Cour de cassation de Belgique Arrêt

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Cour de cassation de Belgique Arrêt
4 MARS 2013
C.11.0675.F/1
Cour de cassation de Belgique
Arrêt
N° C.11.0675.F
M. G.,
demandeur en cassation,
représenté par Maître Paul Alain Foriers, avocat à la Cour de cassation, dont le
cabinet est établi à Bruxelles, avenue Louise, 149, où il est fait élection de
domicile,
contre
S. B. B.,
défenderesse en cassation.
I.
La procédure devant la Cour
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C.11.0675.F/2
Le pourvoi en cassation est dirigé contre l’arrêt rendu le 17 juin 2010
par la cour d’appel de Bruxelles.
Par ordonnance du 18 février 2013, le premier président a renvoyé la
cause devant la troisième chambre.
Le conseiller Martine Regout a fait rapport.
L’avocat général délégué Michel Palumbo a conclu.
II.
Les moyens de cassation
Dans la requête en cassation, jointe au présent arrêt en copie certifiée
conforme, le demandeur présente deux moyens.
III.
La décision de la Cour
Sur le premier moyen :
Quant à la première branche :
L’arrêt « observe que seul [le demandeur] demande, formellement, de
lui attribuer le droit de ‘garde’ de l’enfant, plus précisément le droit d’héberger
principalement l’enfant à Bruxelles ». Il considère que la défenderesse
« demande pour sa part uniquement de déclarer les demandes originaires [du
demandeur] irrecevables ou à tout le moins non fondées » et qu’« à supposer
qu’il ne soit pas fait droit aux demandes [du demandeur] de se voir attribuer la
‘garde’ de l’enfant, ceci implique nécessairement l’attribution de cette ‘garde’
à [la défenderesse] ».
L’arrêt ne considère pas ainsi que la défenderesse a formulé en
conclusions une demande tendant à obtenir la garde ou l’hébergement de
l’enfant.
Le moyen qui, en cette branche, repose sur une interprétation inexacte
de l’arrêt, manque en fait.
Quant à la deuxième branche :
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C.11.0675.F/3
Dans son dispositif, l’arrêt se borne à déclarer les demandes du
demandeur, tendant à obtenir l’hébergement principal de l’enfant en Belgique
et le retour de celui-ci en Belgique, recevables mais non fondées, sans se
prononcer sur l’attribution de l’autorité parentale exclusive, de la garde ou de
l’hébergement principal de l’enfant à la défenderesse.
Il ressort des motifs de l’arrêt reproduits en réponse à la première
branche du moyen, que l’arrêt entend par la ‘garde’ de l’enfant demandée par
le demandeur, le droit d’héberger principalement l’enfant à Bruxelles.
Il ressort des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard et des
constatations de l’arrêt que les seules options d’hébergement de l’enfant
envisagées étaient soit chez le demandeur, soit chez la défenderesse. Par
ailleurs, un seul des deux parents peut exercer matériellement l’hébergement
principal.
Il s’ensuit qu’en l’espèce, si l’enfant n’était pas hébergé principalement
chez le demandeur, il l’était nécessairement chez la défenderesse.
En considérant qu’« à supposer qu’il ne soit pas fait droit aux demandes
[du demandeur] de se voir attribuer la ‘garde’ de l’enfant, [c’est-à-dire son
hébergement principal], ceci implique nécessairement l’attribution de cette
‘garde’ à la [défenderesse] » et que « l’on peut raisonnablement espérer que
l’attribution par [l’arrêt attaqué] de la garde, [c’est-à-dire de l’hébergement
principal], de la petite L. à [la défenderesse] permettra d’apaiser le conflit, et
que [la défenderesse], ou à défaut les juridictions espagnoles désormais
compétentes, auront à cœur de restaurer des liens normaux entre L. et [le
demandeur] et d’attribuer à ce dernier un droit de visite respectueux de sa place
et de son rôle de père », l’arrêt se borne à examiner les conséquences du refus
d’attribution de l’hébergement principal de l’enfant au demandeur sans statuer
sur une prétendue demande de la défenderesse relative à la garde exclusive,
l’exercice exclusif de l’autorité parentale ou l’hébergement principal de
l’enfant chez elle.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Quant à la troisième branche :
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C.11.0675.F/4
La cour d’appel a décidé, sans être critiquée, qu’elle était compétente
pour statuer au fond sur la ‘garde’ de l’enfant, conformément à l’article 11,
points 6 à 8, du règlement Bruxelles IIbis.
L’article 2, 9), de ce règlement définit le droit de garde au sens de cet
instrument comme les droits et obligations portant sur les soins de la personne
d’un enfant, et en particulier le droit de décider de son lieu de résidence.
La cour d’appel a considéré, sans être davantage critiquée, que,
conformément à l’article 35 du Code de droit international privé, tant le fait de
savoir si le demandeur était investi de l’autorité parentale envers l’enfant L.
que l’exercice de cette autorité parentale étaient régis par le droit belge.
Suivant l’article 374, § 1er, du Code civil, lorsque les père et mère ne
vivent pas ensemble, l’exercice de l’autorité parentale reste conjoint. A défaut
d’accord sur l’organisation de l’hébergement de l’enfant, le juge compétent
peut confier l’exercice exclusif de l’autorité parentale à l’un des père et mère.
Dans tous les cas, il détermine les modalités d’hébergement de l’enfant et le
lieu où il est inscrit à titre principal dans les registres de la population.
Il ressort des pièces auxquelles la Cour peut avoir égard que les parties
n’étaient pas d’accord sur les modalités d’hébergement de l’enfant en ce
compris son lieu de résidence, le demandeur demandant l’hébergement
principal de l’enfant à Bruxelles et la défenderesse, hébergeant l’enfant en
Espagne, s’opposant à cette demande. Il appartenait dès lors à la cour d’appel
de les départager.
L’arrêt considère que le retour de la défenderesse en Belgique paraît
exclu et que l’hébergement principal de l’enfant en Belgique alors que sa mère
resterait en Espagne n’est pas conforme à l’intérêt de l’enfant. Il en déduit que
« les demandes tant principale que subsidiaire [du demandeur] de se voir
attribuer l’hébergement principal de L. en Belgique doivent être déclarées non
fondées ».
Ainsi que cela ressort de la réponse à la deuxième branche du moyen,
d’une part, l’arrêt ne statue pas ainsi sur une demande de la défenderesse
relative à la garde exclusive, l’exercice exclusif de l’autorité parentale ou
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l’hébergement principal de l’enfant chez elle et, d’autre part, dans les
circonstances de l’espèce, si l’enfant n’est pas hébergé principalement en
Belgique chez le demandeur, cela implique qu’il le sera en Espagne chez la
défenderesse.
L’arrêt justifie dès lors légalement sa décision « qu’en conséquence [au
rejet de la demande d’hébergement principal du demandeur], il n’y a pas lieu
d’ordonner le retour de L. en Belgique ».
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Sur le second moyen :
Quant à la première branche :
La défenderesse faisait valoir dans ses conclusions additionnelles et de
synthèse d’appel déposées le 19 mars 2010 qu’elle « a toujours gardé toutes ses
attaches, tant sociales que professionnelles, amicales, culturelles et familiales
en Espagne, pays où elle est née, où elle a vécu, où elle a étudié et où elle a
travaillé ; […] que la majorité de ses effets personnels est restée en Espagne où
elle rentrait régulièrement et pour des périodes les plus longues possibles ; […]
qu’au vu de sa situation à Bruxelles (sans emploi, sans famille, sans réel avenir
de couple) et de l’état de santé dégradé de sa maman, [elle] a décidé de
réintégrer son pays d’origine le 17 décembre 2008 ; […] que le seul motif
pouvant la convaincre de revenir en Belgique était l’accord [du demandeur] de
vivre en couple […] ; que [le demandeur] a refusé de prendre cet engagement
[…] ; qu’elle a trouvé un job et travaille actuellement [en Espagne] ; qu’elle
s’est mariée et attend un second enfant ».
L’arrêt, qui considère qu’il est illusoire d’espérer que la défenderesse
revienne s’installer en Belgique avec L. au motif notamment qu’elle s’est
mariée en Espagne avec un tiers dont elle a eu un deuxième enfant, n’élève pas
d’office une contestation qui n’était pas invoquée dans les conclusions de la
défenderesse.
Le moyen, en cette branche, manque en fait.
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C.11.0675.F/6
Quant à la deuxième branche :
L’arrêt énonce que la défenderesse « a déplacé illicitement la petite L.
vers l’Espagne au mois de décembre 2008 ».
Il rejette la demande d’hébergement principal formée par le demandeur
et en conséquence sa demande de retour de l’enfant en Belgique aux motifs
« qu’il est illusoire d’espérer que [la défenderesse] revienne s’installer en
Belgique avec L. » dès lors que la défenderesse « devrait […] abandonner en
Espagne son mari et éventuellement son second enfant », que « le fait que le
retour de [la défenderesse] en Belgique paraît exclu n’empêche pas le retour de
la petite L. en Belgique, où elle pourrait être hébergée principalement par son
père, [le demandeur] ; [que] dans cette hypothèse cependant, il est évident que
compte tenu de la distance géographique entre la Belgique et l’Espagne, [la
défenderesse] ne pourrait, au mieux, héberger l’enfant que durant certains
week-ends et des périodes de vacances prolongées ; [que] cette solution
n’apparaît pas correspondre à l’intérêt de l’enfant » et que « l’on ne peut
sanctionner le comportement répréhensible de [la défenderesse] au détriment
de l’intérêt de l’enfant ».
L’arrêt, qui se fonde sur l’intérêt de l’enfant, justifie légalement sa
décision de refuser au demandeur son hébergement principal en Belgique.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Quant à la troisième branche :
L’arrêt énonce que la compétence de la cour d’appel ayant été établie, il
lui appartient, conformément à l’article 11.7 du règlement de Bruxelles IIbis,
de statuer au fond sur la question de la ‘garde’ de l’enfant, et plus précisément
sur le droit d’hébergement principal de celui-ci, cette décision pouvant avoir
pour conséquence son retour en Belgique.
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L’arrêt décide, sans être critiqué, que « l’exercice de l’autorité parentale
est [régi] par le droit belge, droit de l’État sur le territoire duquel L. avait sa
résidence habituelle avant le déplacement contesté ».
Suivant l’article 374, § 2, alinéa 4, du Code civil, lorsque, comme en
l’espèce, les parents ne vivent pas ensemble, à défaut d’accord, le tribunal
statue sur l’hébergement des enfants en tenant compte des circonstances
concrètes de la cause et de l’intérêt des enfants et des parents.
Ainsi que la Cour européenne des droits de l’homme l’a rappelé dans
son arrêt du 6 juillet 2010 (arrêt de la Grande Chambre, Neulinger et Shuruk
c.Suisse, point 138), il découle de l’article 8 de la Convention de sauvegarde
des droits de l’homme et des libertés fondamentales que le retour de l’enfant ne
saurait être ordonné de façon automatique ou mécanique dès lors que la
Convention de La Haye du 25 octobre 1980 sur les aspects civils de
l’enlèvement international d’enfants s’applique. L’intérêt supérieur de l’enfant,
du point de vue de son développement personnel, dépend en effet de plusieurs
circonstances individuelles, notamment de son âge et de sa maturité, de la
présence ou de l’absence de ses parents, de l’environnement dans lequel il vit
et de son histoire personnelle. C’est pourquoi il doit s’apprécier au cas par cas.
Après avoir énoncé que la défenderesse s’est mariée et a eu un
deuxième enfant en Espagne, qu’il est dès lors illusoire d’espérer qu’elle
revienne s’installer en Belgique et que, si l’enfant était hébergé chez son père
en Belgique, il ne pourrait être hébergé chez sa mère que pendant certains
week-ends et des périodes de vacances prolongées, l’arrêt considère que
l’hébergement principal de l’enfant chez son père « n’apparaît pas
correspondre à l’intérêt de l’enfant, pour les raisons suivantes :
-L. n’est actuellement âgée que de trois ans, soit un âge où la présence
et les soins maternels sont essentiels au besoin de sécurité de l’enfant et à la
constitution de repères stables et équilibrés ;
-depuis sa naissance, L. a été hébergée principalement par sa mère, qui
a donc assumé l’essentiel des soins de l’enfant ; [le demandeur] ne prouve pas
qu’il se soit jamais occupé seul de L. ; il n’a jamais vécu en permanence avec
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elle, puisque même quand les parties vivaient encore toutes deux à Bruxelles, il
ne souhaitait pas cohabiter ‘à plein temps’ avec [la défenderesse] ;
-en Espagne, L. vit actuellement dans une famille composée d’un
couple et de deux enfants, ce qui paraît plus propice à son développement
social que d’être élevée, à Bruxelles, dans une famille monoparentale
composée de son seul père assisté, le cas échéant, de sa propre mère ;
-l’éloignement de L. de l’environnement maternel dans lequel elle vit
maintenant depuis environ un an et demi, pour se retrouver confiée, dans un
autre pays, à un père avec qui elle n’a jamais vécu, sans possibilité de voir sa
mère à d’autres moments que durant les week-ends et les vacances, comporte
un risque sérieux de traumatisme grave de l’enfant ».
Par ces considérations relatives à l’intérêt de l’enfant, qui ne se fondent
pas exclusivement sur des éléments liés à l’écoulement du temps depuis le
déplacement illicite de l’enfant, l’arrêt justifie légalement sa décision de
refuser la demande d’hébergement principal formulée par le demandeur et, par
voie de conséquence, la demande de retour de l’enfant en Belgique.
Le moyen, en cette branche, ne peut être accueilli.
Et il n’y a pas lieu de poser à la Cour de justice de l’Union européenne
la question préjudicielle suggérée par le demandeur, dont la réponse n’est pas
nécessaire à l’examen du moyen, en cette branche.
Par ces motifs,
La Cour
Rejette le pourvoi ;
Condamne le demandeur aux dépens.
Les dépens taxés à la somme de quatre cent soixante-sept euros soixante-neuf
centimes envers la partie demanderesse.
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Ainsi jugé par la Cour de cassation, troisième chambre, à Bruxelles, où
siégeaient
le président de section Albert Fettweis, les conseillers Martine
Regout, Alain Simon, Mireille Delange et Michel Lemal, et prononcé en
audience publique du quatre mars deux mille treize par le président de section
Albert Fettweis, en présence de l’avocat général délégué Michel Palumbo, avec
l’assistance du greffier Lutgarde Body.
L. Body
M. Lemal
M. Delange
A. Simon
M. Regout
A. Fettweis