nov 99 craj fr - STA HealthCare Communications

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nov 99 craj fr - STA HealthCare Communications
Rhumatologie
pédiatrique
Editorial
L’uvéite dans l’arthrite rhumatoïde juvénile
L
’iris, le corps ciliaire et la choroïde sont les structures qui forment le tractus uvéal. Le tractus uvéal
constitue la tunique moyenne de l’oeil, et il est
situé entre la couche externe blanche du globe oculaire
(la sclérotique) et la rétine, qui tapissent l’intérieur de
la chambre postérieure du globe oculaire (Figure 1).
« Uvéite » se dit de l’inflammation d’une ou de toutes
les structures de l’uvée. La panuvéite est une inflammation qui touche toute l’uvée. L’iritis ou iridocyclite est
une inflammation de l’iris et du corps ciliaire. L’iritis est
caractérisée par la destruction de la barrière naturelle
entre les vaisseaux sanguins et le liquide (humeur
aqueuse) contenu dans l’espace entre l’iris et la cornée,
appelée « chambre antérieure de l’oeil ». Cette rupture
de la barrière naturelle permet aux protéines, à la fibrine et aux leucocytes de pénétrer dans l’humeur
aqueuse. Les cellules et les débris présents dans la
chambre antérieure peuvent se déposer sur la surface
interne de la cornée (endothélium cornéen). Ces
Alex V. Levin, M.D., FAAP,
FAAO, FRCSC
Divisions de pédiatrie, de génétique et d’ophtalmologie,
The Hospital for Sick Children,
Toronto, Ontario
Ken K. Nischal, FRCOpht
Division d’ophtalmologie,
Great Ormond Street Hospital
for Children,
Londres, Angleterre
dépôts, appelés « précipités », peuvent être fins ou, au
contraire, formés de gros amas graisseux (gros précipités en tache de bougie). Il faut distinguer l’iritis non
granulomateuse (précipités fins) et l’iritis granulomateuse (gros précipités en tache de bougie). Bien qu’une
uvéite grave, comme une panuvéite, puisse être une
manifestation de l’arthrite rhumatoïde juvénile (ARJ),
l’iritis non granulomateuse est davantage caractéristique
de l’ARJ.
Le plus souvent, l’uvéite non granulomateuse
antérieure chronique chez l’enfant est causée par l’ARJ
(désignée par le terme « arthrite chronique juvénile »
dans la documentation scientifique européenne).
Environ 6 % de tous les cas d’uvéite surviennent pendant l’enfance 1 et, parmi ces cas, 80 % sont associés à
l’arthrite rhumatoïde juvénile. 2 L’incidence de l’iritis
chez les patients atteints d’une ARJ est de l’ordre de
8 % à 24 %, 3 mais certains sous-groupes courent un
risque élevé de présenter cette inflammation. Parmi
tous les cas d’uvéite reliés à l’ARJ, de 78 % à 90 %
surviennent en présence d’une oligoarthrite juvénile
(90 % de ces patients sont séropositifs pour les anticorps antinucléaires et séronégatifs pour le facteur rhumatoïde); dans 7 % à 14 % de cas, on observe une
polyarthrite et, dans 2 % à 6 % des cas, l’ARJ est
généralisée (maladie de Still). 3,4 Les fillettes dont la
maladie se manifeste par une oligoarthrite, une séropositivité pour les anticorps antinucléaires et une
séronégativité pour le facteur rhumatoïde sont les plus
susceptibles d’être atteintes d’une uvéite. L’uvéite est
très rare chez plusieurs enfants atteints d’une polyarthrite et séropositifs pour le facteur rhumatoïde. Dans
la plupart des cas d’uvéite chez l’enfant, cette maladie
se manifeste de quatre à sept ans après le début de
l’ARJ; la période de pointe correspond à deux ans après
l’apparition de l’arthrite. 1 L’atteinte est bilatérale chez
75 % à 80 % des enfants. 4
Les signes et les symptômes les plus fréquents des
autres formes d’iritis sont la douleur, la photophobie et
la rougeur oculaire; cependant, dans l’ARJ, l’uvéite
antérieure reste asymptomatique. Pour détecter
l’uvéite, l’ophtalmologiste doit examiner l’humeur
aqueuse de la chambre antérieure à l’aide d’une lampe
à fente pour rechercher des cellules, des précipités ou
un exsudat protéique. Puisque chez certains enfants
Le journal de la Société canadienne de rhumatologie / 7
Figure 1
Corps ciliaire
tissu (uvéal)
Tissu choroïdien
(uvéal)
Sclérotique
Nerf
optique
Cristallin
Iris
Corps vitré
Rétine
l’exsudat protéique persiste parfois en dépit du traitement, ce dernier vise d’abord à éliminer les cellules. Si
elle n’est pas traitée, même une uvéite bénigne peut
entraîner des lésions oculaires, y compris un œdème
de la rétine (œdème maculaire), un glaucome et une
cataracte. 5 Jusqu’à 10 % des patients atteints d’ARJ
présentent une iritis avant l’apparition de la maladie
rhumatismale. 4
Aucune corrélation n’a été mise en évidence entre
l’activité pathologique articulaire et l’atteinte oculaire.
Pour prévenir les lésions oculaires, les enfants atteints
d’une ARJ doivent être examinés régulièrement par un
ophtalmologiste qui connaît bien cette maladie et qui
ne craint pas d’effectuer un examen ophtalmologique
approfondi chez un enfant qui refuse parfois de
coopérer.
Plusieurs recommandations ont été proposées en
matière de dépistage des enfants atteints d’ARJ
(Tableau 1). La fréquence des examens de dépistage
continue toutefois de soulever une controverse :
certains sont d’avis que la fréquence des examens doit
8 / Le journal de la Société canadienne de rhumatologie
être déterminée sans égard au risque d’uvéite et que le
dépistage devrait être effectué tous les six mois, quel
que soit le sous-groupe de la maladie. 5 Nous sommes
d’accord avec cette recommandation et nous préférons
errer en faisant des examens de suivi plus souvent.
Nous soulignons que le risque est déterminé par le
nombre d’articulations touchées pendant les trois à six
premiers mois de l’ARJ. Un grand nombre d’enfants
d’abord atteints d’une oligoarthrite présentent ensuite
une polyarthrite, et c’est la présentation initiale d’une
oligoarthrite qui confère un risque à vie plus élevé.
Certains auteurs préconisent de diminuer la fréquence
des examens de suivi sept ans après le début de
l’arthrite chez les enfants âgés de plus de sept ans qui
n’ont jamais présenté d’atteinte oculaire. 6
Les corticostéroïdes sont le pilier du traitement et ils
sont administrés par voie topique, par injection
régionale, par voie orale ou par voie parentérale. En
général, le traitement de première intention fait appel
aux corticostéroïdes en collyre ou en pommade. Il est
parfois nécessaire d’administrer ou d’appliquer le
médicament toutes les heures pour maîtriser l’inflammation. Bien que de nombreux enfants tolèrent un
traitement de courte durée suivi de la diminution rapide
de la dose du collyre, soulignons que chez 10 % à
15 % des enfants atteints d’une iritis reliée à une ARJ,
Les corticostéroïdes sont le pilier du
traitement et ils sont administrés par voie
topique, par injection régionale, par voie
orale ou par voie parentérale. En général,
le traitement de première intention fait
appel aux corticostéroïdes en collyre ou
en pommade.
l’arrêt du traitement par les corticostéroïdes topiques
doit se faire progressivement et lentement. L’expérience
nous a enseigné qu’une diminution progressive trop
rapide est la cause la plus fréquente d’une atteinte
chronique récidivante. Chez certains enfants, la
diminution progressive du traitement s’étale sur
plusieurs mois, les doses pouvant être aussi faibles
Tableau 1
LIGNES DIRECTRICES POUR LES EXAMENS OCULAIRES CHEZ LES ENFANTS ATTEINTS D’UNE ARJ
Tous les
Début :
académie américaine des pédiatres
<7 âge en années
>7 âge en année
6
Kanski2
Oligoarthrite d’emblée et séropositivité AAN
3 à 6 mois*
6 mois
3 mois
Oligoarthrite d’emblée et séronégativité AAN
6 mois
6 mois
4 mois
Polyarthrite d’emblée et séropositivité AAN
3 ou 4 mois*
6 mois
6 mois
Polyarthrite d’emblée et séronégativité AAN
6 mois
6 mois
9 mois
Maladie généralisée d’emblée
12 mois
12 mois
12 mois
Fréquence des examens proposée pour des enfants sans antécédents d’iritis.
* Après quatre années sans atteinte oculaire, réduire l’intervalle à tous les 6 mois.
qu’une seule goutte par semaine. Pour cette raison, il
est essentiel que ces enfants soient traités par un
ophtalmologiste qui connaît bien l’ARJ, en raison de
cette caractéristique unique de l’iritis reliée à l’ARJ.
Si le corticostéroïde n’entraîne pas d’effets indésirables, par exemple un glaucome, une injection
périoculaire peut aider à réduire la fréquence des
doses locales. Cette injection, qui nécessite parfois
une anesthésie générale chez le jeune enfant, est
administrée dans l’espace sous-ténonnien. La capsule
de Tenon recouvre la sclérotique de l’oeil, sous la
conjonctive. Dans les cas plus résistants, il est
parfois nécessaire d’administrer des corticostéroïdes
par voie orale ou parentérale. Lorsque les corticostéroïdes sont inefficaces ou mal tolérés, le
méthotrexate (par voie orale ou en injection souscutanée) s’avère un précieux adjuvant. 7-9 Les antiinflammatoires non stéroïdiens, topiques ou oraux,
semblent peu utiles. Il est parfois nécessaire de
recourir à d’autres médicaments immunosuppresseurs. Pendant l’uvéite active, on utilise
généralement un agent mydriatique pour prévenir la
formation de tissu cicatriciel (synéchies postérieures)
entre la pupille et le cristallin. Ces synéchies peuvent
mener à l’adhérence du bas de la pupille au cristallin
causant une irrégulière dilatation de la pupille difficilement visible.
Les principales complications oculaires de l’iritis
reliée à l’ARJ sont les cataractes, le glaucome et
l’œdème de la rétine (œdème maculaire). Malgré tous
les progrès de la thérapeutique dans ce domaine,
jusqu’à 22 % des enfants atteints d’une uvéite reliée à
une oligoarthrite juvénile sont atteints d’une cécité
légale secondaire à une inflammation intraoculaire
d’évolution lente et chronique. 3,10 Le pronostic est très
favorable chez le garçon, chez les patients présentant
une atteinte unilatérale, chez les enfants plus âgés,
chez ceux dont la maladie est d’emblée moins grave,
chez les enfants ne présentant pas de synéchies
postérieures ni de cataracte au début de la maladie. 4,10
Puisque la cataracte et le glaucome peuvent tous deux
être causés par les corticostéroïdes, il est difficile d’en
déterminer la cause. Si la cataracte menace la vue, elle
peut être traitée par voie chirurgicale, même si ce
traitement risque d’aggraver l’iritis. On essaie donc de
retarder le plus possible l’intervention chirurgicale tant
que l’iritis n’est pas bien maîtrisée. Au contraire de ce
que l’on observe chez l’adulte, la mise en place d’un
cristallin artificiel chez les enfants atteints d’ARJ peut
entraîner de graves complications. Le glaucome peut se
manifester chez des enfants qui ont subi une extraction
de la cataracte et chez ceux qui n’ont pas subi ce
traitement chirurgical. Le glaucome est difficile à traiter
et il faut recourir au traitement d’association (agents
Le journal de la Société canadienne de rhumatologie / 9
topiques et à effet général); un traitement chirurgical est
souvent nécessaire. Le glaucome peut être attribuable à
l’obstruction des voies de drainage de l’oeil (trabéculum cornéo-scléral) par des cellules et des protéines
présentes dans l’humeur aqueuse, par une quantité
excessive de synéchies postérieures obstruant l’écoulement de l’humeur aqueuse par la pupille ou par des
synéchies qui entraînent la formation de tissu cicatriciel
iridien sur le trabéculum cornéo-scléral. L’œdème maculaire et l’œdème du nerf optique sont particulièrement difficiles à traiter et ces troubles entraînent
souvent une perte irréversible de la vision.
L’uvéite reliée à l’ARJ est une maladie asymptomatique chronique qui peut entraîner des complications
oculaires gravissimes, pouvant causer la cécité. Le diagnostic précoce et le traitement approprié de cette maladie grâce à des examens de dépistage réguliers
s’avèrent essentiels.
10 / Le journal de la Société canadienne de rhumatologie
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