Taux global d`actualisation - Comment analyser une transaction

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Taux global d`actualisation - Comment analyser une transaction
Taux global d’actualisation - Comment analyser une transaction immobilière?
Par Andréanne Lavallée Directrice principale – Avril 2013
Résumé
L’auteure se penche sur la notion des rendements immobiliers recherchés par les investisseurs lors de
transactions de propriétés qui génèrent des revenus de location.
INTRODUCTION
Les placements en bourse ne sont pas sans risques. Les histoires d’horreur où les investisseurs
perdent une grosse partie de leur pécule abondent. De nombreux investisseurs se tournent vers le
placement immobilier pour faire fructifier leurs avoirs et ainsi éviter les aléas des marchés
boursiers. Le rendement sur le capital est parfois réduit, mais le risque associé au placement est
également jugé moindre. Ainsi, le placement immobilier est souvent une valeur sûre pour de
nombreux investisseurs privés et institutionnels. La prolifération des fonds de placement
immobilier (FPI) témoigne de cet engouement pour les propriétés à revenus.
Mais comment les investisseurs peuvent-ils déterminer si la propriété vaut le prix demandé ou
encore le prix payé? La réponse à cette question repose sur leur connaissance du produit offert
ainsi que sur les indicateurs de marché, incluant les rendements recherchés, plus particulièrement
le taux global d’actualisation (TGA, Taux de Cap ou Cap Rate) et le taux de rendement interne (TRI).
Dans cette chronique, nous analyserons comment interpréter les rendements des transactions, plus
particulièrement le TGA, comment éviter les pièges d’une mauvaise application de ces taux et
surtout, comment dégager le rendement d’une transaction immobilière et ainsi réduire les risques
associés à la transaction.
I – LES PROPRIÉTÉS À REVENUS
Il existe une kyrielle de propriétés qui sont recherchées par les investisseurs de moyenne et grande
taille. Les plus importantes catégories sont :
•
Immeuble de bureaux ;
•
Immeuble industriel à locataire unique ou à locataires multiples ;
•
Centre commercial (communautaire, régional, suprarégional, mégacentre, etc.) ;
•
Immeuble multi-locatif conventionnel;
2
•
Résidence pour personnes retraitées ;
•
Hôtels et motels.
Certains investisseurs auront tendance à rechercher un portefeuille mixte alors que d’autres vont se
spécialiser dans une seule catégorie. Le choix ultime sur la composition du portefeuille repose sur
la tolérance au risque de l’investisseur. Qu’il s’agisse d’un fonds de pension, d’une compagnie
d’assurance, d’un propriétaire foncier de grande envergure ou encore d’un propriétaire de plus
petite envergure, la notion de tolérance au risque demeure entière et identique. En effet, certains
actifs présentent un risque plus élevé que d’autres.
II – LES DIFFÉRENTS RENDEMENTS IMMOBILIERS
Les indicateurs du marché les plus communs sont :
•
Le MRB (multiplicateur du revenu brut) 1 – Il s’applique surtout pour les propriétés
multirésidentielles de petite envergure. Le prix offert sera calculé en appliquant un facteur
X sur le revenu brut généré par la propriété. Par exemple, si la propriété dégage un revenu
brut de 150 000 $ par année et que les conditions du marché indiquent que des propriétés
comparables se négocient à un MRB de 9,5, alors le prix offert sera de 1 425 000 $
(150 000 $ multiplié par 9,5 = 1 425 000 $).
•
Le TGA (taux global d’actualisation) – Il s’agit du revenu net courant normalisé d’un
immeuble à une date précise divisé par le prix de vente ou la valeur estimée 2. En théorie, le
taux global d’actualisation n’est pas une mesure de rendement financier, mais plutôt un
ratio. Reprenons l’exemple précédent d’une propriété qui génère 150 000 $ par année. En
supposant que la valeur marchande de 1 425 000 $ soit juste, le TGA applicable est de
10,5 % (150 000 $ divisé par 1 425 000 $ = 10,5 %). Ce taux présume que ce revenu stabilisé
est réalisable à perpétuité.
Avant d’appliquer un taux de rendement à une propriété, il est important de bien saisir quatre
notions de base. En premier lieu, les rendements sont dynamiques dans le temps. Tout comme le
marché boursier, le marché immobilier est cyclique et il est très influencé par la disponibilité des
capitaux et donc, la capacité de financement. Un marché très « liquide » a tendance à se traduire
par une compression sur les taux de rendement, ce qui exerce une pression à la hausse sur les prix
payés. À l’inverse, si les sources de capitaux se tarissent et que l’offre excède la demande, les
1
Cet indicateur ne sera pas traité en profondeur dans cet article. L’auteure se penchera davantage sur l’application du TGA.
2
Valeur marchande (ou prix payé) = Revenu net divisé par le TGA
3
rendements seront à la hausse et les prix offerts peuvent chuter. Ce phénomène est vrai, même si
la propriété, elle, ne change pas et si le revenu qu’elle génère demeure stable.
La deuxième notion est que les analystes de marché (souvent les grands cabinets d’évaluation
immobilière) dégagent les rendements du marché selon des transactions déjà réalisées 3. Or, il ne
faut pas oublier qu’une transaction peut être négociée en juin et conclue en décembre. Les
conditions du marché peuvent évoluer très rapidement et il importe de bien saisir les nuances du
marché ainsi que la performance de la propriété dans ce marché (soit son positionnement
concurrentiel) avant de sélectionner le rendement juste pour déterminer le prix à payer.
La troisième notion à saisir est que les taux de rendement varient selon l’actif. Les bâtiments
multirésidentiels locatifs conventionnels n’offrent pas les mêmes rendements qu’une résidence
pour personnes retraitées; un bâtiment de bureaux de classe B en banlieue présente un risque plus
élevé qu’un bâtiment de classe Prestige au cœur du secteur financier du centre-ville. Chaque actif a
son taux de rendement. C’est la connaissance du marché par les experts qui assure que la
transaction contemplée est avantageuse pour les deux parties en cause.
Ainsi, deux bâtiments de bureaux semblables, situés à proximité l’un de l’autre, avec des revenus
similaires peuvent se négocier à des TGA différents. Pourquoi ? Parce que le niveau de risque
associé aux flux de trésorerie n’est pas identique. Le bâtiment A peut avoir un locataire unique, de
réputation internationale, qui a signé un bail à long terme alors que le bâtiment B peut, quant à lui,
avoir une quinzaine de petits locataires qui sont des PME en démarrage, avec des baux de courte
durée. Au moment de quantifier le risque et d’obtenir un financement, le bâtiment A devient un
placement financier plus avantageux et se vendra à un prix plus élevé, car sa désidérabilité sera
accrue aux yeux des investisseurs.
Finalement, la quatrième notion particulièrement importante à comprendre est comment l’analyste
a dégagé le rendement des transactions analysées. Il existe certaines différences sur la méthode
d’analyse, particulièrement sur les éléments à inclure pour dégager le revenu net effectif de la
propriété. Deux experts peuvent dégager des rendements différents pour une même transaction.
(Nous analyserons ceci plus loin dans le présent texte.) Les cabinets d’évaluation se penchent tous
sur l’analyse des taux de rendement immobilier. Le processus varie d’un endroit à l’autre, toutefois
une démarche rigoureuse doit reposer sur quatre composantes :
•
3
Premièrement, les transactions importantes doivent être identifiées, documentées et
analysées. L’analyste dégage le taux de rendement (TGA) et le compare aux taux d’intérêt
de long terme à la date de la fixation du prix par les parties (ou à la date de l’approbation
Parmi les ouvrages de référence à ce sujet, notons Analyse des Rendements Immobiliers publié par le cabinet Desjarlais
Prévost Inc.
4
par le comité d’investissement). L’indication de rendement 4 ainsi obtenue a seulement une
valeur historique. Cependant, les primes de rendement mesurées ont une valeur indicative
pertinente, car elles sont relativement stables dans le temps et s’inscrivent dans une
hiérarchie entre les différentes classes d’actifs.
•
Deuxièmement, il s’avère pertinent de suivre l’évolution du cours des compagnies
immobilières à capital ouvert et des fonds d’investissement immobilier. Les fluctuations de
ce marché secondaire fournissent des indications précieuses sur le comportement récent
des investisseurs, ce que l’analyse des ventes ne peut fournir parce qu’elles sont souvent
trop vieilles.
•
Troisièmement, l’analyste devrait également sonder les intervenants du marché (les
investisseurs, les prêteurs et les intermédiaires du marché). Ces personnes-ressources
aident à bien saisir les tenants et aboutissants du marché.
•
Il importe aussi de saisir les facteurs qui influencent les transactions en cours de
négociation ainsi que les transactions récemment avortées. Les indications du marché en
temps réel, bien que moins précises, sont plus significatives que l’analyse historique des
vieilles transactions.
III – LES RISQUES D’HYPOTHÈSE
En règle générale, les rendements dégagés par les analystes présument que la propriété est
exploitée selon les conditions optimales de revenu. En d’autres termes, que l’occupation est
normalisée (le taux d’inoccupation est dans la moyenne du marché), que les dépenses sont bien
contrôlées et que le revenu net pourra être reproduit année après année. Advenant que la
propriété présente un taux d’inoccupation élevé au moment de la vente, il peut s’avérer que
l’analyse de la transaction nécessite des ajustements importants afin d’éviter de dégager un
rendement qui serait trompeur.
Supposons maintenant que la propriété génère un revenu acceptable et que son taux
d’inoccupation soit dans les normes, mais que l’acheteur décide de procéder à d’importants travaux
de rénovation ou réfection. Le rendement applicable au revenu au moment de la vente pourrait
être inutile, car la transaction est basée sur la promesse d’un revenu augmenté à la suite des
immobilisations en capital.
4
La prime immobilière est obtenue en décomposant le TRI d’une transaction. Il s’agit de l’écart entre le rendement des
obligations à long terme (10 ans) et du TRI total.
5
Dans d’autres cas, le prix de vente qui est publié a été ajusté en fonction de travaux à effectuer sur
la propriété. Si l’analyse ignore le montant du rajustement financier, il risque de dégager un
rendement qui est plus agressif que celui qui a été retenu par l’acheteur.
Finalement, les rendements doivent faire abstraction du financement et du service de la dette.
IV – ANALYSE D’UNE TRANSACTION
Le taux global d’actualisation (TGA) est probablement le taux de rendement utilisé pour le plus
grand nombre de transactions immobilières. Le tableau suivant illustre deux méthodes fréquentes
pour dégager le rendement d’une transaction d’une propriété quelconque :
Méthode A
Méthode B
Année 1
$/année
Année 1
$/année
Revenu brut déclaré (acte de vente)
Réserve inoccupation (3%)
Revenu brut potentiel
471 840
14 155
457 685
471 840
14 155
457 685
Dépenses D'exploitation
Taxes
Chauffage et électricité
Assurances
Concierge
Entretien et réparation
Publicité
Administration
Réserve structurale (2%)
Total des dépenses d'exploitation
42 036
14 256
14 424
20 400
33 996
4 200
18 852
9 154
157 318
42 036
14 256
14 424
20 400
33 996
4 200
18 852
9 154
157 318
300 367
300 367
9 154
309 521
4 215 000
4 215 000
Revenu net d'exploitation
Plus Réserve structurale
Revenu net d'exploitation - ajusté
Prix de vente déclaré
TGA de la transaction
7,13%
7,34%
L’analyse selon la méthode A dégage un TGA à partir d’un revenu net d’exploitation qui comprend
une dépense de 9 154 $ pour la réserve structurale de 2 % du revenu brut potentiel.
La méthode B, quant à elle, dégage le TGA à partir d’un revenu net d’exploitation qui fait
abstraction de la réserve structurale. La dépense est donc annulée et le revenu net d’exploitation
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est supérieur. Ce qu’il faut savoir, c’est qu’au moment de vendre sa propriété, le vendeur ne
transfère pas automatiquement les fonds de sa réserve structurale. En outre, si la propriété est
effectivement « normalisée » à tous les points de vue, la réserve n’est pas nécessairement une
dépense courante au moment d’analyser les revenus de la propriété pour déterminer le prix de
vente.
L’écart entre les deux TGA est sans grande importance, à condition que l’analyste qui obtient et
communique le TGA de 7,13 % s’assure de toujours appliquer la même méthodologie, soit d’inclure
la dépense de réserve structurale et explique cela aux personnes à qui il communique ce TGA.
V – APPLICATION DU TGA POUR DÉTERMINER LA VALEUR
L’analyse des TGA des transactions complétées permet à l’investisseur de suivre les grandes
tendances du marché et l’aide à déterminer le prix à offrir pour une propriété. Cette analyse aide
aussi les évaluateurs à formuler les opinions de valeurs marchandes dans le cadre de leurs
expertises diverses.
Voyons l’impact d’une mauvaise interprétation des rendements dans l’optique où l’analyste tente
de déterminer la valeur marchande pour une propriété. Supposons qu’au moment de déterminer
le prix à offrir, l’analyse aurait appliqué le rendement identifié selon la méthode A (avec réserve
structurale) à un revenu normalisé selon la méthode B (sans réserve structurale) :
Analyse de la valeur avec inversion des TGA
Méthode A
Méthode B
Revenu net d'exploitation
TGA
Valeur
300 367
309 521
7,34%
7,13%
4 090 347
4 343 452
Analyse de la valeur sans inversion des TGA
Méthode A
Méthode B
Revenu net d'exploitation
300 367
309 521
TGA
Valeur
Écart
7,13%
7,34%
4 215 000
4 215 000
(124 653)
128 452
Dans un cas, l’investisseur risque d’offrir un prix trop bas, et conséquemment de ne pas répondre
aux attentes du vendeur. Dans l’autre cas, il risque de payer trop cher pour acquérir la propriété et
réduire le rendement qu’il en tirera pendant la période de détention.
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La démonstration ci-dessus est simpliste, mais elle permet d’illustrer l’importance d’appliquer le
bon TGA au bon revenu. Imaginez l’impact sur des propriétés, ou des portefeuilles, qui se négocient
dans les centaines de millions de dollars…
CONCLUSION
Si mes années de pratique en évaluation immobilière m’ont appris une chose, c’est que les taux
retenus par les divers cabinets d’évaluation sont rarement calculés selon la même méthodologie et
avec la même profondeur d’information. Il m’arrive très souvent qu’un client, après avoir lu mon
projet de rapport, m’appelle pour discuter des rendements retenus. À coup sûr, à un moment
donné pendant cette conversation, la personne va m’annoncer les TGA de mes concurrents, des
institutions financières ou encore de la SCHL pour me convaincre de modifier (à la baisse) les taux
qui figurent dans mon rapport. Il s’en suit alors un échange sur la méthodologie et sur les
particularités qui sont propres à la propriété pour que la personne comprenne et appuie mon choix.
Il y a quelques années, un de mes contacts est venu m’annoncer le TGA d’une transaction
importante et très observée par les joueurs locaux. Comme j’étais impliquée dans l’analyse de la
transaction pour le compte des acheteurs depuis la détermination du prix à offrir, j’avais toutes les
données en mainsous le sceau de la plus stricte confidentialité évidemment. Les rendements qui
étaient brandis dans le marché par les soi-disant « initiés » étaient nombreux, mais tous erronés.
La rigueur de l’analyse dépend donc de la profondeur de la recherche, de l’obtention de données
fiables et, surtout, de la connaissance de la méthode utilisée par l’analyste pour dégager et/ou
appliquer le taux de rendement sur les revenus générés par la propriété.
Alors la prochaine fois que vous entendrez parler d’un taux de cap, dites-vous que c’est un
indicateur parmi d’autres et prenez-le avec un grain de sel…