L`utilisation de l`eau dans la pisciculture

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L`utilisation de l`eau dans la pisciculture
L’utilisation de l’eau dans la pisciculture
INTERVIEW : L’EAU ET LA PISCICULTURE EN 10 QUESTIONS
Interview de Mlle Douet réalisée par Mlle Lontano le Mercredi 09 juillet 2008 au GDSAA à Mont-deMarsan.
Mlle Diane-Gaëlle Douet est salariée et directrice du GDSAA. Les particularités de son activité
sont d’une part de travailler dans une approche amont-aval sur une filière (de la production à la
commercialisation des poissons en passant par la protection de l’environnement) et d’autre part de
travailler avec des professionnels totalement impliqués dans le métier difficile de pisciculteur.
GDSAA signifie Groupement de Défense Sanitaire Aquacole d’Aquitaine. C’est une association
loi 1901, créée en 1984 à l’initiative des pisciculteurs et des pêcheurs (pêche de loisir) de la région. Le
GDSAA construit une action globale du sanitaire : prévention et suivi sanitaire, protection de
l’environnement et formation continue des adhérents. Tous les pisciculteurs et toutes les
FDPPMA/AAPPMA (Fédération et Associations Pour la Protection du Milieu Aquatique) aquitains (donc
également landais) étant adhérents, le GDSAA prend en considération tous les éléments de gestion
sanitaire des cours d’eau, de la production au repeuplement. L’adhésion au GDSAA repose sur le
volontariat : chacun des acteurs présents est motivé pour un travail collectif.
L’association a maintenant 24 ans d’expérience et nous présente les actions menées et leurs
résultats.
1) Quelle différence entre pisciculture et aquaculture ? Existe-t-il une pisciculture en
eau salée et une pisciculture en eau douce ?
Mlle Douet :
Je vais vous répondre par un schéma.
L’AQUACULTURE
Regroupe en particulier :
LA CONCHYLICULTURE
En eau
douce
L’élevage de
coquillages
en eau douce
reste pour
l’instant
anecdotique
LA PISCICULTURE
En eau
de mer
En eau
douce
Culture
Culture des
des
moules
huîtres
La mytiliculture
L’ostréiculture
En eau
de mer
Elevage de salmonidés
Elevage de bars,
ère
(truites, 1 production
dorades, turbots,
landaise ; saumon ;
truites de mer,
omble, etc), de poissons
saumons etc
d’étangs (carpes,brochets, black bass…)°,
d’esturgeons, etc
.
La distinction entre la pisciculture d’eau douce et
d’eau de mer est
à nuancer car par exemple certains poissons au cours
de leur cycle d’élevage
peuvent être transférés de l’eau douce à l’eau de mer.
L’interview est ciblée sur la pisciculture en eau douce dans les Landes.
2) Peut-on parler de fermes piscicoles ?
Mlle Douet :
Le terme « ferme piscicole » est moins utilisé mais il est juste, et effectivement en anglais on parle de
« fish farm ». En langage courant on parle plutôt de « pisciculture » (du latin piscis, poisson et
cultura,culture) ou « d’élevage piscicole » pour désigner le lieu d’élevage des poissons.
Les termes utilisés pour désigner les personnes qui élève les poissons sont « pisciculteur, piscicultrice » et
on parle parfois de « cheptel piscicole » pour désigner les poissons élevés.
3) A quoi sert la pisciculture ?
Mlle Douet :
La pisciculture est destinée principalement à :
- La consommation de poisson (frais, fumé ou séché…) et de produits transformés (plats
préparés, rillettes, tarama, œufs…) pour l’homme.
- La pêche de loisir (pêche à la ligne en rivière, lac ou étang, parfois activité touristique
autour des bassins piscicoles) et le repeuplement des rivières (qui participe à l’équilibre
de l’écosystème et sert également pour la pêche à la ligne).
- Réservoir génétique et préservation des espèces : l’élevage d’espèces désignées permet
de préserver, de sauvegarder ces espèces, et de favoriser la biodiversité (cf repeuplements).
- L’élevage de poissons d’ornement pour l’aquariophilie.
- La réalisation de produits dérivés : par exemple avec l’esturgeon d’élevage de nombreux
produits dérivés sont réalisés : des portefeuilles à base de peau d’esturgeon, de la crème
pour le visage à base de caviar, etc..
4) Quelle est l’importance de la pisciculture (d’eau douce) en terme de production ?
Mlle Douet
Production piscicole des 3 premières et trois
dernières régions productrices de France en 2007:
Source chiffres : site lapisciculture.com
Les trois premières régions productrices :
l’Aquitaine, la Bretagne la Normandie
Les trois dernières régions productrices :
le Limousin, le Centre, les Pays de la Loire.
La truite Arc-en-ciel représente 95% de la
production nationale soit 35 000 T/an de truites.
 La région aquitaine est la première région piscicole de France
Production piscicole en Aquitaine :
Environ 9000 tonnes de poisson
85% de la production nationale d’œufs de truite
40% de la production nationale de grands poissons
(truite, saumon, omble)
 Le département landais est le premier département aquitain en tonnage de
production piscicole.
Production landaise globale et par espèce :
Production globale est estimée à + de 5000 T/an
Production de salmonidés principalement
La pisciculture s’est développé dans le Landes à
partir des années 1970 à 1980
 Les Landes sont un département important en termes de production piscicole.
 La truite arc-en-ciel est la première espèce élevée dans le département landais en
tonnage. C’est un poisson carnivore qui se nourrit de petits poissons. En
pisciculture elle est nourrie de granulés à base de poisson et de végétaux
Estimation de production d’une ferme piscicole : entre 2 (écloserie) et 700 (grossissement) tonnes par an,
avec des sites de taille moyenne produisant environ 150 t par an.
5) Quelle est l’importance de l’activité piscicole au niveau des emplois ?
Mlle Douet :
En Aquitaine il y a environ 130 sites piscicoles, et dans les Landes environ 35 sites piscicoles.
En termes de chiffre d’affaire (estimé à 130 millions d’euros en 2006-2007) et d’emplois, c’est une filière
importante. On estime qu’il y a plus de 1500 emplois directs et indirects en Aquitaine (sites piscicoles +
ateliers de transformation).
Il existe une grande variété dans les structures des piscicultures et donc dans leur gestion.
Le gérant responsable du site n’est pas forcément le propriétaire du site.
Les sites piscicoles peuvent être des entreprises familiales et sont alors souvent de petite taille.On peut
avoir également de grands groupes (Viviers de France) propriétaires de plusieurs élevages, ou bien une
gestion de sites piscicoles par des coopératives (Aqualande). Il y a également des sites piscicoles qui sont
gérés par des organismes de recherche comme l’INRA (Institut National pour la Recherche
Agronomique) ou le CEMAGREF (Centre national du machinisme agricole, du génie rural, des eaux et
des forêts) qui font de l’élevage pour la sauvegarde des espèces et la recherche scientifique.
6) L’eau est évidemment l’un des éléments essentiel de l’activité piscicole : comment
est-elle utilisée ?
Mlle Douet :
L’eau est le milieu de vie des poissons : l’eau est leur source de nourriture, d’oxygène, d’eau ! Une eau
de bonne qualité est donc indispensable à la bonne santé d’un poisson.
L’eau est utilisée en pisciculture et non pas consommée. En effet l’eau des bassins piscicoles est dérivée
d’une rivière pour être acheminée au bassin, puis, après utilisation, elle est renvoyée à la rivière : il n’y a
donc pas de consommation d’eau mais une utilisation de l’eau avec une dérivation temporaire.
Suivant le lieu dans lequel a lieu l’activité piscicole, les manières d’utiliser l’eau varient. Par exemple :
- pour une salmoniculture sur rivière, l’eau dérivée l’est en continu ;
- pour un élevage sur étang il y a parfois prélèvement en continu, mais parfois non (ex : uniquement
eau de ruissellement) ;
- on peut avoir aussi un bassin ou un étang piscicole placé sur un forage ou une source et donc
alimenté en continu par cette eau souterraine – et après utilisation, l’eau repart en continu dans le
milieu naturel via une rivière, des infiltrations…
Quand il s’agit de rivières à petit débit, ou en période d’étiage (cours d’eau à son plus faible niveau en
été) il peut être utile d’utiliser des systèmes de recyclage d’eau ; l’eau recyclée est alors réinjectée en tête
de pisciculture.
7) Quels sont les liens entre pisciculture et pollution ?
Mlle Douet :
Il convient en premier lieu de souligner que le terme de pollution présente une connotation très négative ;
il serait plus souhaitable de parler d’impact, puisque toute activité humaine génère un impact sur
l’environnement. La gestion de ces impacts est très importante, et elle n’est pas aussi simple qu’on
l’imagine. Je vais vous répondre par un schéma puis nous allons reprendre chaque élément de ce schéma.
Schema théorique :
AMONT
rivière
Pollution subie
AVAL
PISCICULTURE
Pollution générée
Dans le cadre de la pollution générée il y a quatre points à aborder :
•Aux débuts de la pisciculture dite intensive (vers 1960), il y a effectivement eu des problèmes de
pollution : les aliments utilisés n’étaient pas très performants et donc mal assimilés par les poissons.
Depuis 20 ans d’importants travaux ont été menés sur les aliments pour poissons (recherches publiques
menées par exemple par l’INRA ou recherche menée par des laboratoires privés pour le compte
d’entreprises fabricant des aliments). Ces progrès ont permis une adaptation maximum de l’alimentation
(sous forme de granulés) au métabolisme des poissons. Les rejets fécaux sont extrêmement limités.
•Maintenant on ne même parle plus vraiment de pollution mais « d’impact ». Certes l’eau qui sort des
bassins piscicoles n’est pas la même que celle rentrant. Mais les rejets de pisciculture sont
réglementairement encadrés : arrêtés préfectoraux qui stipulent les normes de rejet et prélèvement d’eau
par des laboratoires indépendants qui contrôlent le respect des normes imposées. De plus en plus de
piscicultures multiplient les autocontrôles, s’imposant elles-mêmes un système de suivi encore plus précis
et plus exigeant que les normes imposées.
N’oublions pas qu’une eau de qualité est indispensable à toute activité piscicole !
Il ne faut pas non plus oublier que plusieurs piscicultures peuvent se situer les unes sous les autres sur un
même bassin versant, il faut donc que chacune s’assure de la qualité de ses effluents pour les autres.
•Un premier système de filtration peut être utile à l’entrée de la pisciculture (par exemple pour empêcher
les feuilles mortes de venir s’accumuler dans les bassins). Pour certains sites piscicoles, le recyclage de
l’eau peut être utile. Si la rivière à un faible débit et/ou si elle est très chargée en matières en suspension,
un système de filtration de l’eau après son passage dans les bassins peut parfois être utile.
•Dans le cas où le poisson est malade, le pisciculteur est obligé de le soigner. Les médicaments sont
prescrits par un vétérinaire. Comme pour tout médicament, il y a une législation qui s’applique : les
médicaments doivent être dotés d’une autorisation réglementaire pour pouvoir être commercialisés. Les
fabricants (laboratoires) doivent présenter des garanties concernant l’efficacité des substances, et leur
innocuité (=absence d’effet néfaste) pour le poisson, le manipulateur et l’environnement. En outre, les
vétérinaires respectent la réglementation d’utilisation, afin de soigner le poisson sans mettre en danger le
poisson lui-même, le consommateur, ou l’environnement.
La pollution subie est celle présente en amont de la pisciculture, dans l’eau prélevée.
Or tout problème de qualité de l’eau a un impact direct sur les poissons.
En cas de pollution très violente (comme par exemple une fosse à lisier déversée dans la rivière), la
conséquence est le plus souvent la mort immédiate des poissons.
En cas de pollution chronique (comme par exemple la présence de métaux lourds ou de toute autre
substance dangereuse en faible quantité), la conséquence n’est pas forcément la mort des poissons mais
les poissons peuvent devenir malades et grossissent mal. Or un poisson qui grossit mal oblige le
pisciculteur à le garder plus longtemps pour lui faire atteindre sa taille commerciale, ce qui représente un
manque à gagner et une possible perte de débouchés commerciaux.
Dans le cas de poissons malades suite à une pollution subie, le lien pollution subie-pollution générée est
le plus évident. En effet un poisson malade assimile mal la nourriture donnée, rejette plus d’azote et de
phosphate mal assimilés par son organisme malade. Il y alors un risque de pollution de l’eau. La
nourriture non assimilée représente également une perte économique pour le pisciculteur.
D’où l’importance d’une eau de bonne qualité en amont !
C’est pourquoi des actions ont été mises en place pour subir le moins possible ces pollutions qui
menacent directement l’activité piscicole. La préservation de la qualité de l’eau fait donc partie des points
essentiels de l’activité du GDSAA.
Au final, une eau de bonne qualité est indissociable d’un cheptel en bonne santé. Les truites en particulier
étant très exigeantes en matière de qualité d’eau, la présence d’une pisciculture sur une rivière est même
plutôt un signe positif !
8) Quelles sont donc ces actions mises en place pour lutter contre les problèmes de
pollution qui menacent l’activité piscicole ?
Mlle Douet :
Le GDSAA a été créé en 1984 pour mieux connaître, maîtriser et gérer les maladies des poissons, et pour
gérer et résoudre les problèmes de pollution en amont des élevages.
Dans les années 80-90, après avoir fait le constat préoccupant de piscicultures régulièrement en très
grande difficulté économique à cause de problèmes de pollution subie, le GDSAA a lancé une action
collective pour gérer le problème en réalisant une étude, les « PPP », les Points Potentiels de Pollution.
Cette étude consistait à aller chercher sur un certain nombre de bassins versants tous les points possibles
de pollution, pour les répertorier et les cartographier. Ce long travail s’est étalé entre 1990 et 2000. Quand
le listing de tous les points de pollution par bassin versant a été terminé, une action de sensibilisation à la
pollution a été mise en place. Une plaquette informative sur les gestes à faire pour ne pas polluer a été
réalisée puis envoyée en masse à tous les acteurs concernés (mairies, entreprises, agriculteurs…) sur les
bassins versants concernés. Cette action de grande ampleur a été une réussite et a été récompensée par
une forte baisse du nombre de cas de pollution aigue. La pollution chronique reste toutefois plus difficile
à évaluer.
Un autre élément est important dans la lutte contre la pollution.
Il y a souvent plusieurs élevages piscicoles sur un même cours d’eau. Les pisciculteurs sont obligés
d’aborder collectivement toutes les problématiques (sanitaires, environnementales…) liées à la qualité de
l’eau. Cette gestion collective est une particularité de la filière piscicole et est une garantie supplémentaire
de la bonne qualité de l’eau.
9) Peut-on dire que la pisciculture s’inscrit dans la dynamique du développement
durable ?
Mlle Douet :
Oui la pisciculture s’inscrit pleinement dans la dynamique actuelle du développement durable et sa
viabilité économique est indissociable du respect de l’homme, de l’environnement et du bien-être des
animaux.
- Des actions concrètes actuelles et à venir prouvent l’inscription de la pisciculture dans la
durabilité : le GDSAA mène des actions locales liées au PPP (voir 9°/), et des actions de
formation de ses adhérents pour permettre aux pisciculteurs de progresser en permanence et de
suivre les évolutions de la réglementation.
Autre exemple, concernant la nourriture pour les poissons : actuellement pour les espèces
omnivores à dominante carnivore, les farines et les huiles de poissons sont réalisées à partir
d’espèces de poissons non consommés par l’homme et dont la pêche est gérée par quota pour ne
pas appauvrir la ressource. Mais un des challenges actuels de la filière piscicole est de remplacer
dans les granulés les protéines de poisson par des protéines végétaux (ex : soja) pour préserver les
stocks de poisson.
-
Les pisciculteurs sont très impliqués dans tout ce qui est protection de l’environnement et
défendent leur droit à une eau de qualité. La pisciculture est complètement intégrée aux différents
programmes issus de directives européennes et concernant environnement et eau.
Le GDSAA est sollicité en tant qu’expert technique pour les dossiers SDAGE (Schéma Directeur
d’Aménagement et de Gestion de l’Eau), SAGE et Natura 2000. Natura 2000 vise la protection de
sites remarquables, les SAGES visent à préserver et à améliorer la qualité des cours d’eau.
(par exemple, le projet de SDAGE Adour Garonne cite maintenant les GDS aquacoles comme des
partenaires pour la gestion des repeuplement et des poissons sauvages) .
-
Le CIPA, Comité Interprofessionnel des Produits de l’Aquaculture, créé en 1997, regroupe les
organisations professionnelles (producteurs, fabricants d’aliments, transformateurs)
représentatives de la filière piscicole. C’est une structure qui représente les intérêts des
pisciculteurs en France. Le CIPA a engagé en 2002 un programme appelé « Aquaculture durable».
Ce vaste programme recouvre un ensemble d’actions menées sur le long terme visant à assurer la
durabilité de la filière.
Mlle Douet je vous remercie pour vos réponses et pour cette interview riche en informations.
Si vous aviez une phrase et une image symbolisant pour vous
la pisciculture d’aujourd’hui et de demain
Quelles seraient-elles ?
Mlle Douet :
Ma phrase serait :
« Etre pisciculteur est un métier difficile et exigeant,
car l’éleveur est entièrement tributaire de la qualité de l’eau,
qui peut varier à tout instant, et qui doit être gérée au mieux en continu.
Mais la pisciculture est aussi une filière valorisante et emblématique,
car son exigence en terme de qualité de l’eau fait d’elle
une sentinelle de la qualité du milieu. »
Mon image serait : Après cette longue interview, je n’ai plus qu’une chose à vous dire :
A TABLE !