baccalauréat proposition de corrigé
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BACCALAURÉAT Série : L Épreuve : Français Session 2016 Durée de l’épreuve : 4 heures Coefficient : 3 PROPOSITION DE CORRIGÉ 1 I. Vous répondrez d’abord à la question suivante (4 points) : Quelles sont les caractéristiques principales des sphinx dans les textes du corpus ? Le corpus comprend quatre textes : du théâtre avec un extrait de la scène 1 de l’Acte I d’Œdipe de Voltaire (1718) et un extrait de l’Acte II de La Machine infernale de Jean Cocteau (1932), et deux poèmes intitulés « Le Sphinx » : un de José Maria de Heredia extrait des Trophées (1893), et un d’Albert Samain extrait de la Symphonie héroïque (1900). Quelles sont les caractéristiques des sphinx dans les textes du corpus ? La première caractéristique est le rappel de son lien au mythe d’Œdipe popularisé par Sophocle : ce rappel apparaît dans deux textes au moins : chez Voltaire : « Œdipe héritier du sceptre de Corinthe » (v 29) – d’ailleurs la pièce porte en titre le nom d’Oedipe ; et dans La Machine infernale de Cocteau où un des trois personnages est Œdipe. Hérédia a préféré évoquer le dialogue mortel des prédécesseurs d’Œdipe, mais la présence du champion du monstre n’en reste pas moins présente implicitement. Une autre caractéristique est la cruauté du sphinx : dans la pièce de Voltaire, les malheurs engendrés par le monstre sont rappelés : « Un monstre furieux vint ravager ces bords » (v8) ; Heredia utilise quant à lui un vocabulaire explicite : « Entre mes bras tes os vont se briser ; Mes ongles dans ta chair… » (v 11 et 12) ; Albert Samain se contente d’une suggestion avec l’usage de « trembler » (v7) mais elle est lourde de sens ; quant au texte de Jean Cocteau, il fait énumérer par la sphinx les supplices auxquels doit s’attendre Œdipe : « Il ouvrirait ses mâchoires de loup ». (l. 15). Le rapport au temps et à la mort est une constante soulignée par ces auteurs : avec le mot « origine » chez Voltaire (v1), mais aussi le rapport à l’antre de pierre qui sous-entend un passé très ancien : « le roc s’ouvre » (v2), écrit Heredia, tandis qu’Albert Samain compose une rêverie morbide sur l’éternité du 2 monstre qu’il qualifie d’ « antique » (v1) en rappelant la notion de « destin » (v3) et de « passé lointain » (v6) pour achever son poème par le mot « éternité » (v14). Enfin, Jean Cocteau lie la légende grecque d’Œdipe à la tradition égyptienne en faisant intervenir Anubis, dieu égyptien de la mort. Pour finir, une caractéristique est constante dans les textes de ce corpus : sa féminité. En grec, le mot est féminin, et la sphinx ou sphynge est représentée avec un corps féminin que l’on retrouve dans le texte de Voltaire : « femme » (v12), ou encore dans celui de Heredia qui l’appelle « La Vierge » (v4). Pour Albert Samain, le Sphinx est « énorme et féminin » (v3), et on peut lire dans le vers « dardant ses seins aigus » (v10) une allusion à la représentation d’Œdipe et du sphinx par Ingres. Quant à Cocteau, il en fait une jeune fille. II. Vous traiterez ensuite, au choix, l'un des sujets suivants (16 points) : 1. Commentaire : Vous ferez le commentaire de l’extrait de la Machine infernale de Cocteau (texte D). Problématique : Comment, par la réinterprétation du mythe de la rencontre d’Œdipe et de la Sphinx, Jean Cocteau nous invite-t-il à une réflexion sur l’homme ? I. Une inspiration antique A) La tragédie grecque Cocteau s’inspire d’un mythe, et de sa version antique par Sophocle. On retrouve en effet les caractéristiques de la tragédie sophocléenne : le sphinx du genre féminin (dans Œdipe Roi elle est appelée « l’horrible Chanteuse »), et c’est un monstre de cruauté. Œdipe est présent face à elle, et s’apprête à se soumettre à la fameuse énigme sur l’homme : « Quel est l’animal qui marche sur quatre pattes le matin, sur deux pattes à midi, sur trois pattes le soir ? » 3 B) La présence de l’Egypte Cocteau assure le fonds mythologique de la reprise du mythe avec la présence du chien Anubis, le dieu égyptien de la mort. Il est ici partie prenante du jugement d’Œdipe, puisqu’il s’exprime : « Pardon, Sphinx. » (l. 21). Le mythe est donc doublement réinvesti, et ouvert à une universalité dès son origine. II. Un texte moderne A) Le sphinx : une jeune fille amoureuse et cruelle Cependant, en décidant de réécrire sa version de la tragédie d’Œdipe, Cocteau fait de la Vierge cruelle une jeune fille amoureuse : témoin la dernière phrase de l’extrait « L’imbécile ! Il n’a rien compris » qui montre son dépit amoureux. Elle s’amuse à le torturer par la pensée pour lui montrer son pouvoir, mais sans avoir l’intention de l’exécuter : « C’est une démonstration, Œdipe, une simple démonstration. » (l.19). Et surtout, elle lui parle alors que dans la mythologie elle se contente d’énoncer son énigme, or sa parole cherche même à l’aider puisque, à l’instar d’Ariane qui guida de son fil Thésée dans le Labyrinthe du Minotaure, elle lui révèle la solution de l’énigme dès le début : « Cet animal est l’homme » (l. 7). B) Du théâtre contemporain La contemporanéité de Cocteau, qui réinvestit le mythe mais joue avec lui, se lit aussi dans le bouleversement de sa chronologie : en effet, l’énigme n’en est plus vraiment une puisque la sphinx livre à Œdipe la réponse qu’il aurait dû donner de lui-même : « L’homme, parbleu ! » répond ensuite Œdipe (l. 31) en jouant drôlatiquement avec l’expression d’une divinité puisque « parbleu » est une expression atténuée du parjure « Par Dieu »… Le théâtre de Cocteau est aussi contemporain par son choix de la prose et d’un vocabulaire courant, loin de la célébration des « fêtes du bouc » offertes à Dionysos dans l’Antiquité. III. Un ré-invention 4 A) Modernité du propos Cocteau réinvente donc le mythe. D’autant plus que Sophocle dont il s’inspire ne fait commencer sa pièce Œdipe Roi qu’à partir du moment où la peste est sur Thèbes : Œdipe est roi et a vaincu la sphinx depuis longtemps, elle n’est d’ailleurs qu’évoquée pour légitimer son pouvoir sur la ville, gagnée par sa metis à résoudre l’énigme. Et Cocteau le réinvente à sa manière, celle d’un jeu d’enfants : c’est en effet un jeu avec le réel que propose ici la sphinx car elle utilise le conditionnel et invite le héros à l’imagination : « Et tu chercherais, tu chercherais… » ((l. 4), « j’appellerais Anubis » (l. 11). Elle lui propose de jouer avec lui. B) Une réflexion sur l’homme … Mais Œdipe ne parle pas le même langage, et elle est dans l’obligation de lui rappeler que « C’était une simple démonstration. » Le mot même pose question : « dé-monstration » : pour se défaire du monstre qu’elle est et lui inspirer en retour l’amour qu’elle éprouve pour lui ? Pour révéler ce qui est caché derrière ce qui se « montre » ? Le cinéaste Pasolini, qui a adapté le mythe dans les années 60, a expliqué qu’il voulait ainsi faire son autobiographie, mais que cela ne lui était possible qu’en passant par le mythe. De quoi veut donc nous parler Cocteau si ce n’est du rapport de tout homme au désir et à l’amour, à l’autre et à soi ? 2. Dissertation : 5 Les écrivains peuvent-ils encore nous surprendre lorsqu’ils s’emparent d’un mythe souvent réécrit ? Vous appuierez votre réflexion sur les textes du corpus et sur les textes et oeuvres d’art que vous avez étudiés en classe ou rencontrés au cours de vos lectures et recherches personnelles. I) Un mythe pourquoi ? A) La fondation de l’humanité Un mythe, c’est comme le souligne Mircea Eliade, la part commune qui lie des individus d’une population donnée. Le mythe apparaît comme une légende de fondation sur laquelle construire une nation unie. Par exemple : la fondation de Rome, qui a pour origine une lutte fratricide entre Rémus et Romulus, légitime en quelque sorte les crimes qui ont suivi pour son maintien. S’emparer d’un mythe, c’est donc réaffirmer une base commune. B) Une culture commune Cette base commune est aussi l’évidence d’une culture commune : en effet, un mythe est assez connu pour éveiller chez les lecteurs ou les spectateurs une connaissance en commun. Par exemple, lorsque Racine écrit la Thébaïde, il met en scène Etéocle et Polynice et leur lutte entre frères pour le pouvoir, ainsi que le lien d’Antigone avec son père. Autant de références connues des spectateurs, qui se trouveraient choqués de les voir changées (c’est l’indispensable règle de vraisemblance). C) La puissance du destin Enfin, un mythe réévalue le pouvoir de l’homme en affirmant la puissance du destin. Ce n’est pas un hasard à ce propos si les tragédies antiques ont été autant réécrites au XVIIIème siècle, siècle de la raison et de la prééminence de l’homme : il était besoin à ce moment-là de réaffirmer la puissance divine et donc fatale. On peut la lire dans la réécriture d’Iphigénie par Racine par exemple, mais aussi plus tard avec la réécriture d’Antigone par Anouilh en plein temps de guerre. 6 II) Comment surprendre A) Une esthétique de la rupture Cependant, le choix du mythe ne suffit pas : encore faut-il surprendre pour faire œuvre de création ou de re-création. Parmi les moyens esthétiques mis en œuvre, la rupture de ton est efficace : ainsi trouvera-t-on du langage courant voire familier dans la Machine infernale de Cocteau (« parbleu », « L’imbécile ! »), qui réinvestit le mythe d’Œdipe et désacralise ainsi en quelque sorte les malheurs portés par celui qui, d’après l’helléniste Jean-Pierre Vernant, n’aurait pas dû naître. B) L’ajout de personnages Dans La Machine infernale, Cocteau ajoute aussi le personnage d’Anubis, qui donne une nouvelle dimension au mythe en l’ouvrant à la civilisation égyptienne et en réaffirmant son rapport à la mort et à la finitude. Dans Antigone, Anouilh ajoute aussi deux gardes, ce qui porte leur nombre à trois en discret hommage aux habitudes ternaires de Sophocle dont il a réécrit la pièce : ces trois gardes lui permettent aussi des échanges plus courants, voire vulgaires, tant par le ton que par les allusions, ce qui marque une rupture de ton dans une tragédie. III) Est-ce que surprendre est l’unique but ? A) Revivifier Pourtant, est-ce que surprendre est l’unique but ? Il s’agit aussi de revivifier un mythe lorsqu’on s’en empare. Ainsi d’Anouilh qui souligne la pertinence du mythe d’Œdipe, et plus particulièrement le personnage d’Antigone et sa lutte contre la loi, alors qu’en temps de guerre cette pièce de Sophocle qu’il connaissait « par cœur » lui semble avoir une autre résonance. Il réécrit alors la pièce de Sophocle, pour accentuer sa vision plus moderne et la rendre éclairante. 7 B) Parler de soi Autre objectif d’une réécriture : parler de soi. C’est ce que fait le cinéaste Pasolini lorsqu’il décide d’adapter le mythe d’Œdipe Roi pour le cinéma. Son projet cinématographique a pour origine sa volonté de raconter un récit autobiographique mais « petit-bourgeois », il n’en voit la possibilité qu’en transfigurant ce récit par le passage par le mythe. S’il reprend la version de Sophocle et son enquête policière, il y adjoint toute une première partie où il raconte l’enfance du héros, la plaçant en Italie et terminant son film par un lien entre Œdipe et Angelo, le messager qui remplace l’Antigone dans la pièce et dont l’acteur est son amant dans la vie. C) Parler de tous Mais parler de soi, c’est aussi parler de tous car l’artiste est un exemplaire de l’humaine condition. Il est ici question de langage universel : les mythes nous parlent de nous, de notre rapport au temps et au monde, à l’autre et à soi. Comme l’écrit Marguerite Yourcenar dans Mythologie grecque et mythologie de la Grèce, la mythologie a été pour l’artiste européen une tentative de langage universel. » 3. Écriture d’invention : Imaginez, sous la forme d’un monologue intérieur, les réflexions et la méditation d’un monument installé depuis longtemps dans un lieu de votre choix : il s’interroge par exemple sur sa raison d’être, le comportement des hommes, son devenir, etc. Impossible de donner ici un corrigé-type. Cependant, quelques attentes restent évidentes : 8 - la description du monument en lui-même : matière, artiste, inscriptions (pourquoi pas en latin ?)… ; - le texte doit faire référence à l’Histoire, et justifier de la présence de ce monument à cet endroit ; - le cadre physique, voire géographique : le monument est érigé dans un cadre physique, qu’il faut décrire, et qui ait un si possible un sens ; la description de l’extérieur doit être organisée (de bas en haut, de gauche à droite… etc.) et hiérarchisée (du moins important au plus important par exemple) ; - le cadre temporel : s’agit-il du matin, du soir ? - le personnage s’exprime à la première personne du singulier, la vision lui est donc personnelle, subjective, et surtout en focalisation interne, c’est-à-dire qu’il ne peut donner à voir que ce qu’il observe lui-même ; - l’expression des émotions doit être nuancée, évolutive, et surtout cohérente. Et la description du paysage doit révéler ces « étas d’âme » avec justesse et cohérence là aussi (joie/magnificence, tristesse/ciel sombre…) ; - le texte doit comporter des parties distinctes qui dépeignent l’évolution de l’émotion aussi bien que la réflexion ; - le passage du temps doit être évoqué (le texte de Samain dans le corpus est une bonne base en cela), et une ouverture sur le futur serait bienvenue, avec pourquoi pas une réflexion personnelle sur le devoir de mémoire. 9 10