« Dieu de tendresse et d`amour, riche en miséricorde… »

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« Dieu de tendresse et d`amour, riche en miséricorde… »
Conférence de Mgr Barbier – Pèlerinage de la Miséricorde « Dieu de tendresse et d’amour, riche en miséricorde… » Poursuivant ce que j’ai commencé de méditer avec vous ce matin, en ce jour de la célébration de la Miséricorde divine, je désire contempler plus avant cette miséricorde, qui est trait essentiel, trait par excellence de notre Dieu. Je voudrais, à ma manière, parler tout d’abord de la tendresse de Dieu de toujours à toujours, de Celui qui se présente à Moïse « Yahvé, Yahvé, Dieu de miséricorde et de pitié, lent à la colère, riche en grâce et en fidélité, qui garde sa miséricorde à des milliers de générations, qui pardonne la faute, la transgression et le péché » (Ex. 34,6-­‐7); puis je parlerai du sommet de la Miséricorde de Dieu, en Jésus, et Jésus crucifié ; enfin, j’évoquerai quelques aspects de notre accueil de cette Miséricorde aujourd’hui… A ma manière ! Avant de commencer je rappelle deux citations faites ce matin. Celle de Ste Catherine de Sienne. « … Les hommes seront condamnés pour ce faux jugement qui leur fait croire que leur péché est plus grand que la miséricorde »…Et la citation de notre Pape François : « Dieu a parlé, et sa réponse est la Croix du Christ, une Parole qui est amour, miséricorde, pardon… Dieu nous juge en nous aimant ». Dans la Bible, il est dit un jour: la revanche de Dieu, c’est l’amour ! 1-­‐ La tendresse de Dieu de toujours à toujours. Frères et Sœurs, nous sommes le désir de Dieu. Benoit XVI parle de l’eros de Dieu à notre égard : Dieu se complaît en nous, il a pour nous un amour de complaisance, il est attiré par nous; mais, poursuit Benoit XVI, cet amour est en même temps et totalement agapè, amour de bienveillance : il veut le bien de l’être aimé, il veut le bien-­‐aimé lui-­‐même, pour ce qu’il est, en son originalité, et il s’engage pour le promouvoir. F.de S. dira que, à cet effet, un jour, le Fils se serra à nous, Il s'écoula tout en nous, Il s'est vidé, s'est épuisé, s'est démis, au point de pouvoir dire : Ma vie c’est l’homme et mourir pour l'homme c'est mon profit. Oui, nous sommes le désir de Dieu, eros et agapè de notre Dieu. Ceci, dés l’acte même de la création. Mais ensuite, d’une manière particulière, après le péché, cet amour apparaît désormais comme « miséricorde » (= le cœur ouvert à la misère): « Mes entrailles, mes entrailles, qu’il me faut souffrir », pouvons-­‐nous entendre en Jérémie ou Osée. « Mon peuple est malade de son infidélité ; ils invoquent Baal, mais il ne les relève pas. Mon coeur se retourne en moi, toutes mes entrailles frémissent… » « Mon peuple est stupide, ce sont des enfants sans réflexion, ils n’ont pas d’intelligence : ils sont sages pour faire le mal, mais ne savent pas faire le bien ».-­‐ Mes pauvres enfants!-­‐ Qui a parlé d’un Dieu impassible, impavide ? Dieu, désormais, est à notre recherche. Il cherche à nous attirer par son amour qui pardonne, va au-­‐delà… « Une mère oublierait-­‐elle son enfant, moi je ne t’oublierai jamais. Vois, je t’ai gravé dans la paume de mes mains ». Dieu à notre recherche : la parabole du Père de l’enfant prodigue nous le dira un jour, mais déjà toute l’histoire de la révélation peut se lire à partir de cette perspective, celle du livre du Cantique des Cantiques, le bien-­‐aimé à la recherche de sa bien-­‐aimée. La révélation première à Moïse lie, en ce sens, la révélation du Nom, Yahvé, ‘Celui qui est’, et, la révélation de la Miséricorde, Dieu de miséricorde, qui s’élance au devant de l’humanité égarée, en souffrance. Sous cette lumière, les luttes entre les hommes, les errements et déchirements en Israël, ses épreuves comme on dit, rapportées à travers la Bible, n’apparaissent pas, ne peuvent apparaître comme des punitions divines, mais, d’abord, comme des lieux où Dieu va au devant de ses enfants. Non que Dieu passe l’éponge sur le péché : il laisse les conséquences déferler sur le pécheur jusqu’à la 4ème génération, cela montre le sérieux du péché, mais sa miséricorde, elle, conservée intacte, disent les textes, jusqu’à la 1000ème génération, le fait patienter infiniment. Nous voyons même Dieu faire patiemment, à travers ces vicissitudes de son histoire, l’éducation de son peuple, pour que ce peuple, et chacun, en ce peuple choisi, découvre, redécouvre, et vive, dignité( j’ai du prix à tes yeux), fierté( quel dieu si proche que notre Dieu ?), liberté (par rapport aux faux dieux internes et externes), confiance, avenir (notamment par le fait de l’alliance qui le projette dans un devenir, un toujours, celui de Dieu même). Il l’éduque encore au partenariat avec Lui, mais aussi, entre frères, à la fraternité, et peu à peu, à la communion, avec Lui et entre frères, dans le « donner » et « recevoir » réciproques, bref, il l’éduque à sa vocation véritable avec Dieu et à l’image de Dieu. Il continue du reste à le faire à notre égard... Dans la Bible deux mots disent cette miséricorde active. L’un exprime que devant la misère Dieu est pris aux entrailles, aux tripes, sa compassion en somme. L’autre, nous venons de l’entendre, allant plus loin, dit que Dieu a partie liée avec son peuple, et avec l’humanité entière, à la fois parce qu’il l’a créée, et parce que, par alliance, il s’est engagé à son égard dans la fidélité, liant, en quelque sorte, son sort à celui de l’humanité, dans le meilleur et dans le pire, même si c’est pour le meilleur. Les psaumes ne cessent de raconter cette merveille de la miséricorde de notre Dieu. Je vous les recommande. Jusqu’à celui qui dit : « je rendrai grâce au Seigneur en confessant mon péché »(Ps.31) Ceci dit, la Loi et les Prophètes ne pouvaient que dévoiler, inviter… non donner capacité. Alors, selon un dessein de toujours, Dieu finalement donne tout de lui-­‐même en son Fils, pour nous relever. 2-­‐ Jésus, sommet de la révélation, et de la réalisation, de la Miséricorde divine. En Jésus donc, un jour de notre temps, Dieu s’élance en notre humanité. J’ai déjà cité à ce sujet le propos de François de Sales : il se serra à nous, s’écoula en nous, s’est vidé, épuisé, démis, ma vie c’est l’homme et mourir pour l’homme c’est mon profit… Marie , à l’aube de l’ère nouvelle, chante alors la miséricorde de Dieu qui élève les humbles, comble de biens les affamés, renverse les puissants, “donne aux riches, dit le Cal Barbarin, la chance de se retrouver les mains vides“. Zacharie, à son tour, bénit le Seigneur: « qui a visité son peuple, a suscité une force salut dans la famille de David, accomplissant ainsi sa miséricorde envers nos pères, se rappelant de son alliance sainte » et le précurseur, mais aussi l’Église qui va naitre, manifestera le salut par( dans) la rémission des péchés grâce aux entrailles de miséricorde de notre Dieu venu nous visiter Que voyons-­‐nous alors ? Nous voyons 1-­‐ Jésus prendre la file de ceux qui rencontrent Jean Baptiste dans le désert : il manifeste ainsi la présence miséricordieuse, aimante et salvifique de son Père, auprès des pécheurs, des petits et des pauvres. Mais, 2-­‐ vite il quitte Jean, dont le message est : que seul peut s’approcher de Dieu celui qui manifeste son désir de conversion et en est digne. Jésus, quant à lui, annonce désormais le message de la grâce divine, gratuite, si j’ose dire, qui s’offre à tous, bonne nouvelle d’un Dieu qui n’est pas un juge punissant les pécheurs, ni même qui attend que nous méritions son pardon, mais un Père qui, inlassablement, part à la recherche de ceux qui s’égarent pour les pardonner et les sauver… *Dés lors lui-­‐même, en communion avec son Père, va ‘’au devant’’ des pécheurs, il n’attend pas qu’ils viennent, il les rejoint où ils vivent, les fréquente, au risque de scandaliser, prend avec eux des repas, va à leur table, mais pour les recevoir à la sienne, leur déclare le pardon. En communion avec son Père, dont la volonté est sa nourriture, il est tout tourné vers les hommes, guérit, nourrit, prend la défense des enfants, intercède pour les prostituées, les adultères, demande d’aimer ses ennemis, se range du côté des pauvres et des déshérités... *Ses paraboles annoncent, en paroles, la bonté et la miséricorde de Dieu qui font éclater les limites des justices humaines. Ainsi, le père qui fait la fête au retour du prodigue, le maître qui fait cadeau à son serviteur d’une dette inimaginable, le Samaritain qui dépasse toutes frontières pour soulager celui qui est le blessé de la route, etc. S’il guérit, c’est au nom d’un Dieu bouleversé par le malheur d’hommes et de femmes blessés et mutilés en leur humanité, il signifie ainsi que Dieu a choisi de faire revivre, de faire sortir ses enfants de l’impasse…Il fait des exorcismes, inaugurant l’ère de la victoire sur les puissances du mal…* A l’heure tragique enfin, où l’a conduit sa passion d’amour pour les hommes, au creux, ou cœur de la violence de l’homme coupé de sa source, il guérit encore l’oreille du serviteur du grand prêtre, regarde avec tendresse celui qui vient de le renier, accueille la prière du larron, demande au Père de pardonner à ceux qui le tuent, avocat se mettant en quelque sorte à leurs côtés pour prier. Il s’offre finalement dans un ultime acte d’amour, sauvant, par l’amour, l’humanité du cycle infernal de la violence, et du péché qui en elle s’exprime. Il donne tout, jusqu’au « tout est accompli »; en Lui l’humanité, à la Croix, est dépouillée, toute livrée au Père et aux frères, toute délivrée, et se reçoit désormais et se donne, redevient pleinement filiale, et fraternelle. A la croix, dit le Pape François, Dieu a parlé, une Parole qui est amour, miséricorde, pardon… Il faudrait poursuivre… en relatant ici les élans de ses apôtres et de ses disciples, faisant admirablement corps avec lui, dans les premiers temps de l’Église et jusqu’à nos jours, accueillant par grâce et manifestant par grâce cette Miséricorde divine. Mais je veux en venir maintenant, pour terminer à quelques aspects de notre accueil de cette Miséricorde aujourd’hui, pour être précisément dans la ligne des apôtres et disciples. 3-­‐«Soyez miséricordieux comme votre Père est miséricordieux » 1-­‐« Convertissez-­‐vous, croyez à la bonne nouvelle »-­‐Nous avons vu que le Seigneur a ouvert une autre étape de la révélation, en allant au-­‐delà du baptême de conversion pour lequel Jean Baptiste appelait au désert. Il annonce, et réalise, le message de la grâce divine qui, gratuitement, s’offre à tous, prévient… Dés lors, quand il invite : « convertissez-­‐vous, croyez à la bonne nouvelle », il ne s’agit pas, d’abord, en cet appel, d’œuvres à accomplir, il s’agit de ‘’se tourner vers’’ (=conversion), pour accueillir Dieu qui vient à nous, qui se donne, qui par donne, va au delà de tout. Le salut vient, viendra de Lui, si nous lui donnons notre foi ; c’est même Lui qui nous donnera de nous détourner de notre péché, demandons-­‐
lui. Rappelons-­‐nous les paroles du Pape François : « Si j’accueille son amour je suis sauvé, si je le refuse je suis condamné, non par lui, mais par moi-­‐même, parce que Dieu ne condamne pas, lui aime et sauve seulement. Ecoutons aussi la voix du Seigneur qui nous dit «tu n’es pas que ton péché, Toi, dans ton péché, je t’aime ; lève-­‐toi et marche ». Laissons-­‐nous désirer, et aimer, par Dieu, et osons nous désirer, et nous aimer, nous-­‐mêmes, avec lui, sans attendre, comme nous sommes. 2-­‐Certes, cependant, ce retournement vers le Seigneur, va entraîner tout un ensemble d’attitudes et d’œuvres, pas nôtres d’abord cependant, mais œuvres de l’action de la grâce en nous, à laquelle nous aurons communié. Je veux en évoquer plusieurs brièvement ; ainsi: * le détachement de nous-­‐mêmes, *le dialogue, * la compassion, au-­‐delà de la division, * l’amour des ennemis... +Le détachement de nous-­‐mêmes -­‐ Le patriarche Athénagoras disait : Il faut mener la guerre la plus dure qui est la guerre contre soi-­‐même. Il faut arriver à se désarmer. J'ai mené cette guerre pendant des années. Elle a été terrible, mais je suis désarmé. Je suis désarmé de la volonté d'avoir raison, de me justifier en disqualifiant les autres. J'ai renoncé au comparatif. Si l'on s'ouvre au Dieu-­‐Homme qui fait toute choses nouvelles, alors, Lui, efface le mauvais passé et nous rend un temps neuf où tout est possible...-­‐ Oui, lâchons les amarres pour nous ouvrir. + Le dialogue. Pour ‘communier’, entrer en chemin de communion, il faut sortir de soi, et de son univers, de pensée et de lieu et milieu, pour accueillir l’autre en son univers et son lieu et milieu, en l’écoutant vraiment, mais non en pensant à ce que je vais lui dire, ceci, pour ensuite devenir ensemble autres. Ceci, Jésus l’a fait avec nous. Ceci, dans la miséricorde de Dieu, nous avons à le faire, avec notre Père déjà, et avec nos frères. Dieu-­‐dialogue, c’était le thème de la 1ère encyclique de Paul VI. Dieu qui adresse la parole ! + La compassion, au cœur même de la division-­‐ St Paul dit déjà: « Un membre souffre-­‐t-­‐il ? Tous les membres souffrent avec lui. Un membre est-­‐il à l'honneur ? Tous les membres se réjouissent avec lui.» (1Cor 12,26. Mais je veux dire aussi : la compassion, c’est encore aller à ce qui fait souffrir l’autre et le durcit dans le débat, ce dont il n’est pas fier et qu’il cache devant l’adversaire, et oser, nous aussi, dans le débat, nous exposer en notre propre souffrance cachée, pour, nous portant l’un l’autre dans ces souffrances, oser alors ensemble aborder ce qui est différence d’opinion ou d’engagement. + L’amour des ennemis. Là je renvoie à une admirable interview de Jean Vanier commentant le « aimez vos ennemis » dit aux Galiléens dont on vient de crucifier prés de 2000 d’entre eux. Le pardon des ennemis est essentiel à la Miséricorde divine et à notre vocation humaine fondamentale, à l’image de Dieu. Dieu est communion. Et seule la communion est féconde et missionnaire. L’ennemi, dit Jean Vanier, est souvent quelqu’un de très proche, en ma famille, mon couple, ma communauté, celui que je ne voudrais pas voir. Impossible, dirons-­‐nous! Mais Dieu dit : je sais, tu ne peux pas, mais veux-­‐tu que je t’aide. Ne dites pas non. Alors peut commencer le chemin du pardon, car le pardon n’est pas une embrassade mais un processus, qui commence sans doute par ne pas vouloir se venger, puis, comporte de prier pour l’autre, commençant ainsi à l’accueillir dans son cœur… 2 Conclusions : 1-­‐ 1 Petr.3,8-­‐9 : « Soyez tous dans les mêmes dispositions, compatissants, animés d’un amour fraternel, miséricordieux, humble. Ne rendez pas le mal pour le mal… ; au contraire, bénissez, car c’est à cela que vous avez été appelés, afin d’hériter la bénédiction » 2-­‐En ce lieu, c’est vraiment la Miséricorde qui est annoncée, célébrée, espérance du monde, regardant ceux qui nous ont devancés, ont été relevés, purifiés, sans aucun mérite, par la grâce prévenante, purifiante de Celui dont nous sommes de toujours à toujours le Désir et l’objet d’une miséricorde infinie.