PROPOS HUMORISTIQUES
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PROPOS HUMORISTIQUES
LE PASSE-TEMPS Du 15 avril au 15 juin — époque du frai — surtout. Enfin, on annonce pour cet hiver la la pêche en eau douce est interdite; il est en' représentation de quelques pièces traduites de joint à l'homme— sous les peines les plus séIbsen, c'est caractéristique. N'est-ce pas le vères — de respecter les amours des.habitants triste aveu que nous ne sommes plus assez de l'onde, comme on disait au temps de Boiriches de notre propre fond, puisque pour ali- leau : la conservation de l'espèce est à ce prix. Mais pendant ces deux mois— deux siècles! menter nos théâtres il faut aujourd'hui faire de — que deviennent les pêcheurs désarmés? l'importation dramatique. Hélas ! semblables aux âmes en peine qui On signalait dernièrement un krack sur le hantaient les bords du sombre Achéron, on les livre qui ne se vend plus comme autrefois. La voit — tout le jour — mélancoliques et désoraison en est-elle autre que le qualité de la rientés, errer — les bras ballants — sur les rivages, témoins de leurs exploits passés. production ! Car les bons livres continuent touIls jettent un regard de haine et d'envie à la jours à se vendre. perche insouciante et au chavasson narquois Est-ce que' pour un motif identique, c'est-à- qui viennent — comme à plaisir — frétiller sur dire à cause de la môdiocrité des produits, un la nappe liquide. S'il n'est doué d'un grand empire sur luikrack n'est pas à redouter pour le théâtre, où même, le pêcheur — avec cette conviction inle niveau littéraire s'est considérablement time que le poisson « se fiche de lui » — résiste abaissé, où les auteurs font plus du métier que difficilement à la tentation d'enfreindre les arde l'art; et n'est-ce pas à cet abaissement du rêtés préfectoraux et de venir — à la nuit close niveau littéraire qu'est dû la meilleure part du — placer des lignes de fond qu'il relève au point du jour. succès des cafés-concerts ? Le public s'est habiDans les villes, les garde-pêches ont l'ordre tué peu à peu à la médiocrité,et devenu moins dé- de confisquer les engins et de dresser des prolicat, il est devenu aussi moins sévère. Il trouve cès-verbaux; dans les campagnes, ce soin est aujourd'hui spirituelle telle chanson de Paulus, confié à la gendarmerie, qui s'en acquitte — qui, il y a vingt ans, il eut trouvé — ce qu'elle du reste — avec tout le zèle et la sévérité, qu'on s'accorde à lui reconnaître. est en réalité — parfaitement idiote. On raconte pourtant — dans le monde des Il en est du naturalisme en théâtre comme de pêcheurs lyonnais — une calinotade assez l'impressionisme en peinture. Sans faire école, réussie où — d'aventure — la perspicacité de les impressionistes ont eu une action sur le Pandore s'est trouvée mise en défaut. — Gendarme — lui dit un soir le brigadier goût du public qui, aujourd'hui, n'admire plus — demain matin, de bonne heure, vous irez un tableau qui se recommande uniquement par faire une tournée le long de la Saône, et vous le léché et le fini, il veut autre chose. Les natu- me pincerez tous ceux que vous verrez relever ralistes nous ont aussi dégoûté de ces berqui- des lignes de fond. — Oui, brigadier. nades littéraires coulées dans le même moule Le lendemain, à midi, Pandore était de reet se terminant invariablement au couplet final tour. par le mariage du jeune premier avec l'ingénue, — En avez vous pris ? demanda le supérieur. nous voulons autre chose. — Non, brigadier. — Avez-vous vu des lignes, au moins? Mais cette autre chose qui serait un théâtre — Oui, brigadier ! se rapprochant plus que celui d'autrefois de la — Pourquoi alors que vous ne les avez pas vérité, laquelle ne] saurait être absolue, car la relevées et confisquées ? convention existera toujours au théâtre, cette :— J'aurais été obligé de me faire un procès autre chose, dis-je, nous l'attendons encore. à moi-même... — Gendarme, vous avez raison ! ! ! Mais il est temps qu'on se hâte. Les poètes ont chanté le pêcheur à la ligne, Nous avons, l'année dernière, traversé la et leurs alexandrins doivent amplement le conpériode des sept vaches maigres, entrerons- soler — ce me semble — des plaisanteries sans nous cette année dans la période des sept vaches nombre dont on l'accable : grasses ? LUCIEN. PROPOS HUMORISTIQUES Les Pêcheurs à !a ligne. Petit poisson deviendra grand Pourvu que Dieu lui prête vie; A dit le bonhomme Lafontaine. Mais — en même temps que le poisson — le Père éternel a créé le pêcheur. Le Pentateuque assure même que le poisson a précédé l'homme, de sorte que ce dernier — en sa qualité de roi de la création — a pu trouver , dès son arrivée sur la nébuleuse qu'il devait habiter, les éléments — tout préparés — d'une friture d'ablettes et de goujons. De ce seul fait, je conclus — en passant — que l'ancienneté du dicton : les gros .mangent les petits » est démontrée d'une manière irréfutable. Le poisson est gourmand, le pêcheur est patient : ils sont rusés tous deux. C'est entre eux une guerre sans merci, mais non sans trêve. Cette trêve — tout à l'avantage de la gent à nageoires et à écailles — c'est l'administration qui l'impose. La providence étant déjà fort occupée à veiller sur les petits des oiseaux — a chargé les préfets de veiller sur les petits des poissons. Sur la rive du lac, le pêcheur matinal, De la pêche a porté le champêtre arsenal, Le cordonnet mobile et la ligne étendue, Qui, dans sa main, s'allonge et dans l'eau diminue. Alphonse Karr a dit : la pêche est un plaisir, même quand on ne prend rien. Rendez-vous compte de ce que doit éprouver un pêcheur, lorsqu'il est sur le point de prendre quelque chose. Cet homme, si patient et si placide — il n'y a qu'un instant — s'anime et tressaille. Le poisson à mordu à l'appât, mais il résiste, il se refuse à sortir de l'eau, et fait de suprêmes efforts pour rompre la ficelle au bout de laquelle est attaché l'hameçon perfide. Ah ! dans cet instant, tout autre intérêt s'efface : patrie, gloire, famille. Qu'est-ce que tout cela? je vous le demande. Le pêcheur aura-t-il le poisson ou ne l'aurat-il pas ? That is the question, et cette question est palpitante. Le brochet — car la grandeur de la lutte doit s'expliquer ) ar la grosseur du poisson le brochet tire en bas, le pêcheur tire en haut, et c'est à se demander quel est celui des deux qui pèche l'autre? Est-ce l'homme qui aura le poisson ? Est-ce le poisson qui aura l'homme? Disons-le tout de suite, ces émotions sont rares : ce n'est pas l'âpre volupté d'un péril à affronter, qui conduit le pêcheur au bord de l'eau, le plus souvent il ne prend rien, si ce n'est des coups de soleil ou des rhumatismes. Ah ! combien plus fructueuse est la pèche en eau trouble, à laquelle se livrent — avec tant d'acharnement — des politiciens habiles et des financiers éhontés. Pour cette chasse-là, il n'est pas d'interdiction et aucuu arrêté ne protège nos poches. L'électeur est crédule, le gogo foisonne, l'actionnaire biche toujours. Elle est restée, elle restera cruellement vraie, cette vieille caricature, où un pêcheur à la ligne s'écrie en voyant un goujon mordre à l'hameçon : — Tiens, voilà un actionnaire qui vient toucher son dividende! Je m'en voudrais de rééditer ici, les charges qu'on a faites sur les pêcheurs à la ligne ; il n'entre pas dans mes intentions' à!asticoter ces braves gens. On a — irrévérencieusement — défini la ligne : « un bâton qui se termine par une bête aux deux bouts! » Cette définition pêche, au moins, par un de ses côtés. La passion de la pèche à la ligne — car c'en est une — dénote en même temps qu'une propension marquée à la vie contemplative, une sérénité d'âme, un fonds d'honnêteté qu'on ne-saurait méconnaître. Troppman, Laeenaire, Dumollard, Pranzini — ces grands tueurs d'hommes et de femmes — n'ont jamais péché à la ligne. L'homme qui s'isole et qui, loin du bruit et de la foule, assis au bord de l'eau Tient la ligne tremblante et sur l'onde la suit ne saurait être un coquin : c'est un humble ou un philosophe, un humble qui ne connaît rien de la vie, un philosophe qui la connaît trop. L'interdiction de la pêche pendant la période où — précisément — la température est la plus clémente et les jours les plus longs, jette le désarroi dans les paisibles habitudes de ces braves gens. Aussi viennent-ils d'adresser au préfet du Rhône une pétition motivée, pour demander que la loi du 10 août 1875 fasse une exception en leur faveur. Les pétitionnaires conviennent — en effet — qu'il y a intérêt général à interdire les différents genres de grande et de moyenne pêche qui, au moment du frai, en raison des agglomérations de poissons sur certains points et des ravages exercés, dans le fonds et sur les rives, par les filets et autres engins, occasionneraient de graves dégâts. « Mais en ce qui concerne la pêche à la ligne flottante, tenue à la main, il n'en est pas de même, car on n'y peut prendre que du poisson de grosseur normale et qui ne mord pas mieux à cette époque qu'en toute autre saison... » J'énumérais — tout à l'heure — les qualités natives des pêcheurs à la ligne, j'oubliais la principale : la modestie! Us avouent ingénuement qu'ils ne prennent jamais de poisson. Je m'en étais toujours un peu douté. L'Administration leur tiendra compte — je l'espère — de cet aveu dépouillé d'artifice. Elle voudra bien considérer aussi, que pour en arriver à ce résultat absolument négatif, chaque pêcheur — pris en particulier — se flatte de posséder un procédé secret, un engrain spécial, une ruse inédite, et prétend naturellement que la meilleure méthode est la sienne, de même que le meilleur chocolat est le chocolat... (voir aux annonces). Attribuer à ces fakirs de l'immobilité le dépeuplement de nos fleuves et de nos rivières, cela me fait l'effet — en vérité — d'une plaisanterie trop amère, bien que les choses soient censées se passer en eau douce. Ce qu'ils demandent en grâce, c'est de ne pas se voir privés — pendant deux mois — d'un passe-temps tranquille, hygiénique — ce sont eux qui le disent — et surtout économique. Allons, M. Rivaud, un bon mouvement... Prenez pitié des pauvres pêcheurs, et que la perspective d'être béni par tous ceux du département — quel beau sujet de tableau pour