l`évangile insurrectionnel de la résurrection est un appel à la liberté

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l`évangile insurrectionnel de la résurrection est un appel à la liberté
2ème dimanche de Pâques B 2012
Actes 4, 32-35 ; 1 Jean 5, 1-6 ; Jean 20, 19-31
l’évangile insurrectionnel de la résurrection est un appel à la
liberté !
Je sais que cette proposition peut surprendre, tant l’institution
ecclésiale à laquelle a été confiée cette annonce semble avoir été, au
cours des derniers siècles de son histoire, bien plus préoccupée de
tracer des itinéraires obligatoires, de dresser des clôtures, d’élever des
murs, de fermer des portes et des fenêtres, que de nous inviter au
voyage. S’enfermer est un signe de peur. Il n’y a de vérité qu’ouverte !
Dans un tout premier temps, c’est pourtant bien dans un lieu
barricadé que la communauté apostolique s’est réunie, vivant dans la
crainte : ils avaient verrouillé les portes du lieu où ils étaient. Nous ne
lui en ferons pas grief puisque les disciples venaient de voir leur
maître mourir dans un insoutenable supplice. Mais ils n’allaient pas
en rester là.
Jésus vient et se tient au milieu d’eux pour les délivrer de cet
enfermement, leur ouvrir les yeux, l’intelligence et le cœur.
Nos yeux, nos intelligences et nos cœurs !
– La paix soit avec vous !
Au vu des événements qui venaient de se produire, Jésus aurait
pu commencer par clamer son indignation et ses disciples par
dénoncer un crime contre l’humanité, commis par l’humanité. Mais
Jésus leur dit seulement :
– La paix soit avec vous !
En signe de cette paix, il répand sur ces hommes craintivement
rassemblés un souffle – son Souffle – qui va bientôt devenir en eux,
sur leurs lèvres et dans leurs cœurs, « langues de feu ». Cette brûlure
va transformer les disciples en apostolos : littéralement, faire d’eux
des « messagers », des « envoyés ».
Le souffle de la Résurrection ouvre portes et fenêtres, transforme
aussitôt ces êtres fragiles en témoins, les revêt de courage et de
liberté, les met en mouvement. L’élan pascal est tout le contraire d’un
embrigadement doctrinal, de l’isolement dans une secte ou dans un
quelconque système ecclésial. La souffle que le Christ répand, la Vie
qu’il propose, vient de loin – des commencements de la Création –, et
nous entraîne bien au-delà de nous-mêmes : nous ne sommes que
« sur son passage », comme les compagnons qui se rendaient à
Emmaüs se sont trouvés sur le chemin de sa pâque. Et voilà qu’à
notre tour, nous sommes appelés à devenir aujourd’hui des pèlerins
de la Résurrection, des « passeurs », des sourciers de vie, des gens du
voyage : avec aussi peu de bagages que possible.
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On m’apprenait à l’école que les chevaliers du Moyen Âge avaient
de si lourdes armures que, lorsqu’ils tombaient de leur monture, au
cours d’une bataille ou d’un tournoi, ils ne parvenaient plus à se
relever. Jolie parabole que celle de ces pesantes protections qui vous
tiennent au ras du sol ! Serait-ce là « la cuirasse de la foi et de la
charité » dont nous parle saint Paul (1 Th 5, 8) ? Il a des gens qui
traînent toute leur vie avec eux un barda de principes religieux qui
les empêche manifestement de se tenir debout et d’avancer. Quand
Jésus nous invite à accueillir son Souffle, il nous propose tout au
contraire de « voyager léger ». Si lui-même n’a pas eu où reposer sa
tête, ses apôtres se doivent d’être des hommes aux semelles de vent…
Thomas, qui n’était pas présent avec l’équipe des disciples ce
jour-là, va se montrer incrédule et bien lourdement pesant. Il exige
non seulement de voir, mais de toucher : comme si l’expérience de la
foi était affaire de sensations. Eh bien, soit ! Jésus le prendra au mot.
Huit jours plus tard : « Avance ici ton doigt ! ». Le pauvre Thomas,
pris au piège de ses doutes, n’ose plus bouger, se contente de
bégayer : « Mon Seigneur et mon Dieu ! ». Pour rencontrer le Christ
ressuscité, il ne faut pas en appeler au règne absolutiste des poids et
mesures, mais à celui de l’Esprit : « Ce qui est né de la chair est chair,
ce qui est né de l’Esprit est esprit ! » (Jn 3, 6).
Pour que cette naissance advienne, le Christ avait averti ses
apôtres : « Il est bon pour vous que je parte ». Absent à nos yeux de
chair, pour que nous le cherchions en vérité, non pas dans les formes
et les apparences – pour ne rien dire des apparitions ! – mais audedans de nous : « Si je ne pars pas, l’Esprit ne viendra pas à vous,
mais si je pars, je vous l’enverrai » (Jn 16, 7). Car si « l’Esprit est la
vérité » (1 Jn 5, 6), il est aussi notre pédagogue. Jean aime parler du
parakletos : l’« avocat », celui qui plaide notre cause, le « consolateur ».
Ainsi, celui qui témoigne « en vérité » est aussi celui qui ne craint
pas de s’effacer. Dans ses rencontres, le « témoin fidèle » ne met pas
sa « doctrine » en avant : il laisse Dieu lui-même faire œuvre
d’Évangile. Il ne se montre ni contraignant ni envahissant ; il ne tient
guère de propos militant. Ce n’est pas tant « ce qu’il dit » qui touche
les cœurs, mais surtout « la manière » dont il le dit ; c’est ce qu’il vit
qui nous met en éveil. Aussi bien les apôtres n’ont-ils pas éprouvé le
besoin de fonder un parti politique ou une nouvelle religion, ni même
de tenir congrès pour définir leur stratégie de communication. Ils
n’avaient pour eux, en eux, que leur foi – leur confiance – et
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suscitaient par elle la conversion de tous ceux que touchait la clarté
de leur annonce. À travers eux « passait » à son tour ce que Jésus
avait été pour eux : le « Sauveur ». Ils témoignaient ainsi de « la
pâque du Seigneur », du « passage » de Dieu au milieu de nous, les
portes étant pourtant verrouillées et les tombeaux fermés.
Ainsi la meilleure façon d’annoncer l’Évangile n’est pas de
discourir, mais de le mettre soi-même en pratique. Jésus nous en a
donné l’exemple à travers ses nombreuses rencontres : avec les
pêcheurs du lac de Tibériade ou le jeune homme riche, avec la femme
de Samarie ou l’étrangère Cananéenne, avec le disciple bien-aimé ou
le démoniaque de Gérasa... Il ne cherche pas d’abord à « formater »
ses interlocuteurs, mais les appelle à vivre en pleine cohérence avec
ce qu’ils aimeraient au fond d’eux-mêmes que la vie soit pour eux et
pour les autres. Tel est le travail de l’évangélisation – ancienne ou
nouvelle – dont nous ne sommes jamais que les passeurs : « Si nousmêmes, et par notre manière d’être, nous sommes bons, disait Maître
Eckhart, ce que nous ferons rayonnera. »
Voilà en quel sens Jésus invite Thomas à devenir croyant.
« L’homme contemporain, avait remarqué Paul VI, écoute plus
volontiers les témoins que les maîtres… ou s’il écoute les maîtres,
c’est parce qu’ils sont des témoins1 ». Comme vous et moi, Thomas
reçoit l’invitation à devenir témoin de la résurrection.
C’est par la rencontre avec des hommes et des femmes de liberté
que nos contemporains pourront découvrir Dieu comme vivant et,
avec lui, le message libérateur de la résurrection. Le renouveau de
l’Église ne viendra pas de réformes institutionnelles, si
manifestement urgentes qu’elles soient, mais des témoignages de
femmes et d’hommes qui auront vécu leur rencontre avec le Christ
comme une libération.
Un petit examen s’impose donc en ce jour : quelles sont les portes
en moi verrouillées qu’il est urgent d’ouvrir ?
Il y a encore beaucoup d’autres choses qui ne sont pas dans ce
livre… parce que c’est à nous, précisément, d’en dessiner la trace par
nos vies !
1 Exhortation apostolique Evangelii nuntiandi, Rome, 1976, n° 41.

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