Dictée du 16 décembre 2013

Transcription

Dictée du 16 décembre 2013
Dictée du 16 décembre 2013 :
La mort de la vipère
(Hervé BAZIN.1911-1996)
Ce texte est extrait du premier et célèbre roman autobiographique de l’auteur : « Vipère au
poing », (1948) roman qui le fit découvrir et assura sa notoriété.
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Dans cette œuvre, l’auteur raconte son enfance malheureuse, enfant privé de la
tendresse d’une mère autoritaire et froide, injuste, maniant la brimade et le châtiment
et que ses enfants surnomment "Folcoche" (abréviation de folle – cochonne).C’est l’auteur
qui est la victime de choix, c’est lui qui s’oppose le plus catégoriquement à elle.
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Qui a vu la première adaptation au cinéma, très proche du livre, n’oubliera pas Alice
Sapritch dans ce rôle. C’est Catherine Frot qui l’interprète dans une transposition plus
récente.
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A la fin du récit, Folcoche explique à son fils aîné, l’auteur, qu’elle ne peut aimer des
« enfants conçus sans amour » : c’est révélateur de toute une époque, de toute une classe
sociale engoncée(s) dans des principes rigides. Si on plaint Jean = le narrateur / auteur,
dit « Brasse-bouillon » et son frère Ferdinand (le troisième, Marcel est plus choyé), on
plaint aussi la mère qui n’a pu choisir sa vie.
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Dans l’extrait, le narrateur montre la « cruauté » dont il peut faire preuve lui-même.
Le texte de la dictée :
Cette vipère dormait, elle dormait … trop affaiblie par l’âge ou fatiguée par
l’indigestion de crapauds. Hercule au berceau étouffant les reptiles : voilà le mythe expliqué. Je
fis comme il a dû le faire. Je saisis la vipère par le cou, exactement au-dessus de la tête et je
serrai, voilà tout. Cette détente brusque, en ressort de montre qui saute hors du boîtier – et le
boîtier, pour ma vipère, s’appelait la vie – ce réflexe désespéré pour la première et pour la
dernière fois en retard d’une seconde, ces enroulements, ces déroulements, ces enroulements
froids autour de mon poignet, rien ne me fit lâcher prise. Par bonheur, une tête de vipère, c’est
triangulaire et monté sur un cou mince, où la main peut se caler. Par bonheur, une peau de vipère,
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c’est rugueux, sec d’écailles, privé de la viscosité défensive de l’anguille. Je serrais de plus en
plus fort, nullement inquiet, mais intrigué par ce frénétique réveil d’un objet apparemment si
calme, si digne de figurer parmi les jouets de tout repos. Je serrais. Une poigne rose de bambin
vaut un étau. Je rapprochais la vipère de mon nez, très près, tout près, mais rassurez-vous, à un
nombre de millimètres suffisant pour que fût refusée leur dernière chance à des crochets
suintant(s) de rage.
Elle avait de jolis yeux, vous savez, cette vipère, non pas de saphir comme les vipères
des bracelets, je le répète, mais des yeux de topaze brûlée, piqués de noir au centre et tout
pétillants d’une lumière que je saurai – plus tard – appeler la haine. Elle avait aussi de minuscules
trous de nez, ma vipère, une gueule étonnante, béante, en corolle d’orchidée, avec, au centre, la
fameuse langue bifide.
Je serrais, je vous le redis. Les topazes s’éteignirent, à moitié recouvertes par deux
morceaux de taffetas bleuâtre(s). La vipère, ma vipère était morte, ou plus exactement, pour
moi, l’enfant que j’étais, elle était retournée à l’état de bronze où je l’avais trouvée quelques
minutes auparavant.
Hervé Bazin. Vipère au poing. Ed Grasset. 1948.
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Folcoche, ulcérée de l’escapade ultime, joue sa dernière carte espérant ainsi l’envoyer en
maison de correction : elle cache une grosse somme d’argent dans la chambre de Jean et
espère ainsi le faire accuser de vol. Mais elle ne voit pas que celui-ci l’épie. Avant même
qu'elle ne donne l’alerte pour ce vol, Jean lui rapporte la liasse de billets, et pour la
première fois, lui montre clairement qu'il n'a plus peur d’elle ! Menacée par son fils de
révéler cette affaire à tous les membres de la famille, il exige de quitter la maison pour
devenir interne au collège. Acculée, Folcoche ne peut qu’accepter : Jean a enfin gagné.
Dans une tirade mentale, adressée bien évidemment à Folcoche, Jean Rezeau fait le lien
entre la vipère qu'il a étranglée dans son enfance et celle, matérialisée par la dureté de
sa mère, qu'il a « étranglée » toute sa vie.
"Merci, ma mère ! Je suis celui qui marche, une vipère au poing." D’où le titre du roman.
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Vocabulaire :
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Une langue bifide : du latin " bifidus " = fendu en deux. Le même bifidus désigne une
bactérie anaérobie utilisée comme ferment lactique : c’est un composant de la flore
intestinale des nourrissons.
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Les topazes sont des pierres fines de couleur variable, du blanc au jaune doré mais on en
trouve aussi des brunes, des violettes, Les topazes brûlées sont des topazes devenues
roses par chauffage, on les appelle aussi topazes du Brésil.
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L’auteur : Hervé Bazin (1911-1996)
Hervé Bazin est né au sein d'une famille aisée. Son père, Jacques Hervé-Bazin, est docteur en
droit, avocat de profession, et enseigne durant plusieurs années à l'université catholique d'Hanoï,
en Indochine. Sa mère, Paule Guilloteaux, est la fille de Jean Guilloteaux, député puis sénateur
du Morbihan. Sa grand-mère paternelle, Marie Bazin, est la sœur du romancier et académicien
René Bazin.
Il passe son enfance à Marans, dans la propriété du Patis, où il s'oppose à sa mère qui était une
femme autoritaire et sèche. Il fugue plusieurs fois pendant son adolescence et refuse de passer
les examens à la faculté catholique de droit d'Angers qu'on lui a imposée et, l'année de ses vingt
ans, il rompt avec sa famille, et part étudier à la faculté de lettres de la Sorbonne (il emprunte la
voiture de son père, a un accident, dont il sort amnésique, ce qui le condamne à une longue
hospitalisation). Malgré les souvenirs douloureux de son enfance, il reste toute sa vie très
attaché à sa région natale où il situe bon nombre de ses romans.
En parallèle à ses études, il exerce de nombreux petits métiers et écrit de la poésie, une
première quinzaine d'années, sans éclats. À noter tout de même la création d'une revue poétique
en 1946, La Coquille (huit volumes seulement), et l'obtention du prix Apollinaire pour Jour, son
premier recueil de poèmes, suivi d'À la poursuite d'Iris en 1948.
Sur le conseil de Paul Valéry, il se détourne de la poésie pour se consacrer à la prose.
[Les rapports conflictuels qu'il a eus avec sa mère pendant son enfance lui inspirent le roman
Vipère au poing en 1948. Y est narrée la relation de haine entre Folcoche (contraction de
« folle » et « cochonne »), mère sèche et cruelle constamment à la recherche de nouveaux
moyens de brimade (par exemple, l'histoire de la fourchette) et ses enfants. Le narrateur est
Jean Rezeau, surnommé Brasse-Bouillon. Maurice Nadeau apprécie ces « Atrides en gilet de
flanelle », selon l'expression d'Hervé Bazin. Ce roman connaît un immense succès après-guerre et
est suivi de nombreux autres qui décrivent, avec un certain naturalisme et un art du portrait
psychologique, les mœurs de son époque. D'autres romans ont comme héros les personnages de
Vipère au poing : La Mort du petit cheval et Cri de la chouette.]
En 1949, il s'engage dans le Mouvement de la paix, un mouvement d'extrême gauche qu'il rejoint
pour s'opposer à sa famille qui est de la droite bourgeoise et conservatrice.
En 1950, il participe, avec d’autres écrivains comme Marcelle Auclair, Jacques Audiberti,
Maurice Druon et André Maurois, au numéro de la revue La Nouvelle équipe française de Lucie
Faure, intitulé « L’Amour est à réinventer ».
En 1954, il veut témoigner, à la suite de son expérience personnelle, de l'état déplorable des
établissements psychiatriques (qui pour lui n'avaient pas changé depuis ses démêlés familiaux de
1940), et entreprend un tour de France de ces hôpitaux (entre autres l'hospice Pasteur à
Poitiers), accompagné du photographe Jean-Philippe Charbonnier, enquête qui sera publiée dans la
revue Réalités de janvier 1955.
En 1957, il obtient le grand prix de littérature de Monaco.
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De 1959 à 1960, Hervé Bazin réside à Anetz dans la maison de l'Emeronce C'est en ce lieu qu'il
écrira son roman Au nom du fils.
Membre de l'Académie Goncourt en 1960. Il en devient président en 1973.
En 1970, il publie Les Bienheureux de La Désolation, récit racontant l'histoire vraie des 264
habitants de l'Île Tristan da Cunha, aussi nommée « île de la Désolation », rapatriés en
Angleterre à la suite de l'éruption du volcan en 1961. Le roman relate le choc des cultures qui
attendait les habitants de Tristan à leur arrivée en Angleterre.
Hervé Bazin passe les dernières années de sa vie à Cunault sur les bords de la Loire. Il est
incinéré comme il l'avait souhaité et ses cendres sont dispersées sur la Maine. Une pierre
tombale, portant son nom et les années 1911-1996, est visible au cimetière de Cunault.
Hervé Bazin est considéré comme « un romancier de la famille », thème central de tous ses
romans. Sa vision de la famille traditionnelle y est toutefois très négative et destructrice,
conformément à ses idées personnelles. Il a écrit également des nouvelles et des essais, comme
Ce que je crois en 1977.
Politiquement, Hervé Bazin a appartenu au Mouvement de la Paix, en relation avec le parti
communiste dont il était proche. Il a d'ailleurs soutenu en France les époux Rosenberg durant
leur procès. Il obtint le prix Lénine de littérature en 1980, ce qui fit dire plaisamment à Roger
Peyrefitte : « Hervé Bazin avait deux prix qui faisaient pendant : le prix Lénine de la Paix et le
prix de l'humour noir ».
En 1995, au cours d'un déménagement, Hervé Bazin avait déposé ses manuscrits et sa
correspondance aux archives municipales de la ville de Nancy, déjà en possession du fonds des
frères Goncourt, originaires de la ville.
Après sa mort, à la suite d'un imbroglio juridique, les six enfants de ses premiers mariages
ont obtenu, contre l'avis de sa dernière épouse et de son dernier fils (10 ans), la vente de ce
fonds à l'hôtel Drouot, le 29 octobre 2004. Aidée par les collectivités locales, la bibliothèque
universitaire d'Angers a réussi à préempter la quasi-totalité de ce patrimoine, soit 22
manuscrits et près de 9 000 lettres, remis à la disposition des chercheurs. Il manque celui de
Vipère au poing, vendu par l'auteur dans les années 1960, et celui des Bienheureux de la
désolation, recueilli par son fils Dominique le jour de la vente.
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L’ouvrage : « Vipère au poing »
(1948)
Durant l'été 1922, Jean et Ferdinand sont élevés par leur grand-mère paternelle dans le château
familial de la Belle-Angerie, à quelques kilomètres d'Angers. Le décès de leur grand-mère oblige
leurs parents, Jacques et Paule, à quitter la Chine où le père est cadre dans une université
chinoise, pour revenir s’occuper de leurs enfants.
Avec impatience et curiosité, les deux enfants attendent leurs parents et le petit frère qu’ils ne
connaissent pas sur le quai de la gare. En se jetant sur leur mère pour l’embrasser, ils se font
violemment repousser par cette dernière qui souhaite descendre tranquillement du train. [€™€Leur nouveau petit frère, Marcel, leur adresse un salut presque froid. Seul leur père les
embrasse.
De retour au château, la famille et le personnel sont convoqués dans la salle à manger pour
écouter la nouvelle organisation de la famille : le père annonce un emploi du temps spartiate, avec
messe dans la chapelle privée dès le commencement de la journée, vers 5 h 30, et à son
achèvement vers 21 h 30. Pendant la journée, les études sont dispensées par l'abbé qui vit avec
eux. Soudain, le père prend prétexte d’avoir des mouches à piquer pour se retirer, laissant ainsi
sa femme, Paule, annoncer ses propres directives : les enfants n’auront plus le droit au café au
lait le matin mais à la soupe, ils auront les cheveux tondus par mesure d'hygiène et, par sécurité,
elle ôte les poêles, les édredons et les coussins dans leur chambre. Elle leur confisque tous leurs
objets personnels. Quant aux heures de recréations, elles doivent être consacrées à l'entretien
du parc. Pour ne pas user leurs chaussures et chaussettes, elle leur impose le port de lourds
sabots, qu'ils « peuvent » porter avec de la paille s'il fait froid…
En peu de temps, les enfants sont affamés, frigorifiés, privés de tout confort, de toute
tendresse, et constamment sujets à des brimades, punitions ou humiliations de la part de leur
mère, sous l'œil de leur père qui semble préférer ne rien voir pour éviter un conflit avec sa
femme.
Au cours des repas, elle n’hésite pas à piquer violemment un de ses fils avec la fourchette s'ils
n’adoptent pas une tenue qu'elle considère correcte. Quand la gouvernante tente de s’interposer,
Paule la renvoie immédiatement, comme elle l'a déjà fait pour tout le personnel, à l’exception de
Fine, la vieille cuisinière, à sa merci du fait qu'elle est sourde et muette. Les enfants qui
détestent leur mère lui trouvent le surnom qu'elle porte dorénavant en permanence :
« Folcoche », contraction de Folle et Cochonne. Ils gravent partout où ils le peuvent des VF
rituels, signifiant Vengeance à Folcoche. Jean, le narrateur, est le fils qu'elle déteste le plus car
il fait preuve d'une certaine audace, notamment en la fixant intensément pendant les repas,
"rituel" que les frères appellent « pistolétade ».
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