Amour et sexualité – Love and sexuality
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Amour et sexualité – Love and sexuality
DOSSIER THÉMATIQUE Penser sa féminité après un cancer du sein Amour et sexualité Love and sexuality I. Moley-Massol* Le retentissement de la maladie sur la sexualité * Médecin psychanalyste et psychooncologue. Attachée à l’hôpital Cochin à Paris, elle exerce aussi en activité libérale. Auteur de : “Le malade, la maladie et les proches”, L’Archipel, Paris 2009, “La relation médecin malade. Enjeux, pièges et opportunités”, Datebe, Paris 2007, “L’annonce de la maladie, une parole qui engage”, Datebe, Paris 2004. L’amour et la sexualité restent souvent absents du discours des malades et des médecins, bien qu’ils occupent une place centrale dans la vie de chacun. Le couple est toujours mis à l’épreuve au cours de la maladie. Celle-ci agit comme un révélateur de la relation de couple, elle exacerbe les conflits ou exalte l’amour et renforce l’attachement. Comme dans toute épreuve de vie, chacun l’affrontera et y résistera en fonction de la force du lien qui l’unit à l’autre et de ce qui sous-tend leur amour. La sexualité est une part importante de la relation de couple, plus ou moins investie selon chacun. Elle témoigne de leur désir, de leur rapport à l’autre, à la vie. Elle est un lien de communication que la maladie ou le handicap remettent toujours en question. Les malades n’osent pas évoquer leur vie sexuelle, se demandent si leurs préoccupations sont légitimes, alors que les médecins se mobilisent pour leur sauver la vie. Ils craignent leur jugement. Certains malades ont l’impression de transgresser un interdit en évoquant le sexuel qui projette pourtant son ombre sur leur existence. L’idée même est repoussée. La sexualité se vit plus qu’elle ne se parle. Il est cependant essentiel qu’une parole se libère au sein du couple et, si nécessaire, avec le médecin, pour faire émerger de l’intime des corps et des cœurs la faille que la maladie a introduite. L’abord de la sexualité n’est jamais facile. Il faut inviter le malade et le proche à en parler sans les forcer et proposer une écoute sans l’imposer (1). La sexualité est tue, comme s’il était indécent de l’évoquer quand on est frappé par une maladie grave, scandaleux de parler de l’amour et du sexe quand s’engage une lutte pour la vie. Pourtant, de quoi est-il question dans la sexualité si ce n’est de la vie et de la mort ? La sexualité n’estelle pas un contre-pied à la mort, sa parade ?C’est ce que semblent exprimer certains malades qui se lancent “à corps perdu” dans une activité sexuelle 8 | La Lettre du Sénologue • n° 47 - janvier-février-mars 2010 frénétique, avec une soif insatiable de réassurance dans la rencontre avec l’autre. La sexualité et la mort entretiennent des liens intimes, au plus profond de notre inconscient. Ils sont l’alpha et l’oméga de chaque existence, et assurent en même temps la continuité de la vie et des êtres, de génération en génération. Eros et Thanatos ne vont pas l’un sans l’autre pour perpétuer la vie. Pour affronter la maladie grave, amour et sexualité sont appelés à la rescousse comme force vitale, symbole d’un combat pour la vie. Mais, souvent, “ça” vacille, et le malade et son partenaire ne savent plus comment s’y prendre, dans ce ménage à trois avec la maladie. La maladie au corps, le malade est précipité dans l’inquiétante étrangeté de son image, ne se reconnaît pas et a peur de se perdre. Comment s’aimer encore, aimer l’autre et se laisser aimer avec son corps meurtri et quand on se vit avec la mort en soi ? Et comment approcher l’autre malade, pénétrer l’intime de sa chair malade ? Le malade et son partenaire sont confrontés à l’indicible du sexuel, chacun a peur pour soi et pour l’autre, se perd dans des questionnements qu’il pense inavouables, redoute de ne plus être aimé et de ne plus aimer, ne s’y retrouve plus dans son désir et dans le désir de l’autre. Les corps ne sont plus familiers, ni le sien, ni celui de l’être aimé. Pour certains, la préoccupation sexuelle signe le retour à la vie, une fois la menace vitale de la maladie éloignée ; pour d’autres, elle est d’emblée centrale, comme le fil qui rattache à la vie, l’assise narcissique sans laquelle l’individu ne se sent plus exister, entier et unifié, sans cette rencontre avec l’autre et le corps de l’autre qui le rassure au-delà de tout. Enfin, parler du sexuel, c’est parler du désir, évoquer le plaisir et la jouissance de l’être, du corps. N’est-ce pas là finalement ce qui ferait le plus scandale, ce refoulé des discours sur la sexualité et la maladie, l’idée de jouissance d’un corps malade et mortel ? Comment faire l’amour et se parler d’amour, avec l’intruse dans le corps ? Certains trouvent le chemin comme une évidence, d’autres hésitent, quelques-uns se perdent. Ce chemin passe souvent par la tendresse qui rapproche Résumé Mots-clés Comment les femmes pensent-elles leur féminité ? Comment parviennent-elles à se reconnaître dans toutes les dimensions de leur sexe ? Comment renouent-elles avec leurs désirs ? L’atteinte du sein sollicite toutes les représentations qui lui sont attachées, la femme, la mère, le beau et renvoie massivement au lieu le plus archaïque et fondamental à l’autre. C’est dire le nouage qui existe entre le sein et la sexualité dans le rapport à l’autre, la communication, la vie, la mort. Il faut souvent du temps pour réapprivoiser son corps et le corps de l’autre, se retrouver, ensemble, sur un chemin qui passe par l’amour et la tendresse. Sexualité Sein Communication Identité et image du corps Couple Amour-désir les corps, en attendant que reviennent l’envie du jeu et l’exaltation de la chair. Et quand la maladie abîme un organe sexuel et perturbe sa fonction, une sexualité est toujours possible, à réinventer dans la tendresse et la sensualité, une éclosion qui passe toujours par le cœur. Maladie, handicap, accident : toute atteinte du corps est susceptible de retentir sur la sexualité, à partir du moment où elle vient brouiller l’image de soi et la relation aux autres. Toutefois, certaines maladies “attaquent” directement la sexualité, quand elles touchent une fonction ou un organe sexuel, la procréation, la transmission génétique de la maladie, ou engagent le pronostic vital. Les troubles sexuels liés à la maladie se manifestent de multiples façons : absence de désir ou de plaisir, rejet du contact physique, douleurs, crainte d’être touché, d’être vu, peur de toucher l’autre. Parfois le désir est présent, mais les êtres sont comme paralysés : “Sa maladie me paralyse”, “J’ai peur d’avoir mal”, “J’ai peur de lui faire mal”, “Je suis bloqué”, “J’ai peur qu’elle me rejette”, “J’ai l’impression qu’une partie de moi est morte”… Tout individu peut ressentir l’effroi face à sa maladie ou à la maladie de l’autre. Des hommes sont devenus impuissants devant le cancer de leur femme. Les perturbations sont d’origine fonctionnelle (quand une fonction sexuelle est touchée par la maladie ou les traitements) et psychologique. Certaines sont définitives et d’autres transitoires. Elles sont liées à l’organe malade (l’atteinte de la sphère génitale est particulièrement difficile), aux conséquences des traitements, à la fatigue, aux modifications hormonales, à la chirurgie, à la mutilation, mais aussi aux effets traumatiques, anxieux et dépressifs de la maladie, aux troubles psychiques en relation avec le désir, l’estime de soi, une image du corps abîmée. Environ 1 patient sur 2 atteint d’un cancer se plaindrait d’une sexualité perturbée. La sexualité après un cancer du sein Le sein est symbole de féminité, de la femme et de la mère, du beau, de l’amour, de la jeunesse, de la séduction, de la différence des sexes. Le sein est un signe de vie. Il est l’emblème de la relation avec la mère. L’allaitement et la sexualité sont les formes les plus primitives de la communication entre les êtres ; c’est dire le lien fondamental qui unit le sein à la sexualité. Le cancer du sein est toujours très douloureux à vivre pour la femme, mais aussi pour l’homme et le couple, avec un retentissement qui dépend de la façon dont le sein est investi par l’un et l’autre dans la relation amoureuse et sexuelle. L’ablation du sein est toujours un bouleversement : “Suis-je encore vraiment une femme avec un sein en moins ?”, “Je me sens à moitié femme”, “Mon corps est borgne”, “C’est comme si j’étais mi-femme, mi-enfant”… La chirurgie mutile. Elle agit comme une castration, particulièrement quand elle concerne un organe sexué tel que le sein. Son atteinte renvoie l’individu à son identité sexuelle et à la façon dont celle-ci s’est construite. Elle vient fragiliser une conscience de soi, en tant qu’homme ou femme plus ou moins affirmé. Elle réactive les problématiques de l’adolescence autour des transformations du corps et de l’émergence d’une sexualité adulte qui tente de se mettre en place et y réussira plus ou moins bien. La maladie retentit d’autant plus sur l’image sexuée de la personne que son identité sexuelle fondamentale est mal assurée. Les traitements occupent une place importante dans les perturbations sexuelles : la chirurgie mutilante, mais aussi la chimiothérapie, la radiothérapie, les traitements hormonaux et leurs conséquences sur la procréation, la libido, identiques à celles de la ménopause, les modifications de poids, les douleurs… L’hormonothérapie induit chez la femme jeune une ménopause précoce qui vient compliquer encore le ressenti de la maladie. La fatigue est également très impliquée dans la baisse de la libido. Ce sont autant de pertes que la femme doit vivre et autant de deuils à traverser. Aucune femme ne répond aux traitements de façon identique et il est impossible de prévoir avec certitude les conséquences des thérapeutiques sur la sexualité. Certaines femmes se plaignent de leur difficulté sexuelle sous traitement hormonal et souffrent de sécheresse vaginale, tandis que d’autres constatent peu de différence dans leur vie amoureuse. La sexualité implique la personne et le couple au-delà Keywords Sexuality Breast Communication Identity and image of the body Couple Love-desire La Lettre du Sénologue • n° 47 - janvier-février-mars 2010 | 9 DOSSIER THÉMATIQUE Références bibliographiques 1. Marx E, Bacqué MF, Lesourd S et al. Sexualité et cancer. PsychoOncologie, Revue pluridisciplinaire francophone 2007;1,4. 2. Zineb Tazi. Sexualité et cancer, la fin des tabous ? Les Proches. La Ligue contre le cancer 2008;7. * D’après “Le malade, la maladie et les proches”, I. Moley Massol, l’Archipel, Paris 2009. Penser sa féminité après un cancer du sein des effets physiques des drogues et des traitements. Mais la plus grande crainte exprimée par les femmes qui ont perdu leur sein ou dont le sein est abîmé par la maladie et les traitements est celle de ne plus plaire, de ne plus séduire. Les femmes souffrent de ne plus être désirées (“Il ne me touche plus !”). Elles peuvent regretter que le sein malade, opéré, ne soit plus touché, caressé par leur compagnon. Elles ont du mal avec leur image et craignent de se montrer nues, d’exposer leur corps malade, la cicatrice. Beaucoup redoutent d’être touchées, se sentent dévalorisées dans leur féminité, se dérobent au regard de leur partenaire, ont peur d’avoir mal, mais ne renoncent pas pour autant au désir d’être désirées, peut-être le propre du féminin… L’homme à leur côté, le partenaire amoureux, se sent perdu lui aussi. Son désir peut être affecté, mais c’est souvent ce qu’il prend pour l’absence de désir de sa compagne qui le tient à distance. Chacun risque de s’installer dans un isolement physique et affectif douloureux. Les femmes se sentent abandonnées et les hommes impuissants, inutiles. Les malentendus s’accroissent. Il est plus que jamais essentiel de se parler dans le couple, se dire ce que l’on ressent, ce que l’on souhaite, réapprendre le corps de l’autre en même temps que son propre corps, accepter les émotions nouvelles, les moments de distance souhaités, se montrer patient et tolérant et rester complices. L’impact de la maladie sur la sexualité du couple dépend beaucoup de la qualité de la relation préexistante. Quand la sexualité a toujours posé problème au couple, la maladie a toutes les chances de l’aggraver. Pour certains couples, la maladie est l’occasion d’arrêter une sexualité à laquelle ils portaient peu d’intérêt. L’abandon de la sexualité est parfois vécu par les malades comme une dette dont il faudrait s’acquitter, le prix à payer pour rester en vie, vestige d’une morale judéo-chrétienne où le plaisir serait toujours coupable, un péché capital, mortel... Renoncer au plaisir sexuel pour sauver sa vie… En revanche, les couples qui connaissent depuis toujours une bonne entente sexuelle retrouvent plus facilement le chemin d’une sexualité épanouie. Chez certains, la gravité de la maladie et la confrontation à une échéance redoutée réactivent l’exaltation des premiers temps de la rencontre amoureuse et leur sexualité retrouve une effervescence inattendue. La reconstruction du sein après une mastectomie est une étape très importante pour la femme, même si elle ne permet jamais la reconstruction du corps à l’identique. Elle aide à restaurer l’estime de soi et 10 | La Lettre du Sénologue • n° 47 - janvier-février-mars 2010 l’image de son corps, si la femme y est prête et si l’opération n’intervient pas prématurément. Pourtant, certaines femmes y renoncent, refusant l’opération et la prothèse comme si rien ne pouvait prendre la place du sein perdu. Elles ne peuvent se représenter le sein reconstruit autrement que comme un sein mort ; la prothèse est vécue comme un trompe-l’œil et elles préfèrent ne pas masquer le manque. Le couple, le cancer et la sexualité Pourtant, évoquer la sexualité peut donner au couple la possibilité de parler de sa vie, d’amour, de son histoire, autrement qu’à travers la maladie et un corps meurtri. Il n’existe pas de règle, bien sûr, et il n’est pas question d’affirmer qu’il est bien ou mal d’aborder la question de sa sexualité à un moment donné. Chaque individu, chaque couple entretient avec sa sexualité et le discours qu’il souhaite en faire un rapport très particulier qu’il faut respecter. Mais ceux pour lesquels la sexualité occupe une part importante dans leur vie doivent se sentir autorisés à en parler s’ils en éprouvent le besoin : “Ma sexualité est désormais le dernier moyen pour mon corps de rester une source de sensations agréables. En dehors d’elle, mon corps malade est douleur et souffrance” (2). La sexualité ne se réduit pas à quelques organes, à une fonction. Elle fait partie intégrante de l’être, dans un nouage complexe entre physique, psychologique, affectif et relationnel. Elle est troublée quand l’être ne se sent plus entier, le même reconnaissable dans son apparence physique et sa vision intériorisée de lui-même. Il faut pouvoir aimer et se sentir aimé pour dédramatiser le sexuel quand il devient fragile, maintenir le lien de la tendresse pour favoriser le retour de la sensualité et du jeu sexuel. L’humour, quand il est possible, est un puissant outil de complicité, réparateur. L’homme a souvent besoin de l’agir sexuel pour se sentir vivant et dans la pleine appartenance à son sexe. La femme a besoin de se sentir désirée et plus encore quand elle est en souffrance morale et affective. Chaque individu, chaque couple invente son rapport amoureux et sexuel. Au début, le sexuel peut être mis à distance quand le malade est occupé à survivre, quand il a peur, puis le corps frémit à nouveau. Il faut pouvoir s’ouvrir aux sentiments et à l’imaginaire à deux, reconquérir les corps, à sa façon. La maladie a parfois des effets surprenants dans une réinterprétation de sa vie, en particulier de sa vie sexuelle*. ■ DOSSIER THÉMATIQUE Penser sa féminité après un cancer du sein La maladie d’un parent annoncée à l’enfant I. Moley-Massol Laura a 5 ans. Depuis quelques semaines, son comportement a changé. Elle est agitée, a du mal à rester en place, ne parvient pas à se concentrer plus de quelques minutes sur une activité. Elle se plaint de maux de ventre, a du mal à s’endormir. Sa mère, inquiète, la conduit chez le pédiatre. En début de consultation, la mère demande à Laura de l’attendre quelques instants dans la salle d’attente pour parler seule au médecin : “Il faut que je vous dise, docteur, on m’a découvert un cancer du sein il y a deux mois et j’ai commencé une chimiothérapie. Bien sûr, nous n’avons rien dit aux enfants, pour ne pas les inquiéter !” Quand le médecin vient chercher Laura, celle-ci reste prostrée sur sa chaise, la tête et les bras ballants, les yeux fermés. Elle ne répond pas quand le médecin l’appelle. Laura “fait le mort”… Beaucoup de parents, pour protéger leurs enfants de l’angoisse de la maladie qui les touche, préfèrent la taire, s’imaginant ainsi qu’ils tiennent leurs enfants à distance de leur propre souffrance. C’est tout l’inverse qui se produit. Les enfants, quel que soit leur âge, ressentent avec une très grande acuité l’angoisse de leurs parents. En l’absence de mots, d’explications qui leur sont directement adressés, les enfants élaborent un imaginaire toujours pire que la réalité, aussi difficile soit-elle. “Les enfants veulent entendre la vérité de la bouche de leurs parents, avec des mots gentils”, expliquent Nicole Landry-Dattée et Marie-France Delaigue-Cosset qui coaniment depuis 15 ans des groupes de paroles d’enfants de parents malades à l’institut Gustave-Roussy de Villejuif et auteures de L’enfant face au cancer d’un parent (ed. Vuibert, coll. Espace éthique, 2005). Les enfants perçoivent les modifications qui surviennent dans la vie de leurs parents, les changements dans l’apparence physique, les va-et-vient avec l’hôpital, les arrêts de travail, ils surprennent des conversations. L’égocentrisme qui caractérise le petit enfant et son désir de comprendre ce qui se passe le conduisent à se sentir responsable, coupable de tout ce qui survient dans son environnement, particulièrement lorsque l’événement concerne ses parents ou ses frères et sœurs. Ce sentiment de culpabilité prend plus de force encore au moment du complexe d’œdipe, quand le jeune enfant, de 3 à 5 ans, désire prendre la place du parent du même sexe et “se marier”avec sa maman, s’il s’agit d’un garçon par exemple. À cet âge, l’enfant est dominé par la pensée magique qui lui fait confondre 12 | La Lettre du Sénologue • n° 47 - janvier-février-mars 2010 la pensée et l’acte. Si l’enfant souhaite plus ou moins confusément la mort de son père et si cela se produit dans la réalité, il croit en être responsable : il l’a pensé, désiré, c’est donc arrivé par sa faute. Les conséquences de cette culpabilité peuvent être très néfastes pour l’enfant à court terme (dépression, agressivité, retard scolaire, somatisation, autopunition…) mais aussi dans sa vie d’adulte. Les enfants veulent entendre la vérité de la bouche de leurs parents, de façon adaptée à leur âge, avec des mots justes et compréhensibles. Le mensonge est très préjudiciable à l’enfant car celui-ci, pour se construire, a besoin d’avoir confiance en ses parents. Le mensonge est pour lui une forme de trahison, qui peut entamer à tout jamais cette confiance dans le monde des adultes, en lui-même et en la vie. La vérité sur la maladie des parents, d’un frère ou d’une sœur, doit être dite le plus tôt possible aux enfants, dès que les parents ont eux-mêmes “digéré” la nouvelle. Elle sera dite à tous les enfants de la fratrie, dans un même temps. Ne s’ouvrir qu’à l’aîné des enfants, par exemple, exposerait celui-ci à une trop grande responsabilité au sein de la fratrie. Les mots sont donnés peu à peu, la vérité est révélée pas à pas. Il est important que le mot “cancer” soit prononcé, mais progressivement. Il est nécessaire de tenir un discours vrai et authentique qui tient compte de l’âge de l’enfant et de son rapport au temps, différent de celui des adultes. Le rôle du médecin est de sensibiliser les parents à l’importance de l’information à donner aux enfants. C’est aux parents, en particulier au parent malade, d’annoncer la maladie aux enfants, mais si cela est trop difficile pour eux, le médecin peut les y aider, en incitant toutefois les parents à prononcer les mots difficiles, le mot “cancer” par exemple. Le médecin peut expliquer à l’enfant, aussi désireux de comprendre que les adultes, les symptômes, les effets indésirables des traitements… La parole du médecin est légitime, elle rassure l’enfant. Ses réponses permettent à l’enfant de se détacher d’un imaginaire trop angoissant, pire que la réalité. Aller à l’hôpital pour l’enfant est une façon de se préparer aux modifications physiques de son parent malade. On peut l’y encourager, sans toutefois le forcer. Il faut pouvoir répondre aux questions de l’enfant, sans s’y dérober. Il ne s’agit pas pour autant de le submerger d’explications qu’il ne demande pas mais de rester disponible pour lui, au moment opportun. Un enfant qui ne pose aucune question est un enfant qui, bien souvent, a compris qu’il n’obtiendrait pas de DOSSIER THÉMATIQUE réponse ; par son silence, il protège les adultes qu’il ne veut pas perturber, mais à quel prix pour lui ? A contrario, un excès d’explications ou de paroles autour de la maladie, qui ne sont pas attendus par l’enfant, se révèlent tout aussi violent que le mensonge ou le silence. En phase terminale de la maladie, quand il n’y a plus d’espoir de guérison, il est important de signifier à l’enfant que tout a été fait pour soigner son père ou sa mère mais qu’on n’y est pas parvenu. La maladie a été plus forte que les traitements (et non plus forte que le parent malade). Il va falloir progressivement préparer l’enfant à la mort du parent, mais pas trop tôt non plus. Il ne s’agit pas d’anticiper prématurément la mort, mais de rendre le choc moins brutal, et permettre au parent de dire au revoir à l’enfant, de l’assurer que tout a été organisé pour lui, pour sa vie et son avenir. Il faut que l’enfant continue à se sentir soutenu dans sa vie et son quotidien et “autorisé” à poursuivre son développement et son chemin de vie. Souvent, les parents ont peur de pleurer devant leur enfant. Ils doivent pourtant comprendre que pleurer n’est pas un signe de faiblesse, mais d’humanité. Pleurer, mettre des mots sur sa souffrance, c’est aussi donner à l’enfant l’autorisation d’exprimer sa propre tristesse, son propre désarroi. Confrontés à des situations douloureuses, à des obstacles, les enfants nous disent qu’il faut avant tout leur faire confiance, croire en leur extraordinaire capacité à surmonter les épreuves. Les paroles des adultes sont là pour les y aider ; des paroles vraies, justes, adaptées. Le cas clinique évoqué en début de texte illustre une situation très fréquente au cours de laquelle les parents cachent à l’enfant la réalité de leur maladie et s’imaginent laisser ainsi l’enfant à distance de leur propre difficulté et de leur souffrance. Mais Laura a bien compris que quelque chose de grave se jouait dans la famille. Par ses symptômes, sa façon de “faire le mort”, elle exprime son angoisse et, vraisemblablement, sa culpabilité. Laura a besoin de la parole de ses parents, que ceux-ci nomment la maladie pour lui permettre de dépasser ses fantasmes, souvent ravageurs, et faire avec cette réalité afin qu’elle n’entrave pas sa vie présente et sa construction d’adulte en devenir*. ■ * D’après le consensus HAS sur l’annonce de la maladie. NB : Ce texte et cette analyse sont largement inspirés par l’expérience et les témoignages de Nicole Landry-Dattée et Marie-France Delaigue-Cosset de l’institut Gustave-Roussy. La cicatrice I. Moley-Massol La maladie laisse souvent des cicatrices morale et physique. La cicatrice du corps, bien plus qu’une trace dans la peau, est le rappel douloureux et permanent de la blessure de la maladie et de la perte, sa signature. Pour le malade opéré auquel on a retiré un organe ou une partie de celui-ci, la cicatrice n’est jamais “belle”, malgré ce que déclarent parfois avec maladresse les proches ou les chirurgiens satisfaits de leur travail. Elle est une zone de peau meurtrie refermée sur un manque, la part de soi amputée, castrée. Elle recouvre sans restaurer vraiment une parfaite continuité des chairs. Elle marque la rupture. Elle est le stigmate de l’histoire de la maladie. Le premier regard porté sur sa cicatrice est toujours une épreuve. Dès le réveil de l’opération, le malade est à nouveau précipité dans la violence de la maladie et doit se confronter à la réalité de la plaie, la cicatrice. Il peut en ressentir un tel effroi que certains mettront plusieurs jours avant d’oser la regarder, la toucher. Un patient évoquait le “truc”, la “chose” pour désigner sa plaie et la vacuité de sa chair après l’ablation d’une tumeur au niveau de sa cuisse. Il est important que les soignants et l’entourage respectent le temps nécessaire au malade pour approcher la réalité de sa perte et de sa cicatrice. Des étapes sont à respecter. Après l’ablation d’un sein, un temps psychique est nécessaire avant d’envisager la reconstruction du sein (au-delà des indications d’ordre strictement médical et thérapeutique). L’un ne remplace pas l’autre. Il faut avoir pu pleurer son sein perdu avant d’envisager une prothèse et une reconstruction mammaire et pouvoir penser un autre sein. Quand la femme y est prête, ces reconstructions sont généralement très libératrices et revivifiantes. Elles l’aident à reprendre confiance en elle. Mais si l’intervention intervient prématurément, au cours de la même opération chirurgicale que la mastectomie par exemple, quand la femme n’est pas encore psychologiquement prête à recevoir un nouveau sein (cette étape est vécue de façon très différente selon les femmes), elle risque d’entraîner un rejet, une insatisfaction irréductible et des complications que les chirurgiens connaissent bien. La mise en place d’une prothèse demande un temps de cheminement psychologique pour réaliser le deuil de l’organe perdu, puis accepter le corps étranger et parvenir enfin à le faire sien. ■ Abonnez-vous en ligne ! www.edimark.fr Bulletin d’abonnement disponible page 39 La Lettre du Sénologue • n° 47 - janvier-février-mars 2010 | 13