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Discours de Me Camille Landart Concours de la Conférence du Jeune Barreau décembre 2014 Est- il temps de lever le voile sur les hommes ? Un homme, c’est comme un train, comme une douce locomotive aussi diverse et multiples qu’il y a de wagons, imprégné de modernité, d’histoire, et d’un doute éternel, va t-il, peut-il arriver à temps ? A temps sur sa propre destination, sur sa finalité. Il est bien temps de lever le voile sur cette interrogation. L’homme est il conditionné à s’arrêter de gare en gare comme une errance le temps de reprendre son souffle avant de se lancer dans une folle course, fidèle à une masculinité de puissance et de résultats. Est il conditionné à vouloir conquérir les classes sociales comme on aspire aux cuirs d’une première classe. Laissons les doutes et les interrogations sur le quai. Je vous invite à voyager avec moi, à vous glisser dans les wagons, à la découverte des hommes et de leur mutation comme un serpent, aussi rapide qu’un train. Voiture 7, Classe 1ère. Je composte. Je croise des hommes comme on croise des paysages, des volets de maisons, des zones industrielles, des instants pudiques et intimes avant de découvrir des zones beaucoup plus incertaines. Les costards se fondent avec le velours bordeaux des sièges du train. La mise en scène est bien ficelée, le rideau se lève. Ils fourmillent tels comme des comédiens, ils s’approprient le wagon comme leur scène. Ils savent que tout joue autours d’eux, conscients de leurs pouvoirs, ils monopolisent les actes et manipulent le dénouement à leur guise. Veste en velours côtelée ou lisse, chemise blanche éclatante, des cheveux mi-longs qui semblent incarner un rôle à part entier, chaque mèche a une mission propre celle de ne pas concurrencer les mèches voisines pour garantir l’équilibre de leur volume. Soumise à une telle pression, parfois la masse capillaire s’affole ne savant plus où mettre de la tête. Leur démarche est calculée avec précision, tous pas à son importance. Elancé, distingué et décontracté, voici le secret d’une droiture irréprochable de l’homme classe 1ère rivalisant avec celle des diplomates. Accessoirisé d’un journal aux titres souvent des plus arrogants, je les observe et m’interroge sur leur déclaration fiscale, leurs loisirs , leur divorce, le prochain, la durée de leur thérapie ? Le machisme côtoie l’infidélité et la fidélité, le machisme. certains plongent leur regard sur les vitres comme si la pluie les effacerait le temps d’un voyage. Je reste toujours intriguée par les faussaires de statut social de première classe, le pourquoi de vouloir frôler avec la perdition alors que la liberté n’est qu’à un wagon. Des rappels à l’ordre sont nécessaires par le contrôleur, d’autres persistent à vouloir jouer sur les plateformes de turbulences. Le contrôleur tente de les ramener à la raison, en vain. Ils portent des costumes afin de mieux supporter la lourdeur de leurs travers. A défaut d’argument, les hommes se raccrochent à leur supériorité inscrite jusqu’à nos propres règles grammaticales comme une couverture, l’ultime sécurité. Si vous nous esquivez, Chers Messieurs, vous nous enviez. Ces hommes qui ne sont pas si fidèles à leur image. Mais n’oublions pas, un train peut en cacher un autre. La nuit approche comme un signe de noircir davantage la scène, les hommes s’échapperont au petit matin. Je pars sillonner une nouvelle masculinité. Voiture 6, deuxième classe. J’ approche une nouvelle garçonnière, moins esclavagiste mais tout aussi prenante. Le masculin conjugue avec le féminin, le «il» est en conquête du «elle» sur un terrain pacifique. Le voile se cristallise. Plus de masque, bienvenu dans le wagon de l’initiation ou de l’ultime vérité. L ’homme se détache du sexe attribué, adopte nos matières féminines comme une douce chaleur humaine. je croise même des hommes de première classe ayant osé quitter leur déguisement. A l’image du destin de Tirésias, devin les plus célèbres de la mythologie grecque, l’homme n’est qu’une autre femme. Quand Jupiter prétendit que la femme prenait plus de plaisir que l’homme à l’acte sexuel et que son épouse Junon prétendit le contraire, les dieux demandèrent l’avis de Tirésias qui avait l’expérience des deux sexes. Mais cette expérience des deux sexes ne s’inscrit pas seulement des héritages de la mythologie. Elle est une réalité. Qu’il s’agisse d’un féminin maternel ou d’un féminin érotique, l’homme ne peut échapper au trouble dans le féminin de son processus psychique. on est présente en vous et avant même de vous révéler homme, ne vous y prenez pas, votre repère est avant tout féminin. Qu’il s’agisse d’une mère à la pulsionalité maternelle excessive ou inexistante, d’une mère sans père, ou encore d’un père sans mère, le trouble ne peut que persister dans le féminin maternel de l’homme. Peu importe les hypothèses, peu importe les issues, Mes Chers Messieurs, vous n’échapperez pas à votre féminité, vous avez beau vouloir vous devoiler, le naturel vous rattrape. Certains suffoquent à l’idée de ce constat et préfèrent quitter le train en marche comme on abandonne une famille tandis que d’autres prennent le train en marche comme une reconquête. Je vous observe, je vous analyse et constate avec désarroi mais sans grande surprise votre capacité à occulter la réalité, à nier l’évidence. La nuit devient plus profonde, les hommes aussi. J’esquive la confrontation, quitte le train couchette comme un refus d’être témoin de cette infidélité. Voiture 3, classe non identifiée. Je m’engouffre dans un wagon bondé, la confusion est totale. Les hommes ne savent plus QUI ils sont. Certains prennent la place des autres comme un déguisement. D’autres sont contraints de rester debout comme une humiliation. Certains par mimétisme tentent leur chance dans un autre wagon, comme une conquête de l’ouest américain. Ils tenteront mais reviendrons très vite aux origines. Arrêt en gare inconnue. 5 minutes. Un homme tente l’aventure et fait connaissance avec le numéro 53 de son siège, installation ordonnée, bagages, manteau, billets à la main. Ils s’approchent de la vitre et laisse femme et enfant sur le quai. Un léger geste de la main comme signe de rupture. C’est bien le jeu dangereux de la vie, d’autres partent tandis que d’autres restent. L’homme réajuste sa montre comme on règle un passage à niveaux. L’homme place 56 est l’homme intemporel, l’homme témoin de toutes les expériences. Regard collé à la vitre comme une envie de se confessioner. Il va falloir attendre le contrôleur. Le regard est porté loin, comme une volonté de guêter les virages pour ne pas se perdre. Mes Chers Messieurs, je connais votre itinéraire. Nous avons le même. Un groupe de personnes occupent les plateformes, ce sont les perdants ou les indécis. Iils vivent leur exclusion comme le souvenir d’une cellule d’isolement pour certains, pour les plus matures comme un retraite. Au fond, Un autre pleure. La rupture sur le quai semble avoir été définitive pour lui. Il s’isole, est en retrait, entre deux wagons. Ne connaît plus sa destination. Il s’approche dangereusement de la porte de sortie. on est à deux doigts du déraillement. Je panique. Je reprends mon souffle. Le contrôleur annonce le terminus. Il ne le sait pas mais il a sauvé plus d’un homme. L’espoir d’une correspondance est encore possible. Alors mes Chers Messieurs, mon tendre et doux sexe faible, vous pensez être indicible au point de nous interroger sur est il temps de lever le voile sur vous ? Mais regardez vous, le mystère n’est pas si profond, nous portons la même robe.