit étouffé par la brusque fermeture du couvercle accompagnée
du cliquetis de son propre loquet. Pour Hana : la musique
traditionnelle albanaise qui entraîne la ronde des jeunes
filles est contrebalancée par des pulsions sonores pour le
moins inquiétantes. Outre sa complicité créative au sein
de la Compagnie aKoma névé, l’artiste explore par ailleurs
d'autres recherches : des propositions plastiques et sonores,
souvent interactives, qui ont fait l’objet d’une exposition en
septembre 2009 9. Pour Synapse, les déclenchements de sons
préprogrammés seront provoqués par le déplacement des
deux danseurs et du comédien sur scène à l’aide de capteurs
ou lorsque certains faisceaux lumineux seront traversés par
leurs corps. Moins que par prouesse, les nouvelles technologies
sont employées pour qu’opère « la magie » du spectacle vivant.
Dès lors, porté par les rythmes sonores, c’est le corps qui
exprime par les postures, les gestes et le déplacement dans
9
Pile, Studio Bartkowski, Croix, septembre 2009.
l’espace les enjeux défendus par le personnage incarné par
le danseur. Ainsi, Isida/Dora tournoie. Corps maladroit
qui se heurte au sol. Le paquet qu’elle trimbale un moment
sur scène, en référence à l’ultime cadeau du maître espagnol, devient socle pour son corps qui pose, modelé par la
main invisible du peintre. Mannequin docile qui se plie,
se déplie, se replie. Les postures évoquent, par flashs, les
célèbres clichés de la photographe détournée de son art par
un amant cannibale. Corps qui bouge mais qui, sans vie,
finit par être dépecé. Tel un gisant, sa pelure jonche le sol :
Marsyas supplicié pour avoir voulu rivaliser avec le dieu
Apollon. De même, les trois danseuses qui évoluent sur le
plateau d’Hana (lune en albanais) opèrent par leur attitude
physique, leur dégaine, une métamorphose qui démontre
les codes en usage et la psychologie du genre. Ou quand
la féminité s’efface au profit de la virilité.
Dans ces trois spectacles, loin de n’être que de simples
accessoires, nombre d’objets occupent une place singulière.
Ils donnent sens aux gestes des danseurs. Dans Mira Dora,
les bocaux déjà évoqués sont remplis de babioles qui, comme
un inventaire à la Prévert, révèlent des éléments biographiques : une rose rouge, un couteau, un réveil, un crucifix,
une pellicule et un tirage photographique, un poupon en
plastique… De même, les talons aiguilles perchés sur une
voiture téléguidée ou les choux plantés symboliquement sur
le sol dur de la scène focalisent dans Hana l’attention sur cette
abjuration totale non seulement de la féminité, mais surtout
de la maternité dans laquelle se sont engagées les vierges
jurées. Dans Synapse, des cerneaux de noix, dont la forme
alambiquée rappelle étrangement celle du cerveau, seront
trifouillés sur scène, trépanation insolite pour « disséquer
quelques rouages de la mécanique cérébrale » 10 . Générosité
partagée, vibration, émotion, questions. AKoma névé signifie
« encore nous » en albanais.
La Compagnie aKoma névé a été créée en 2003.
Isida Micani (chorégraphe) & Spike (compositeur, vidéaste)
Repérée en 2007 par Danse à Lille (Centre de Développement
Chorégraphique).
Elle est subventionnée par la DRAC et par la Région Nord-Pas de Calais.
http://akoma.neve.free.fr
Synapse sera présenté au Gymnase à Roubaix les 5, 6 et 7 mai 2011.
Co-production Compagnie aKoma névé - Danse à Lille/CDC, avec le
soutien du Vivat - scène conventionnée danse et théâtre et de la Compagnie de l’Oiseau Mouche.
10
Fiche de présentation du projet.