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Santé publique
Question de coûts
Gilles Chaine
(Service d’ophtalmologie, CHU Avicenne, Bobigny)
L
es dépenses de santé sont de façon pérenne un sujet de
préoccupation pour les décideurs de tout type : gouver­
nement, gestionnaires de la Sécurité sociale, élus, syndi­
calistes, responsables hospitaliers, mais curieusement, en
France, seules sont connues les analyses macroéconomiques
(part de l’hôpital public, du secteur libéral, dépenses de médi­
caments, etc.).
Les publications concernant le coût d’une pathologie spéci­
fique, de sa prévention ou de sa prise en charge soit n’existent
pas, soit ne sont pas diffusées auprès de la communauté médi­
cale. Par ailleurs, les études épidémiologiques spécifiquement
françaises sont rares.
En termes de santé publique, jusqu’à présent, l’ophtalmologie
ne représentait pas un enjeu économique considérable par
rapport aux pathologies cardiovasculaires, au diabète et au
cancer. Plusieurs facteurs devraient modifier cette vision des
choses :
• le vieillissement de la population française est évidem­
ment un élément d’explication majeur de l’accroissement
des recours aux soins ophtalmologiques pour les pathologies
dégénératives (cataracte, DMLA, glaucome) potentiellement
cécitantes, d’autant que le handicap n’est plus accepté comme
une évolution naturelle et inéluctable ;
• le coût de la prise en charge des pathologies oculaires
a considérablement augmenté, en ce qui concerne tant les
dépenses de pharmacie que les dépenses en consultations et
en actes, ou en matériel implantable. Les coûts entraînés par
les pathologies chroniques comme le glaucome et la DMLA en
sont de bonnes illustrations ;
• enfin, la démographie des professionnels de santé en ophtal­
mologie au cours des prochaines années est un problème que
les incitations à l’installation dans les zones dites “défavori­
sées” n’ont pas résolu…
Plusieurs articles publiés aux États­Unis dans les meilleures
revues avec comité de lecture (Ophthalmology, Retina) présen­
tent une analyse microéconomique d’une pathologie ophtal­
mologique fréquente. Les données sont exprimées en dollars
américains, telles qu’elles sont rapportées dans la littérature
internationale. À plus d’un titre, les coûts par pathologie en
France et aux États­Unis ne sont pas comparables.
✔ Le glaucome chronique à angle ouvert (GAO) [1]
Quatre pour cent de la population âgée de plus de 65 ans en est
atteinte, et 3 à 5 % des sujets atteints sont aveugles. Aux États­
Unis, le coût direct du glaucome aurait été de 2,8 milliards de
dollars en 2006. Par patient, le coût moyen annuel lié au GAO
s’élèverait à 1 570 dollars, répartis comme suit : 393 dollars
pour les produits pharmaceutiques et 1 177 dollars pour les
autres dépenses.
✔ La cataracte
En France, 450 000 cataractes sont opérées chaque année.
Le coût moyen de la chirurgie de la cataracte a été calculé en
France en ambulatoire et en hospitalisation classique (2) : en
2002, il était, respectivement, de 1 186 dollars et 1 695 dollars.
Le coût de cette chirurgie est considérablement moins élevé
en Europe et au Canada qu’aux États­Unis (où il était compris
entre 2 300 et 3 000 dollars en 2004).
Le rapport coût­efficacité de la chirurgie de la cataracte est
comparable à celui de la prothèse de hanche, et il est sensi­
blement meilleur que celui d’une prothèse de genou ou de
l’implantation d’un défibrillateur cardiaque (3).
Pour Medicare1, le coût spécifique de l’endophtalmie (4)
post­cataracte est de l’ordre de 3 500 dollars. La cataracte
non compliquée a un coût de 2 334 dollars, et l’endophtalmie
un coût de 5 798 dollars, le surcoût étant éventuellement lié
à une proportion importante d’hospitalisations complètes et
à un plus grand nombre de consultations et d’actes. Ce type
d’étude vise clairement à encourager toute mesure prophy­
lactique qui ferait preuve d’efficacité pour cette complication
dramatique.
✔ La DMLA
Les injections intravitréennes d’anti­VGEF permettent désor­
mais d’améliorer la vision de certains patients et non plus
seulement de ralentir la baisse de l’acuité visuelle, comme
c’était le cas avec les traitements précédents. Quel est le coût
d’une ligne d’acuité visuelle (échelle de Snellen) sauvée ?
(5, 6). Il est de 997 dollars pour une photocoagulation de
néovaisseaux sous­rétiniens extrafovéolaires, de 5 509 dollars
pour une thérapie photodynamique (photodynamic therapy,
PDT) utilisée dans le cadre des néovaisseaux sous­rétiniens
occultes et de 12 482 dollars pour les injections de pegaptanib.
Il s’agit de sommes considérables, que l’on peut comparer aux
650 dollars pour le traitement d’un décollement de rétine et aux
2 400 dollars pour un traitement chirurgical d’une membrane
épirétinienne.
Un article récent paru en première page du Wall Street Journal
souligne les retombées financières de ces thérapeutiques.
1. Système d’assurance de santé géré par le gouvernement américain et destiné aux
personnes de plus de 65 ans ou répondant à certains critères.
Images en Ophtalmologie • Vol. I • n° 1 • octobre-novembre-décembre 2007
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Santé publique
C’est un réel dilemme pour les ophtalmologistes de choisir
entre l’utilisation du ranibizumab, approuvé par la FDA (Food
and Drug Administration) [2 000 dollars par injection] et béné­
ficiant d’une AMM en France, et celle du bevacizumab (entre
20 et 100 dollars par injection), qui n’a pas d’approbation de la
FDA ni d’AMM en France. L’utilisation du produit le moins cher
permettrait à Medicare d’économiser entre 1 à 3 milliards de
dollars par an (7, 8).
La pratique de la médecine est délicate, et chaque patient
fait l’objet d’une prise en charge individuelle. Il est
évident que les patients et les médecins bénéficient des
progrès de la recherche pharmaceutique ; le traitement
de la DMLA en est un exemple parlant. Les décideurs
financiers seront bien entendu tentés d’encourager les
thérapeutiques les moins coûteuses ; cependant, les
médecins auront tendance à privilégier celles qui ont fait
l’objet d’études scientifiques mettant en évidence le bénéfice d’une molécule plutôt que d’une autre. Les études de
coûts en ophtalmologie sont encore aujourd’hui trop rares
en France.
II
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Références bibliographiques
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StreetJournal2007:A1andA13.
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backlash.WallStreetJournal2007:A1andA15.
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