Les Polonais en France dans l`immédiat après
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Les Polonais en France dans l`immédiat après
UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE LABORATOIRE DE RECHERCHE ÉCOLE DOCTORALE II IRICE UMR 8138 Histoire moderne et contemporaine UNIWERSYTET JAGIELLOŃSKI WYDZIAŁ HISTORYCZNY THÈSE pour obtenir les grades des DOCTEUR DOCTEUR DE L’UNIVERSITÉ PARIS-SORBONNE DE L’UNIVERSITÉ JAGELLONNE Discipline : Histoire des Relations internationales es Sciences humaines, discipline : Histoire Présentée et soutenue par : Paweł SĘKOWSKI le 6 juillet 2015 Les Polonais en France dans l’immédiat après-guerre (1944 – 1949) Sous la direction de : M. Olivier Forcade – Professeur, Université Paris Sorbonne – Paris IV M. Wojciech Rojek – Professeur, Université Jagellonne, Kraków Membres du jury : M. Krzysztof Zamorski – Professeur, Université Jagellonne, Kraków M. Didier Musiedlak – Professeur, Université de Paris Ouest – Nanterre La Défense M. Józef Łaptos – Professeur, Université Pédagogique, Kraków Mme Janine Ponty - Professeur émérite, Université de Franche-Comté, Besançon Position de Thèse Objet de la recherche La population qui constitue l’objet d’intérêt de cette thèse est la communauté polonaise, fixée sur le territoire français depuis l’entre-deux-guerres, dans leur forte majorité ayant statut des « travailleurs étrangers » ou étant membres de familles de ceux-ci. Étant donné que le statut juridique, la vie sociale et associative de « nouveaux » immigrés polonais – c’est-à-dire des Polonais venus en France au cours des hostilités ou au cours de premières années suivant la Libération – étaient fort différents de ceux des « anciens » immigrés polonais, la « nouvelle » immigration polonaise ne se trouve pas au centre de cette étude. Bien entendu, les réfugiés de guerre et « personnes déplacées » sont aussi mentionnés – à un niveau indispensable pour présenter la situation générale de la communauté polonaise en France à l’époque examinée. L’adoption de la France continentale comme le territoire examiné veut dire que les recherches ne concernent pas des départements d’outre-mer (DOM) ni les territoires de l’Algérie et du Maroc. La délimitation chronologique admise par l’auteur exige quelque explication. L’année 1944 apporta la Libération de la France de l’occupation hitlerienne et la prise du pouvoir dans la République française, à nouveau libre, par le Gouvernement provisoire de la République française, dirigé par le général Charles de Gaulle. La Libération permit aux Polonais en France de reconstruire leur vie sociale, culturelle, religieuse, et politique, avec toute sa différenciation intérieure. L’année 1949 se caractérisait par le tournant dans la situation internationale générale, ce qui portait des conséquences immenses sur la situation de la population polonaise en France. La fin des illusions sur l’éventualité de l’éclatement d’une nouvelle guerre mondiale (cette fois-ci entre l’Union soviétique et ses anciens alliés de l’Ouest) et l’entrée dans une nouvelle époque de la « guerre froide » dans laquelle la France s’était prononcé en faveur des Anglo-Saxons, contribuèrent au changement profond de la situation des organisations et institutions polonaises en France et à la grave crise dans les relations bilatérales franco-polonaises. Objectifs de la thèse L’objectif de cette thèse est l’analyse de la situation et de l’histoire de la communauté polonaise en France dans les dimensions sociale, politique, culturelle et dans les aspects précis choisis. L’autre objectif est la présentation de la population polonaise comme – dans l’opinion de l’auteur – étant exemplaire de la situation des immigrés en France dans l’immédiat aprèsguerre, en prenant en considération les facteurs économiques, démographiques et politiques. Les Polonais constituent ainsi un modèle très précis de l’enjeu de l’enseignement étranger en France, et plus largement de toute la politique d’assimilation et d’intégration à la française, enfin de la question des rapatriements des immigrés vers leurs pays d’origine. À côté des aspects susmentionnés du caractère général, il y a bien des questions plus spécifiquement « intérieures, proprement polonaises », comme l’activité des associations et même des partis politiques polonais en France, dans le contexte de l’existence d’au moins deux centres de pouvoir exécutif suprême, hostiles l’un à l’autre : le Gouvernement de la République de Pologne en exil à Londres et le Gouvernement de la République de Pologne (populaire) à Varsovie. Depuis le mois d’octobre 1947, il existait, par ailleurs, un troisième courant concentré autour de l’ancien premier ministre polonais de Londres et ancien vicepremier ministre du gouvernement provisoire varsovien Stanisław Mikołajczyk. Celui-ci ne reconnaissait dorénavant aucun de deux gouvernements polonais. L’auteur prétend que les premières années après la Seconde Guerre mondiale constituaient la période de la plus grande activité de la population polonaise en France dans les domaines de la politique et de la vie associative, au cours de tout le vingtième siècle. C’était, à la fois, le temps de la grande incertitude et de l’instabilité de la situation politique internationale, aussi bien que de la situation intérieure en Pologne et, également en France à un autre point de vue. Cela contribuait aux divisions profondes et souvent violentes au sein de la population polonaise en France. Tout cela ne change en rien que l’immédiat après-guerre, plus encore que les années précédant la Seconde Guerre mondiale, constituait une période clé pour l’accélération du processus social de l’intégration des immigrés polonais à la société et au pays d’accueil. L’auteur prétend que c’était dans le contexte de la décision clé d’un éventuel retour en Pologne dans le cadre de l’action du rapatriement des travailleurs polonais de France ou de la continuation de la vie en France, que les immigrés polonais qui y restaient décidèrent de s’engager sur le chemin de l’intégration. C’était ainsi que la voie des Polonais en France vers les Français d’origine polonaise fut ouverte pour la « deuxième génération » de l’immigration polonaise, tandis que leurs parents acceptèrent consciemment ce processus. L’étude approfondie de la situation des Polonais en France et de l’évolution que cette communauté immigrée subissait constitue selon l’auteur une contribution très importante à l’histoire des é m i g r é s polonais, aussi bien qu’à l’histoire des i m m i g r é s en France. L’histoire de l’immigration, dans laquelle veut s’inscrire cette thèse, montre que si les formes de déplacement et les conditions d’installation des immigrés prennent des formes différentes dans le temps et dans l’espace, les problèmes principaux qui se posent dans un pays d’installation pour les populations intéressées restent semblables, ou au moins comparables. L’histoire de l’immigration, comme la sociologie de l’immigration, sont dominées par des chercheurs représentant la nation d’installation, dont la partie importante est imprégnée de l’orientation « assimilatrice » ou « intégratoire ». Cette thèse est l’exemple d’une étude faite par l’historien originaire de la nation de départ. Cela ne veut pas dire que les phénomènes sociaux analysés, comme par exemple l’intégration des immigrés à la société d’installation, la naturalisation, ou au contraire la résistance contre ces processus au nom de l’attachement au pays d’origine, sont perçus comme « bons » ou « mauvais », attendus ou regrettables. Bien que des historiens de l’immigration originaires du pays de départ représentent souvent, pour leur part, l’orientation « résistante », l’auteur de cette thèse prétend poser cette problématique sans aucun présupposé. Sources Les sources principales pour la recherche dans le sujet examiné sont les documents des archives françaises, polonaises et britanniques. Ces sources se trouvent dans les archives françaises et dans celles polonaises en Pologne, en France et en Grande-Bretagne. Une valeur auxiliaire est portée par les documents d’État britanniques. Certaines informations précises intéressantes ont été apportées par M. Maciej (Mathias) Morawski, ancien journaliste de la Section polonaise de la Radio Europe Libre (Free Europe) et fils du dernier ambassadeur du gouvernement polonais en exil en France Kajetan Morawski. Certes, beaucoup d’informations précises sur les immigrés polonais en France sont apportées par des ouvrages et des articles déjà parus. L’auteur utilisa les textes disponibles dans les langues polonaise, française et anglaise. Comme on a déjà mentionné, jusqu’aujourd’hui, il n’existait aucune analyse complexe de l’histoire de la communauté polonaise en France dans l’immédiat après-guerre. Construction de la thèse La thèse de doctorat est conçue en cinq chapitres. Le premier chapitre dresse le contexte large de la problématique de l’immigration polonaise en France. L’auteur a décidé de commencer par l’analyse des notions employées dans l’historiographie et la sociologie de l’immigration. Le dessin de la situation démographique, économique et politique de la France au lendemain de la Seconde Guerre mondiale permettra d’encadrer la problématique des immigrés polonais dans le contexte national français de l’époque. Pour bien étudier le statut et l’évolution de la communauté polonaise en France dans l’immédiat après-guerre, le deuxième chapitre présente sa genèse sur le territoire français. L’analyse plus approfondie est effectuée à l’égard du sort des Polonais en France au cours de la Seconde Guerre mondiale. Ce choix est justifié par le fait que la connaissance de l’influence des événements et des processus sociaux qui avaient lieu pendant la Seconde Guerre mondiale est cruciale pour la saisie de ce qui s’est passé au lendemain des hostilités. Cependant, la période des hostilités n’est pas étudiée aussi minutieusement que les années de l’immédiat après-guerre, ces dernières constituant le sujet d’études propre de cette thèse de doctorat. Les chapitres suivants constituent les études précises de la communauté polonaise en France, installée dans ce pays depuis le début de l’entre-deux-guerres, et qui subit après la Libération une transformation sociale profonde. La situation et les changements au sein de l’immigration polonaise au lendemain des hostilités sont étudiés dans le troisième chapitre. L’action du rapatriement massif des travailleurs polonais, organisée par les autorités de la Pologne populaire et le choix de l’intégration progressive et de plus en plus souvent de la nationalité française par ceux qui avaient décidé – pour des raisons multiples - de rester en France, marquèrent particulièrement cette période. L’aspect de la concurrence violente de deux gouvernements polonais, celui à Varsovie et celui en exil à Londres, et de leurs représentants sur le territoire français est étudié dans le quatrième chapitre. Le dernier, cinquième chapitre est consacré à l’étude des facteurs majeurs du « maintien de la polonité » en France et leur évolution entre 1944 et 1949. Ces facteurs principaux sont l’enseignement polonais sur le territoire français, l’activité des aumôniers polonais, et plus largement du clergé et des religieuses polonais, enfin la vie associative de la communauté polonaise en France. Principales conclusions À l’instar des Belges, mais aussi des Italiens et des Espagnols, les cas du choix conséquent de l’intégration à la société française étaient rares parmi les Polonais de la « première génération ». En général, l’immigration polonaise en France appartenait, comme groupe, aux immigrés qui s’intégraient vraiment à la « deuxième génération ». Cela ne veut pas dire que les immigrés arrivés dans l’entre-deux-guerres à l’âge adulte n’avançaient pas dans l’intégration progressive dans le pays d’accueil. Tout au contraire, un nombre important d’immigrés de la « première génération » étaient bien avancés dans cette voie. En revanche, ils ne cessèrent pas de se concevoir comme les « Polonais en France », même s’ils étaient fort influencés par le pays d’arrivée et de plus en plus souvent naturalisés. En ce qui concerne les immigrés d’avant-guerre qui ne se sentaient pas à l’époque suffisamment attachés à son pays d’arrivée, une grande partie d’entre eux prit la décision de retourner en Pologne, dans le cadre du rapatriement des travailleurs polonais, dite reemigracja. Cependant, presque 85 % de la population totale polonaise ayant résidé en France au moment de sa Libération se décidèrent à rester en France. Par ce fait, ces Polonais firent le choix de s’enraciner en France. C’était aussi l’une des raisons majeures pour laquelle l’enseignement polonais pour les enfants des immigrés, la dimension de l’action du clergé polonais et la fameuse vie associative des Polonais en France se virent affaiblis à la fin des années quarante, par rapport à la fin de l’entre-deux-guerres. L’autre raison importante de cet état de fait était une politique consciente d’intégration des immigrés, émergée au lendemain de la Libération par les autorités de la République française. La période de l’immédiat après-guerre constituait le temps de la constante poussée de cette intégration de la communauté polonaise à la société française, ou pour dire plus précisément : des immigrés polonais qui ne s’étaient pas décidés au retour en Pologne dans le cadre de l’action du rapatriement des travailleurs polonais (reemigracja), organisée par les autorités de la Pologne populaire, principalement dans les années 1946–1948. L’intégration des Polonais se fit notamment par la francisation très avancée de l’écrasante majorité des enfants des travailleurs venus dans l’entre-deux-guerres, c’est-à-dire du groupe qui est nommé dans la sociologie de l’immigration « la deuxième génération ». À la fin de la décennie des années 1940, l’idée du retour en Pologne ne semblait plus réelle pour les immigrés qui, entre 1945 et 1948, s’étaient décidés à rester en France. Pour la « deuxième génération » des immigrés, la voie vers la constitution de la « catégorie ethnique » des Français d’origine polonaise était déjà bien poussée. Les premiers enfants de la « troisième génération » qui étaient nés au cours des premières années suivant la Seconde Guerre mondiale étaient déjà entièrement intégrés à la société française dès leur naissance. L’évolution de la communauté polonaise en France contribuait à la modification du fonctionnement de la vie associative des immigrés. Celle-ci était toujours abondante, même si les liens avec la Pologne se desserraient et le lien avec le pays d’accueil se resserrait. C’était la principale raison du commencement de la crise de la vie associative et du déclin des phénomènes de l’enseignement polonais et de l’aumônerie polonaise en France. Ces trois principaux facteurs contribuant au « maintien de la polonité » au cours de l’entre-deuxguerres, entre 1944 et 1949, influençaient de moins en moins la vie des immigrés polonais en France. Les années 1948–1949 étaient celles de la fin de coopération politique francopolonaise, à savoir avec les autorités de la Pologne populaire, les seules autorités polonaises reconnues officiellement par la France à partir de la fin juin 1945. Les relations entre les deux États devinrent alors ouvertement hostiles. Néanmoins, il semble que les années de bonnes relations, entre 1945 et 1947, avaient plus influencé – bien entendu, de façon positive – la situation des immigrés polonais demeurant en France que les suivantes « années noires » de l’apogée de la « guerre froide » dans les relations bilatérales (1948–1949). Par contre, il paraît évident que la détérioration des relations entre la France et les autorités de la Pologne populaire contribua à l’amélioration de la situation des réfugiés polonais et en général, de tous les ressortissants polonais ne reconnaissant pas le gouvernement à Varsovie – tant ceux-ci reconnaissant le gouvernement polonais en exil à Londres que ceux-là s’identifiant avec la ligne politique de Stanisław Mikołajczyk. En effet, dès que les ministres du PCF furent révoqués du gouvernement français, le feu vert fut donné pour l’activité de l’Organisation internationale pour les Réfugiés (OIR) envers des ressortissants des États de l’Europe centrale et orientale, par le biais de sa Délégation en France. Celle-ci commença son activité envers les Polonais, à partir du 1er juillet 1947. La stabilisation de la situation politique internationale contribua à la tendance croissante des naturalisations parmis les Polonais en France. Le début des années cinquante apporta la naissance de nouveaux groupes socioprofessionnels au sein de la communauté polonaise en France, et surtout l’épanouissement des artisans et commerçants polonais et d’origine polonaise. Tandis qu’ « en 1939, le bilan de l’intégration est mince »*, dix ans plus tard, en 1949, ce bilan pour une partie importante des immigrés polonais vivant toujours en France était déjà large – même si leur identité nationale polonaise restait forte. La majorité de leurs enfants déjà nés en France étaient déjà francisés. L’écrasante majorité des premiers petits-enfants des immigrés – constituant la « troisième génération » de la communauté immigrée polonaise en France étaient pleinement Français, et cela dès leur naissance. * Janine Ponty, Polonais méconnus. Histoire des travailleurs immigrés en France dans l’entre-deux-guerres, 2e éd., Paris, Publications de la Sorbonne, 1990, p. 392.