Le discours hypertextualisé

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Le discours hypertextualisé
Le discours hypertextualisé
Semen n°42
Presses Universitaires de Franche-Comté
Parution Octobre 2016
Editeur
Justine SIMON
Docteur en Sciences du langage et Maître de conférences en Sciences de l’information et de la
communication
Université de Lorraine, Centre de recherche sur les médiations (CREM, EA 3476)
Appel à contributions
Le numéro thématique de la revue Semen n°42 se propose de prolonger des réflexions
théoriques et méthodologiques consacrées à l’analyse du discours numérique (MourlhonDallies, Rakotonoelina, Reboul-Touré 2004 ; Calabrese 2011 ; Paveau 2013a, 2013b et
2013c ; Simon 2015). Il invite notamment les chercheurs s’intéressant aux discours issus du
web d’interroger la notion de discours hypertextualisé, c’est-à-dire, de discours augmenté par
la présence d’un lien hypertexte, renvoyant vers un autre discours. Il souhaite réunir des
recherches à la croisée des sciences du langage et des sciences de l’information et de la
communication, afin de tenter de répondre aux enjeux que posent les multiples
développements du numérique du point de vue de la conception même du discours et/ou de sa
réception/appropriation.
Cette approche se distingue nettement de travaux sur le lien hypertexte vu sous l’angle
exclusif de la technique. Il ne s’agit pas non plus de développer une approche historique,
sociologique ou philosophique, mais d’analyser le discours hypertextualisé à l’échelle du
dispositif communicationnel (Appel, Boulanger, Massou 2010), en soulignant le fait que ce
dernier influence les pratiques d’écriture et de lecture (Vandendorpe 1999 ; Ertzscheid 2004
et 2015).
L’écriture hypertextuelle est une pratique communicationnelle qui tend à se complexifier. Les
liens hypertextes incitant au clic - encore appelés « signes passeurs » (Souchier, Jeanneret, Le
Marec 2003) - sont omniprésents sur nos écrans et peuvent prendre des formes sémiodiscursives très variées : mot ou groupe de mots mis en évidence dans un bloc de texte (ou
aux marges du texte) par l’affectation d’une autre couleur et/ou du soulignement, et/ou du
clignotement, mot ou groupes de mots indexés grâce à l’ajout du signe dièse ou du signe
arobase (exemples des hashtags et des citations de comptes sur Twitter), iconotexte, icône ou
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encore image augmentés grâce à la présence d’un lien hypertexte1. La mise en forme de ces
signes est sans cesse repensée - en témoigne la création de liens hypertextuels invisibles - et
souligne le fait que leur dimension visuelle est porteuse de sens (Seammer, Maza 2008 ;
Saemmer 2007, 2011 et 2014 ; Angé, Renaud 2013).
La définition du discours hypertextuel est cependant plus large que celle du lien hypertexte
puisque celui-ci se construit à partir de trois fragments : le signe passeur, son discours
d’accompagnement - tous deux vi-lisibles sur la page-écran - et le discours lié ou « discours
hors-écran » - présent sur une autre page-écran2. Alain Rabatel se réapproprie la notion de
« discours d’escorte » (2010 et 2011) initialement proposée par Gérard Genette (1982), pour
souligner le fait que ce dernier joue un rôle dans l’interprétation du discours lié3. Cette
perspective est importante à prendre en considération : d’une part, elle interroge l’affordance
du discours hypertextualisé et d’autre part, elle met en avant le fait que le discours lié est
« représenté » (Rabatel 2006), dans le sens où il fait l’objet d’une appréciation par
l’énonciateur (constitution d’une preuve, doute relatif à la valeur de vérité du contenu,
commentaire décalé, ironique ou humoristique, etc.). Autrement dit, le discours
hypertextualisé fait partie d’une mise en scène globale porteuse de sens, cherchant à
influencer le parcours de lecture de l’internaute ainsi que l’interprétation de son contenu.
L’étude du discours hypertextualisé doit s’inscrire dans la continuité des recherches en
analyse du discours qui mettent l’accent sur le caractère dialogique de ce dernier (Volochinov
1977 [1929]) 4 . Cependant, il doit aussi se confronter aux limites théoriques et
méthodologiques introduites par la problématique du numérique. Comme le précise MarieAnne Paveau (2013c), analyser le discours numérique suppose de modifier un peu les théories
et méthodes - les théories du discours n’étant pas forcément outillées pour appréhender le
numérique. Le discours hypertextualisé réinterroge notamment la notion de discours du fait de
son hétérogénéité sémio-discursive, et pose la question du renouvellement des pratiques
discursives appréhendées dans leur matérialité spécifique (Longhi 2014).
Qui plus est, d’un strict point de vue énonciatif et argumentatif, le discours hypertextualisé
appelle une approche dialogique mettant en avant ses propriétés interlocutives et
interdiscursives, cela afin de faire émerger plusieurs fonctions communicationnelles : fonction
1
Le bouton de partage - appelé également « technosigne » (Paveau 2014) - peut aussi bien prendre la forme d’un
iconotexte (Nerlich 1990) - comme le like button par exemple (Candel, Gomez-Mejia 2013) - que d’une icône.
2
La navigation créée par le lien offre un parcours de lecture potentiel dirigeant vers un discours pouvant être lié
en interne (renvoyant le lecteur à un ailleurs dans une même page) ou en externe (vers une autre page URL).
Dans les deux cas, il figure généralement sur une autre page-écran. Il existe cependant d’autres cas de figure où
le discours lié s’affiche sur la page initiale soit en capture d’écran (exemple des cartes insérées sur Twitter), soit
en aperçu lorsque le curseur approche.
3
Ce discours d’accompagnement peut être renforcé par un deuxième discours d’escorte pouvant apparaître dans
une fenêtre-bulle surgissant lorsque le lecteur passe son pointeur de souris sur le lien. Nous la nommons
« discours d’escorte d’incitation » (Simon 2011).
4
Cette approche s’affranchit ainsi de l’opposition caduque qui persiste parfois entre d’une part le texte
« papier », caractérisé par une linéarité, une fixité et une univocité et d’autre part l’hypertexte « numérique », qui
aurait des propriétés inverses : non-linéarité, dynamisme, interactivité (Achard-Bayle 2004). Il est certain que la
pratique hypertextuelle amplifie le phénomène de délinéarisation du texte numérique mais il n’est pas propre au
numérique.
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de navigation, de participation, fonction dynamique de rapprochement entre un discours et un
discours autre hors-écran, etc.
- D’un point de vue interlocutif, il est important d’interroger le discours hypertextualisé
comme déclencheur de nouvelles pratiques socio-discursives tournées vers la participation :
scénarisation interactive (grâce à une stylisation visuelle notamment), lecture performative
(dans le sens où l’internaute va cliquer sur le lien), indexation collaborative, etc. Le recours à
la notion de discours hypertextualisé peut ainsi devenir essentielle pour contribuer à
l’identification et l’explication des logiques de circulation des discours (López Muñoz,
Marnette, Rosier, Vincent 2009) entre internautes.
- D’un point de vue interdiscursif, le discours hypertextualisé rejoint la notion de
« transcendance textuelle » proposée par Gérard Genette (1982) puisqu’il correspond à la
mise en relation d’un texte avec d’autres textes. Plus précisément, il correspond à la notion de
« dialogisme interdiscursif montré » (Moirand 2002), puisqu’il représente un discours autre
lié de manière manifeste5 . Le discours hypertextualisé construit des liens avec d’autres
discours produits antérieurement et cette dynamique dialogique peut se mettre au service
d’une « visée argumentative » (Amossy 2000). Plusieurs stratégies peuvent ainsi être mises en
avant dans la dynamique de rapprochement entre un discours et un discours autre hors-écran
(Clément 1995) :
a) faire émerger une complémentarité entre deux discours afin de renforcer
l’argumentation principale du discours : question/réponse, argument/exemple,
affirmation/preuve, doute/renforcement, etc.
b) faire émerger un conflit - vouloir convaincre de la vérité de son discours correspondant
souvent au fait de contester le discours d'un autre - : proposition/contre-proposition,
généralisation/contre-exemple, etc.
c) introduire un commentaire métadiscursif,
d) faire preuve d’ironie en offrant un regard décalé sur la réalité, etc.
A partir de ce cadrage, nous encourageons des propositions d’articles conjuguant approche
empirique et remontée théorique à propos de la notion de discours hypertextualisé.
Les propositions peuvent à la fois s’inscrire dans le domaine des sciences du langage et de
celui des sciences de l’information et de la communication.
L’angle d’analyse peut privilégier un point de vue énonciatif, sémantique, pragmatique6,
argumentatif7 ou encore sémio-discursif.
Les corpus d’expérimentation ne sont enfin évidemment pas cloisonnés à un genre de
discours particulier. Les discours artistiques, littéraires, politiques, journalistiques ne sont que
des exemples de champs d’application possibles.
Au final, ce numéro thématique de la revue Semen souhaite interroger la notion de discours
hypertextualisé afin de contribuer à l’analyse de la dynamique de circulation des discours
numériques en constante évolution.
5
La mise en lien d’un discours hors-écran peut-être considérée comme une forme de « représentation du
discours autre » (Authier 2004) porteuse de sens. Marie-Anne Paveau propose quant à elle l’expression
« technodiscours rapporté » (2014).
6
Voir à ce propos l’étude d’Agata Jackiewicz et Marko Vidak (2014) sur les mots-dièse et celle de Julien Longhi
(2013) sur le tweet politique.
7
Le réinvestissement de la notion d’ethos est une piste possible, afin d’étudier comment l’identité numérique se
construit dans des dispositifs interactifs (Georges 2011 et 2012).
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Echéancier
- Diffusion de l’appel : octobre 2015
- Date limite de réception des propositions d’articles : 20 décembre 2015
- Signification aux auteurs : 15 janvier 2016
- Remise des articles à l'éditeur et au comité de lecture pour évaluation interne : 15 mai 2016
- Retour d’expertise (fin des navettes avec le comité de lecture) : 15 juillet 2016
- Retour des articles définitifs : 5 septembre 2016
- Parution : octobre 2016
Contact
Les propositions d’articles (résumé d’environ 2 500 caractères, espaces compris) sont à
envoyer avant le 20 décembre 2015 à l’adresse suivante : [email protected].
Indications bibliographiques
ACHARD-BAYLE Guy, 2004, « Le Voile et la Toile. Introduction au texte et à l’hypertexte », Verbum, n°26-2,
pp. 129-173.
AMOSSY Ruth, 2000, L’argumentation dans le discours. Discours politique, Littérature d’idées, Fiction, Paris,
Nathan Université.
ANGE Caroline, RENAUD Lise, 2013, « Autour du design hypertextuel : Des glyphes à la signalétique », in
JEANNERET Y. & alii (dir), H2PTM 2013, Pratiques et usages numériques, Paris, Hermès-Lavoisier, pp. 27-38.
APPEL Violaine, BOULANGER Hélène & MASSOU Luc (éds), 2010, Les dispositifs d’information et de
communication : concept, usages et objets, Bruxelles, De Boeck.
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MARNETTE S., LOPEZ-MUNOZ J.-M. & ROSIER L. (dir), Le discours rapporté dans tous ses états : question de
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CALABRESE Laura (éd), 2011, « L’Internet, corpus sauvage. Nouvelles ressources, nouveaux problèmes ? », Le
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Armand Colin, pp. 141-146.
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Accessible en ligne sur http://rfsic.revues.org/1425.
ERTZSCHEID Olivier, 2004, « Pratiques énonciatives hypertextuelles : vers de nouvelles organisations
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Archée,
Cybermensuel.
Accessible
en
ligne
sur
http://archivesic.ccsd.cnrs.fr/sic_00000996/PDF/sic_00000996.pdf.
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GEORGES Fanny, 2011, « Pratiques informationnelles et identité numérique », Etudes de communication, n°35,
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