Queer as Folk et The L word

Transcription

Queer as Folk et The L word
Alessandrin Arnaud
ATER (Centre Emile Durkheim)
Fictions G&L et minorité B&T
(Queer as Folk et The L word)
Résumé : Comment sont traitées les questions T&B dans les fictions G&L ? Quels sont les
ressorts de l’invisibilité des minorités T&B dans les séries G&L ? Quelle place est laissée aux
nouvelles corporéités et aux nouvelles identités ? Que nous disent ces séries des lignes de
tensions existantes dans « la » communauté LGBT ?
Introduction :
Il est incontestablement un paradoxe dans les demandes de visibilité actuelles de ladite
communauté LGBT : c’est qu’elles ne prennent tout compte fait en considération que les
demandes exprimées au nom de la communauté Gay ou ne visent prioritairement que cellesci. Dans l’espace associatif par exemple, combien de « pride » sont encore des « gay pride ».
Et combien de CGL (Centre Gay et Lesbien) ne sont toujours pas des « centres LGBT » ? Il
n’est pas étonnant, dans un tel contexte, que les personnes Trans désirent s’autonomiser et
parler en leur nom propre lors d’évènements comme « existrans » ou le « Tdor ». Dans « Le
mouvement Transgenre »1, Pat Califia n’hésitait d’ailleurs pas à critiquer les « retours de
manivelle » chez les féministes et la transphobie dans le milieu gay.
Mais en réalité, les représentations LGBT à majorité G ne sont pas uniquement du registre de
la militance. Plus profondément, elles trouvent des ramifications dans l’ensemble des
représentations LGBT. Ainsi, les imageries hégémoniques G (et il faudrait rajouter blanche et
en bonne santé) opèrent tel un glissement des scripts communautaires aux représentations
médiatiques. Parallèlement, pour le dire comme Karine Espineira2, a lieu un passage de
l’espace médiatique à l’espace public, c'est-à-dire des représentations médiatiques aux
pratiques sociales.
1
2
CALIFIA Pat, Le mouvement transgenre, Eppel, 2003.
ESPINEIRA Karine, La transidentité : de l’espace médiatique à l’espace public, L’harmattan, 2008.
1 Ce qui m’intéresse alors relève de l’analyse comparée des contours de la culture LGBT (si
tant est que l’on puisse aussi facilement la prononcer au singulier, ce dont je doute) et de ses
incarnations médiatiques dans les séries G&L.
a. Rendre visible / Laisser invisible : les paradoxes des séries G&L
Y aurait-il eu un renversement ? Des Gays et des Lesbiennes apparaissent sur nos écrans de
télévisions et dans nos séries. Mettre l’accent sur un renversement ce serait mettre l’accent
non pas sur un instant en tant que tel, une page que l’on tourne et qui serait définitivement
tournée, mais sur l’apparition de nouveaux éléments perturbateurs, des hackers dirait Donna
Haraway3, d’une donne sociale sanctuarisée. Mais d’un point de vue conséquentiel il ne
faudra pas faire porter à ce renversement une dimension révolutionnaire et immédiate.
D’abord, parce qu’à trop penser les minorités comme porteuses de changement radical on
risque d’être déçu4. Mais surtout parce que les renversements sont des phases de l’analyse
avant d’être des événements sociaux conséquents. Ceci ne retire en rien l’impact des
résistances et des redéfinitions qui sont à l’œuvre puisqu’en s’intéressant aux ruptures on
rompt, justement, avec la linéarité de l’histoire fixiste de la reproduction5. Il ya donc eu un
renversement lorsque, pour la première fois, des séries comme « Queer as Folk »6 ont vues le
jour. Cependant, on se situe toujours entre
« reproduction » et « perturbation » des
représentations. Pour le dire autrement :
« on est toujours la minorité d’une
majorité ». Et sur les questions LGBT,
force est de constater que les lesbiennes ont
été largement oubliées des représentations
médiatiques G (à moins de revisiter, de « queeriser », d’anciens films ou d’anciennes séries)7.
3
HARAWAY Donna, Manifeste cyborg et autres essais, Exils, essais, 2007.
Le travail de Daniel Welzer Lang est de ce point de vue très intéressant. Il aura montré le paradoxe entre
l’émancipation homosexuelle et l’image négative de la folle ou des bisexuels dans cette même communauté :
WELZER-LANG Daniel, « Le gueuloir bi ou comment la biphobie vient aux gais », Psicologica Politica, vol.
4, n°8, pp 307, 2005.
WELZER-LANG Daniel, LE-TALEC Jean-Yves, TOMOLILLO Sylvie, Un mouvement gai dans la lutte contre
le sida : les Sœurs de la Perpétuelle Indulgence, l'Harmattan, collection « logiques sociales », 2000.
5
BOURDIEU Pierre, PASSERON Jean Claude, La reproduction, éd. de Minuit, 1970.
6
QUEER AS FOLK : Russell T (UK), Davies Ron Cowen Daniel Lipman (EU), Showtime, 2000.
7
BOURCIER Marie Helene, Q comme Queer, GKC, 1997.
4
2 Néanmoins, lorsqu’on regarde « Queer as Folk » et « The L word »8 , les grands absents
semblent plutôt se situer du côté des Trans ou des Bi. « Pourtant nous en voyons dans ces
séries des Trans et des Bisexuels » me direz-vous. Et vous avez raison : il y a Max dans The L
word et « Emmet » dans « Queer as Folk » a une aventure hétérosexuelle. Oui mais leur
visibilité est secondaire.
b. La fiction G&L : entre imaginaire situé et dimension pédagogique
Avant de débuter l’analyse des ces deux séries, revenons un instant sur le principe même
d’une série. Il faut garder en tête qu’une série n’est jamais la réalité, mais qu’elle peut s’en
inspirer ou même faire émerger du réel. La fiction est en ce sens comme une proposition de
récit, c'est-à-dire qu’elle n’exige rien mais attend qu’on s’en saisisse. C’est dans sa réception
que se situe son effet. De ce point de vue, mon analyse est indéniablement située. Plus
généralement, c’est l’ensemble de l’émission qui propose un imaginaire situé. « Queer as
Folk » par exemple ne peut pas être mis directement sur le même plan que « The L word » du
fait des dates de diffusion et de production qui différent. Les deux séries étant américaines
(quoique « Queer as Folk » a connu une première version anglaise vite avortée), il conviendra
aussi de situer culturellement la production de la série.
Pour ces deux séries, nous sommes à la fois dans quelque chose de « ludique », avec des
dispositifs à vocation clairement pédagogiques dans certains épisodes, pour notamment
amener les non-gays à pouvoir se saisir de la série, et d’un autre côté ces séries restent
communautaires en distillant des anecdotes ou des références non décryptables d’emblée (des
invités qui passent furtivement lors d’un épisode par exemple). Ainsi, les conditions
narratives des séries permettent d’entrevoir la porosité des cultures, comme la porosité du
placard9, dans un-delà du « vrai » et du « faux » permettant de façonner du neuf.
Pour cet article, je vais travailler en deux temps. Dans une première partie, nous nous
pencherons sur « The L word » pour en saisir les performances de genre et les contre
performances qui font à la fois de la série une nouvelle interface de visibilité et un support
hiérarchisé des représentations LGBT, et nous reviendrons plus en détails sur le personnage
de « Max ».
8
9
THE L WORD : Ilene Chaiken (EU), Showtime, 2004.
KOSOFSKY SEDGWICK Eve, Epistémologie du placard, (trad. Maxime Cervulle), Amsterdam, 2008.
3 Dans un second temps nous étudierons la place de la transidentité dans « Queer as Folk »,
ainsi que l’actualité de la série. Que nous dit-elle des politiques d’intégration et des pratiques
subversives actuelles ? Nous ferons l’hypothèse que « Queer as folk » préfigure d’une
nouvelle typologie médiatique homosexuelle, et « donc » LGBT, que l’on pourrait situer
autour des luttes contre la discrimination et pour la reconnaissance des droits des
homosexuels.
I° MAX ATTAQUE
a- The L Word: la série L.
Enfin une série lesbienne ! On ne s’y trompe pas, le L de « LGBT » est omniprésent. Il titre
même tous les épisodes (Luxure, Libertines, Lez girls etc…). Tout se déroule à West
Hollywood, prés de Los Angeles. On y découvre les amours et les aventures d’un groupe
d’amies, lesbiennes pour la plupart, tout au long de 6 saisons. Toutes les nuances lesbiennes
apparaissent : les butchs, les fems... Une hétérosexuelle, une bisexuelle et un Trans. On
retrouve le même dosage dans Queer as Folk. Effet négatif de la réalité : c’est aux marges
qu’on s’intéresse. Mais pas à n’importe quelle marge car The L word évince d’emblée la
question de la « classe sociale » : toutes sont riches et même les moins riches le deviennent…
4 En plus d’évincer la question économique, the L world scinde parfaitement la question
raciale : les blacks sont hétéros (Kit), pauvres (Papi) ou lesbiennes non assumées (Tasha).
L’intersectionnalité des thèmes, ce n’est pas pour aujourd’hui.
Quant au sous titre : il est trompeur …
« same sex, different city » : si l’on veut
bien croire que dans un groupe de personne
du même sexe (et de même sexualité) la
« cité » deviennent différente, il reste dans
The L word la question du « same sex »
qui, à plusieurs reprises gagne en porosité.
Dés le générique de la série, on aperçoit
comme un floutage des genres : « Girls in tight dresses / Who drag with moustaches ;
« Chicks driving fast / Ingenues with long lashes ». Des filles en robe moulante ou qui se
« drag » avec des fausses moustaches (photo à l’appui : 4ème seconde du générique) : est-ce
vraiment ça « The L word » ?
b- Drag with mustaches ? Perfomances de genre et contre-performances
Je le disais, il y a incontestablement quelque chose de l’ordre des performances de genre
alternatives dans The L world. Comme espace exclusivement lesbien, le « placard » n’est pas
en soit un élément central. Tout comme le « marais », West Hollywood n’est pas un endroit
où l’on nomme sa sexualité. Il est implicite que les filles soient lesbiennes. Cependant, dans
l’extra communautaire on revient quelques fois sur la notion de coming out : la sportive Dana
en traite toute une partie de la première saison. Le placard y est donc à la fois abandonné et
instauré comme un lieu de relégation, et de discriminations lors de son franchissement. Sur ce
point on ne sait pas « où » se situe la série : la politique du « coming out », comme de
l’ « outing » d’ailleurs, n’étant suggérées d’au travers de la culpabilité et de la honte alors
même qu’elles apparaissent comme des éléments de revendication et de fierté.
On aperçoit une seconde performance, sémiotique celle-ci, avec l’exemple de l’ « homme
lesbien », qui apparait dans la première saison. Dés lors, c’est aux questions « qu’est ce
qu’être lesbienne ? » et « qu’est ce qu’un.e lesbien.ne ? » que la série se confronte.
5 A ces questions sont apportées des réponses divergentes : pour être lesbienne il faut être une
fille. Etre lesbienne c’est s’afficher comme telle. Etre lesbienne se situe dans une relation et
non dans un « être ». Etre lesbienne c’est ne pas être hétérosexuelle ou bi. De ce point de vue,
la série pose de nombreuses questions : elle amène avec elle le spectateur à porter un regard
réflexif sur ces propres catégories. Pour autant, la série perturbe-t-elle vraiment les
catégories ? Lorsque Tina a une aventure hétérosexuelle, son personnage se décorrèle
complètement de la vie des filles de la série !
Quand au générique annonçant du « drag » on ne pourra qu’être déçu des performances de
féminités et de masculinités proposées dans la série. Au mieux avons-nous Shane et son corps
androgyne. Les vraies performances de genre se situent toutes sur des personnages annexes
qui portent en eux des caractéristiques autres que sexuelles : elles sont noires, pauvres et
habitent en périphérie de ville.
c. Max : quand la fiction surgit du réel
Max entre dans la série sous les traits de Moira en rencontrant Jenny (l’écrivaine troublée)
alors qu’elle décide de partir quelque temps de West Hollywood. Dés le retour de cette
dernière Moïra emménage avec elle (chez Shane et Carmen). THE L WORD est une série
dans laquelle apparaissent plusieurs Trans : Ivan, drag king dont tombe amoureuse Kit Porter,
puis Billie, drag queen qui travaille dans le bar de la même Kit. Pour Max, c’est la rencontre
avec ce dernier qui sera décisive dans sa décision de changer de sexe. On s’intéressera ici à
deux points précis : les rapports intra-communautaires existants face à l’annonce d’une
transidentité et le rapport à la médecine dans cette même annonce.
1- Derrière le L. : le T.
Comme on l’observe sur le terrain, c’est en dehors des arènes médicales que l’on trouve les
lieux d’expressivités et d’expériences dans lesquels on expérimente, on découvre, sa
transidentité. Comme pour la communauté Lesbienne ou Gaie, c’est par le biais des supports
communautaires (réels ou virtuels) que les ressentis individuels font sens, font « corps ».
6 C’est ainsi que Moïra parlera pour la première fois de son désir de changer de sexe et de
devenir un homme avec Billie qui lui indique où se procurer des hormones. Moïra devient
Max.
Pour devenir Max, il envisage une mastectomie et pour payer l'opération postule à un emploi
d’informaticien, poste qui lui avait été refusé lorsqu'il était une femme. On voit comment les
problématiques Trans et féministes qui se combinent ici. Max rompt avec Jenny. Il tente une
expérience peu convaincante avec la fille de son patron à qui il révèle sa transidentité et à
laquelle il semble à la fois amoureux et dans l’obligation de l’être sous les demandes
insistantes de son patron. Puis Max rencontre Tom, traducteur.
La place de Max semble alors prendre un tournant dans la série. Le personnage entretient
certes une relation homosexuelle, mais pas une relation lesbienne. Le fait qu’il soit gay et sa
transidentité lui font avoir un rôle non pas secondaire, mais dé-corrélé de la vie des filles de la
série. D’ailleurs, elles ne semblent pas trop le comprendre comme l’indique l’instant où elles
présentent Max à Tom avec une insistante hésitation sur son orientation sexuelle.
Si nous établissons un parallèle avec Queer as Folk c’est alors le couple Lesbien (Lindsay et
Debbie) qui joue un rôle annexe. La seule chose qui les relie à l’univers de leurs copains gays
c’est qu’elles portent l’enfant de Brian (ce qui en dit d’ailleurs long sur la place des lesbiennes
dans les représentations LGBT fortement influencées par les revendications Gay). Ce
parallèle est d’autant plus intéressant que la place de famille est un sujet récurrent dans The L
Word (sujet d’actualité) : sommes-nous de vraies lesbiennes si nous reproduisons la forme du
couple hétérosexuel ? Quels droits pour une famille homosexuelle ? Homoparentale ?
Et si le couple de Bette et Tina cristallisent ces
questions, le rôle de Max, qui pourtant tombe enceint
de Tom, est
complètement annexé. Mieux, c’est
alors des personnages lesbiens qui se posent la
question du bien fondé moral de cette filiation (Alice
Pieszecki la première puisque c’est d’elle que partent
toujours tous les ragots).
7 2- Du « care » dans la transition.
On aura tendance à présenter les modèles français et américains de changement de sexe à
l’opposé l’un de l’autre. Il semble que cette comparaison mette avant tout en lumière la place
différenciée que l’individu occupe dans chacun des deux systèmes. Pour le dire autrement,
c’est la place de « l’humain » qui est ici questionnée. En empruntant l’expression d’Alain
Ehrenberg10 nous pourrions dire que le système québécois, moins contraignant, assure un
individu « entrepreneur de lui-même ». Cette vision entrepreneuriale du l’individu face à son
corps et à son devenir, suggérée par un système libéral de soins plaçant le « patient » face à
ces choix, fait advenir un « consommateur de soins » averti pour lequel se déploie un univers
de possibles corporels et identitaires. En contrepartie d’une dimension autonome, que Robert
Castel dans une réponse à Alain Ehrenberg fait osciller entre « aspirations à » et « condition
de »11, l’individu est appelé à se construire comme « acteur » et comme « auteur » dans une
pratique de la liberté à la fois contraignante et libératrice. Ce qui apparaît en France comme
étant un « espace d’exclusions » ne s’appréhenderait pas de la sorte aux Etats Unis. Les
protocoles de changement de sexe laissant leur place aux offres chirurgicales et médicales de
changement de sexe, le système américain se présente comme un desserrement libéral du
système centralisateur et institutionnel, au profit de l’humain.
VIDEOS : L’inattendu
S06 E02 : Annonce de la grossesse (13min20 ; 14min45)
S06 E02 : Salle d’attente (20min20 ; 20min55)
S06 E02 : Annonce à Tom (24min18 ; 25min12)
S06 E02 : Réconciliation (34min00 ; 35min50)
Ce qui est nouveau c’est la filiation qui découle du changement de sexe sans stérilisation chez
Max. Cette histoire n’est pas dénuée de fond : aux Etats Unis, Thomas Beatie, que la presse a
largement titré « le cas de « l'homme enceinte » » a subi une ablation mammaire et suit un
traitement à base de testostérone. Sa compagne ne pouvant avoir d’enfant, le couple décide
d'une insémination artificielle sur Thomas, ayant conservé ses organes reproducteurs.
10
11
EHRENBERG Alin, Le culte de la performance, Hachette, 2008
http://www.laviedesidees.fr/L-autonomie-aspiration-ou.html
8 Après avoir arrêté son traitement hormonal, l'insémination artificielle a lieu. Le 29 juin 2008
il accouche de Susan. Le 9 juin 2009, il donne naissance à un second enfant. Au-delà du fait
divers, se pose la question de la parentalité, et ici de la transparentalité. L’homme enceint
semble être un point d’acmé dans le basculement d’un ordre des sexes traditionnel à un ordre
des genres plastique. Ordre non encore admis en France12.
On remarquera que, dans la série, le docteur suit Max13 alors qu’il s’hormone seul, qu’il se
souci aussi du vocabulaire à employer « je sais que vous n’employez pas ces termes » en
parlant de l’utérus de Max. On est loin du « monsieur ? » « Non madame » « d’accord
Monsieur ». On note aussi le « vous ferez votre choix » de la part du docteur. Sans tutelle
étatique liée au remboursement de l’opération, les formes et les fonctions du corps sont plus
librement consenties par l’individu. Bien évidemment, la liberté individuelle se heurte aux
représentations collectives qui ne s’y superposent jamais parfaitement. Dans une salle
d’attente pour une échographie, Max se voit refuser un rendez-vous : « si c’est une blague ce
n’est pas drôle monsieur ». L’univers médical associe spontanément des contrôles de santé à
un sexe et pas à un autre (pensez au dépistage du cancer de la prostate chez la MtF)
Pour la fin de l’histoire Max va devoir garder l’enfant, et surtout convaincre son compagnon,
pour le moins hésitant lors de l’annonce. La tension dans le couple finira par se résoudre dans
l’acceptation par Tom de son nouveau statut de « père pd » vivant avec un Transboy.
12
Lire à ce propos : HERAULT Laurence, Le mari enceint : construction familiale et disposition corporelle,
Critique n°764, 2011
13
Le docteur semble lui-même Trans, mais rien ne l’indique vraiment.
9 II° QUEER AS FUCK
a- Queer as Folk : la série
Queer as Folk n’est pas une série mais deux en réalité. Tout débute sous la plume de Russel
Davies qui, en Angleterre, réalise les premiers épisodes d’une série sur l’univers homosexuel.
La série la plus connue, et la plus aboutit, est la version américaine, l’adaptation faite par Ron
Cowan et Daniel Lipman. La série apparaît pour la première fois sur les écrans américains le
trois décembre 2000. Elle devient vite un immense succès pour la chaine Showtime mais aussi
auprès du public Gay qui voit en elle la première série sur l’homosexualité. Avant elle il y en
avait pourtant eu d’autres (Will and Grace). Mais dans l’imaginaire LGBT, c’est celle-ci
qu’on retiendra. Peut-être parce que Queer as Folk ne présente pas « un » personnage
homosexuel, comme un quota d’une minorité dont on sentirait les repercutions en terme
d’audimat, mais bien au contraire qu’elle se focalise exclusivement sur l’homosexualité et la
communauté homosexuelle, ici, la communauté gay. Il faudra attendre 2002 pour la France
découvre les premières images de Queer as Folk à la télévision, sur Jimmy, puis en 2005 sur
PINK TV.
10 De quoi parle-t-on dans Queer as Folk ? D’homosexualité évidemment, de discriminations, de
groupes de pair, de famille, de politique, de droits, du sida, de culture gay et d’amour. Mais de
façon étrange. Entre beaucoup d’amitié et beaucoup de plans cul. Brian, Justin, Michael,
Ted, Emmett rodent autour de Liberty Avenue suivis d’un couple lesbien, Lindsay et Melanie,
et de la mère de Michael, Debbie. Le nom de la rue dit tout : les années 2000 ne sont pas les
années 2010, les combats ne sont pas les mêmes, les représentations non plus mais déjà il se
joue quelque chose de l’ordre d’un tournant militant, de la politique des minorités
homosexuelles, dont on voit les effets aujourd’hui.
b. Queer as Fuck : politique de la subversion VS politique de l’intégratio
Il faut me semble t-il insister sur deux points avant de s’intéresser, comme pour The L word
au traitement médiatique de la figure Trans dans cette série. Premièrement, comme pour la
série précédente, l’homosexualité est monosexuée : on ne parlera que des Gay. Les lesbiennes
y ont une place particulière : elles portent l’enfant de Brian. Très longtemps, les luttes
homosexuelles pour plus de visibilité ont mises en avant l’image de l’homosexuel homme.
Aujourd’hui, alors que l’agenda militant homosexuel met en avant non plus uniquement la
visibilité mais surtout l’intégration, le débat sur l’homosexualité devient un débat sur
l’homoparentalité.
11 On pourra réfléchir sur les parallèles à tirer de cette observation, mais la place des lesbiennes,
elle, s’en voit véritablement changée. Si elles n’avaient pas été appelées pour défendre
publiquement la question homosexuelle, elles le sont en revanche pour défendre la question
homoparentale. Queer as Folk était en ce sens à la point ou à l’avant-garde de ce tournant
militant qui garde en ligne de mire non plus la subversion mais l’intégration.
Pourtant, c’est l’absence de mixité entre homos et hétéros autour de liberty avenue qui pousse
la communauté Gay à se défendre. Justin lui-même ira jusqu'à provoquer un combat avec un
homme le traitant de « pédé ». L’histoire de Queer as Folk, c’est en 5 saisons 10 ans de
militance ou comment opérer un glissement des luttes pour la visibilité et la reconnaissance à
des luttes pour l’assimilation. Brian symbolise cela.
Brian : Alors, tu me plantes pour voir deux gouines se marier ? [...]
Je pense que tu es un connard égoïste et sans coeur... dit-il à Justin.
Si dans la saison 2 Brian est le digne représentant d’une homosexualité qui n’a pas besoin des
normes hétérosexuelles pour se vivre, il finit par demander Justin en mariage.
Sur le personnage de Brian justement, la complexité qu’il incarne va de pair avec le sentiment
général
que
donne
à
voir
la
série
concernant ladite communauté : faut-il
s’appuyer
sur
la
communauté
ou
l’abandonner ? C’est toute l’histoire de la
boîte de nuit « Le Babylone » : racheté
pour faire perdurer une vie communautaire,
il est finalement abandonné par Brian au
profil d’un mariage ! Et paradoxalement,
celle qui anime le plus les associations
homosexuelles de Liberty avenue est celle qui ne vit pas de relation homosexuelle : Debbie !
Dans « Queer as Folk », et contrairement à The L Word : au début était la ville. Pas une rue
ou des amies emménagent, pas un Desperate Housewives lesbien, mais la ville. C’est l’espace
urbain, l’espace public qui intègre via le « ghetto ». C’est toute l’histoire de Justin qui,
arrivant en ville et trouvant un « coup d’un soir » trouve en réalité non seulement l’homme de
sa vie mais aussi tous ces amis.
12 L’actualité de Queer as Folk porte aussi sur ce point : quid du « communautarisme » ? Alors
qu’à l’aune du prisme analytique français on pourrait avoir peur des « communautés » allant à
l’encontre du pacte républicain d’indifférence aux différences, l’exemple américain montre la
communauté comme un lieu de sociabilité, de résistance mais aussi d’interface avec
l’extérieur (les liens avec les politiques en sont un bon exemple).
c. Derrière le G., le T.
S’il y a toujours une hiérarchie dans le traitement de la question Trans dans cette série, il en
va de même pour la question de la bisexualité qui, comme dans The L word, est posée comme
une « perte » de soi. Plus pércisément, si The L word proposait de vivre la bisexualité comme
une trahison, cette fois ci c’est l’« erreur » qui est mise en avant. C’est par exemple le cas
d’Emmett qui tente de guérir son homosexualité par une relation hétérosexuelle avant de
tomber amoureux d’un sportif à qu’il demandera de faire son coming-out ou le cas de Lindsay
qui s’éprend d’un artiste. Dans un cas comme dans l’autre, le groupe d’ami tente de rappeler à
la raison celui qui s’évade vers l’autre rive de la sexualité. Mais les choses ne sont pas aussi
simples car les relations de Lindsay avec Brian sentent aussi la bisexualité. Mais jamais ils ne
franchissent le pas. Si la question Trans est rendue invisible, la question Bi est entrainée avec
elle derrière les représentations G. Quelques exemples concernant la question Trans :
Episode 4 saison 2
En prévision de la Gay Pride, Liberty Avenue attend avec mpatience le grand retour du
célèbre travesti Godiva qui doit animer une soirée. De son côté Michael a peur d’aller à la
pride et d’y croiser ses collègues. Cet aveu fait bondir sa mère, Debbie, fervante militante
pour les droits des homosexuels (elle arbore toujours ses pin’s : « je suis fière de mon gay »).
Lorsqu’on apprend que Godiva est tombée malade et qu’elle ne pourra pas participer à la
pride, Michael décide de porter les vêtements de Godiva en son honneur et d’aller défiler
ainsi. Queer as Folk met en exergue un point important : la question Trans ne sert-elle pas de
bouclier à la question Gay, comme le costume de Godiva permit à Michael d’aller parader.
13 En effet, si l’histoire du mouvement LGBT semble toujours débuter
avec Stonewall, Susan Stryker14, historienne et militante Trans
américaine, aura montré que quelques années avant Stonewall, les
Queens du « Copton’s cafétéria » s’étaient elles-aussi soulevées
contre la police. Et aujourd’hui, ne pouvons-nous pas penser que
l’histoire du mariage gay en France a été réinventée par le premier
mariage Trans ?
EPISODE 11 saison 2
Concernant les rôles secondaires laissés aux Trans on ne peut pas mieux faire. Le personnage
Trans qui apparait dans cet épisode est à la fois « hors du monde » et « hors de la série ». C'est
bientôt le grand jour pour Lindsay et Melanie : elles fêtent leur enterrement de vie de jeune
fille. Cependant, elles croisent dans un bar un personnage que l’on n’avait jamais vu et qu’on
ne reverra jamais : une voyante. Cette dernière leur annonce qu'elles ne pourront pas se marier
à la date prévue en raison d'une mauvaise
conjonction astrale. Mais Lindsay et
Melanie décident de ne pas tenir compte
de cet avertissement et continuent les
préparatifs. La voyante, un personnage
travesti, disparaît alors. La transidentité
est
alors
représentée
de
manière
chamanique, incarnée par un personnage
capable de prédire l’avenir. A peine exotisant. Comme dans l’épisode 3 de la saison 1 (photo),
on est en mesure de se demander si les Trans ne servent pas de décor.
SAISON 4 EPISODE 1
Ce premier épisode de la saison quatre est entièrement ponctué de séquences où l'on voit
Shanda Lee, un travesti, interpréter de vieux tubes. Là encore, le personnage Trans est en
dehors de la série, sur scène. On apprend à la fin qu’il s’agit vraisemblablement du père de
Michael.
14
Screaming queens, Susan Stryker, EU, 2005.
14 Mais ce qui interpelle c’est qu’une nouvelle fois
l’altérité de genre de type Trans est rabattue sur le
travestissement. Pourtant, en 2000, la question Trans
était une question connue des communautés LGB
aux Etats Unis. Elle était donc sortie du « cabaret »
et
du
divertissement
pour
boites
de
nuit
homosexuelles !
Comme on le voit avec ces quelques exemple, la question Trans est complètement occultée
dans Queer as Folk. Plusieurs raisons probablement à cela : l’urgence d’une série Gay, la
naissance du mouvement Trans etc… Mais au total, il reste soit une réelle invisibilité des
profils Trans soit une désunion de la question Trans et de la question homosexuelle dans ces
deux séries.
15