LES JEUX EN LIGNE : QUELS ENJEUX JURIDIQUES ? Synopsis
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LES JEUX EN LIGNE : QUELS ENJEUX JURIDIQUES ? Synopsis
Colloque du XXIème anniversaire du Magistère en droit des techniques de l’information et de la communication LES JEUX EN LIGNE : QUELS ENJEUX JURIDIQUES ? Synopsis de l'intervention de Maître Pascal KAMINA 1 Délimitation du sujet : « Jeux en ligne » ? Pas tous les jeux en ligne. Nous nous concentrerons sur les plus populaires des jeux en ligne, les « MMORPG ». « Jeux de rôle massivement multijoueurs en ligne ». Jeux à « univers persistants ». Présentation des MMORPG : • Jeux de rôle en ligne dans lequel un grand nombre de joueurs interagissent dans un monde virtuel (généralement persistant = qui continue à évoluer même lorsqu’un joueur le quitte temporairement). Ce monde virtuel peut avoir des thématiques différentes : le plus souvent « heroic fantaisy », originaux mais également licences cinématographiques (« Star Wars », « Matrix », « Star Trek »). Quelquefois plus réalistes : « simulations de vie sociale » comme les SIMS. Grande majorité = jeux d’aventure. Dans ces jeux, le joueur assume le rôle d’un personnage de fiction (dont il sélectionne les principales caractéristiques) et prend le contrôle de ses actions. Il explore, interagit, combat, gagne ou achète des points d’expérience, libère de nouveaux pouvoirs qui augmentent son expérience de jeu. On y trouve donc une économie, basée sur l’échange d’éléments gagnés, découverts ou achetés, comme des armes ou des armures, et une monnaie d’échanges. On y trouve aussi des guildes ou des clans, organisations de joueurs qui agissent de concert, définissent des stratégies et règles. • Modèles économique : La plupart des MMORPG sont commerciaux, et les joueurs doivent souvent acheter un logiciel et le plus souvent payer une redevance mensuelle. Quelques jeux sont gratuits. Existence de formules intermédiaires : publicité ou certains espaces ou éléments payants. • Juridique : Les conditions d’usage sont contenues dans des EULA : End Users License Agreements, qui contiennent également des règles de comportement dont la violation entraîne exclusion du jeu. • Le succès de certains de ces jeux est impressionnant : World of Warcraft (9 novembre 2006) : + 7,5 millions d’abonnés dans le monde. Jeux gratuits : Korean MapleStory : 30 à 50 millions de joueurs inscrits dans ses différentes versions (pas joueurs actifs). D’un point de vue économique, revenus générés par certains de ces jeux sont très importants : plusieurs millions d’utilisateurs qui payent de 10 à 12 dollars mois ! • Le développement des MMORPG ne fascine pas seulement les industriels. Fascine les économistes et les sociologues. 2 Fil de l’intervention : MMORPG sont déjà pour certains plus que des jeux, et sont amenés à devenir de vrai espaces d’interaction sociale : Deviennent des espaces d’interaction sociale. Clairement revendiqué pour certains jeux, qui ne proposent pas un « environnement virtuel de jeu », mais « société en ligne, construite par ses participants ». Valable également pour les jeux les plus futuristes ou plus orientés vers l’action. - Interactions sous formes de groupes, guildes - Echanges qui génèrent une véritable économie (un marché) jusque dans le monde réel : - Des biens virtuels (potions magiques, armes) sont vendues aux enchères sur Ebay. - Des personnages déjà dotés de points d’expérience ou de puissance sont disponibles à la location ou à la vente. Développement de « Fermes d’élevage » de personnages. - Des monnaies virtuelles sont échangées contre de la « vraie monnaie » dans des marchés d’échange en ligne. Cet argent peut générer des comportements : fraude : crime virtuel (virtual crime). Exemples. On le voit clairement, ce qui se passe ici, et ce qui va se passer très prochainement dépasse largement le domaine du jeu au sens classique. • Pour finir de brosser ce tableau : ces espaces d’interaction sociale susceptibles de prendre une place toujours plus importante dans la vie des « joueurs »: Etude de 2001 sur le jeu de Sony Everquest : moyenne 27 heures par semaine. 1,5% de tous les joueurs qui passent de 60 à 70 heures par semaine dans le monde virtuel. Phénomène d’addiction (pose d’ailleurs des problèmes de responsabilité civile). On voit bien vers quoi on se dirige, du moins pour une partie de la population. → Constitution de société(s) parallèle(s) en ligne. Ce qui est certain c’est que bientôt les MMORPG vont constituer des plateformes totalement immersives dans lesquels nous allons acheter, jouer, socialiser, voyager et travailler. Particularité : société organisée et contrôlée par des intérêts privés et commerciaux. Enjeux juridiques ? 3 Distinction relation joueurs – éditeur / relations joueurs entre eux. I. RELATIONS JOUEURS – EDITEURS Problèmes immédiats / problèmes à venir Problème immédiat. J’élimine la question des contrats et celle des contenus illicites : • La question propriété virtuelle Question a commencé à se poser lorsque des joueurs ont commencé à vendre des biens « virtuels », voir leur compte, aux enchères sur Ebay. Le problème est que ces profits qui dérivent de l’usage du jeu échappent aux propriétaires de ces jeux. Moyen de capturer cette valeur ? Clauses contractuelles des EULA. Exemple : 'We and our suppliers shall retain all rights, title and interest, including, without limitation, ownership of all intellectual property rights relating to or residing in the CD-ROM, the software and the game, all copies thereof, and all game character data in connection therewith. You acknowledge and agree that you have not and will not acquire or obtain any intellectual property or other rights, of any kind in or to the CDROM the software or the game, including, without limitation, in any character(s), item(s), coin(s) or other material or property, and that all such property, material and items are exclusively owned by us.' Valeur de ces clauses? On utilise quelquefois le fondement de la propriété intellectuelle: '(i)n addition to violating the EUALA and the rules, selling and buying of individual characters, character attributes, items, objects and/or currency constitute an unauthorized modification of the data comprising the accounts involved in the transaction, an unauthorized modification of proprietary game content, an unauthorized use of the system, and violates Mythic’s intellectual property rights.' Valeur? La propriété intellectuelle est quelquefois utilisée pour empêcher des phénomènes de « Fan Art », etc. Quid de la création de personnages dans le cadre du jeu ? Suscite des pratiques. Exemple de fraudes : - utiliser des robots ; 4 - déstabiliser l’économie du jeu ; Question des virtual crimes (illustrations) • Problèmes à venir Liés au glissement de l’espace de jeu à l’espace de vie. Constat = Ces mondes virtuels seront des espaces privés, entièrement contrôlés par une société commerciale, régis par des accords contractuels souscris (EULA), qui généralement réserve de larges pouvoir d’exclusion des membres en cas non respect des règles établies. Problèmes sont susceptibles de se poser : problèmes de droits fondamentaux (liés à l’interaction sociale), problèmes liés aux aspects économiques des échanges. • Droits fondamentaux: liberté d’expression L’hypothèse n’est pas celle de savoir si le contrôle (étatique) des discours illicites s’applique dans les mondes virtuels (discours racistes, etc.). C’est bien sûr le cas. Sauf à indiquer certaines difficultés d’application (lié par exemple à la détermination de l’auteur de l’infraction). La question c’est celle de la réglementation « privée » du discours par l’éditeur. Discours pas illicite en soit mais qu’on interdit pour des raisons de politique commerciale par exemple, ou par censure privée. D’abord poser la question dans des termes américains. Pas transposables mais intéressants. Marsh v. Alabama Cour Supreme US 1946 The seminal case on the public function issue is Marsh v. Alabama, a 1946 U.S. Supreme Court decision involving a company town. In this case, a Jehovah.s Witness, Grace Marsh, attempted to disseminate her beliefs on the streets of Chickasaw, Alabama, which was entirely owned by Gulf Shipbuilding Corporation which employed most of the town.s residents. Chickasaw resembled a regular town in that it had a main street, a business district with stores and a residential neighborhood. It was not a gated community. The town and its shopping district were freely accessible by members of the public. Merchants rented stores in the business district and the U.S. Postal Service occupied one of them for purposes of delivering U.S. Mail to the residents. A Deputy of the Mobile County Sheriff, paid by the company, served as the town.s law enforcement officer. When Marsh went spreading the gospel on the main street, she was arrested for criminal trespass. She raised her rights under the First Amendment as a defense. The U.S. Supreme Court reversed her conviction on the ground that the state action requirement was met in that Gulf performed a public function in operating the company town. Suscite beaucoup de questions : mondes virtuels plutôt assimilables à des « shopping malls ». La plupart des Etats US considère que la liberté d’expression n’est pas applicable dans les centres commerciaux / Mais pas tous. 5 SI MAINTENANT JE TRANSPOSE CETTE PROBLEMATIQUE DANS DES TERMES PLUS FAMILIERS AU JURISTE FRANCAIS : L’ETAT DOIT-IL REGLEMENTER CET ESPACE D’EXPRESSION ? LES LIBERTES PUBLIQUES SONT-ELLES APPLICABLES DANS CES ESPACES ? Quid si demain un joueur questionne certaines formes d’organisation sociale du monde virtuel (sans porter atteinte au fonctionnement du jeu, sans critiquer l’organisateur du jeu) ? S’il créée un syndicat ? Intervenir ? Comment ? par une législation « édulcorée » ? des droits auxquels on pourrait renoncer par contrat (Licence Agreement)? A partir de quand passe-t-on du jeu à l’espace d’expression ? Garantir le pluralisme comme on le fait pour la télévision ? • Autres droits fondamentaux : Le respect de la vie privée / discriminations Faut-il préserver un espace privé ? Interdire les discriminations (exemple de la constitution de couples ou de communauté homosexuelles dans un jeu). • Problèmes liés aux aspects économiques Faudra-t-il : - Garantir la libre concurrence ? - Réglementer la publicité ? Encore un peu tôt. Mais ces questions seront un jour posées… et il faudra y répondre. II. • RELATIONS JOUEURS ENTRE EUX Virtual crime Vols / détournements contre joueurs • Contrats entre joueurs Exemples • Droit des biens 6 Les litiges en matière de propriété n’existent pas seulement entre joueurs et sociétés de jeu : exemple des litiges nés entre possesseurs virtuels et des mécanisme de règlement de ces litiges mis en place. Exemple : « Ainsi, dans le cadre des mondes artificiels, la notion de possession prend une place importante, susceptible parfois de donner lieu à des controverses virtuelles (disputes, en anglais) devant être tranchées par une autorité de régulation[16]. A titre d'exemple, le célèbre MUD LambdaMOO a connu de telles controverses[17] portant sur la revendication d'une forme de droit de propriété individuelle sur un objet virtuel et ce qui relève du "domaine public virtuel", répondant à un intérêt général. La question a donné lieu à de nombreuses discussions entre les adeptes de LambdaMOO, visant d'une part à définir ce que l'on peut apparenter à une forme de bien public, et d'autre part à déterminer sous quelles conditions un tel objet doit être intégré au "domaine public virtuel". Tirant toutes les conséquences de ces choix, il a fallu ensuite déterminer qui pouvait avoir la légitimité nécessaire pour le contrôler (son créateur, une autorité de régulation indépendante ?). Afin de trancher ces "controverses" relatives à cette forme de droits de propriété individuelle portant sur les objets du MUD LambdaMOO, un organisme indépendant en charge de la gestion de la propriété baptisé "Architecture Review Board[18]" (tenant lieu de cadastre du monde imaginaire) fut créé. Le "Architecture Review Board" fut par ailleurs chargé de gérer l'une des principales contraintes auxquels se heurtent les mondes virtuels : l'espace numérique disponible (au-delà d'un certain volume de données, le serveur sature). Au-delà d'un certain quota de données créées par utilisateur, l'ajout de nouveaux objets dont le créateur peut revendiquer la propriété est soumis à autorisation préalable de l'Architecture Review Board. Ces choix et modes de régulation de la communauté virtuelle de LambdaMOO illustrent sans doute là encore la place primordiale qu'occupe (culturellement) la notion de possession, voire de "propriété" dans nos sociétés (même virtuelles)... Suffisamment importante en tout cas pour qu'on éprouve le besoin d'organiser juridiquement et réguler ces pratiques. Ils démontrent ainsi la capacité d'organisation juridique (la capacité à créer du droit de façon spontanée et non préméditée) des communautés d'individus évoluant dans les univers virtuels. » Extrait de : La vente d'objets virtuels dans les MMOG/MMORPG, Litiges de propriété entre joueurs, Uther, Janv 2005, http://www.jeuxonline.info/article/mmog_vov106 EN CREANT DES MONDES VIRTUELS, ON RECREE VIRTUELLEMENT UNE GRANDE PARTIE DES PROBLEMES DU MONDE REELS. 7