Révélées par le magazine 60 Minut

Transcription

Révélées par le magazine 60 Minut
SYNOPSIS
28 avril 2004
COMMENTAIRE
Le « sandale de la prison irakienne dʼAbou Ghraib ».
Révélées par le magazine 60 Minutes de la chaîne américaine CBS, ces
photos ont fait le tour du monde au printemps 2004, provoquant
lʼindignation et la colère.
Les clichés ont été pris par des soldats américains fiers de leurs forfaits.
Des « bad apples », des « brebis galeuses » avait aussitôt affirmé le
porte parole de lʼarmée américaine en Irak, au journaliste de 60 Minutes.
Ce soir là personne nʼétait en mesure de contester la théorie des « bad
apples ».
EXTRAIT CBS
10 :00 :41 :03
general Mark KIMMIT :
Ne jugez pas votre armée sur les actes commis par quelques uns.
Audition du 7 mai 2004
COMMENTAIRE
A Washington, le scandale dʼAbou Ghraib provoque la panique . La
commission militaire du Sénat organise en urgence une audition
parlementaire. Le premier témoin à être entendu cʼest Donald Rumsfeld,
secrétaire à la défense.
A lʼépoque , les républicains contrôlent tous les rouages de
lʼadministration américaine et ils sʼaccrochent à la théorie des « bad
apples » comme à une bouée de secours .
1
Cette première audition, comme toutes celles qui suivront au cours des
quatre prochaines années, est retransmise en direct par la chaîne
parlementaire C-Span.
10 :01 :25
John WARNER Sen. Republicain
La commission militaire du sénat commence aujourdʼhui une série
dʼauditions pour recueillir des témoignages concernant les mauvais
traitements infligés à des prisonniers iraquiens par quelques – je répète,
quelques – éléments des forces armées des Etats-Unis, violant les lois
américaines et internationales.
Monsieur le secrétaire?
10 :01 :48
DONALD RUMSFELD
Secrétaire à la Défense
Monsieur le président, je sais que vous êtes avec moi aujourdʼhui pour
dire au monde : « Jugez-nous par nos actions, regardez comment les
Américains, comment une démocratie traite ses fautes de conduite et le
scandale. Constatez la douleur de reconnaître et de corriger nos erreurs
et nos propres faiblesses.
10 :02 :06
Pat ROBERTS Sen. Républicain
Je voudrais savoir, M. le secrétaire, si un seul des abus commis en Irak
a été encouragé, admis ou permis par le règlement ou la politique du
Département de la Défense ?
10 :02 :15
DONALD RUMSFELD
A ma connaissance, sûrement pas. Et lorsquʼon regarde ces sévices et
leur cruauté, lʼidée quʼil puisse y avoir un règlement qui permette,
admette ou encourage ce genre de faits nʼest tout simplement pas
imaginable.
2
10 :02 :33
GENERIQUE
11 septembre 2001
10:03:O6
COMMENTAIRE
Tout a commencé dans le plus grand secret peu après les attentats du
11 septembre 2001. Ce jour là quatre avions de ligne sont détournés par
des kamikazes de lʼorganisation terroriste Al Qahda, dirigée par
lʼextrêmiste musulman Ben Laden. Provoquant plus de trois mille
victimes, cʼest le plus grand attentat terroriste jamais réalisé sur le
territoire des Etats Unis.
10:03:33
Matthew WAXMAN
Conseiller de Condoleezza Rice
Jʼétais lʼassistant de la conseillère pour la sécurité nationale,
Condoleezza Rice, et je me trouvais à la Maison-Blanche ce jour-là.
Après que les avions ont touché le World Trade Center, jʼai été évacué
avec Condi Rice, le vice-président et quelques autres , dans le bunker de
la Maison-Blanche.
Dès le début, il était clair pour tout le monde que nous étions désormais
dans un nouveau paradigme, celui de « la guerre contre la terreur ». Ce
fut quelque chose dʼimmédiat, le pays, le gouvernement ont
instantanément adopté une attitude de guerre.
10:04:19
DISCOURS BUSH
La traque a commencé contre ceux qui sont derrière ces actes
diaboliques. Nous faisons front pour gagner la guerre contre le
terrorisme.
3
15 septembre 2001
COMMENTAIRE
« Carte blanche » : cʼest le mot dʼordre de lʼadministration républicaine
qui se réunit à Camp David, dans la résidence des présidents
américains, quatre jours après les attentats.
Ces images sont exceptionnelles : on y voit, réunis autour d ʻune même
table, les dirigeants des quatre centres de pouvoir, qui conduiront les
Etats Unis sur le chemin de la torture.
Dʼabord, la Maison Blanche, avec le président Georges Bush et son
vice-président Dick Cheney. Face à eux, Condoleeza Rice, conseillère à
la sécurité nationale.
Puis, le Département de la Justice, dirigé alors par John Ashcroft. Cʼest
de lui que dépend lʼOLC, lʼOffice of legal Counsel, le bureau juridique
chargé de vérifier la légalité des décisions prises par la Maison Blanche.
Ensuite, le Département de la défense ou Pentagone, tenu par Donald
Rumsfeld
Enfin, le département dʼEtat, ou ministère des affaires étrangères du
général Colin Powell.
Ce jour là le président Bush ne fait pas dans la langue de bois.
10 :05 :42
GEORGES BUSH
Nous trouverons ceux qui ont fait ça, nous les tirerons de leurs trous,
nous les ferons détaler et nous les mènerons devant la justice. Nous ne
nous occuperons pas seulement de ceux qui ont osé attaquer
lʼAmérique, nous chercherons aussi ceux qui les abritent, les nourrissent,
les hébergent.
Mon message sʼadresse à tous ceux qui portent lʼuniforme : soyez prêts !
LʼAmérique est prête à tout pour gagner cette guerre.
4
10 :06 :08
LARRY WILKERSON
Chef de cabinet de Colin Powell
Nous entendions les termes « guerre contre le terrorisme », « guerre
contre la terreur », « guerre globale contre la terreur », et nous nʼaimions
pas ça du tout. En tant quʼancien militaire avec 31 ans de service dans
lʼarmée, cela ne me plaisait pas, car on ne fait pas une guerre contre des
instruments. On ne fait pas une guerre contre des méthodes. On fait la
guerre contre des peuples et des Etats. Cʼest une définition très
ambiguë, comme la « guerre contre la drogue » ou « la guerre contre la
pauvreté ». Ce sont des choses contre lesquelles on ne peut jamais
gagner et qui, donc, sont sans fin ! Alors pourquoi utiliser ce genre de
terminologie ? Nous avons fait part de nos interrogations au Dr. Rice et à
la Maison Blanche et on nous a répondu : cʼest de la politique. Cʼest ce
que veut entendre le peuple américain.
10 :06 :55
Matthew WAXMAN
Conseiller de Condoleezza Rice
Lʼune des attitudes que jʼai constatée au sein du gouvernement cʼ est
que pour combattre et vaincre cet ennemi terroriste, les Etats-Unis
allaient devoir se salir les mains en ayant recours à des tactiques et des
pratiques ou en prenant des décisions que certains considéreraient
comme non conformes à lʼéthique, à la morale ou à la légalité.
10 :07 :33
COMMENTAIRE
Le lendemain de la réunion de Camp David, le vice-president Dick
Cheney annonce clairement la couleur dans une émission très regardée
de la chaîne NBC. Mais dans lʼémotion des attentats rares sont ceux qui
mesurent le sens de ses paroles…
10 :07 :47
DICK CHENEY
Vice président des Etats Unis
5
Nous devons agir dans lʼombre, pour ainsi dire. Nous devons passer du
temps dans les ténèbres du renseignement, là où se passent des
affaires louches , dangereuses et sales. Pour cela, nous devons libérer
de toute contrainte les services de renseignement pour quʼils puissent
conduire leur mission.
10 :08 :10
JANE MAYER
Journaliste au New Yorker
Finalement on peut dire quʼil a été honnête. Il a annoncé au pays tout
entier : « Nous allons opérer dans le secret. Nous allons mener une
guerre secrète. » Et personne ne peut dire que le pays nʼétait pas au
courant puisquʼil lʼa dit ouvertement, le problème cʼest que personne nʼa
réagi.
10 :08/26
GENERAL JANIS KARPINSKI
Commandant des prisons en Irak 2003-2004
Nous étions très vulnérables. Les Américains avaient peur. Comment
est-ce arrivé ? Des informations, juste après les attentats, mettaient en
cause la capacité de nos forces armées à répondre à ce genre dʼattaque.
Tout le monde était effrayé. Et voilà que le vice-président des Etats-Unis
tire parti de cette inquiétude et exploite notre vulnérabilité en disant : «
Nous allons opérer dans les ténèbres Nous aurons les personnes qui
nous ont fait ça. » Cʼétait le début de cette marche vers la guerre qui a
exploité à fond notre vulnérabilité. Et le président de dire : « Si vous
nʼêtes pas avec nous, vous êtes contre nous. » Tout le monde est tombé
dans le piège : « Je ne veux pas être contre eux. Cʼest la seule
alternative quʼon a ? » Et à Washington, rares sont les élus qui ont osé
questionné tout cela, ils ont préféré donner leur feu vert à toutes les
décisions qui ont suivi.
20 septembre 2001
10 :09 :25
DISCOURS BUSH CONGRES
6
Chaque nation, dans chaque continent, doit prendre une décision. Soit
vous êtes avec nous, soit vous êtes avec les terroristes.
6 octobre 2001
10 :09 :50
COMMENTAIRE
Deux semaines plus tard, les Etats Unis et leurs alliés déclenchent la
guerre contre le régime des Talibans, qui contrôlent lʼAfghanistan depuis
1995.
Officiellement, lʼobjectif est de capturer Ben Laden et ses hommes qui
ont installé des camps dʼentraînement dans le pays.
Le 13 novembre 2001, le régime des Talibans est renversé. Tandis que
les Afghans sortent lentement du cauchemar, des dizaines de barbus en
armes et de suspects sont arrêtés.
Lʼarmée américaine et la CIA, les services secrets des Etats Unis, sont
en première ligne. La « guerre contre la terreur » ne fait que commencer.
26 septembre 2002
10 :10 :29
Cofer BLACK
CIA Chef du contre-terrorisme
Je dois le dire, et vous devez tous le savoir, quʼil y a un « avant » 11
septembre et un « après » 11 septembre. Depuis le 11 septembre, on ne
prend plus de gants.
MATTHEW WAXMAN
Conseiller de Condoleezza Rice
Dès le début, il était clair que lʼinterrogatoire et la récolte de
renseignements provenant des détenus était un élément capital. Comme
la priorité du gouvernement était de prévenir de nouveaux attentats, tout
le monde était convaincu que le seul moyen dʼy parvenir cʼ était , pour
ainsi dire, dʼentrer dans la tête des membres dʼAl Qaedah et donc
dʼinterroger les détenus. Or, depuis le début, on craignait que ce quʼon
appelait les « vieilles règles », cʼest à dire les Conventions de Genève
ou nos lois pénales, que tous ces textes dʼune autre époque constituent
7
un obstacle aux interrogatoires. Dʼoù la conviction quʼil ne fallait plus
prendre de gants.
10 :11 :36
COMMENTAIRE
Signées en 1949, et adoptées aujourdʼhui par 194 Etats, les quatre
Conventions de Genève constituent la pierre angulaire du droit
humanitaire international. La troisième convention concerne les
« prisonniers de guerre », cʼest-à -dire les combattants capturés sur le
champ de bataille.
Le statut de prisonnier de guerre nʼest pas automatique : pour lʼobtenir, le
combattant doit posséder un « signe distinctif », « porter ses armes
ouvertement » et « se conformer aux lois de la guerre ». En contrepartie,
il reçoit certains privilèges comme « le droit de communiquer avec sa
famille » ou de « recevoir des colis ».
Lʼarticle 17 précise que « chaque prisonnier de guerre ne sera tenu de
déclarer, que ses nom, prénoms, grade, et sa date de naissance ».
En dʼautres termes, un « prisonnier de guerre » ne peut être interrogé à
des fins de renseignement.
Enfin, les quatre Conventions de Genève comprennent le même article 3
qui interdit « les traitements cruels, tortures et supplices », quelque soit
le statut des prisonniers.
En 1996, le Congrès américain a voté le « War Crimes Act », la loi sur
les « crimes de guerre » qui sanctionne par la prison à vie ou la peine de
mort toute « violation grave des Conventions de Genève », et notamment
de lʼarticle 3.
Après le 11 septembre, lʼadministration Bush sʼemploie à se débarrasser
des Conventions de Genève. Lʼopération secrète est dirigée par le viceprésident Dick Cheney pour qui lʼunique arme de la « guerre contre la
terreur » est le renseignement.
10 :13 :07
SCOTT HORTON
Avocat
Ex président de la Ligue internationale des droits de lʼhomme
Il est clair quʼil y a une personne qui a joué un rôle central dans
lʼintroduction de cette nouvelle politique de mauvais traitements des
8
prisonniers et cette personne cʼest Dick Cheney, le vice président des
Etats Unis.
Dès que jʼai commencé à travailler sur ce sujet, jʼai parlé avec des
officiers de la communauté du renseignement. Ils mʼont dit quʼ au cours
des six semaines qui ont suivi le 11 septembre, le vice-président Cheney
a passé quelques jours à Langley, dans les quartiers généraux de la
CIA. Il insistait pour quʼils utilisent des techniques dures et sales. Le
vice-président Cheney était particulièrement impressionné par les
techniques utilisées par le gouvernement égyptien pour démanteler
lʼorganisation des Frères musulmans. Il pensait que ces techniques
avaient été extrêmement efficaces et que les États-Unis devraient suivre
l'exemple du gouvernement Moubarak en Égypte.
10:14:02
LARRY WILKERSON
Chef de cabinet de Colin Powell
Je ne pense pas que Dick Cheney rendra des comptes un jour pour ce
quʼil a fait, excepté à son créateur , mais jʼespère que Dick rencontrera le
diable après sa mort parce que le diable fera un bon ami pour Dick.
10:14:15
COMMENTAIRE
Pour couvrir la Maison Blanche, Dick Cheney sʼappuie sur des juristes
républicains ultraconservateurs. Lors des auditions qui suivront le
scandale dʼAbu Ghraib cʼest à eux que les parlementaires demanderont
des comptes . Dick Cheney et Georges Bush ne seront jamais inquiétés
car ils sont protégés par une immunité que le congrès a toujours refusé
de lever. Et cʼest bien là toute la limite des auditions parlementaires à
lʼaméricaine : il ne sʼagit pas dʼune enquête criminelle mais dʼun exercice
9
de démocratie bien encadré où lʼon se contente dʼinterroger certains
acteurs et des experts, sans que cela nʼentraîne de conséquences.
Audition du 26 juin 2005 ( ?)
10 :14 :54
JERROLD NADLER SEN. Démocrate
Président
Aujourdʼhui, nous entamons la troisième audition sur le rôle des juristes
de lʼadministration dans le développement de méthodes dʼinterrogatoire,
qui ont soulevé des critiques ici aux Etats-Unis et ailleurs dans le monde.
Cette politique a été maintenue secrète et cachée aux membres du
Congrès et au peuple américain, au nom de privilèges assortis dʼune
interdiction stricte de divulguer même partiellement des documents
confidentiels : pourquoi ? Cʼest inacceptable. Aujourd'hui, nous sommes
en présence de deux architectes de cette politique. Si les témoins
veulent bien se lever et prêter serment.
10 :15 :31
COMMENTAIRE
Voici David Addington, le chef de cabinet de Dick Cheney, surnommé
« Cheneyʼs Cheney », cʼest-à-dire « le petit chien de Cheney ».
Et John Yoo, le numéro 2 de lʼOLC, le bureau du Ministère de la justice
chargé de conseiller juridiquement la Maison Blanche.
10 :15 :50
JERROLD NADLER
10
M. Addington, le professeur Yoo a déclaré que, dans certaines
circonstances, il est approprié et légal de torturer lʼenfant dʼun détenu
pour obtenir du renseignement. Êtes-vous dʼaccord avec cela ?
10 :16 :04
DAVID ADDINGTON
Chef de cabinet de Dick Cheney
Je ne suis ni pour ni contre, monsieur le président. Je nʼai pas à me
prononcer là-dessus. Je ne suis pas ici pour donner des avis juridiques à
votre commission. Vous disposez de vos propres avocats pour vous
fournir ces conseils juridiques.
10 :16 :17
JOHN CONYERS SEN. Démocrate
Est-ce que le président peut ordonner quʼun suspect soit enterré vivant ?
10 :16 :25
JOHN YOO
Directeur-adjoint de lʼOLC
Monsieur le président, je ne crois pas avoir déjà…
JOHN CONYERS
Je demande votre avis…
JOHN YOO
émis lʼavis que le président pourrait ordonner quʼon enterre quelquʼun
vivant…
10 :16 :36
COMMENTAIRE
Parmi les exécutants, il y a aussi Jim Haynes, le chef juridique du
Pentagone, et lʼhomme à tout faire de Donald Rumsfeld.
Audition 17 juin 2008
11
10 :16 :46
McCASCILL(off)
Mr. Hayne, vous venez de dire que vous étiez le chef des juristes du
département de la défense, est-ce exact ?
JIM HAYNES
Chef juridique du département dʼEtat
Oui, Madame, cʼest exact.
McCASKILL (Off)
Et combien de juristes aviez-vous sous vos ordres ?
JIM HAYNES
Je vais le formuler comme cela : il y a plus de dix milles juristes au
Département de la défense.
10 :17 :06
COMMENTAIRE
Voici , enfin, Alberto Gonzales, le conseiller juridique de Georges Bush,
qui a joué un rôle clé pour lʼautorisation des méthodes de torture.
Audition du 6 janvier 2005
10 :17 :12
LEAHY
Croyez-vous que dʼautres dirigeants du monde auraient le pouvoir
dʼautoriser la torture de citoyens sʼils la jugeaient nécessaire pour leur
sécurité nationale?
10 :17 :23
ALBERTO GONZALES
Chef juridique de la Maison Blanche
12
Sénateur, je ne sais pas par quelles sont les lois qui lient les autres
dirigeants du monde, donc je ne crois pas être en mesure de répondre à
cette question.
10 :17 :30
COMMENTAIRE
Gonzales, Addington, Haynes et Yoo : les quatre juristes se retrouvaient
régulièrement dans le bureau de John Yoo qui occupait un poste
stratégique à lʼOLC. Cʼest lui qui était chargé de rédiger les avis légaux
rendus par le ministère de la justice sur toute question soulevée par la
présidence. Ces « opinions », comme on dit dans le jargon, ont force de
loi et elles constituent une protection juridique pour la Maison Blanche.
Les memorandums secrets concoctés par les quatre juristes ont été
déclassifiés après le scandale dʼAbou Ghraib.
10 :18 :04
KENNETH ROTH
Président Human Rights Watch
Ils ont décortiqué la loi en se demandant : « Comment pouvons-nous la
tordre pour que lʼadministration Bush puisse faire des choses qui sont
totalement illégales et indéfendables ? » John Yoo a rédigé de longs
mémorandums sous la direction dʼAddington et dʼAlberto Gonzales ainsi
que dʼune poignée dʼavocats pour tenter de justifier lʼinjustifiable. Ils ont
essayé de rendre légales des choses parfaitement illégales.
10 :18 :28
COMMENTAIRE
Le premier mémorandum secret a été rédigé par John Yoo, le 9 janvier
2002.
Il écrit que les Conventions de Genève « ne protègent pas les membres
de lʼorganisation Al Qaedah ni les Talibans », car ceux-ci ont
« clairement démontré quʼils ne respectent pas les règles de la guerre :
ils refusent de porter lʼuniforme et prennent en otage des avions civils ».
En conséquence de quoi, ils ne sont pas « couverts non plus par lʼarticle
3 » des conventions de Genève.
13
Ce premier mémorandum est envoyé sous forme de brouillon au
département dʼEtat, censé donner son avis.
10 :19 :03
MMR
Vous souvenez-vous de la réaction de Colin Powell au brouillon ?
WILLIAM TAFT
Il voulait appliquer les Conventions de Genève à Al-Qaïda et aux
Talibans. Il pensait que, depuis la Seconde Guerre mondiale, nous les
avions toujours appliquées, même pour des personnes qui nʼavaient pas
droit à leurs avantages, et que cʼétait dans l'intérêt des États-Unis en
général, que cʼétait bon pour la protection de nos forces, et que nous
savions parfaitement comment faire, parce que tout le monde dans
l'armée avait été formé pour cela.
Audition du7 mai 2005
10 :19 :41
ARLEN SPECTER SEN Républicain
Notre premier témoin est John Hutson, le doyen et président de lʼécole
de droit Franklin Pierce de Concorde, dans le New Hampshire, qui fut
aussi vice-amiral.
Doyen Hutson, vous avez la parole.
JOHN HUTSON
Merci , Monsieur le Président. Les Conventions de Genève ont protégé
les troupes américaines de dommages pendant des années. Ce sont nos
troupes qui en profitent. A lʼorigine, les concepteurs américains des
conventions les ont considérées comme une manière de protéger les
troupes des Etats Unis contre lʼennemi et pas lʼennemi contre les troupes
des Etats Unis.
10 :20 :22
JOHN HUTSON
14
Si nous commençons à pinailler et à dire « les conventions sʼappliquent
à celui-ci mais pas à celui-là, dans ce pays mais pas dans celui-là, alors
les troupes américaines sont subitement en danger. Parce que si nous
avons la capacité de faire ce genre de distinction, nʼimporte quel
dictateur sans scrupule fera la même chose, ce qui finira pas se
retourner contre les troupes américaines.
MMR : Cʼétait aussi lʼavis de Colin Powell…
John HUTSON :
Oui, cʼest un chic type. Lui et moi sommes dʼaccord !
10 :20 :59
COMMENTAIRE
Alors que le memorandum de John Yoo provoque un bras de fer avec le
départment dʼEtat , Donald Rumsfeld prépare le terrain de lʼopinion
publique lors de sa première visite dans le camp de détention de
Guantanamo. Les premiers prisonniers sont arrivés onze jours plus tôt .
Cʼest eux que vise le memo de lʼOLC. Rumsfeld sait que lʼabrogation des
Conventions de Genève peut provoquer un tollé. La tactique consiste
donc à dire les choses à moitié, pour faire tomber progressivement le
tabou.
27 janvier 2002
10 :21 :35
DONALD RUMSFELD :
Secrétaire à la Défense
Al-Qaïda nʼest pas un pays. Ses hommes ne se comportent pas comme
une armée. Ils ne portent ni uniformes ni insignes, ils ne portent pas
ouvertement leurs armes. Il sʼagit dʼun réseau terroriste, et ce serait une
mauvaise interprétation des Conventions de Genève que de considérer
Al-Qaïda, un réseau terroriste, comme une armée.
10 :22 :01
JOHN HUTSON
15
Le fait quʼils nʼaient pas le statut de prisonnier de guerre ne signifie pas,
absolument pas, quʼon puisse les traiter de manière inhumaine, ni quʼon
puisse les torture. Les Conventions de Genève sont très claires làdessus !
10 :22 :19
COMMENTAIRE
Justifier la torture : cʼétait bien le but de la manœuvre bureaucratique.
Pour preuve : le mémorandum , adressé le 25 janvier 2002, par Alberto
Gonzales au président Bush. Sʼappuyant sur les arguments de John
Yoo, il écrit « ce nouveau paradigme rend obsolètes les limitations
strictes imposées par les Conventions de Genève sur lʼinterrogatoire des
prisonniers ». Puis, vient cette phrase qui a fait couler beaucoup dʼencre:
« Le fait de décider que les Conventions de Genève ne sʼappliquent pas
réduit considérablement la menace dʼune poursuite judiciaire dans le
cadre de la loi contre les crimes de guerre ».
10 :22 :55
WILLIAM TAFT
Conseiller juridique de Colin Powell
Peut-être que nous aurions dû être plus vigilants et nous demander
pourquoi il disait cela.
10 :23 :06
MMR – Est-ce que ça veut dire que, dès le début de la guerre contre le
terrorisme, les dirigeants de la Maison Blanche étaient préoccupés par
dʼéventuelles poursuites judiciaires ?
JOHN HUTSON
Apparemment oui. Cʼest lʼun des tout premiers mémorandums et ils
savent donc très tôt quʼils vont certainement recourir à des techniques
qui peuvent être considérées comme des crimes de guerre.
MMR Est-ce quʼils ont écrit tous ces mémos pour se protéger ?
16
10 : 23 : 43
HAROLD KOH
Doyen de lʼUniversité de Droit de Yale
Je pense quʼils les voyaient comme une forme dʼassurance légale. Ils
savaient quʼils nageaient dans des eaux inconnues et voulaient avoir une
sorte de protection.
MATTHEW WAXMAN
Finalement, cʼest le président des Etats-unis lui-même qui a pris la
décision. Le document clé date du 7 février 2002, il constitue la base de
toute notre politique sur la détention et lʼinterrogatoire des détenus.
10:24:16
COMMENTAIRE
Dans cette directive, Bush ne cesse de se couvrir, en rappelant trois fois,
que ses décisions sont basées sur les « conclusions légales du
Département de la justice ».
Puis, il introduit une nouvelle notion qui permettra tous les abus : celle de
« combattants illégaux ».
Pour endormir les récalcitrants comme Colin Powell, les hommes de
Bush ont ajouté une phrase dont lʼambiguité a été savamment calculée:
« Les forces armées des Etats Unis continueront à traiter les prisonniers
humainement, dans la mesure où la nécessité militaire le permettra, en
accord avec les principes de Genève ».
10 :24 :50
LARRY WILKERSON
Lorsque le mémo a été publié le 7 février et que nous avons pu le lire, je
me suis comme le secrétaire Powell, le sous-secrétaire, William Taft et
les autres membres du personnel, que cʼétait un bon compromis. Le
texte disait « selon la nécessité militaire » : pour un militaire comme moi,
cela signifiait que si je dois faire quelque chose de grave à un suspect
terroriste afin de sauver la vie de mes camarades, je pourrai le faire, et
17
et que je ne serai probablement pas poursuivi en justice. Cela ne voulait
pas dire que je peux, comme cela sʼest passé à Bagram, suspendre
quelqu'un à un crochet de métal à une température démente pendant 50
jours jusqu'à ce qu'il meure...Pour moi, cela ne voulait pas dire cela…
10 :25 : 31
COMMENTAIRE
En dʼautres termes : Colin Powell et le Département dʼEtat ont été
bernés. Ou au minimum anesthésiés par les promesses de Donald
Rumsfeld qui , le lendemain de la directive présidentielle, affirme que la
décision de ne pas appliquer les Conventions de Genève ne changera
rien au sort des prisonniers. Le double langage. Lʼombre et la lumière.
Audition du 8 février 2002
DONALD RUMSFELD
Quel sera l'impact de ces décisions sur la situation des talibans et des
détenus dʼAl-Qaïda? En un mot, aucun. Ils continueront à recevoir trois
repas complets par jour, des soins médicaux et des vêtements, ils auront
droit aux douches, à recevoir la visite d'aumôniers musulmans et à
pratiquer leur religion en toute tranquillité.
10 :16 :20
WILLIAM TAFT
Ensuite, nous nʼavons plus jamais participé à aucune des discussions
qui ont suivi concernant la légalité des décisions prises. Un certain
nombre dʼavis juridiques ont été émis sans que nous ayons été
consultés.
LARRY WILKERSON
Rumsfeld nʼavait pas confiance, ni lʼenvie , ni le désir de travailler avec le
Départment dʼEtat. Pour être franc, je pense quʼil était jaloux de la
célébrité de Colin Powell, tout comme lʼétait Dick Cheney.
18
MMR : Est-ce que le départment dʼEta a été mis sur la touche ?
WILLIAM TAFT
Oui, nous avons été exclus de toutes les discussions postérieures à
février 2002.
10 :27 :14
COMMENTAIRE
Sur le terrain en tout cas les gants tombent définitivement . Le 28 mars
2002, Abu Zubaydah, un lieutenant de Ben Laden , chargé du
recrutement, est arrêté au Pakistan. La CIA le transfère dans un « black
site », une prison secrète en Thaïlande, pour lʼinterroger. Zubaydah fait
partie des « ghosts detainees », des « prisonniers fantômes « détenus
par la CIA dans le cadre dʼun programme éminemment secret , baptisé
« extraordinary rendition ». Son existence a été dévoilée récemment.
Audition du 17 avril 2007
10 :27 :51
WILLIAM DELAHUNT SEN Démocrate
Lʼune des initiatives qui a suscité beaucoup dʼinquiétudes – et tout
particulièrement en Europe – cʼest la pratique de lʼadministration Bush
dite des « restitutions extraordinaires ». Pour ceux dʼentre vous qui ne
sont pas familiers avec ce concept, il sʼagit de la procédure par laquelle
des fonctionnaires du gouvernement des Etats-Unis capturent des
individus suspectés d'entretenir des liens avec Al-Qaïda ou dʼautres
organisations terroristes pour les transférer vers des pays tiers tels que
la Syrie ou l'Égypte où, dʼaprès les rapports, ils ont subi des actes de
cruauté ou de torture. Certains médias ont appelé cette procédure le
"programme de torture par procuration" ».
Dr. Scheuer… est-ce que je prononce bien votre nom ?
MICHAEL SCHEUER
19
Oui . Scheuer.
WILLIAM DELAHUNT
Il a travaillé au sein de la CIA de 1982 à 2004, et il a passé 19 de ces
années à diriger des actions clandestines. Docteur Scheuer…
10 :28 :52
MICHAEL SCHEUER
Le programme des « renditions » de la CIA a vu le jour à la fin de l'été
1995. Je l'ai créé, puis je l'ai dirigé et mené contre des chefs d'Al-Qaïda
et dʼautres islamistes sunnites d'août 1995 jusqu'à juin 1999. La CIA a
averti le président et son conseil de sécurité nationale que le
Département d'État américain avait identifié les pays où les combattants
capturés étaient livrés comme des pays qui violent les droits de lʼhomme.
ITW MICHAEL SCHEUER
Beaucoup de gens croient que le programme des « renditions » a vu le
jour sous M. Bush en 2001, mais en fait il a débuté en août 1995 sous M.
Clinton. Et sous M. Clinton, tous ceux qui se faisaient capturer étaient
envoyés dans un pays tiers et n'étaient pas détenus par les Américains.
MICHAEL SCHEUER
Après le 11 septembre et sous le président Bush, les membres d'AlQaïda capturés ont été placés sous le contrôle des Etats Unis. Les
objectifs du programme demeurent les mêmes, à une différence près :
M. Bush a demandé que ce soit des agents américains qui interrogent
les combattants détenus d'Al-Qaïda.
10 :29 :58
WILLIAM DELAHUNT
Lorsque vous avez capturé des individus en Europe ou ailleurs qu'en
Afghanistan ou qu'en Irak et que vous les avez emprisonnés ou
transférés vers un pays tiers, aviez-vous lʼautorisation légale pour le
faire ?
20
MICHAEL SCHEUER
Monsieur, un petit bureaucrate comme moi ne va pas envoyer un
prisonnier dans un autre pays sans le consentement du pouvoir exécutif.
Vous savez, à la CIA, on ne peut pas aller aux toilettes, sans
lʼautorisation dʼun avocat.
ITW MICHAEL SCHEUER
Chaque opération du programme des « renditions » est examinée par
des juristes qui représentent la CIA, le ministère de la Justice et la
Maison-Blanche. Aucune opération n'est entreprise sans que les avocats
n'aient donné leur consentement légal, et aucune méthode
d'interrogatoire nʼest utilisée avant que les juristes ne l'approuvent.
MMR : Apparemment tout a commencé avec la détention de Mr.
Zubaidah : cʼest là que la CIA a demandé une directive ?
ITW MICHAEL SCHEUER
Tout à fait !
10 :30 :59
COMMENTAIRE
Le sort dʼAbou Zubaydah a été évoqué personnellement par le président
Bush, en septembre 2006, au moment où il a annoncé son transfert vers
la prison de Guantanamo, après quatre ans dʼemprisonnement secret. Il
en a profité pour justifier les méthodes dʼinterrogatoire utilisées par la
CIA contre le prisonnier fantôme.
6 septembre 2006
10 :31 :38
GEORGES BUSH
Nous savions que Zubaidah possédait des informations pouvant sauver
la vie dʼ innocents, mais il a cessé de parler. Tandis que nous
lʼinterrogions, il est devenu évident qu'il avait été entraîné à résister aux
interrogatoires. La CIA a donc utilisé un autre ensemble de procédures...
21
Je ne peux pas décrire les méthodes spécifiques qui ont été utilisées – je
crois que vous comprenez pourquoi. Si je le faisais, cela aiderait les
terroristes à savoir comment résister aux interrogatoires et à nous cacher
l'information dont nous avons besoin pour prévenir de nouvelles attaques
contre notre pays. Je peux toutefois vous dire que les procédures
utilisées ont été plutôt sévères, mais qu'elles étaient bien contrôlées,
légitimes et nécessaires.
10 :32 :32
COMMENTAIRE
On sait aujourdʼhui quʼAbou Zubaydah a subi le supplice dit de la
« baignoire » - en anglais « waterboarding » - et quʼil fut le premier dʼune
liste dont on ne connaît pas encore tous les noms.
MMR : Est-ce que vous considérez la technique de la baignoire comme
de la torture ?
10 :32 :49
MICHAEL SCHEUER
Pas du tout. Elle a été autorisée par le président et approuvée par la
communauté juridique américaine. Sʼil sʼagissait de torture, ce serait
interdit par la loi et nous ne le ferions pas.
LARRY WILKERSON
Cʼest un pur non sens ! Le « waterboarding » est considéré comme de la
torture depuis lʼInquisition et même avant. Cʼest de la torture. En tant que
citoyen et soldat , je suis horrifié par le bricolage des juristes. Cʼest de la
torture, clairement de la torture.
Audition du 8 novembre 2007
10 :33 :12
COMMENTAIRE
Le « waterboarding » est-il de la torture ? Avant le 11 septembre, cette
question eût été inconcevable aux Etats Unis. Elle a pourtant été
ouvertement débattue au moment de la nomination de Michael Mukasey
à la tête du département de la justice fin 2007.
22
SHELDON WHITEHOUSE
Est-ce que le waterboarding est constitutionnel ?
MICHAEL MUKASEY
Nomination comme ministre de la Justice
Je ne sais pas ce que recouvre cette technique. Si le waterboarding est
de la torture, la torture est anticonstitutionnelle.
SHELDON WHITEHOUSE
Vous ne savez pas si cʼest de la torture ! Cʼest de la torture ou cela nʼen
est pas. Vous devriez avoir un avis. Le waterboarding est une technique
qui consiste à coucher quelquʼun par la force, à recouvrir son visage dʼun
tissu, puis à mettre de lʼeau sur le tissu, pour simuler une noyade. Est-ce
que cʼest constitutionnel ?
Michael MUKASEY
Si cela atteint le niveau de la torture, cʼest anticonstitutionnel.
SHELDON WHITEHOUSE
Votre réponse est très décevante. Elle est purement sémantique.
MUKASEY
Désolé.
10 :34 :21
ITW MICHAEL SCHEUER
Après le 11 septembre, la CIA nʼa pas voulu se contenter dʼun simple
« ok » verbal pour éviter les débandades du genre « on nʼa jamais dit
cela ». L'agence a insisté pour que ses officiers soient protégés par un
papier stipulant ce que nous étions censés faire, ce que nous étions
autorisés à faire et ce que nous n'étions pas autorisés à faire. La CIA a
exigé tout cela.
MMR Cʼétait une protection pour vos agents ?
23
MICHAEL SCHEUER
Oui, pour nos officiers. Nous voulions éviter ce qui se produit toujours
avec les politiciens, c'est-à-dire de jeter le blâme sur quelqu'un d'autre.
Une fois le papier signé, tout le monde est dans le même bateau !
10 :34 :59
COMMENTAIRE
Le « papier » dont parle Michael Scheuer est un mémorandum secret de
lʼOLC daté du 1 août 2002 et signé officiellement par Jay Bybee, le chef
de John Yoo. Surnommé le « memo de la torture », ce texte sʼemploie à
contourner lʼinterdiction absolue de torturer entérinée par la Déclaration
universelle des droits de lʼhomme de 1948 . puis par la Convention
contre la torture, aprouvée par les Nations Unies en 1984 et ratifiée par
les Etats Unis, dix ans plus tard.
Qui a vraiment écrit le mémo de lʼOLC? Mystère. Diverses sources
assurent que cʼest John Yoo avec lʼaide de David Addington.
La seule chose qui est sûre cʼest que le mémo de la torture était adressé
à Alberto Gonzales, et donc à la Maison Blanche.
Audition du 6 janvier 2005
10 :35 :49
Edward KENNEDY
Dʼaprès un article paru dans le Washington Post , la CIA vous a
demandé un avis juridique concernant le seuil de douleur et de
souffrance qu'un agent des renseignements pouvait infliger à un détenu
sans violer la loi de 1994 prohibant la torture.. L'article du Post stipule
que vous avez présidé plusieurs réunions où diverses techniques
d'interrogatoire ont été abordées. Ces techniques incluaient la menace
de se faire enterrer vivant ou de subir le supplice de la baignoire. Est-ce
la CIA qui vous l'a demandé ?
24
ALBERTO GONZALES
Je ne me souviens pas exactement si c'est moi qui ai demandé ce
mémo, si c'était une demande de la CIA ou si la CIA s'est adressée à
moi. Je ne m'en souviens plus, sénateur.
10 :16 :31
Edward KENNEDY
Vous n'avez aucune note, aucune information, aucun résumé qui nous
éclairerait sur une question aussi importante et aussi lourde de
conséquences ?
ALBERTO GONZALES
Je suis certain que nous avons eu des discussions à ce sujet. Au bout du
compte, le mémo a été accepté parce qu'il s'agissait de la position et de
la décision finale de l'OLC.
10 :36 :47
COMMENTAIRE
Lʼastuce du memo de lʼOLC consiste à redéfinir la torture en plaçant la
barre si haute que rares sont les actes qui entrent dans la définitition :
« Pour quʼune souffrance physique soit considérée comme de la torture,
il faut quʼelle soit équivalente en intensité à la souffrance qui
accompagne une blessure physique sévère, comme la défection dʼun
organe, lʼaltération dʼune fonction corporelle, ou même la mort ».
Audition du 7 janvier 2005
SPECTER
La parole est maintenant à M. Koh, le doyen de lʼécole de droit de Yale.
HAROLD KOH
Doyen de lʼuniversité de Droit de Yale
Ayant moi-même travaillé à l'OLC, je comprends la pression que
subissent ceux qui rendent des avis juridiques. Cependant, dʼun point de
25
vue professionnel et en tant que professeur de droit et doyen dʼune
faculté de droit, je dois dire que le mémo de Bybee représente l'avis
juridique le plus erroné que j'aie jamais lu.
ITW HAROLD KOH
Jʼai examiné les rapports rédigés par les Etats-Unis sur la torture infligée
par les troupes de Saddam Hussein : plusieurs techniques qui y sont
dénoncées, comme la menace de viol ou le fait de faire tomber de l'huile
bouillante sur quelqu'un, ne répondent pas aux critères définis dans le
mémo, alors quʼelles étaient clairement considéres comme de la torture
lorsquʼelles étaient commises par Saddam Hussein.
10 :38 :02
EDWARD KENNEDY
Jʼai une question. Ne croyez-vous pas que quelqu'un puisse souffrir le
martyr sans que cela provoque la défaillance dʼun organe ? Un exemple :
Le fait de couper les doigts de quelquʼun n'entrerait pas dans votre
définition de la torture ?
ALBERTO GONZALES
Je ne me souviens pas avoir lu que ce niveau de douleur était
nécessaire pour que ce soit considéré comme de la torture. A mes yeux,
se faire couper les doigts ressemble à de la torture.
MMR : : Quelles conséquences entraîne cette en remise en cause de
lʼinterdiction de la torture pour les Etats Unis et le reste du monde ?
10 :38 :50
KENNETH ROTH
Quand un pays ordinaire torture quelquʼun, on se dit que cʼest une
violation des droits de lʼhomme mais les standards ou les normes restent
les mêmes. Mais quand une superpuissance comme les Etats Unis
violent une norme aussi fondamentale que la prohibition de la torture
cela tend à dégrader la prohibition elle même. On trouve aujourdʼhui un
26
peu partout dans le monde des pays qui justice lʼusage de la torture en
invoquant ce que Bush fait. Moi-même jʼai rencontré récemment le
premier ministre égyptien à qui je dénonçais la torture infligée à des
suspects arrêtés dans le Sinai. Sans hésiter une seconde, il mʼa dit :
« mais cʼest ce que Bush fait ».
10 :39 :31
COMMENTAIRE
Révélé par la presse peu après le scandale dʼAbou Ghraib, le « memo
de la torture » représente le document le plus compromettant de
lʼadministration Bush. Cette pièce à conviction pourrait envoyer ses
auteurs en prison pour « complicité de crimes de guerre ». Voilà
pourquoi John Ashcroft, le ministre de la Justice, dont dépend lʼOLC, a
tout fait pour cacher son existence au Congrès. Jusquʼau bout.
Audition du 8 juin 2004
EDWARD KENNEDY SEN démocrate
Il y a trois memorandum du départment de la justice, lʼun du 9 janvier
2002 signé par John Yoo, le deuxième dʼaoût 2002 signé par Bybee, et
le troisième de mars 2003 pour le groupe de travail inter-agences, allezvous fournir ces memos à notre commission ?
12 :40 :16
JOHN ASHCROFT
Non, je ne le ferai pas. Je refuse de révéler ces mémos parce que je
pense quʼil est essentiel pour la branche exécutive que le président ait la
possibilité dʼobtenir un avis confidentiel de son ministre de la justice.
RICHARD DURBIN SEN Démocrate
Franchement, cʼest du mépris pour le congrès. Vous devez nous
expliquer quel privilège vous invoquer pour refusez ce que nous vous
demandons. A moins que ce soit un privilège du président mais rien ne
le prouve. Je pense que la commission ne devrait pas se laisser faire.
27
HATCH ORRIN (Off)
Est-ce que ces mémorandums sont classifiés ?
LEVY (of)
Apparemment le ministre de la Justice tient une conférence dans les
coulisses pour préciser sa position…
JOHN ASHCROFT
Je suis en train de demander un conseil qui restera confidentiel…
Certains de ces memos sont peut être classifiés dʼune certaine manière
pour certaines raisons…
10 :41 :20
CHARLES SHUMER SEN démocrate
Merci, Monsieur le Président. Monsieur le ministre, je sais que ce nʼest
pas un jour facile pour vous. Et nous apprécions votre présence ici.
Je pense quʼil y a sans doute peu de personnes dans cette salle ou en
Amérique qui pensent quʼon ne doit jamais utiliser la torture surtout
quand des milliers de vies sont en jeu. Prenons une hypothèse : nous
apprenons quʼune bombe nucléaire a été cachée quelque part dans une
ville américaine. Et nous estimons quʼune forme de torture, y compris
très sévère, peut nous donner une chance de trouver la bombe avant
quʼelle explose, je suis sûr que la majorité des américains et des
sénateurs seront dʼaccord pour dire : « faites ce que vous avez faire ».
Le problème cʼest que cela doit être très soigneusement encadré et
rendu public. Dans ce cas je suis convaincu que toutes les personnes
raisonnables comprendront.
EXTRAIT ALIAS
Cʼest trop tard, vous ne pourrez pas lʼarrêter !
10 :42 :25
COMMENTAIRE
Lʼargument développé par le représentant démocrate pour justifier la
légalisation au coup par coup de la torture a été publiquement débattu
aux Etats Unis. Son nom : le le « scénario de la bombe à retardement ».
28
Lʼorganisation Human Rights First a édité un DVD, intitulé « torture en
prime time », qui montre la banalisation de cet argument à la télévision.
10:42:49
MICHAEL POSNER
Président de Human Rights First
Le modèle de cet argument cʼest un programme de télévision appelé
« Twenty Four », « 24 Heures » en français, qui est diffusé depuis sept
ans . Le héro est un agent de renseignement américain, du nom de Jack
Bauer, qui passe au moins plusieurs minutes par heure à torturer
quelquʼun pour obtenir de lʼinformation sur une bombe à retardement.
Cʻest la même histoire chaque semaine, dans chaque épisode.
EXTRAIT “24”
Où est la bombe?
LARRY WILKERSON
Cʼest un argument grotesque. Tout le monde sait au sein du
gouvernement quʼil nʼy aura jamais ce scénario parfait où on pourra
obtenir le bon renseignement exactement au bon moment . Cʼest
impossible ! ça nʼarrive quʼà Jack Bauer ou à Hollywood.
MICHAEL POSNER
Depuis , à chaque fois quʼon allume son poste , on tombe sur un
programme où quelquʼun est torturé. Cela a un impact considérable sur
les gens. Cela entretient la peur et surtout cela a permis aux politiques
de donner une légitimité aux décisions prises.
10:44:11
COMMENTAIRE
Au moment où la CIA reçoit le feu vert de lʼOLC, à Guantanamo, le
Pentagone multiplie les pressions sur les services de renseignement de
29
lʼarmée chargés dʼinterroger le saoudien Mohammed al Qahtani.
Soupçonné dʼêtre le 20ème terroriste des attentats du 11 septembre, il a
été arrêté en Afghanistan, puis transféré sur la base de Guantanamo en
janvier 2002.
Pendant six mois, les officiers de renseignement militaire respectent les
consignes du manuel de campagne de lʼarmée, qui interdit les
interrogatoires coercitifs. On sait aujourdʼhui que Donald Rumsfeld a
décidé de passer outre en détournant un programme militaire secret,
baptisé SERE, et destiné à entraîner les forces spéciales américaines à
résister à la torture.
Audition du 8 novembre 2007
10 :45 : 57
MALCOLM NANCE
Mon nom est Malcolm Wrighton Nance. Je suis un ancien membre des
services de renseignements américains. Pendant que je servais ma
nation, jʼai eu lʼhonneur dʼêtre accepté comme instructeur pour le
programme de la marine, Survie, Évasion, Résistance et Secours,
lʼécole SERE.
ITW MALCOLM NANCE
Le programme SERE a été créé à la fin des années 1950, après la
guerre de Corée. Les études faites sur les prisonniers de guerre
américains ont montré que pendant la Seconde Guerre mondiale et
surtout en Corée, les prisonniers de guerre mouraient en grand nombre.
Ces études ont démontré que cʼétait à cause des techniques utilisées. Il
a été décidé de créer un programme qui permette aux membres de
lʼarmée américaine dʼavoir certains outils pour résister à une éventuelle
captivité.
Nous entraînons notre personnel afin quʼil puisse survivre dans le pire
environnement qui soit, à savoir celui dʼ un ennemi qui ne respecte
absolument pas les droits de lʼhomme ni les Conventions de Genève.
10 :45 :55
30
LARRY WILKERSON
Le programme le plus vigoureux auquel jʼai participé était le programme
des Rangers de lʼarmée américaine. Nous avons été parachutés dans
la jungle, le soir. Pendant que jʼétais en train de rouler mon parachute
et de le ranger dans mon sac, jʼai été capturé.
Jʼai été enfermé un jour et une nuit dans un espace dans lequel je ne
pouvais être quʼen position fœtale. Cʼest long. Et je vous assure que
cʼest très dur de rester dans cette position pendant une journée. Je ne
pouvais pas bouger. Je ne pouvais même pas tourner la tête.
Ensuite, on mʼa soumis à un interrogatoire. Jʼétais assis sur une petite
chaise avec une grosse lampe comme ça, allumée et braquée sur mon
visage, jʼétais êtes torse nu, puis on a commencé à être agressif avec
moi. Lʼun des officiers mʼa giflé si violemment quʼil mʼa cassé une dent.
Cʼétait vraiment un entraînement sérieux.
10 :46 :46
MALCOLM NANCE
Nous enseignons à nos étudiants que la torture est utilisée par des
services de renseignements militaires ou civils qui ont recours à des
moyens illégaux pour obtenir du renseignement. Nous leur présentons
la torture comme un échec complet de la part de lʼennemi. Et nous les
soumettons aux techniques utilisées partout dans le monde, comme le
supplice de la baignoire, les coups, les positions de stress, la privation
de sommeil, lʼarrachage des ongles ou les chocs électriques.
LARRY WILKERSON
Cʼest encadré et contrôlé par des psychologues et des médecins, etc.
Leur rôle est de sʼassurer quʼune école aussi agressive que lʼécole des
rangers, par exemple, ne blesse personne.
10 :47 :32
MALCOLM NANCE
31
Le rôle des psychologues de SERE est très important : ce sont eux qui
vérifient que les étudiants sont en bonne santé mentale et leur
apprennent à le rester en captivité.
Si quelquʼun mʼavait dit : « Ok, nous allons maintenant torturer des gens
de la même manière que les tortionnaires nous ont torturés », jʼaurais dit
1) que cʼétait un crime; 2/ que cʼétait inefficace; et 3/ que cʼétait la chose
la plus anti-américaine que lʼon puisse faire.
10 :47 :58
COMMENTAIRE
La révélation
de lʼexistence
du programme SERE et de son
détournement pour torturer des prisonniers a provoqué un vif émoi aux
Etats Unis. Pourtant, lors de lʼaudition parlementaire, seuls les seconds
couteaux ont été cités à témoigner, et pas Donald Rumsfeld, leur chef à
tous.
Audition du 17 juin 2008
10 :48 :18
CARL LEVIN SEN Démocrate
Lʼaudition dʼaujourdʼhui va explorer comment les techniques
dʼentraînement à la résistance du programme SERE ont été inversées
par des responsables du Département de la Défense pour être utilisées
de manière offensive contre des détenus.
Je commencerai par vous, M. Shiffrin. Lorsque vous étiez lʼavocat
général adjoint, chargé du renseignement, au Département de la
Défense, vous avez eu des discussions avec votre supérieur, Jim
Haynes, concernant la question des interrogatoires, durant le printemps
ou lʼété 2002. Est-ce exact ?
10 : 48 :58
RICHARD SHIFFRIN
32
Jʼai effectivement discuté avec Jim Haynes pour savoir où on pourrait
trouver, au sein du département de la défense, une expertise sur la
manière de conduire des interrogatoires. Le Département de la Défense
ne sʼétait pas occupé de cette question au moins depuis la guerre du
Vietnam.
CARL LEVIN
Ce souci était-il dû à des frustrations venant du manque de
renseignements récolté ?
RICHARD SHIFFRIN
Cʼest le sentiment que jʼai eu, pas seulement à cette occasion, mais lors
de précédentes réunions auxquelles jʼai assisté dans notre bureau et où
il y eut des conversations sur le progrès ou le manque de progrès dans
lʼexploitation des détenus.
10 :49 :36
CARL LEVIN
M. Haynes, avez-vous demandé à M. Shiffrin dʼobtenir des informations
sur les techniques SERE ?
JIM HAYNES
Chef juridique du département de la défense
M. le président, six ans sont passés depuis lʼété 2002, et ma mémoire
nʼest pas parfaite. Ma mémoire nʼest pas parfaite même pour des
événements plus récents, alors pour ce qui sʼest passé il y a six ans,
cʼest sûrement le cas. Ce dont je me souviens de lʼété 2002, cʼest quʼil
régnait au sein du gouvernement une grande inquiétude concernant la
possibilité dʼune autre attaque terroriste, à lʼapproche du premier
anniversaire du 11 septembre. Il y avait aussi une conviction largement
répandue que les prisonniers arrêtés par les Etats-Unis pendant la
guerre contre la terreur ne donnaient pas autant de renseignements que
souhaité.
10 :50 :30
CARL LEVIN
33
Vous ne vous souvenez pas avoir fait cette demande ?
JIM HAYNES
Je ne mʼen souviens pas vraiment, mais si je lʼai fait, cʼest sûrement à
Richard que je me suis adressé.
CARL LEVIN
Colonel Baumgartner, dans votre déposition, vous dites que, en juillet
2002, M. Shiffrin vous a appelé et vous a demandé des informations sur
lʼutilisation de pressions physiques durant lʼentraînement de SERE, estce exact ? Cʼest ce que dit votre déposition ?
DANIEL BAUMGARTNER
Oui, Monsieur
CARL LEVIN
En réponse, vous avez envoyé à M. Shiffrin une liste de pressions
physiques incluant des positions de stress, la privation sensorielle, le
waterboarding. Vous lui avez transmis une note du Dr Ogrisseg traitant
des effets psychologiques de cet entraînement. Est-ce exact ?
DANIEL BAUMGARTNER
Oui, Monsieur.
10 :51 :17
LINDSEY GRAHAM SEN Républicain
Est-ce que les techniques dont nous parlons sont efficaces?
DANIEL BAUMGARTNER
De quel point de vue ?
34
LINDSEY GRAHAM
Pour obtenir du renseignement ?
Lt.Col.DANIEL BAUMGARTNER
Responsable du programme SERE
Je ne suis pas un agent de renseignements, monsieur, je ne sais pas.
Mais je sais que ces techniques sont efficaces dans notre programme
dʼentraînement pour apprendre à nos étudiants la façon de résister à
quelquʼun qui veut leur soutirer des renseignements. Cʼest à ça quʼelles
servent.
10 :51 :42
LINDSEY GRAHAM
Docteur, dʼaprès les études que vous avez réalisées, est-il juste
dʼaffirmer quʼon peut faire dire presque nʼimporte quoi à nʼimporte qui si
on use de brutalité pendant un certain temps ?
JERALD OGRISSEG
Je dirais que cʼest vrai, mais que cʼest aussi le problème. On peut leur
faire dire nʼimporte quoi.
MMR: Un jour, vous avez déclaré dans un journal que vous aviez vousmême subi le supplice de la baignoire ?
10 :52 :03
ITW MALCOM NANCE:
Oui, effectivement. Vous ne pouvez pas enseigner à lʼécole SERE sans
avoir subi vous-même toutes les techniques. Donc, comme cela faisait
partie de ma formation, sans savoir que ça allait arriver, jʼai subi le
waterboarding.
MMR : Cʼest comment ?
35
MALCOLM NANCE:
Oh, cʼest horrible ! Vous vous noyez. Vous vous noyez dans un
environnement très contrôlé, mais vous vous noyez lentement. On vous
dit que si vous ne répondez pas la question, la torture va continuer, ce
qui est douloureux. Et, à ce stade, vous êtes prêt à dire nʼimporte quoi.
MMR : Vraiment ?
MALCOM NANCE:
Oh oui ! Vous êtes prêt à dire que le haut est en bas. Que le noir est
blanc. Tout ce quʼils veulent que vous disiez. Vous finissez par avouer,
en sachant pertinemment que cʼest une fausse confession.
10 :52 : 50
COMMENTAIRE
Le 27 novembre 2002, Jim Haynes rédige un mémorandum qui restera
dans lʼhistoire comme le « mémo de Rumsfeld ».
Il propose« trois catégories de techniques, la première étant la moins
agressive, la troisième la plus agressive ». Toutes ces techniques dites
« dʼinterrogatoire dur » sont inspirées du programme SERE, comme
« lʼusage de positions de stress comme rester debout pendant un
maximum de quatre heures »
« Lʼenlèvement des vêtements »
36
« lʼexploitation des phobies des prisonniers, comme la peur des chiens
pour provoquer le stress ».
Dans la catégorie 3, le bras droit de Rumsfeld suggère « lʼusage dʼune
serviette humide et de lʼeau qui ruisselle pour induire lʼillusion de la
suffocation ».
ITW LARRY WILKERSON
Apprendre que la plus haute instance de votre gouvernement a non
seulement fermé les yeux sur ces atrocités, mais les a demandées, est
nouveau pour moi. Et sincèrement, jʼai honte dʼêtre un citoyen américain,
gouverné par George W. Bush.
Audition du 17 juin 2008
CARL LEVIN
Sénateur Graham…
10 :54 :03
LINDSEY GRAHAM
La waterboarding faisait partie de la catégorie 3, nʼest ce pas?
WILLIAM HAYNES
Il me semble que cʼétait présenté comme un linge dégoulinant dʼeau. Je
nʼai jamais vraiment compris en quoi consistait cette technique.
LINDSEY GRAHAM
Vous pensez que cette technique est légale?
WILLIAM HAYNES
A bien y réfléchir , aujourdʼhui, je pense en fait que cʼest illégal… A
lʼépoque, je ne sais pas…
37
LINDSEY GRAHAM
Okay.
WILLIAM HAYNES
Aujourdʼhui, la loi est très claire.
10 :54 :29
COMMENTAIRE
Le 2 décembre 2002, Donald Rumsfeld signe le memorandum de
Haynes en guise dʼapprobation. Sous sa signature, il rajoute un
commentaire manuscrit : « je reste debout 8 à 10 heures par jour,
pourquoi la position debout est-elle limitée à 4 heures seulement ? »
10 :54 :50
CARL LEVIN
Quel impact peut avoir ce genre de remarque sur le personnel militaire
qui le lit?
ALBERTO MORA
Sénateur, lorsque jʼai vu cette note pour la première fois, jʼai été choqué
quʼun tel commentaire puisse figurer sur un document de cette nature. À
ce moment-là, jʼai pensé que, même si cʼétait une blague, - et on sait que
cʼest le genre du secrétaire Rumsfeld - cela pouvait être interprété
comme un signe dʼapprobation pour agir au-delà des limites de ce
document.
Question MMR :
Quʼavez vous ressenti quand vous avez lu les techniques autorisées par
le Département de la Défense ?
10 :55 :22
ITW Alberto Mora
Jʼétais horrifié, mais jʼai aussi cru que cʼétait une erreur. Il ne mʼest pas
venu à lʼesprit que lʼautorisation de ces techniques pouvait être un acte
38
délibéré.
Je pensais que Jim Haynes, le responsable juridique qui avait envoyé ce
mémorandum au secrétaire Rumsfeld, et le secrétaire Rumsfeld luimême nʼavaient pas évalué les conséquences de ces techniques
dʼinterrogatoire tout simplement parce quʼils étaient surchargés de
travail. Jʼétais convaincu que dès lors que je leur ferais part de mes
remarques, le document serait retiré et la situation serait corrigée.
Question : MMR
Vous le pensiez vraiment?
ITW ALBERTO MORA
Oui absolument.
Question MMR
Et que pensez-vous aujourdʼhui?
ITW ALBERTO MORA
Eh bien, que ce nʼétait pas une erreur… Cʼétait une erreur dans le sens
où cʼétait une mauvaise décision à différents niveaux, mais cette
décision a été prise en toute connsaissance de cause.
10 :65 :26
LINDSEY GRAHAM
M. Mora, si jʼai bien compris, dès que vous avez vu les techniques
dʼinterrogatoire proposées, vous avez ressenti le besoin de parler et
vous lʼavez fait.
Quʼavez-vous fait ensuite?
ALBERTO MORA
Jʼai immédiatement apporté le mémo à M. Haynes et je lui ai dit quʼil y
avait un souci.
10:56:44
ITW ALBERTO MORA
39
Je suis allé voir Jim. Je lʼai rencontré environ une heure après avoir lu le
mémorandum. Je lui ai expliqué pourquoi je pensais que ce
mémorandum était une erreur, comment il pouvait conduire à lʼutilisation
de la torture et pourquoi lʼutilisation de quelque traitement que ce soit qui
pourrait être considéré comme cruel et dégradant serait un désastre pour
le pays, que ce soit du point de vue de la sécurité intérieure ou de la
politique étrangère. Jʼai dit ça, Jim a très peu parlé, en fait, la seule
chose quʼil ait dite était quʼil ne pensait pas que ce mémorandum
organisait un système de torture.
Jʼai aussi discuté de cela avec les juristes de lʼarmée de terre et de lʼair.
Tous pensaient aussi que cette directive était illégale et représentait une
grande erreur pour le pays. Jʼavais donc reçu un soutien énorme de la
part des différents corps dʼarmée qui sʼopposaient à lʼapplication de ces
techniques.
10 :57 :42
CARL LEVIN
Je voudrais passer en revue avec vous les commentaires des différents
corps dʼarmée. Par exemple, prenez la pièce 12, datée du 7 novembre
2002, cʼest un mémorandum de lʼarmée de terre, paragraphe 2, il est
écrit : « Lʼarmée de terre soulève de manière significative des problèmes
légaux et pratiques en ce qui concerne presque toutes les techniques de
la catégorie 2 et toutes celles de la catégorie 3. »
Étiez-vous au courant du désaccord de lʼarmée au sujet de ces
techniques?
WILLIAM HAYNES
Je ne me souviens pas dʼavoir vu ce mémorandum à lʼépoque et je ne
me rappelle pas dʼobjections de ce type.
CARL LEVIN
Saviez-vous que lʼarmée de lʼair avait les mêmes inquiétudes à propos
de ces techniques ?
40
WILLIAM HAYNES
Je ne me souviens pas non plus de ce mémorandum.
CARL LEVIN
Vous avez soigneusement ignoré les mémos des juristes militaires
adressés à votre bureau.
Vous les avez soigneusement ignorés.
HAYNES
Vous dites que je les ignorés…
LEVIN
Oui, vous les avez ignorés.
HAYNES
Si je ne les ai pas vus, je nʼai pas pu les ignorer.
LEVIN
Vous saviez quʼil y avait des inquiétudes, pourquoi ne pas avoir
demandé à voir ces mémos ?
HAYNES
Je vous ai dit que je ne savais pas que ces mémos existaient.
41
LEVIN
Vous ne saviez pas que ces mémos existaient ?
HAYNES
Sénateur, je ne me souviens pas les avoir vus ni avoir eu connaissance
de leur existence. Cʼétait il y a six ans. Jʼai dû voir des millions et des
millions et des millions de pages dʼinformation pendant les sept années
où jʼai fait ce travail.
10 :59 :21
COMMENTAIRE
Dʼaprès un document déclassifié du Pentagone, les officiers des services
de renseignement ont été formés aux techniques dʼinterrogatoire dures
dès septembre 2002. Lʼentraînement a été encadré par des
psychologues du programme SERE.
La participation de psychologues dans la transmission des méthodes de
torture a provoqué une vive polémique au sein de lʼAPA, lʼassociation
américaine de psychologie.
MANIF
10:59:59
Je demande instamment aux membres de lʼAPA de dire clairement aux
dirigeants de notre organisation et au monde : la mission des
psychologues est plus importante que de simplement obéir aux ordres.
Les psychologues ne doivent pas participer au programme de torture du
gouvernement américain.
11:00:20
ITW LEONARD RUBINSTEIN
Les psychologues ont été impliqués dans ce quʼon appelle le
« retournement » des méthodes utilisées pour entraîner les soldats
américains à résister à la torture, pour quʼelles soient appliquées de
manière offensive sur les prisonniers. Ils participent aussi aux fameuses
« équipes scientifiques de consultation comportementale » qui
42
participent aux interrogatoires en fournissant un encadrement et des
conseils.
MMR : Est-ce que les psychologues ont assisté aux séances de torture ?
LEONARD RUBINSTEIN
Malheureusement la plupart des documents sont encore classifiés. Dans
un cas, pourtant, nous avons la confirmation quʼun psychologue était
présent en donnant des conseils. Il y a aussi des médecins impliqués.
Dans un cas que nous avons étudié, le prisonnier avait lʼépaule démise
après avoir subi le supplice de la suspension et un médecin lui a remis
lʼépaule en place pour que la torture puisse continuer.
11 :01 :26
COMMENTAIRE
En novembre 2002, le général Geoffrey Miller est nommé à la tête du
camp de détention de Guantanamo, surnommé « GITMO ». Cʼest lui qui
supervisera lʼintroduction des « techniques dʼinterrogatoire dures»
destinées aux prisonniers de « grande valeur », comme on les appelle
dans le jargon.
Mohammed Al Qahtani est le premier sur la liste. Pendant 51 jours, les
tourments quʼil subit sont consignés dans un rapport dʼactivités, dont des
extraits ont fini par fuiter.
20 décembre : « le détenu est mis à nu »… « Il dit quʼil nʼaime pas que
les femmes regardent son corps nu »… « lʼinterrogateur lui demande de
faire le beau, de marcher et dʼaboyer comme un chien ».
La présence dʼun psychologue et dʼun médecin est notée à plusieurs
reprises :
27 novembre : « le surveillant place le détenu dans un fauteuil tournant
pour le maintenir éveillé selon la suggestion du Major L ». Le Major Leso
était le chef des psychologues à Guantanamo.
Audition du 19 mai 2004
La vérité, toute la vérité, rien que la vérité…
43
11 :02 :30
JACK REED SEN Démocrate
Général Miller, on rapporte quʼà Guantanamo, vous avez établi une liste
comprenant 72 techniques de stress et de contrainte. Elles incluent des
variations de température extrême , la privation de nourriture, cagouler le
détenu pendant des jours entiers, lʼisolement du détenu nu dans le froid
et des cellules sans lumière. Est-ce exact ?
GENERAL MILLER
Monsieur, cʼest totalement faux.
JACK REED
Ca ne sʼest jamais produit.
MILLER
Cʼest totalement faux.
REED
Okay.
JOHN CORNYN SEN républicain
Pouvez-vous aussi nous confirmer que chacun, indépendamment de son
statut à Guantanamo ou ailleurs, à votre connaissance, a droit à être
traité humainement ?
MILLER
44
Oui, sénateur, chaque combatant ennemi détenuà Guantanamo est traité
de façon humaine.
11 :03 :16
COMMENTAIRE
Le calvaire subi par les prisonniers de GITMO déclenche une vive
polémique : dʼun côté, les services dʼintelligence militaires ou la CIA,
obsédés par le renseignement, et de lʼautre les services judiciaires,
comme le FBI, la police fédérale qui travaille dans lʼoptique dʼun éventuel
procès. Ses agents sʼopposent à la torture dʼun point de vue moral mais
aussi parce quʼils savent que tout soupçon de torture entraînera
lʼannulation des procédures.
Audition du 8 novembre 2007
11 :03 :47
AMRIT SINGH
Mon nom est Amrit Singh. Je suis avocate à lʼACLU, lʼunion américaine
pour les libertés civiles, et je conseille la partie plaignante dans le procès
qui oppose lʼACLU au Département de la Défense. Nous avons déposé
plainte contre la rétention injustifiée dʼinformation, et notre action a
contraint le gouvernement à rendre publiques plus de 100 000 pages de
documents concernant le traitement des prisonniers retenus à lʼétranger
par les États-Unis, et jʼai personnellement passé en revue tous ces
documents.
Par exemple, dans un document du gouvernement, un agent du FBI
décrit ceci : « À plusieurs reprises, je suis entré dans les salles
dʼinterrogatoire et jʼai trouvé des prisonniers pieds et poings liés, couché
en position fœtale sur le sol, sans eau ni nourriture. La plupart du temps,
ils avaient uriné et déféqué sur eux-mêmes, ayant été laissés là de 18 à
24 heures, ou plus. Une autre fois, lʼair conditionné avait été éteint, ce
qui faisait probablement monter la température de la pièce à plus de 38
degrés . Le détenu était presque inconscient sur le sol, avec un tas de
cheveux juste à côté de lui. Il sʼétait apparemment lui-même arraché les
cheveux pendant la nuit .
11 :04 :48
ITW JOE NAVARRO
45
Les agents du FBI observaient ça et étaient vraiment choqués . Certains
ont essayé de rapporter ces faits du mieux quʼils ont pu. Je pense que si
cela sʼétait passé nʼimporte où ailleurs, il y aurait eu des arrestations, car
cʼest une violation évidente de la loi fédérale.
Le général Miller qui, à ce que jʼai cru comprendre, nʼétait pas un agent
de renseignements, était responsable de cet endroit, et je ne sais pas
de qui il recevait ses conseils, mais ce nʼétait pas de bons conseils. Il y
eut beaucoupde débats et de conflits entre le FBI qui obervait tout ça et
les militaires. Et la position militaire était, et je cite : « soit tu diriges, soit
tu nous suis ou tu dégages. »
MMR:
Apparemment, le FBI a été écartéà Guantanamo, le confirmez-vous ?
ITW JOE NAVARRO
Oui, finalement le FBI a été écarté.
11:06:06
COMMENTAIRE
Le 20 mars 2003, les Etats Unis envahissent lʼ Irak, au motif que le
régime de Saddam Hussein abrite des armes de destruction massive. Un
mensonge dʼEtat qui coûtera la vie à des centaines de milliers
dʼinnocents. Lʼobjectif officiel est de traquer Saddam Hussein et ses plus
proches collaborateurs. Mais très vite lʼoccupation déclenche une
insurrection qui tourne à la guerre civile.
17 mars 2003
11:06:35
GEORGE BUSH
46
Dans un Irak libre, il nʼy aura plus de guerre dʼagression contre les
voisins, ni dʼusines à poison, ni dʼexécution de disidents, ni de chambres
de torture.
11:06:53
COMMENTAIRE
En Irak, les opérations militaires sont dirigées par le général Ricardo
Sanchez dont dépend notamment la 205ème brigade du colonel Thomas
Pappas. Celle-ci regroupe les “MI”, les officiers dʼ intelligence militaire,
chargés de la récolte du renseignement et donc des interrogatoires.
MMR : MMR : Comment décririez-vous lʼambiance qui régnait dans la
communauté du renseignement lorsque vous êtes arrivé en Irak ?
11 :07 :16
ITW DAVID DEBATTO:
Très agressive. Nous voulions obtenir des réponses. Certains voulaient
carrément se venger. On nous avait dit que que Saddam était impliqué
dans les attentats du 11 septembre et que les Irakiens étaient des
ennemis. On ressentait donc de la colère et un esprit de vengeance au
sein de lʼarmée et de la communauté du renseignement.
MMR: Le renseignement représentait une obsession?
DAVID DEBATTO:
47
Oui, tout a fait. Cʼest grâce au renseignement quʼon perd ou quʼon gagne
une guerre et en Irak cʼétait plus important que jamais.
Le problème cʼest que tout le monde peut être un ennemi. Il nʼ y a pas de
ligne de front ni dʼuniforme. Ce nʼest pas facile pour les soldats de se se
sortir tous les jours et de voir des citoyens normaux, des Irakiens, des
personnes âgées, des jeunes, des enfants, des homes et des femmes
qui rient, qui jouent, , qui vous saluent, vous serrent la main et peuvent à
tout moment vous tirez dessus.
11:08:25
ITW GENERAL RICARDO SANCHEZ
Nous avions beaucoup de pressions pour obtenir à tout prix le
renseignement donʼt nous avions besoin pour mener à bien nos
operations. Et cela aurait été mal vu et très negligent de ma part si je
nʼavais pas tout mis en oeuvre pour obtenir ces renseignements afin de
pouvoir accomplir notre mission.
11:08:43
COMMENTAIRE
Du général Sanchez dépend aussi la 800ème Brigade militaire dirigée
par le general Janis Karpinski, chargée de lʼintendance et de la sécurité
des 17 prisons irakiennes, dont Abu Ghraib. Cʼest elle qui commande les
“M.P.”, la police militaire, cʼest à dire les gardiens de prison.
11:09:03
ITW GENERAL JANIS KARPINSKI
48
ITW KARPINSKI
Dʼabord, il y a eu ce raid ou cette opération majeure à Mossoul. Ils ont
commencé à emmener à Abou Ghraïb des prisonniers qui portaient des
badges sur lesquels était écrit « détenus de sécurité ». Cʼest un terme
que nous nʼavions jamais utilisé dans nos opérations militaires ou de
détention. Du jour au lendemain, ils emmenaient 30, puis 50 prisonniers,
par jour. Plus le nombre de détenus augmentait, plus les interrogateurs
de lʼintelligence militaire faisaient des heures supplémentaires mais ils
nʼobtenaient aucun renseignement dʼimportance de ces détenus de
sécurité !
11:09:42
ITW DAVID DEBATTO
Nous faisions des rafles dans les villages, où nous arrêtions des dizaines
dʼIrakiens, principalement des hommes. Tout homme de 14 à 70 ans
pouvait être raflé et emmené dans un centre dʼinterrogatoire. Mon équipe
les interrogeait et même si jʼestimais quʼils étaient innocents , ils nʼétaient
pas relâchés parfois pendant des jours ou des semaines, dans lʼ attente
dʼun nouvel interrogatoire.
ITW KARPINSKI
La plupart étaient totalement innocents ! Ils avaient seulement été au
mauvais endroit au mauvais moment.
MMR
Et ils ne relâchaient personne ?
GENERAL JANIS KARPINSKI
Non, personne !
MMR
Pourquoi ?
Janis KARPINSKI
49
Parce quʼils avaient peur de libérer le prochain Oussama Ben Laden ou
de libérer quelquʼun qui détenait de lʼinformation quʼils nʼavaient pu
obtenir. Ils perdaient confiance en leur propre capacité dʼobtenir des
renseignements pertinents.
ITW SANCHEZ
À lʼété 2003, nous avons demandé une directive et un entraînement
supplémentaires parce que nous savions que nous avions des difficultés
en Irak concernant les opérations de détention et les interrogatoires.
Finalement, on nous a dit que la seule expertise qui existait cʼétait celle
de Guantanamo où avaient été développé des procédures
dʼinterrogatoire.
MMR
Cʼest comme cela que le general Miller est venu en Irak?
GÉNÉRAL RICARDO SANCHEZ
Oui, il faisait partie de ma demande dʼaide.
11 :10 :58
COMMENTAIRE
Un document du général Miller aujourdʼhui déclassifié confirme quʼil a
effectué une visite en Irak du 31 août au 9 septembre 2003. Il y dirigea
une “équipe de personnel expérimenté dans lʼinterrogatoire stratégique”,
dans le but dʼ “exploiter rapidement les détenus pour obtenir du
renseignement utile”.
GÉNÉRAL JANIS KARPINSKI
Le général Miller a dit que son plan était de "gitmo-iser" les opérations à
Abou Ghraïb. Il a dit : Je ferai dʼAbou Ghraïb le centre dʼinterrogatoire de
lʼIrak.
Sans sourciller, le General Miller a dit : « Je pense que vous traitez trop
50
bien les prisonniers. Vous devriez les traiter comme des chiens afin quʼils
comprennent qui est le chef. »
Il voulait que la police militaire prépare les conditions pour des
interrogatoires efficaces, de manière à ce que les interrogateurs
puissentobtenir le renseignement plus rapidement.
11:12:12
JOHN MCCAIN
Général Sanchez, le rapport du général Miller contenait des observations
et des recommandations. Je cite lʼune dʼentre elles: « il est essentiel que
les gardiens participent activement au conditionnement des prisonniers
pour une exploitation plus efficace « .
Suis-je exact , général Sanchez ?
GÉNÉRAL RICARDO SANCHEZ
Oui , sÉnateur.
JOHN MCCAIN
General Miller?
GÉNÉRAL MILLER
Cʼest exact sénateur.
JOHN MCCAIN
General Miller, pensez-vous que votre instruction ait été mal comprise?
GÉNÉRAL MILLER
Je ne pense pas, sénateur.
JOHN MCCAIN
Mais dʼaprès le rapport du général Taguba, plusieurs soldats impliqués
ont témoigné.
Soldat numéro 1
51
Question : « Est-ce que des agents de la M.I., lʼintelligence militaire, ou
toute autre agence du gouvernement, vous ont déjà demandé
dʼamadouer un prisonnier avant son interrogatoire ? »
Réponse : « Oui, ils mʼont parfois demandé de "montrer une attention
toute particulière” à un détenu. »
Soldat numéro 4
« Avez-vous entendu dire que lʼintelligence militaire suggérait que les
gardiens abusent des détenus dʼune manière ou dʼune autre ? »
« Oui. »
« Quʼest-ce quʼon vous disait ? »
Réponse :
« Ils disaient : "cassez ce mec pour nous, assurez-vous quʼil passe une
mauvaise nuit et quʼil ait le bon traitement". »
Vous voyez où je veux en venir, général Miller ?
Il y a dû avoir un problème quelque part…
11:13:28
GÉNÉRAL MILLER
Monsieur, à mon avis, cʼest un problème de leadership sur la façon dont
les actions subséquentes ont pu se dérouler, mais je nʼétais pas présent
à ce moment-là, donc il serait difficile pour moi de donner fiable…
JOHN MCCAIN
General Sanchez, sʼil vous plaît?
GÉNÉRAL SANCHEZ
Sénateur, je voudrais clarifier quelque chose : le général Miller nʼa
donné aucun ordre. Cʼest moi qui ai donné les ordres , monsieur.
JOHN MCCAIN
Cʼest à vous que jʼaurais dû poser la question. Merci aux témoins.
11:13:58
COMMENTAIRE
52
Cinq jours après la visite du general Miller, le general Sanchez signe
une directive intitulée “interrogatoire et contre-résistance”. Il précise quʼil
lʼa “calquée sur celle mise en place à Guantanamo”. Cette directive est
destinée au colonel Pappas, à qui le general Sanchez a confié la
direction des gardiens, au grand dam du général Janis Karpinski.
Sur la liste figurent:
- les “positions de stress”
- “lʼisolation pendant plus de trente jours”.
- “la présence de chiens pour exploiter la peur des arabes et maintenir la
sécurité pendant les interrogatories. Les chiens doivent être muselés”.
11:14: 50
GÉNÉRAL RICARDO SANCHEZ
Lorsque nous avons discuté de ça, il était très clair que si des chiens
étaient utilisés à Abou Ghraïb, ils devraient être muselés et sous
contrôle. Mais ils ne seraient pas utilisés pendant les interrogatoires ni
pour intimider les prisonniers.
MMR: Pourtant, votre memo est une directive pour les interrogatoires…
GÉNÉRAL RICARDO SANCHEZ
Oui…
MMR: vous écrivez pour “induire de la peur”…
GÉÉRAL RICARDO SANCHEZ:
Non, ce nʼest pas ce que je dis…
MMR: jʼai le memo, il dit pour induire de la peur chez les prisonniers.
GÉNÉRAL RICARDO SANCHEZ:
Ouais…
53
MMR: Mais bon, les chiens étaient autorisés par Rumsfeld et à
Guantanamo. Franchement, general Sanchez, ne pensez vous pas que
vous avez été embarqué sur une pente glissante?
GÉNÉRAL RICARDO SANCHEZ
Je ne sais pas… mais il est évident , rétrospectivement, que nous avons
commis des abus… comment pourrai-je dire le contraire, cʼest évident
MMR: Vous souvez-vous de la première fois où vous avez vu les photos
dʼAbou GHraib? Comment avez-vous réagi?
GENERAL RICARDO SANCHEZ:
Cʼétait un sentiment dʼhorreur, de répulsion absolue. Nous en avons
référé dans les quarante-huit heures au plus haut niveau du Pentagone.
Cela a aussitôt provoqué une inquiétude énorme à Washington où lʼon
craignait que les photos fuitent avant le discours à la nation de janvier
2004, car on avait bien mesuré la gravité du problème …
11:16:54
COMMENTAIRE
Lʼhistoire des photos dʼAbou Ghraib a été reconstituée par le journaliste
Mark Benjamin qui travaille pour Salon, un journal dʼinvestigation en
ligne. Tous les clichés ont été pris, pendant la nuit, entre le 17 octobre et
le 30 décembre 2003. Début janvier un gardien remet un CD des photos
au CID, la section dʼinvestigation de lʼarmée qui déclenche une enquête
administrative.
11:17: 20
MARC BENJAMIN
La cagoule et les positions de stress : ce sont deux techniques
approuvées par le secrétaire à la Défense .
Cet homme sʼappelait Al Jamadi, un prisonnier que la CIA a amené à
Abou Ghraib le 5 novembre 2003, pour lʼinterroger dans la salle de
douche. Il est mort pendant lʼinterrogatoire, il a été placé dans de la
54
glace puis évacué le jour suivant. Lʼarmée a conclu que cʼétait un
homicide mais personne nʼa été poursuivi.
La raison pour laquelle il y a eu une investigation cʼétait les photos. Le
seul problème cʼétait les photos.
Au plus haut niveau du Pentagone, il y a eu une volonté concertée de
présenter les abus à Abou Ghraib comme un incident isolé perpétré par
des brebis galeuses et lʼinvestigation a contribué à conforter cette thèse.
11:18:05
COMMENTAIRE
Pour désamorcer un possible scandale, au cas où les photos seraient
rendues publiques, une enquête est confiée au général Taguba, à la
demande du général Sanchez, le 19 janvier 2003. Sa mission est
clairement délimitée : enquêter sur « la conduite de la 800ème brigade
militaire », cʼest à dire sur la brigade du général Janis Karpinski.
11:18:29
JOHN WARNER SEN Républicain
Témoignant aujourdʼhui devant nous, le major général Antonio Taguba
de lʼarmée américaine, du Centre de commandement des Forces
terrestres de la Coalition.
BEN NELSON SEN démocrate
Quel est lʼofficier de plus haut rang que vous avez interrogé ?
GÉNÉRAL ANTONIO TAGUBA
Dans mon enquête ? Le général Janis Karpinski.
BEN NELSON
Vous nʼavez pas interrogé le général Sanchez ou…
GÉNÉRAL ANTONIO TAGUBA
55
Non.
BEN NELSON
Donc ce qui sʼest passé au-dessus du général Karpinski est encore à
écrire ? Tout reste à faire…Personne ne sait ce qui a pu se produire audessus de ce niveau.
11:19:09
JANE MAYER
Le general Taguba a dit lui même quʼil nʼavait pas pu aller très loin. On
lui a imposé des limites. Il a dit quʼil était dans un carcan et quʼil nʼavait
pas pu enquêter au-delà dʼun certain niveau. Il ne pouvait pas atteindre
la hiérarchie mais ne pouvait que regarder vers le bas.
GENERAL JANIS KARPINSKI
Ils ont trouvé en moi le parfait bouc émissaire!
MMR: Finalement cette enquête et la première audition qui a suivi Abou
GHraib cʼétait un peu du cinéma?
GENERAL JANIS KARPINSKI
Tout a été calculé et emballé dans un joli paquet qui
a permis au
president de designer les coupables comme quelques brebis galeuses
qui ont permis la tête pendant les permanences de nuit.
11 :19 :54
COMMENTAIRE
Quand le 28 avril 2004, le magazine 60 Minutes publie les fameuses
photos, Donald Rumsfeld dégaine aussitôt la couverture préparée par le
Pentagone : il invoque lʼenquête du général Taguba et annonce que neuf
56
gardiens seront jugés devant une cour martiale et que le général
Karpinski a été dégradée au rang de colonel. Ce quʼil ne sait pas cʼest
que son mensonge sous serment ouvrira la boîte de Pandore.
WARNER
Je demande à nos témoins de se lever.
La vérité ,toute la vérité, rien que la vérité, et que Dieu vous vienne en
aide ?
DONALD RUMSFELD :
Oui, je le jure.
11:20:38
RONALD RUMSFELD
Conformément à nos convictions nous allons démontrer que lorsque le
scandale et des dysfonctionnements se produisent , ils ne sont pas
cachés, mais au contraire exposés, enquêtés, et que les responsables
sont conduits devant la justice.
MANIF
- Quʼen est-il des autres abus en Irak?
- Licenciez Rumsfeld !
11 :21 :06
JANE MAYER
Abou Ghraib a permis dʼouvrir les vannes. Quand les photos dʼAbu
Ghraib ont été publiées, le gouvernement a tout de suite soutenu quʼil
nʼy a avait pas de politique de mauvais traitements et quʼil ne sʼagissait
que de brebis galeuses. Il y a des gens à lʼintérieur de lʼadministration
qui savaient que cela nʼétait pas vrai e qui ont voulu que le monde le
sache.
MMR : Mais ils nʼont pas parlé, ils se sont contentés de faire parvenir les
mémorandums à la presse ?
JANE MAYER
57
Cʼest vrai que la plupart nʼont pas parlé, ce fut plutôt une rébellion
intérieure silencieuse. Ils ont seulement voulu quʼon sache la vérité
parce quʼil régnait une atmosphère de peur. Il nʼétait pas facile de
sʼopposer ouvertement car la moindre critique de cette politique était
considérée comme anti-patriotique ou trop tendre avec le terrorisme.
Politiquement, cʼétait très compliqué dʼêtre un dissident dans ce pays.
11 :22 :02
GÉNÉRAL RICARDO SANCHEZ
Oui, cʼest vrai quʼil y avait un sentiment de peur qui imprégnait
lʼinstitution qui a fait que nous nʼavons pas fait ce que nous somme
censés faire, en tant que chefs, pour protéger nos soldats.
MMR : comme se lever et dire : « stop ! »
GÉNÉRAL RICARDO SANCHEZ
Oui, comme se lever au bon moment pour faire ce quʼil faut.
MMR : est-ce que vous assumez une part de responsabilité ?
SANCHEZ
Bien sûr, je ne peux pas faire autrement : certaines choses se sont
produites sous mon commandement : le général Mamouch a été tué
sous mon commandement, lʼusage des chiens a eu lieu sous mon
commandement.
MMR : les positions de stress
GÉNÉRAL RICARDO SANCHEZ
Les positions de stress aussi…
Je reconnais très clairement que nous avons torturé , que nous avons
maltraités des gens…
Cela restera à jamais une défaite stratégique pour notre pays et il sera
très difficile pour nous de retrouver lʼautorité morale que nous avions
avant de nous être éloignés des conventions de Genève.
58
JOE NAVARRO
La peur unit, mais elle peut unir dʼune très mauvaise manière. Le
meilleur exemple cʼest lʼhistoire des nazis : la peur des juifs, la peur des
gitans, la peur de tout, ça peut rapprocher les gens dʼune manière très
laide.
JOHN HUTSON
Cʼest très douloureux en tant que citoyen américain : je voyage
beaucoup outre-mer, et jʼentends ce que les gens pensent de nous
maintenant, et cʼest très douloureux.
MALCOLM NANCE
Tout ça parce que quelques idéologues ont voulu se comporter comme
des cow boy. Ce nʼest pas mon pays, je le rejette.
ALBERTO MORA
Le fait que nous ayons traité de manière inhumaine des prisonniers , à
Guantanamo et ailleurs, restera très longtemps une tache sur lʼhistoire
de notre pays.
LARRY WILKERSON
Vous avez tous ces innocents qui ont été traités de la sorte à Abou
Ghraib, et vous pensez quʼils vont rentrer chez eux et deviendront vos
amis ensuite. Jamais de la vie !Ils vont devenir des insurgés, des
terroristes…Voilà ce que nous avons fait !
JANIS KARPINSKI
Il nʼy a pas un jour où je ne sois pas en colère. Ma déception par rapport
à lʼinstitution militaire et au Pentagone, et par rapport à tout ce quʼils ont
fait à nos soldats ; est si profonde que jamais, je nʼaurais imaginé en
arriver à ce point.
DAVID DE BATTO
59
Il nʼy a aucun doute que nous avons commis des crimes de guerre.
GÉNÉRAL RICARDO SANCHEZ
A ce jour ceux qui nous ont conduit sur cette pente sinistre nʼont toujours
pas rendu de compte.
60

Documents pareils