Amour et sexualité – Love and sexuality

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Amour et sexualité – Love and sexuality
DOSSIER THÉMATIQUE
Penser sa féminité après un cancer du sein
Amour et sexualité
Love and sexuality
I. Moley-Massol*
Le retentissement de la maladie
sur la sexualité
* Médecin psychanalyste et psychooncologue. Attachée à l’hôpital
Cochin à Paris, elle exerce aussi en
activité libérale. Auteur de : “Le
malade, la maladie et les proches”,
L’Archipel, Paris 2009, “La relation
médecin malade. Enjeux, pièges et
opportunités”, Datebe, Paris 2007,
“L’annonce de la maladie, une
parole qui engage”, Datebe, Paris
2004.
L’amour et la sexualité restent souvent absents du
discours des malades et des médecins, bien qu’ils occupent une place centrale dans la vie de chacun. Le couple
est toujours mis à l’épreuve au cours de la maladie.
Celle-ci agit comme un révélateur de la relation de
couple, elle exacerbe les conflits ou exalte l’amour
et renforce l’attachement.
Comme dans toute épreuve de vie, chacun l’affrontera
et y résistera en fonction de la force du lien qui l’unit
à l’autre et de ce qui sous-tend leur amour.
La sexualité est une part importante de la relation
de couple, plus ou moins investie selon chacun. Elle
témoigne de leur désir, de leur rapport à l’autre, à la
vie. Elle est un lien de communication que la maladie
ou le handicap remettent toujours en question.
Les malades n’osent pas évoquer leur vie sexuelle, se
demandent si leurs préoccupations sont légitimes,
alors que les médecins se mobilisent pour leur sauver
la vie. Ils craignent leur jugement.
Certains malades ont l’impression de transgresser
un interdit en évoquant le sexuel qui projette pourtant son ombre sur leur existence. L’idée même est
repoussée.
La sexualité se vit plus qu’elle ne se parle. Il est
cependant essentiel qu’une parole se libère au sein
du couple et, si nécessaire, avec le médecin, pour
faire émerger de l’intime des corps et des cœurs la
faille que la maladie a introduite.
L’abord de la sexualité n’est jamais facile. Il faut
inviter le malade et le proche à en parler sans les
forcer et proposer une écoute sans l’imposer (1).
La sexualité est tue, comme s’il était indécent de
l’évoquer quand on est frappé par une maladie grave,
scandaleux de parler de l’amour et du sexe quand
s’engage une lutte pour la vie.
Pourtant, de quoi est-il question dans la sexualité si
ce n’est de la vie et de la mort ? La sexualité n’estelle pas un contre-pied à la mort, sa parade ?C’est
ce que semblent exprimer certains malades qui se
lancent “à corps perdu” dans une activité sexuelle
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frénétique, avec une soif insatiable de réassurance
dans la rencontre avec l’autre.
La sexualité et la mort entretiennent des liens
intimes, au plus profond de notre inconscient. Ils
sont l’alpha et l’oméga de chaque existence, et assurent en même temps la continuité de la vie et des
êtres, de génération en génération.
Eros et Thanatos ne vont pas l’un sans l’autre pour
perpétuer la vie. Pour affronter la maladie grave, amour
et sexualité sont appelés à la rescousse comme force
vitale, symbole d’un combat pour la vie.
Mais, souvent, “ça” vacille, et le malade et son partenaire ne savent plus comment s’y prendre, dans ce
ménage à trois avec la maladie.
La maladie au corps, le malade est précipité dans
l’inquiétante étrangeté de son image, ne se reconnaît
pas et a peur de se perdre.
Comment s’aimer encore, aimer l’autre et se laisser
aimer avec son corps meurtri et quand on se vit
avec la mort en soi ? Et comment approcher l’autre
malade, pénétrer l’intime de sa chair malade ?
Le malade et son partenaire sont confrontés à l’indicible du
sexuel, chacun a peur pour soi et pour l’autre, se perd dans
des questionnements qu’il pense inavouables, redoute
de ne plus être aimé et de ne plus aimer, ne s’y retrouve
plus dans son désir et dans le désir de l’autre. Les corps
ne sont plus familiers, ni le sien, ni celui de l’être aimé.
Pour certains, la préoccupation sexuelle signe le
retour à la vie, une fois la menace vitale de la maladie
éloignée ; pour d’autres, elle est d’emblée centrale,
comme le fil qui rattache à la vie, l’assise narcissique
sans laquelle l’individu ne se sent plus exister, entier
et unifié, sans cette rencontre avec l’autre et le corps
de l’autre qui le rassure au-delà de tout.
Enfin, parler du sexuel, c’est parler du désir, évoquer le
plaisir et la jouissance de l’être, du corps. N’est-ce pas là
finalement ce qui ferait le plus scandale, ce refoulé des
discours sur la sexualité et la maladie, l’idée de jouissance
d’un corps malade et mortel ? Comment faire l’amour et
se parler d’amour, avec l’intruse dans le corps ?
Certains trouvent le chemin comme une évidence,
d’autres hésitent, quelques-uns se perdent. Ce
chemin passe souvent par la tendresse qui rapproche
Résumé
Mots-clés
Comment les femmes pensent-elles leur féminité ? Comment parviennent-elles à se reconnaître dans toutes
les dimensions de leur sexe ? Comment renouent-elles avec leurs désirs ?
L’atteinte du sein sollicite toutes les représentations qui lui sont attachées, la femme, la mère, le beau et
renvoie massivement au lieu le plus archaïque et fondamental à l’autre. C’est dire le nouage qui existe
entre le sein et la sexualité dans le rapport à l’autre, la communication, la vie, la mort. Il faut souvent du
temps pour réapprivoiser son corps et le corps de l’autre, se retrouver, ensemble, sur un chemin qui passe
par l’amour et la tendresse.
Sexualité
Sein
Communication
Identité et image
du corps
Couple
Amour-désir
les corps, en attendant que reviennent l’envie du jeu
et l’exaltation de la chair.
Et quand la maladie abîme un organe sexuel et
perturbe sa fonction, une sexualité est toujours
possible, à réinventer dans la tendresse et la sensualité, une éclosion qui passe toujours par le cœur.
Maladie, handicap, accident : toute atteinte du corps
est susceptible de retentir sur la sexualité, à partir
du moment où elle vient brouiller l’image de soi et
la relation aux autres.
Toutefois, certaines maladies “attaquent” directement
la sexualité, quand elles touchent une fonction ou un
organe sexuel, la procréation, la transmission génétique de la maladie, ou engagent le pronostic vital.
Les troubles sexuels liés à la maladie se manifestent
de multiples façons : absence de désir ou de plaisir,
rejet du contact physique, douleurs, crainte d’être
touché, d’être vu, peur de toucher l’autre. Parfois le
désir est présent, mais les êtres sont comme paralysés : “Sa maladie me paralyse”, “J’ai peur d’avoir
mal”, “J’ai peur de lui faire mal”, “Je suis bloqué”, “J’ai
peur qu’elle me rejette”, “J’ai l’impression qu’une
partie de moi est morte”…
Tout individu peut ressentir l’effroi face à sa maladie
ou à la maladie de l’autre. Des hommes sont devenus
impuissants devant le cancer de leur femme.
Les perturbations sont d’origine fonctionnelle (quand
une fonction sexuelle est touchée par la maladie ou
les traitements) et psychologique. Certaines sont
définitives et d’autres transitoires.
Elles sont liées à l’organe malade (l’atteinte de la sphère
génitale est particulièrement difficile), aux conséquences des traitements, à la fatigue, aux modifications hormonales, à la chirurgie, à la mutilation, mais
aussi aux effets traumatiques, anxieux et dépressifs de
la maladie, aux troubles psychiques en relation avec
le désir, l’estime de soi, une image du corps abîmée.
Environ 1 patient sur 2 atteint d’un cancer se plaindrait d’une sexualité perturbée.
La sexualité après un cancer
du sein
Le sein est symbole de féminité, de la femme et de
la mère, du beau, de l’amour, de la jeunesse, de la
séduction, de la différence des sexes. Le sein est un
signe de vie.
Il est l’emblème de la relation avec la mère. L’allaitement et la sexualité sont les formes les plus primitives de la communication entre les êtres ; c’est dire
le lien fondamental qui unit le sein à la sexualité.
Le cancer du sein est toujours très douloureux à vivre
pour la femme, mais aussi pour l’homme et le couple,
avec un retentissement qui dépend de la façon dont
le sein est investi par l’un et l’autre dans la relation
amoureuse et sexuelle.
L’ablation du sein est toujours un bouleversement :
“Suis-je encore vraiment une femme avec un sein
en moins ?”, “Je me sens à moitié femme”, “Mon
corps est borgne”, “C’est comme si j’étais mi-femme,
mi-enfant”…
La chirurgie mutile. Elle agit comme une castration,
particulièrement quand elle concerne un organe
sexué tel que le sein.
Son atteinte renvoie l’individu à son identité sexuelle
et à la façon dont celle-ci s’est construite. Elle vient
fragiliser une conscience de soi, en tant qu’homme
ou femme plus ou moins affirmé.
Elle réactive les problématiques de l’adolescence
autour des transformations du corps et de l’émergence d’une sexualité adulte qui tente de se mettre
en place et y réussira plus ou moins bien.
La maladie retentit d’autant plus sur l’image sexuée
de la personne que son identité sexuelle fondamentale est mal assurée.
Les traitements occupent une place importante dans
les perturbations sexuelles : la chirurgie mutilante,
mais aussi la chimiothérapie, la radiothérapie, les
traitements hormonaux et leurs conséquences sur la
procréation, la libido, identiques à celles de la ménopause, les modifications de poids, les douleurs…
L’hormonothérapie induit chez la femme jeune une
ménopause précoce qui vient compliquer encore
le ressenti de la maladie. La fatigue est également
très impliquée dans la baisse de la libido. Ce sont
autant de pertes que la femme doit vivre et autant
de deuils à traverser.
Aucune femme ne répond aux traitements de façon
identique et il est impossible de prévoir avec certitude les conséquences des thérapeutiques sur la
sexualité. Certaines femmes se plaignent de leur
difficulté sexuelle sous traitement hormonal et souffrent de sécheresse vaginale, tandis que d’autres
constatent peu de différence dans leur vie amoureuse.
La sexualité implique la personne et le couple au-delà
Keywords
Sexuality
Breast
Communication
Identity and image
of the body
Couple
Love-desire
La Lettre du Sénologue • n° 47 - janvier-février-mars 2010 | 9
DOSSIER THÉMATIQUE
Références
bibliographiques
1. Marx E, Bacqué MF, Lesourd S
et al. Sexualité et cancer. PsychoOncologie, Revue pluridisciplinaire
francophone 2007;1,4.
2. Zineb Tazi. Sexualité et cancer,
la fin des tabous ? Les Proches. La
Ligue contre le cancer 2008;7.
* D’après “Le malade, la maladie et les
proches”, I. Moley Massol, l’Archipel,
Paris 2009.
Penser sa féminité après un cancer du sein
des effets physiques des drogues et des traitements.
Mais la plus grande crainte exprimée par les femmes
qui ont perdu leur sein ou dont le sein est abîmé par la
maladie et les traitements est celle de ne plus plaire,
de ne plus séduire. Les femmes souffrent de ne plus
être désirées (“Il ne me touche plus !”).
Elles peuvent regretter que le sein malade, opéré, ne
soit plus touché, caressé par leur compagnon.
Elles ont du mal avec leur image et craignent de
se montrer nues, d’exposer leur corps malade, la
cicatrice. Beaucoup redoutent d’être touchées, se
sentent dévalorisées dans leur féminité, se dérobent
au regard de leur partenaire, ont peur d’avoir mal,
mais ne renoncent pas pour autant au désir d’être
désirées, peut-être le propre du féminin…
L’homme à leur côté, le partenaire amoureux, se sent
perdu lui aussi.
Son désir peut être affecté, mais c’est souvent ce qu’il
prend pour l’absence de désir de sa compagne qui le
tient à distance. Chacun risque de s’installer dans un
isolement physique et affectif douloureux.
Les femmes se sentent abandonnées et les hommes
impuissants, inutiles. Les malentendus s’accroissent.
Il est plus que jamais essentiel de se parler dans le
couple, se dire ce que l’on ressent, ce que l’on souhaite,
réapprendre le corps de l’autre en même temps que
son propre corps, accepter les émotions nouvelles, les
moments de distance souhaités, se montrer patient
et tolérant et rester complices.
L’impact de la maladie sur la sexualité du couple
dépend beaucoup de la qualité de la relation préexistante. Quand la sexualité a toujours posé problème
au couple, la maladie a toutes les chances de l’aggraver. Pour certains couples, la maladie est l’occasion
d’arrêter une sexualité à laquelle ils portaient peu
d’intérêt.
L’abandon de la sexualité est parfois vécu par les
malades comme une dette dont il faudrait s’acquitter,
le prix à payer pour rester en vie, vestige d’une morale
judéo-chrétienne où le plaisir serait toujours coupable,
un péché capital, mortel... Renoncer au plaisir sexuel
pour sauver sa vie…
En revanche, les couples qui connaissent depuis
toujours une bonne entente sexuelle retrouvent
plus facilement le chemin d’une sexualité épanouie.
Chez certains, la gravité de la maladie et la confrontation à une échéance redoutée réactivent l’exaltation
des premiers temps de la rencontre amoureuse et
leur sexualité retrouve une effervescence inattendue.
La reconstruction du sein après une mastectomie est
une étape très importante pour la femme, même si
elle ne permet jamais la reconstruction du corps à
l’identique. Elle aide à restaurer l’estime de soi et
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l’image de son corps, si la femme y est prête et si
l’opération n’intervient pas prématurément. Pourtant,
certaines femmes y renoncent, refusant l’opération et
la prothèse comme si rien ne pouvait prendre la place
du sein perdu. Elles ne peuvent se représenter le sein
reconstruit autrement que comme un sein mort ; la
prothèse est vécue comme un trompe-l’œil et elles
préfèrent ne pas masquer le manque.
Le couple, le cancer
et la sexualité
Pourtant, évoquer la sexualité peut donner au couple la
possibilité de parler de sa vie, d’amour, de son histoire,
autrement qu’à travers la maladie et un corps meurtri.
Il n’existe pas de règle, bien sûr, et il n’est pas question
d’affirmer qu’il est bien ou mal d’aborder la question
de sa sexualité à un moment donné. Chaque individu, chaque couple entretient avec sa sexualité et le
discours qu’il souhaite en faire un rapport très particulier qu’il faut respecter. Mais ceux pour lesquels la
sexualité occupe une part importante dans leur vie
doivent se sentir autorisés à en parler s’ils en éprouvent le besoin : “Ma sexualité est désormais le dernier
moyen pour mon corps de rester une source de sensations agréables. En dehors d’elle, mon corps malade
est douleur et souffrance” (2).
La sexualité ne se réduit pas à quelques organes, à
une fonction. Elle fait partie intégrante de l’être, dans
un nouage complexe entre physique, psychologique,
affectif et relationnel.
Elle est troublée quand l’être ne se sent plus entier, le
même reconnaissable dans son apparence physique
et sa vision intériorisée de lui-même.
Il faut pouvoir aimer et se sentir aimé pour dédramatiser le sexuel quand il devient fragile, maintenir le lien
de la tendresse pour favoriser le retour de la sensualité
et du jeu sexuel. L’humour, quand il est possible, est
un puissant outil de complicité, réparateur.
L’homme a souvent besoin de l’agir sexuel pour se
sentir vivant et dans la pleine appartenance à son sexe.
La femme a besoin de se sentir désirée et plus encore
quand elle est en souffrance morale et affective.
Chaque individu, chaque couple invente son rapport
amoureux et sexuel.
Au début, le sexuel peut être mis à distance quand le
malade est occupé à survivre, quand il a peur, puis le corps
frémit à nouveau. Il faut pouvoir s’ouvrir aux sentiments
et à l’imaginaire à deux, reconquérir les corps, à sa façon.
La maladie a parfois des effets surprenants dans
une réinterprétation de sa vie, en particulier de sa
vie sexuelle*.
■
DOSSIER THÉMATIQUE
Penser sa féminité après un cancer du sein
La maladie d’un parent annoncée
à l’enfant
I. Moley-Massol
Laura a 5 ans. Depuis quelques semaines, son comportement a changé. Elle est agitée, a du mal à rester en
place, ne parvient pas à se concentrer plus de quelques
minutes sur une activité. Elle se plaint de maux de
ventre, a du mal à s’endormir. Sa mère, inquiète, la
conduit chez le pédiatre.
En début de consultation, la mère demande à Laura
de l’attendre quelques instants dans la salle d’attente
pour parler seule au médecin : “Il faut que je vous dise,
docteur, on m’a découvert un cancer du sein il y a deux
mois et j’ai commencé une chimiothérapie. Bien sûr, nous
n’avons rien dit aux enfants, pour ne pas les inquiéter !”
Quand le médecin vient chercher Laura, celle-ci reste
prostrée sur sa chaise, la tête et les bras ballants, les
yeux fermés. Elle ne répond pas quand le médecin
l’appelle. Laura “fait le mort”…
Beaucoup de parents, pour protéger leurs enfants de
l’angoisse de la maladie qui les touche, préfèrent la
taire, s’imaginant ainsi qu’ils tiennent leurs enfants à
distance de leur propre souffrance. C’est tout l’inverse qui
se produit. Les enfants, quel que soit leur âge, ressentent
avec une très grande acuité l’angoisse de leurs parents.
En l’absence de mots, d’explications qui leur sont directement adressés, les enfants élaborent un imaginaire
toujours pire que la réalité, aussi difficile soit-elle.
“Les enfants veulent entendre la vérité de la bouche de
leurs parents, avec des mots gentils”, expliquent Nicole
Landry-Dattée et Marie-France Delaigue-Cosset qui
coaniment depuis 15 ans des groupes de paroles d’enfants de parents malades à l’institut Gustave-Roussy
de Villejuif et auteures de L’enfant face au cancer d’un
parent (ed. Vuibert, coll. Espace éthique, 2005).
Les enfants perçoivent les modifications qui surviennent dans la vie de leurs parents, les changements dans
l’apparence physique, les va-et-vient avec l’hôpital,
les arrêts de travail, ils surprennent des conversations.
L’égocentrisme qui caractérise le petit enfant et son
désir de comprendre ce qui se passe le conduisent à
se sentir responsable, coupable de tout ce qui survient
dans son environnement, particulièrement lorsque
l’événement concerne ses parents ou ses frères et
sœurs. Ce sentiment de culpabilité prend plus de force
encore au moment du complexe d’œdipe, quand le
jeune enfant, de 3 à 5 ans, désire prendre la place du
parent du même sexe et “se marier”avec sa maman, s’il
s’agit d’un garçon par exemple. À cet âge, l’enfant est
dominé par la pensée magique qui lui fait confondre
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la pensée et l’acte. Si l’enfant souhaite plus ou moins
confusément la mort de son père et si cela se produit
dans la réalité, il croit en être responsable : il l’a pensé,
désiré, c’est donc arrivé par sa faute.
Les conséquences de cette culpabilité peuvent être
très néfastes pour l’enfant à court terme (dépression,
agressivité, retard scolaire, somatisation, autopunition…) mais aussi dans sa vie d’adulte.
Les enfants veulent entendre la vérité de la bouche de
leurs parents, de façon adaptée à leur âge, avec des
mots justes et compréhensibles. Le mensonge est très
préjudiciable à l’enfant car celui-ci, pour se construire,
a besoin d’avoir confiance en ses parents. Le mensonge
est pour lui une forme de trahison, qui peut entamer à
tout jamais cette confiance dans le monde des adultes,
en lui-même et en la vie.
La vérité sur la maladie des parents, d’un frère ou d’une
sœur, doit être dite le plus tôt possible aux enfants, dès
que les parents ont eux-mêmes “digéré” la nouvelle.
Elle sera dite à tous les enfants de la fratrie, dans un
même temps. Ne s’ouvrir qu’à l’aîné des enfants, par
exemple, exposerait celui-ci à une trop grande responsabilité au sein de la fratrie.
Les mots sont donnés peu à peu, la vérité est révélée
pas à pas. Il est important que le mot “cancer” soit
prononcé, mais progressivement. Il est nécessaire de
tenir un discours vrai et authentique qui tient compte
de l’âge de l’enfant et de son rapport au temps, différent
de celui des adultes.
Le rôle du médecin est de sensibiliser les parents à
l’importance de l’information à donner aux enfants.
C’est aux parents, en particulier au parent malade,
d’annoncer la maladie aux enfants, mais si cela est
trop difficile pour eux, le médecin peut les y aider, en
incitant toutefois les parents à prononcer les mots
difficiles, le mot “cancer” par exemple.
Le médecin peut expliquer à l’enfant, aussi désireux de
comprendre que les adultes, les symptômes, les effets
indésirables des traitements…
La parole du médecin est légitime, elle rassure l’enfant.
Ses réponses permettent à l’enfant de se détacher d’un
imaginaire trop angoissant, pire que la réalité.
Aller à l’hôpital pour l’enfant est une façon de se
préparer aux modifications physiques de son parent
malade. On peut l’y encourager, sans toutefois le forcer.
Il faut pouvoir répondre aux questions de l’enfant, sans
s’y dérober. Il ne s’agit pas pour autant de le submerger
d’explications qu’il ne demande pas mais de rester
disponible pour lui, au moment opportun.
Un enfant qui ne pose aucune question est un enfant
qui, bien souvent, a compris qu’il n’obtiendrait pas de
DOSSIER THÉMATIQUE
réponse ; par son silence, il protège les adultes qu’il ne
veut pas perturber, mais à quel prix pour lui ?
A contrario, un excès d’explications ou de paroles
autour de la maladie, qui ne sont pas attendus par
l’enfant, se révèlent tout aussi violent que le mensonge
ou le silence.
En phase terminale de la maladie, quand il n’y a plus
d’espoir de guérison, il est important de signifier à
l’enfant que tout a été fait pour soigner son père ou
sa mère mais qu’on n’y est pas parvenu. La maladie a
été plus forte que les traitements (et non plus forte
que le parent malade).
Il va falloir progressivement préparer l’enfant à la mort
du parent, mais pas trop tôt non plus. Il ne s’agit pas
d’anticiper prématurément la mort, mais de rendre le
choc moins brutal, et permettre au parent de dire au
revoir à l’enfant, de l’assurer que tout a été organisé
pour lui, pour sa vie et son avenir.
Il faut que l’enfant continue à se sentir soutenu dans
sa vie et son quotidien et “autorisé” à poursuivre son
développement et son chemin de vie.
Souvent, les parents ont peur de pleurer devant leur
enfant. Ils doivent pourtant comprendre que pleurer
n’est pas un signe de faiblesse, mais d’humanité.
Pleurer, mettre des mots sur sa souffrance, c’est aussi
donner à l’enfant l’autorisation d’exprimer sa propre
tristesse, son propre désarroi.
Confrontés à des situations douloureuses, à des
obstacles, les enfants nous disent qu’il faut avant
tout leur faire confiance, croire en leur extraordinaire
capacité à surmonter les épreuves. Les paroles des
adultes sont là pour les y aider ; des paroles vraies,
justes, adaptées.
Le cas clinique évoqué en début de texte illustre une
situation très fréquente au cours de laquelle les parents
cachent à l’enfant la réalité de leur maladie et s’imaginent laisser ainsi l’enfant à distance de leur propre difficulté et de leur souffrance. Mais Laura a bien compris
que quelque chose de grave se jouait dans la famille. Par
ses symptômes, sa façon de “faire le mort”, elle exprime
son angoisse et, vraisemblablement, sa culpabilité.
Laura a besoin de la parole de ses parents, que ceux-ci
nomment la maladie pour lui permettre de dépasser
ses fantasmes, souvent ravageurs, et faire avec cette
réalité afin qu’elle n’entrave pas sa vie présente et sa
construction d’adulte en devenir*. ■
* D’après le consensus HAS sur l’annonce de la maladie.
NB : Ce texte et cette analyse sont largement inspirés par l’expérience et les témoignages de Nicole Landry-Dattée et Marie-France
Delaigue-Cosset de l’institut Gustave-Roussy.
La cicatrice
I. Moley-Massol
La maladie laisse souvent des cicatrices morale et physique.
La cicatrice du corps, bien plus qu’une trace dans la peau, est le rappel
douloureux et permanent de la blessure de la maladie et de la perte,
sa signature.
Pour le malade opéré auquel on a retiré un organe ou une partie de
celui-ci, la cicatrice n’est jamais “belle”, malgré ce que déclarent parfois
avec maladresse les proches ou les chirurgiens satisfaits de leur travail.
Elle est une zone de peau meurtrie refermée sur un manque, la part
de soi amputée, castrée. Elle recouvre sans restaurer vraiment une
parfaite continuité des chairs. Elle marque la rupture.
Elle est le stigmate de l’histoire de la maladie. Le premier regard porté
sur sa cicatrice est toujours une épreuve.
Dès le réveil de l’opération, le malade est à nouveau précipité dans
la violence de la maladie et doit se confronter à la réalité de la plaie,
la cicatrice.
Il peut en ressentir un tel effroi que certains mettront plusieurs jours
avant d’oser la regarder, la toucher.
Un patient évoquait le “truc”, la “chose” pour désigner sa plaie et
la vacuité de sa chair après l’ablation d’une tumeur au niveau de sa
cuisse. Il est important que les soignants et l’entourage respectent
le temps nécessaire au malade pour approcher la réalité de sa perte
et de sa cicatrice. Des étapes sont à respecter.
Après l’ablation d’un sein, un temps psychique est nécessaire avant
d’envisager la reconstruction du sein (au-delà des indications d’ordre
strictement médical et thérapeutique).
L’un ne remplace pas l’autre. Il faut avoir pu pleurer son sein perdu
avant d’envisager une prothèse et une reconstruction mammaire
et pouvoir penser un autre sein. Quand la femme y est prête, ces
reconstructions sont généralement très libératrices et revivifiantes.
Elles l’aident à reprendre confiance en elle.
Mais si l’intervention intervient prématurément, au cours de la même
opération chirurgicale que la mastectomie par exemple, quand la femme
n’est pas encore psychologiquement prête à recevoir un nouveau sein
(cette étape est vécue de façon très différente selon les femmes), elle
risque d’entraîner un rejet, une insatisfaction irréductible et des complications que les chirurgiens connaissent bien.
La mise en place d’une prothèse demande un temps de cheminement
psychologique pour réaliser le deuil de l’organe perdu, puis accepter le
corps étranger et parvenir enfin à le faire sien.
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