280911 Police predictive

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280911 Police predictive
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Note de veille, 29 septembre 2011
La criminalité est-elle prévisible ?
Peut-on prévoir le lieu et la nature des crimes avant qu'ils ne se produisent? Ce rêve, imaginé
par Philip K. Dick dans Minority Report, pourrait peut-être devenir réalité. Plusieurs villes
américaines expérimentent en effet la « police préventive », grâce à des logiciels alertant les
agents des risques d’actes criminels dans un futur proche.
Le concept de la police préventive repose sur l’idée que si certains crimes et délits sont
imprévisibles (notamment les atteintes aux personnes telles que les meurtres et les viols),
d’autres peuvent au contraire être anticipés. Ainsi, et contrairement à ce que l’on pourrait
penser, un criminel qui a réussi à commettre un délit sans se faire arrêter sera tenté de
récidiver dans les mêmes conditions (même endroit, même heure, même cible, etc.) dans les
jours qui suivent. Cette logique concernerait notamment les atteintes aux biens comme les
cambriolages ou les vols de voitures.
En se basant sur ce principe, un mathématicien américain a mis au point en 2010 un
programme informatique capable prédire ces crimes répétitifs. Pour cela, il compile huit
années de statistiques sur les attaques envers les biens commis dans la ville de Santa Cruz, en
Californie, analysées et actualisées quotidiennement. Ces données permettent au programme
d'indiquer tous les jours 10 lieux dans lesquels un crime risque de se produire à deux horaires
précis. Des patrouilles de police y sont alors envoyées à titre préventif.
Depuis le début de l'expérience, en 2011, la police de Santa Cruz a ainsi arrêté cinq personnes,
non pas parce qu’elles avaient commis un crime, mais parce qu’elles se trouvaient « au
mauvais endroit au mauvais moment », et qu’elles possédaient déjà un casier judiciaire. Selon
les autorités de la ville, depuis que ce logiciel est utilisé, le nombre de cambriolages a diminué
de 27 %1.
En 2010, IBM et l’université de Memphis ont mis au point Blue CRUSH (Criminal Reduction
Utilising Statistical History), un logiciel censé lui aussi prédire certains crimes avant qu’ils
n’aient eu lieu dans la ville de Memphis 2. Pour cela, il recense plusieurs années de
1
Donc uniquement les crimes « répétitifs » au sein de la ville. Voir SHURKIN Joel. « Santa Cruz
Cops
Experiment
With
Predictive
Policing ».
TPM,
13
septembre
2011,
http://idealab.talkingpointsmemo.com/2011/09/santa-cruz-cops-experiment-with-predictivepolicing.php
2
« Memphis Police Department Reduces Crime Rates with IBM Predictive Analytics Software ».
Communiqué
de
presse
IBM,
21
juillet
2010,
http://www© Futuribles, Système Vigie, 29 septembre 2011
1
statistiques sur le « calendrier » et la géographie des crimes. Utilisé depuis 2008, il aurait
permis de diminuer la petite criminalité de 31 % (cambriolages, vols de voiture,
agressions…). En janvier 2010, des opérations policières ciblées grâce aux programme ont
par exemple permis d’arrêter 50 trafiquants de drogue, et de réduire la criminalité de 37 %
dans le quartier en un an. Le principal intérêt du logiciel est d’anticiper les mouvements des
bandes organisées plus rapidement que ne peuvent le faire les policiers.
Des logiciels peuvent-ils effectivement prédire certains crimes mineurs ? Des chercheurs
américains ont comparé ces crimes répétitifs à des tremblements de terre : la première
« secousse » est presque toujours suivie de répliques dont la probabilité d’occurrence peut être
évaluée 3. En conséquence, il serait plus efficace de concentrer la surveillance policière dans
les lieux où des crimes ont été enregistrés au cours des derniers jours que dans ceux où des
crimes ont eu lieu dans un passé plus ancien.
L’effet dissuasif des patrouilles envoyées dans les quartiers signalés peut évidemment être
important. Mais aucune donnée n’est pour l’instant disponible sur les répercussions sur le taux
de criminalité des quartiers voisins non surveillés.
De plus, même avec des logiciels très sophistiqués, il est beaucoup plus difficile de prédire les
crimes portant atteinte aux personnes (vols à l’arrachée, meurtres, viols…), ou des atteintes
aux biens qui relèveraient plus du « hasard ».
Par ailleurs, l’utilisation de ces programmes pourrait entraîner des pratiques discutables de
criminalisation de l’intention. Depuis 2010, les villes de Baltimore et de Philadelphie
expérimentent un logiciel censé prédire quels condamnés risquent de commettre un nouveau
crime 4. Pour cela, une base de données a été constituée à partir de 60 000 cas de criminels.
Un algorithme a permis d’identifier des caractéristiques des individus qui risquaient le plus de
récidiver après une libération conditionnelle ou sur parole. Le type de crime commis et l’âge
du condamné sont ainsi apparus comme deux des variables les plus déterminantes, y compris
pour des crimes très imprévisibles comme le meurtre.
Si les tests s’avèrent concluants, les inventeurs du programme espèrent pouvoir en faire un
élément d’aide pour déterminer la nature des peines infligées aux condamnés. Avec le risque
donc, de transformer des cas individuels en probabilités statistiques, et des probabilités en
peines…
Le ministère américain de l’Intérieur teste aussi un système de prédiction des attaques
terroristes dans les avions baptisé Future Attribute Screening Technology (FAST). À partir de
l’analyse d’un certain nombre d’indicateurs chez les passagers (pouls, démarche…), il
détermine un risque que chacun d’entre eux se transforme en terroriste pendant le vol. Selon
le ministère, cette méthode serait efficace dans 70 % des cas en laboratoire 5. Contrairement
aux programmes déjà présentés, il s’agit ici d’identifier des suspects potentiels à l’intérieur
d’une population donnée, en fonction de leur comportement observé (une démarche proche du
détecteur de mensonge américain).
À plus long terme, l’utilisation des programmes de prévision du crime pourrait induire un
double effet pervers. D’un côté, les criminels pourraient progressivement comprendre leur
03.ibm.com/press/us/en/pressrelease/32169.wss ; présentation du logiciel Crush sur le site Internet de
la police de Memphis : http://www.memphispolice.org/BLUE%20Crush.htm
3
« Gang
Rivalry
Dynamics
via
Coupled
Point
Process
Networks »,
paleo.sscnet.ucla.edu/gangnetwork6.pdf
4
BLAND Eric. « Software Predicts Criminal Behavior ». ABC News, 22 août 2010,
http://abcnews.go.com/Technology/software-predicts-criminal-behavior/story?id=11448231
5
WEINBERGER Sharon. « Terrorist pre-crime detector field tested in United States ». Nature, 27 mai
2011, http://www.nature.com/news/2011/110527/full/news.2011.323.html
© Futuribles, Système Vigie, 29 septembre 2011
2
fonctionnement et s’y adapter jusqu’à devenir imprévisibles. Par ailleurs, des policiers qui
feraient entièrement confiance au logiciel informatique risquent de négliger d’autres
informations plus qualitatives.
De ce point de vue, la démarche de la ville de Chicago est intéressante : elle a créé une unité
de prévision des crimes (crime-forecasting unit), constituée d’experts de la criminalité
organisée et de policiers 6. Ils analysent les statistiques récentes des crimes à Chicago, afin
d’identifier, deux fois par jour, des quartiers précis de la ville susceptibles de connaître des
crimes. L’équipe a ainsi pu anticiper un échange de tirs dans un quartier précis quelques
minutes avant qu’il ne se produise. L’objectif est aujourd’hui de pouvoir prédire ce genre
d’événements au moins une heure à l’avance. L’unité refuse d’expliquer précisément
comment elle procède, afin de conserver une marge d’avance sur les criminels. Un choix
compréhensible, même si, à terme, les habitants concernés par les risques identifiés exigeront
peut-être d’en être informés.
Cécile Désaunay
6
www.law.uchicago.edu/files/files/402.pdf ; MAIN Frank. « Police sensing crime before it happens ».
Chicago Sun Times, 4 août 2011, http://www.suntimes.com/3295264-417/intelligence-crime-policeweis-department.html
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