UNE VUE D`ENSEMBLE DE L`INSTITUTION DE LA COUR PÉNALE
Transcription
UNE VUE D`ENSEMBLE DE L`INSTITUTION DE LA COUR PÉNALE
UNE VUE D'ENSEMBLE DE L'INSTITUTION DE LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE PERMANENTE Présentée par Daniel C. Préfontaine, c.r., conseiller principal et ancien directeur exécutif d'ICCLR, Vancouver, Canada VUE D'ENSEMBLE DE LA COUR PÉNALE INTERNATIONALE INTRODUCTION Le vingtième siècle a été le témoin de certaines des pires atrocités commises dans l'histoire de l'humanité, comptant pour plus de 86 millions de morts civiles dans plus de 250 conflits au cours des cinquante dernières années seulement. Depuis la Seconde Guerre mondiale, avec les principes établis lors des procès de Nuremberg et de Tokyo, la communauté internationale a décidé d'agir, par l'entremise des Nations Unies, afin de faire répondre devant la justice les auteurs des crimes les plus haineux contre l'humanité. Après quelque 50 années de discussions et de débats prolongés, l'institution d'une cour internationale permanente est devenue une réalité en juillet 1998 avec l'adoption du Statut de Rome. Le Statut entrera en vigueur après avoir été ratifié par 60 États. À ce jour, 139 pays l'ont signé et 47 l'ont ratifié. On prévoit que la soixantième ratification devrait avoir lieu vers le milieu de l'année 2002. L'Assemblée des États parties sera alors convoquée dans un délai de 60 à 90 jours pour entreprendre le processus d'établissement de la structure de la Cour, pour élire les juges et le Procureur, etc. On estime que la Cour devrait être constituée et prête à entendre des affaires dans le courant de l'année 2003. L'INSTITUTION DE LA COUR Aux termes du chapitre II du Statut, la Cour est instituée et se voit conférer la personnalité juridique internationale, et son siège est établi à La Haye, aux Pays-Bas. Le chapitre II précise que la Cour aura compétence à l'égard du crime de génocide, des crimes contre l'humanité et des crimes de guerre. Une des dispositions importantes du Statut a pour effet de limiter clairement la compétence de la Cour en stipulant que cette compétence est complémentaire des juridictions nationales, la Cour n'ayant compétence pour connaître d'une affaire que lorsqu'un État n'a pas la volonté ou est dans l'incapacité de mener véritablement à bien l'enquête ou les poursuites. En outre, la Cour peut seulement connaître des crimes qui surviennent après sa création. LES CRIMES Le chapitre II du Statut de Rome donne compétence à la Cour à l'égard des crimes les plus graves qui touchent l'ensemble de la communauté internationale, à savoir le crime de génocide, les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre. Les définitions de ces crimes sont très détaillées et elles se fondent sur le droit international coutumier existant. Les crimes contre l'humanité consistent en certains actes – tels que le meurtre, la torture ou des actes inhumains – commis dans le cadre d'une attaque généralisée ou systématique lancée contre une population civile. La caractéristique déterminante de ces crimes est qu'ils doivent être « généralisés ou systématiques ». Pour ce qui est du sens exact de ces termes, il n'existe aucune source unique qui en donne une définition précise en droit coutumier. En outre, le Statut de la CPI et l'Annexe sur les éléments des crimes ne définissent pas ces termes. Toutefois, il est admis que les tribunaux ad hoc pour l'ex-Yougoslavie et le Rwanda (TPIY et TPIR) ont étudié et interprété l'essence de ces notions en les appliquant à des situations factuelles réelles. Pour ce qui est de la définition des crimes de guerre, il s'agit des crimes qui sont commis dans le cadre de conflits armés tant externes qu'internes. Cette précision mérite d'être soulignée étant donné que les conflits armés internes sont devenus les conflits les plus répandus et les plus difficiles de notre époque. Les crimes de guerre sont définis comme des violations graves du droit international humanitaire, ce qui englobe la responsabilité pénale individuelle, y compris en rapport avec la conduite d'hostilités, et les crimes contre des personnes protégées. Le crime de génocide est prévu dans le Statut, faisant écho à la définition énoncée à la Convention sur le génocide. Le Statut prévoit aussi le crime d'agression, mais il stipule que la Cour pourra seulement exercer sa compétence à l'égard de ce crime lorsque les États l'auront défini et auront fixé les conditions de l'exercice de la compétence de la Cour à son égard lors d'une conférence de révision qui doit avoir lieu sept ans après la création de la Cour. Le chapitre II comporte aussi des dispositions spécifiques relatives aux éléments de crimes, aux conditions préalables à l'exercice de la compétence, au moment où la Cour peut exercer sa compétence et aux décisions préliminaires sur la recevabilité des affaires devant la Cour. 2 COMPÉTENCE ET PROCÉDURES Le droit international reconnaît le droit des États de soumettre à leur juridiction criminelle les responsables de ces crimes internationaux. Les principes régissant l'exercice de la compétence des tribunaux nationaux reconnaissent cette compétence à l'État où le crime est survenu et à l'État de la nationalité du suspect ou de la nationalité de la victime. De plus, une compétence universelle peut être reconnue à l'égard de certains crimes internationaux graves. Un nombre grandissant d'États – y compris le Canada depuis l'adoption, l'an dernier, de la Loi sur les crimes contre l'humanité et les crimes de guerre – ont adopté des lois permettant l'exercice d'une compétence universelle à l'égard de crimes internationaux tels que le génocide, les crimes contre l'humanité, les crimes de guerre et la torture. D'importants développements récents, notamment l'affaire Pinochet, indiquent que la compétence universelle est en train de devenir un outil réel pour combattre l'impunité et pour s'attaquer à ces crimes graves. En ce qui concerne la CPI et sa compétence, tout État partie peut engager des poursuites contre une personne accusée d'un des crimes relevant de la compétence de la Cour, par le Conseil de sécurité ou par le Procureur de la Cour. Les rédacteurs du Statut ont estimé qu'il était essentiel de conférer au Procureur le pouvoir d'engager des poursuites de sa propre initiative, étant donné que les États parties et le Conseil de sécurité pourraient éventuellement se montrer réticents à le faire en raison de considérations politiques. Le Procureur est soumis à un régime de contrôle élaboré avec soin afin d'éviter les poursuites frivoles ou éventuellement fondées sur des motifs non pertinents. À ce titre, par exemple, le Procureur doit obtenir une approbation judiciaire préalable auprès de la Chambre préliminaire de la Cour et suivre une procédure de consultation avec les États concernés pour donner à ceux-ci l'occasion de contester, s'ils le souhaitent, la compétence de la Cour. Par ailleurs, le pouvoir du Conseil de sécurité de renvoyer des affaires à la Cour et au Procureur est considéré comme un élément essentiel puisque le Conseil de sécurité peut exercer ses pouvoirs coercitifs en vertu du chapitre VII de la Charte des Nations Unies pour s'assurer que tous les États membres des Nations Unies se conforment à la demande formulée par la Cour. Le Statut dispose que la Cour doit obtenir une certaine forme de consentement étatique avant de pouvoir exercer sa compétence. En cas de renvoi par le Conseil de sécurité, l'acceptation découle de l'obligation des États membres d'exécuter les décisions prises par le Conseil de sécurité conformément à la Charte et au 3 chapitre VII en vue de prendre des mesures favorisant la paix et la sécurité internationales. Cependant, en l'absence d'un renvoi par le Conseil de sécurité, il est essentiel pour la Cour d'obtenir le consentement soit de l'État de la nationalité de la personne accusée, soit de l'État sur le territoire duquel le crime a été commis. Ainsi, les États parties acceptent automatiquement la compétence de la Cour sans qu'il soit nécessaire d'obtenir un consentement au cas par cas. Le Statut comporte cependant une disposition transitoire permettant aux nouveaux États parties de refuser leur consentement automatique à l'égard des crimes de guerre pour une période de sept ans. Enfin, les États qui ne sont pas parties au Statut peuvent également donner leur consentement sur une base ponctuelle. COMPLÉMENTARITÉ Aux articles 1 et 17 du Statut de Rome, les États parties reconnaissent qu'il incombe principalement aux États, et non à la Cour, de faire répondre de leurs crimes les responsables de génocides, de crimes contre l'humanité et de crimes de guerre. Le Statut énonce que la Cour peut seulement exercer sa compétence lorsque les États n'ont pas la volonté ou sont dans l'incapacité de mener eux-mêmes à bien les enquêtes et les poursuites. La Cour peut également se déclarer compétente lorsque des procédures engagées par un État ne sont pas considérées comme authentiques ou apparaissent comme un subterfuge pour protéger des ressortissants de cet État contre des sanctions pénales. Ainsi, pour que la Cour soit un complément efficace aux États dans le système international de justice à l'égard de ces crimes, les États doivent remplir leurs obligations. Les États doivent adopter des lois nationales qui prévoient que ces crimes en vertu du droit international constituent aussi des crimes en vertu du droit national peu importe où ils sont commis, qui les a commis ou qui en sont les victimes. PRINCIPES DE DROIT PÉNAL PRÉVUS DANS LE STATUT Le chapitre III du Statut énumère les principes généraux du droit pénal applicables devant la Cour, dont les principes suivants : . Le Statut s'applique seulement aux crimes commis après son entrée en vigueur. 4 . La Cour peut seulement juger des personnes qui avaient atteint l'âge de 18 ans au moment de la perpétration de l'infraction. Ce principe est conforme aux autres Conventions des Nations Unies, notamment à la Convention sur les droits de l'enfant. . Le titre ou la qualité officielle de la personne accusée est non pertinent. Cela signifie qu'une personne qui a commis un crime ne pourra pas échapper à sa responsabilité en raison de son poste au sein du gouvernement ou de l'armée. . Les crimes qui relèvent de la compétence de la Cour sont imprescriptibles. . Les personnes accusées de crimes sont tenues individuellement responsables de leurs crimes. . Un commandant ou un supérieur en situation d'autorité peut être tenu responsable des crimes commis par ses subalternes. COMPOSITION DE LA COUR Le chapitre IV du Statut établit la structure de la Cour et de ses trois organes constitutifs : le Bureau du Procureur, le Greffe et la magistrature (composée de la Section des appels, de la Section de première instance et de la Chambre préliminaire). L'Assemblée des États parties est responsable de l'élection des 18 juges de la Cour, du Procureur et du Greffier. La destitution des fonctionnaires de la Cour relève également de l'Assemblée des États parties, et elle peut être prononcée en cas de faute lourde ou de manquement grave aux devoirs imposés par le Statut. PROCÉDURE AVANT LE PROCÈS Le chapitre V du Statut édicte les règles de procédure applicables aux enquêtes et aux poursuites (y compris les règles relatives à l'engagement de poursuites et les fonctions du Procureur et de la Chambre préliminaire), aux arrestations et à la procédure initiale devant la Cour. Ce chapitre précise également que seules les affaires sérieuses seront portées devant la Cour, et il prévoit une procédure d'approbation préalable des accusations par la Chambre préliminaire. 5 LE PROCÈS Le chapitre VI régit le procès, y compris les fonctions de la Section de première instance. L'article 67 énonce le droit de l'accusé à un procès équitable et public instruit conformément aux normes découlant du Pacte international sur les droits civils et politiques et des autres instruments internationaux généralement reconnus. Cela comprend notamment le droit à la présomption d'innocence, le droit d'être présent lors du procès, le droit à la communication de la preuve par le poursuivant, le droit de n'être condamné que si la culpabilité est établie au-delà de tout doute raisonnable et le droit aux services d'un avocat. APPELS Le chapitre VIII traite des appels. Le Procureur et la personne déclarée coupable ont un droit d'appel à l'encontre de la décision de la Section de première instance en cas de vice de procédure, d'erreur de fait ou d'erreur de droit. Au surplus, la personne déclarée coupable peut interjeter appel pour tout autre motif de nature à compromettre l'équité ou la régularité de la procédure ou de la décision. Les appels sont entendus par la Section des appels. DÉTERMINATION DE LA PEINE, PEINES APPLICABLES ET EXÉCUTION DES PEINES Le chapitre VII concerne les peines et la détermination de la peine, les peines applicables et la constitution d'un fonds au profit des victimes. En conformité avec les principes de la Charte des Nations Unies, la peine maximale que la Cour peut imposer est une peine d'emprisonnement à perpétuité, si l'extrême gravité du crime et la situation personnelle du condamné le justifient. Dans les autres cas, la peine maximale est une peine d'emprisonnement de 30 ans. La Cour doit examiner toutes les peines d'emprisonnement après que la personne a purgé les 2/3 de sa peine, ou après 25 ans en cas de peine d'emprisonnement à perpétuité, pour déterminer s'il y a lieu de réduire la peine. Si la Cour décide de ne pas réduire la peine après le premier examen, le Statut exige que la Cour continue d'examiner périodiquement la peine conformément au 6 Règlement de procédure et de preuve. La Cour peut également imposer des amendes et rendre des ordonnances de confiscation et de réparation. Elle peut aussi ordonner que les amendes perçues et les biens confisqués soient remis à un fonds au profit des victimes constitué conformément au Statut. Un des aspects originaux du Statut se retrouve au chapitre X, qui prévoit l'engagement volontaire des États parties à admettre les personnes condamnées aux fins de l'exécution des peines imposées par la Cour. La Cour disposera d'un établissement de détention très modeste à La Haye (celui qui est utilisé actuellement par le TPIY), et elle devra donc se fier presque entièrement aux États pour exécuter ses peines d'emprisonnement dans des établissements de détention nationaux. Les États parties qui acceptent des personnes condamnées concluront des ententes avec la Cour, assorties de conditions appropriées. Après l'acceptation par l'État, la peine d'emprisonnement est obligatoire, à quelques exceptions près. La Cour a la primauté, et c'est à elle qu'il revient de prendre toute décision importante concernant l'exécution de la peine. Toutefois, les conditions de l'incarcération sont régies par le droit national de l'État où est purgée la peine, en accord avec les normes reconnues sur le plan international en matière de traitement des prisonniers, ce qui comprend notamment le droit à des communications sans entraves entre la Cour et le prisonnier. COOPÉRATION ÉTATIQUE Le chapitre IX régit la coopération internationale et l'entraide judiciaire, en particulier l'obligation des États de coopérer pleinement avec la Cour. Il énonce les détails relatifs aux mesures de coopération exigées, notamment en matière d'arrestation et de remise de personnes à la Cour. En pratique, ces dispositions obligent les États à s'assurer que leurs procédures nationales sont compatibles avec le Statut et ne sont pas plus contraignantes que leurs exigences habituelles en matière d'extradition. Ainsi, lorsque la Cour décide qu'elle peut exercer sa compétence en conformité avec le principe de la complémentarité, les États parties conviennent, en vertu de l'article 86, de coopérer pleinement avec la Cour dans les enquêtes et poursuites qu'elle mène pour les crimes relevant de sa compétence. Cela implique notamment de veiller à ce que le Procureur et la défense puissent mener des enquêtes efficaces sur le territoire des États parties, à ce que les tribunaux nationaux et autres autorités de ces États coopèrent pleinement aux fins de l'obtention de 7 documents, de la localisation et de la saisie des biens de l'accusé, de la conduite de fouilles, de perquisitions et de saisie d'éléments de preuve, de la localisation et de la protection de témoins et de l'arrestation et de la remise de personnes accusées. Des établissements de détention doivent également être mis à la disposition de la Cour selon les besoins. SUPERVISION DE L'ADMINISTRATION ET FINANCEMENT DE LA COUR Le chapitre XI porte sur l'Assemblée des États parties, qui supervisera l'administration de la Cour. Cela comprend le pouvoir d'examiner et de fixer le budget de la Cour ainsi que de mettre en place des mécanismes de contrôle afin que la Cour soit administrée de la manière la plus efficace et la plus économique possible. Le chapitre XII régit le financement de la Cour, qui est assuré au moyen des cotisations des États parties (établies selon un barème des quotes-parts convenu), des ressources financières fournies par les Nations Unies, le cas échéant, et de toute cotisation volontaire faite, le cas échéant, pour aider à défrayer les dépenses de fonctionnement de la Cour. CLAUSES FINALES Le Statut n'admet aucune réserve. Il peut être amendé lors d'une conférence de révision, qui doit être tenue sept ans après l'entrée en vigueur du Statut. Tout amendement doit d'abord être adopté par les 2/3 des États parties présents à la conférence de révision, puis par les 7/8 de tous les États parties. Les amendements qui touchent les définitions des crimes entrent en vigueur seulement à l'égard des États qui les ont ratifiés. Le Statut entre en vigueur après avoir été ratifié par 60 États. CONCLUSION L'adoption du Statut de Rome constitue une réalisation remarquable dans l'histoire du droit international. Il établit un équilibre adéquat entre le respect 8 de la souveraineté nationale et la quête de justice internationale. Cela a été réalisé grâce à l'adoption du principe de la complémentarité conférant la compétence première au États, à l'imposition de limites spécifiques au pouvoir du Procureur d'engager des poursuites et à un Règlement de procédure et de preuve élaboré avec soin pour régir les procédures devant la Cour. Le Statut de Rome constitue sans aucun doute l'apogée d'une longue épopée pour mettre un terme à l'impunité relativement aux crimes haineux commis contre l'humanité. Il s'agit aussi du fondement de la lutte actuelle et tenace pour la concrétisation des principes de la Déclaration universelle des droits de l'homme de manière à faire triompher le respect universel des droits de l'homme et des libertés fondamentales. 9