La spiritualité des soignants

Transcription

La spiritualité des soignants
,
.
.
dES
I TE
I
par Jean Monbourquette
Auteur
de
plusieurs
M. Monbourquette
articles
et
ouvrages,
conferencier,
conseiller
et
professeur,
est pretre et docteur en psychologie. 11 est actuellement responsable du
programme du groupe de pastorale pour la famille et la communaute a I'Universite Saint-Paul
d'Onawa.
Ses ouvrages les plus recents sont Comment pardonner :' et A chacun sa mission :
Decouvrir son projet de vie.
CeT
du
ARTicle
CONGREs
eST UN REsUME
de
I'ACCS,
des
idEes
eN AVRil
clEs
deRNieR,
d'uNe
A ST.
coNFEReNCe
JOliN'S,
dONNE
TeRRe-Neuve.
PAR M.
MONboURQUeTTe
IORS
Yol.
29,
le vais d'abord raconter I'anecdote de
I'apprenti chaman. Vous savezsans
doute que le chaman cumule Ies fonctions de pretre et de guerisseur. Choisi
pour certaines dispositions naturelles, iI
rec;:oitune Iofigue formation axee sur des
connaissances et des exercices contribuant a sa croissance personnelle.
Un apprenri, ne malrrisant pas encore
l'art de guerir, rencontre un boiteux qui
lui demande de le liberer de sa claudication. Pris de compassion et d'enthousiasme, il s'execute et guerit le boiteux.
Tout fier, il va raconter son exploit a son
maitre. « Tu nous as dit de ne pas nous
aventurer a guerir avant d'avoir fini
notre formation, mais moi, n'ecoutant
que mon coeur, j'ai gueri un boiteux. »
NOVEMbRE
N° J
Mere Teresa decoulait de sa
vision spirituelle du monde.
lE ModElE
D'apres les propos tenus lors d'un col-
Dans certaines cultures
ou le terme « spiritualite
comme
chaman s'aper<;:utqu'il boitait.
« l'invisible
en Haiti
loque par Jean Benoist, medecin et
anthropologue, et rapportes dans
Lactualite medicale du 13 decembre
dernier, la biomedecine n'est plus consideree comme l'unique etape dans
l'itineraire therapeutique du malade,
d'autres etapes relevant des medecines
alternatives ou d'activites spirituelles
(l'accompagnement, les prieres, les
pelerinages, etc.).
traditionnelles
» est inconnu,
et dans certaines
regions d'Mrique,
il est remplace par
». La spiritualite
de « l'invi.
sible » renvoie a des forces naturelles
Je vais maintenant
I) LE SOiGNANT SEloN
dE lA bioMEdEciNE
b) Lautre spiritualite est humaniste. Elle se nourrit d'un ideal
humaniste sans recourir a
quelque revelation surnaturelle.
Elle s'appuie sur la sagesse
humaine suivant laquelle toute
personne est un etre spirituel.
C'est le cas de la spiritualite
jungienne baseesur le Soi.
Chaque humain possede une
arne habitee par le sacre ou le
divin. Cette arne, lung l'appelle
le Soi.
Pour seule reponse, le maitre lui dit :
« Marche devant moi! » et l'apprenti
INTROduCTioN
2001
et
La biomedecine s'occupe surtout du
corps du malade, de l'organe defectueux.
Le medecin-spiritualiste Deepak Chopra
affirme que cette medecine repose
uniquement sur des presupposes materialistes. Elle est donc centree sur l'utilisation des medicaments ou des pratiques
therapeutiques visant seulement l'organe
malade.
spirituelles.
definir
ce que j'en-
tends par spiritualite.
SEloN
La spiritualite, c'est une attitude existentielle qui est la consequence et l'expression de croyances a un univers invisible
et spirituel.
DEEpAk
MEdECiN
C~OpRA,
ET MAITRE
SpiRiTUEl,
lE bUT dE
TOUTE spiRiTuAliTE
Selon Deepak Chopra, medecin et
maitre spirituel, le but de toute spiritualite est d'etablir une collaboration avec
Dieu. 11importe de savoir avec quel
Dieu les soignants font affaire. D'apres
I'origine des croyances ou histoires spirituelles, on pourrait diviser la spiritualite des soignants en deux sortes :
a) L'une est religieuse. Elle decoule
d'une revelation faite par un
prophete-fondateur. On parlera
ainsi de spiritualite chretienne,
souflste ou bouddhiste. Un
exemple de spiritualite chretienne est celle de Mere Teresa :
quand elle prenait dans ses bras
un enfant rachitique, deshydrate et moribond, elle voyait
en lui le Christ souffrant.
Lattitude chretienne de
dlETAbliR
RATioN
EST
UNE collAbo..
AVEC DiEU.
J'adopterai ici une perspective humaniste
plutot que religieuse. J'explorerai toutefois l'element commun aux grandes reli-
La biomedecine se preoccupe tres peu de
toute la personne et n'encourage pas les
interactions personnelles. Celles-ci
viendraient gener la rationalite scientifiquc
et les procedures biomedicales telles que
les analysesou les investigations diagnostiques. Ces relations proches nuiraient
aussia la rigueur des ordonnances et a la
coordination des soins.
La competence scientifique et la rationalite des soins demandent donc que le
malade soit considere comme un cas. La
biomedecine ne prend pas en charge les
" dimensions manquantes » des soins tels
les besoins emotifs, sociaux, mentaux et
glons.
spirituels.
le m'attacherai a decrire trois sortes de
soignants : le soignant conforme au
modele de la biomedecine; puis, le
soignant relationnel; et le soignant spirituel, appele « guerisseur " parce qu'il
le ne voudrais pas laisser entendre que
les soins du modele medical sont
secondaires. 11arrive souvent que les
soignants, en raison de l'urgence et des
circonstances particulieres, n' ont pas le
temps de s'occuper d'autres dimensions.
Ce sont la les limites et les contingences
institutionnelles que vous connaissez
mieux que moi et que plusieurs
tient compte de toutes les dimensions de
la personne en traitement.
le suis conscient
soignants,
qu'en classant ainsi les
je risque de les caricaturer.
G
soignants deplorent.
Val. 29, N° }
LA SpiRiTUAliTE
dES
NOVEMbRE
2001
SOiqNANTS
2) LE SOiGNANT REIATioNNEl
Pour compenser le core impersonnel exige
par la rarionalite de la biomedecine, des
soignants se donnent pour mission de
bien accueillir le malade. lIs entrent en
relation interpersonnelle avec lui. Rappelons que le mot" hopital " renvoie au
mot" hote ", c'est-a-dire celui qui rer.oit,
qui donne l'hospitalite. Le devoir de
l'hote, c'est de fournir un espacevital aux
malades : un espacephysique securisant
et confortable (la chambre du malade} et,
sans doute, un espacelui permettant de
s'exprimer.
La relation de proximite du soignant a la
personne souffrante est une condition
essentiellepour prodiguer des soins autres
que ceux prevus par la medecine, et avoir
une influence therapeutique et spiritUelle
sur l'ensemble de la condition du malade.
tout en evitant la fusion avec lui? II
faudrait revenir ici a la distinction classique entre l'empathie et la sympathie.
I.:empathie permet d'entrer en rapport
etroit avec le malade sans prendre sa souffrance sur soi-m~me, et donc de soigner
sans s'epuiser.
Le soignant empathique observe attentivement le malade, l'ecoute et lui permet d'exprimer son experience de
malade. Par exemple, les techniques de
rapport de la Programmation neurolinguistique permet de creer de la proximite et de la confiance avec le malade
tout en prenant ses distances.
LE « JiEAlER
»,
Dans une institution comme l'hopital,
peut-on entrer en relation etroite avec le
malade impunement? Peut-on a la fois
etre proche du malade et garder une distance saine?
Le danger existe de confondre ce rapport
avec celui de la syrnpathie ou de la compassion. l'etymologie de ces deux mots
est revelatrice a ce sujet : " souffrir avec ".
Or, le soignant doit se garder de « souffrir
avec " le malade. 11risquerait de se sentir
accable, malade a son tour et impuissant
a offrir les soins que le souffrant est en
droit de recevoir.
Par ailleurs, le mot compassion a pris
aujourd'hui une ampleur qui depasseson
etymologie. II signifie une sensibilite a la
souffrance et non seulement un " souffrir
avec ». Ce que j'expliquerai en parlant du
guerisseur blesse.
Le soignant est-il condarnne alors a se
refugier dans un traitement dit scientifique? SUrement pas! Outre la sympathie
ou la compassion, y a-t-il d'autres voies
pour qui desire ~tre proche du malade
La question spirituelle est au coeur des
preoccupations de la medecine modeme
holistique. lung considerait la spiritualite
comme un element essentieldans les
nevrosesqu'il soignait; il voyait la « souffrance d'une arne qui a perdu son sens ».
Le soignant doit tenir compte de cette
realite s'il desire remplir sa mission de
guerisseur. II doit tenir compte du Soi de
la personne malade, qui est son guerisseur
interieur.
lui,
EXERCE UNE FONCTioN
TRANSCENdANTE
refaire l'harmonie perdue du malade, de
son milieu et de son monde spirituel. II
tient compte de la dimension spirituelle
de I'~tre, du Soi que lung definit comme
l'ame habitee par la presence du divin.
...
Les etudes {Moyers, 1995) montrent que
l'expression des emotions et le toucher
ont une vertu therapeutique. Ils pr{:;viennent les etats depressifset augmentent la
puissance du systeme immunitaire. On ne
saurait trop insister la-dessus.
}) LE SOiGNANT SpiRiTUEl
(GUERisSEUR bLESsE)
Le soignant de ce troisieme type voit son
activite comme une fonction spirituelle a
exercer,c'est-a-dire une mission a remplir.
b) Le gutfrisseurblesse
Ce soignant possedeune sagessespeciale.
II est un guerisseur blesse puisqu'il a luimeme fait l'experience de sa vulnerabilite
et de la guerison de sesblessures.Sa propre douleur, sessouffrance personnelles dont ii s'est retabli -I'ont initie a sa mission de guerisseur.
II reste en contact avec le souvenir de sa
blessureguerie et avec sa propre vulnerabilite. II a depassetoutefois la crainte du
retour de la maladie et meme l'anxiete
devant la mort.
Le guerisseur connalt
l' etat emotionnel
de ses malades et leur trouble
il pressent les conflits
interieur;
qui les ont mis
a) La mission du soignant spirituel
En anglais, deux termes signifient
" guerison " : " cure" et" healing ". Le
soignant preoccupe par la seule " cure "
dans un tel etat. II apprend aux malades
physique du malade applique sesconnaissancesscientifiques mais ne cherche pas a
guerir la personne de sesconflits internes,
actuels et anciens, ni a harmoniser son
monde interieur et son monde exterieur.
progres.
Le « healer », lui, exerce une fonction
conservation du malade aussi longtemps
que possible ».
transcendante: ii s'interessea toute la
personne du malade et aux facteurs
exterieurs. II fait partie d'une longue tra.
clition de soignants qui s'interessent a
a pardonner,
y compris
a eux-memes.
les motive a reveiller leur pouvoir
II
de
guerison et a apprecier leurs plus petits
II desire la guerison de ses malades sans
ambiguite. II est loin de l'attitude
ambivalente du Docteur Spoch, dans la
piece de Jules Romain, qui desirait « la
J'aimerais illustrer concretement le
theme du guerisseur blesse, a I' aide du
Val. 29, N° }
temoignage d'une soignante spirituelle.
Lars d'une recherche sur I'effet des soins
palliatifs sur la personnalite des
soignants, j'ai interroge une infirmiere.
Marie (nom fictif) travaillait en gynecologie. Apres la mort de son bebe clans
son uterus, elle a decide d'aller a:uvrer
clans les soins palliatifs, car la mort etait
passeeen elle. Elle voyait clans la mort
de son bebe le signe qu'elle devait aider
les mourants a" accoucher " a l'au-dela,
a la Vie eternelle.
Tous les matins, elle suivait son rituel
« d'accoucheuse " des mourants. Avant
de commencer le travail, elle se retirait a
l'ecart pour se liberer de ses preoccupations, mediter et renouveler le sens de sa
mission. Elle savait detecter les signes
annonciateurs de la mort imminence.
Elle demandait la collaboration des
mourants pour qu'ils se laissenc aller a la
mort. Elle priait silencieusemenc ou a
haute voix quand les malades le lui
Qtiand elle avait fini d'accompagner le
motirant, elle accomplissait tin rittiel de
sortie: elle meditait tin moment avant
de reprendre ses activites regulieres.
c) Fonctions spirituelles du soignantguerisseur
Le guerisseur blesse apporte un reconfort au malade en se mettant a l'ecoute
de sa detresse, de sa colere, de toutes les
emotions qu'il eprouve.
En meme temps, par son calme et sa
sagesse,le guerisseur blesse soulage le
malade en situant ses malheurs dans une
perspective de croissance et d' eternite.
II fait appel a la collaboration
malade. Par ses questions,
decouvrir
a l'interieur de chaque malade. Cetre
fonction, ilIa realise grace a la qualite de
ses aspirations et de ses intentions, la
volonte de voir ses malades etre en sante
physique, psychologique et spirituelle.
Voici quelques regles pour stimuler le
guerisseur interieur du malade :
1. Avant d'entrer en fonction, retirezvous a I' ecart et gardez le silence.
Prenez contact avec votre interiorite.
Prenez contact avec ce qu'il y a de
plus profond en vous -votre Soi -,
qui vous servira de lumiere interieure.
2. Regardez, dans cette lumiere, les
malades qui vous sont confies. Evitez
de porter des jugements negatifs sur
eux : ils ont fait de leur mieux.
3. Cultivez les intentions de voir guerir
chacun c\esmalades physiquement,
psychologiquement et spirituellement. N'hesitez pas a formuler pour
les malades des intentions
ambitieuses.
demandaienc.
accepter sa situation
NOVEMbRE
du
ill'aide
de perdant
4. Reservez-vous des periodes pour
renouveler vos intentions.
5. Quand vous avez tout fait pour un
malade, confiez-le a la volonte de
Dieu ou d'une Intelligence universelle. Reconnaissezvotre impuis
sance et cessezde vous tourmenter.
2001
plus rapidement que les autres
meme lorsqu'ils ignoraient etre l'objet de
prieres.
En 1998, des chercheurs americains om
demande a sept groupes religieux
(diverses confessions) a travers le monde
de prier pour une partie d'un groupe de
150 operes du coeur. On tenait compte
des facteurs cliniques, et les malades
ignoraient que l'on priait pour eux.
Les resultats montrent le pouvoir de la
priere : les malades pour qui on avait
prie se sont retablis de 50 a 100 % plus
vite et mieux que les autres.
CoNclusioN
11existe autant de spiritualites qu'il y a
de soignants. Le soignant desireux de
connaltre ou d'approfondir sa spiritualite fera l'inventaire des histoires spirituelles qui l'habitent et l'inspirent, par
exemple les modeles ou les histoires de
soignant qui l'enthousiasment, les
biographies de grands soignants
(Florence Nightingale, Emilie Sauniers,
Albert Schweitzer, Mere Teresa, etc.). .
BiblioGRAphiE
SOMMAiRE
Chopra, Deepak. How to Know God,
New York, Harmony Booksr 2000.
6. Remerciez Dieu. " Tout ce que vous
demanderez en priant, croyez que
vous l'avez deja re<r'u,et cela vous sera
accorde. " (Marc, 11,24).
7. Soyez a l'affi1t des petits miracles et
emerveillez-vous des moindres progres de sante physique, morale et
Monbourquette, Jean. A chacun sa mis.
sion, Paris, Bayard; Ottawa, Novalis,
1999.
Monbourquette, Jean. Apprivoiser son
ombre, Paris, Bayard; Ottawa, Novalis,
1997.
spirituelle.
a
et a en
le sens.
Le soignant-guerisseur a aussi pour fonction de stimuler et d'activer le guerisseur
PRiER
Depuis plus de vingt ans, des chercheurs ont etudie l'efficacite de la priere
et constate que les malades sur qui
on priait se retablissaient mieux et
.
Moyers, Bill. Healing and the Mind
New York, Main Street Books,
Doubleday, 1995.
Tardan-Masquelier,
Yse. lung
tion
Albin
du sflcre, Paris,
et fa ques-
Michel,
1998.