Compte-‐rendu Le livre illustré de demain

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Compte-‐rendu Le livre illustré de demain
Compte-­‐rendu à l’intention de l’ANEL Le livre illustré de demain Organisation : « Dem@in le livre » et le Labo de l’édition Paris, mardi 31 janvier 2012 Par Sylvain Neault, consultant éditorial [email protected] Lors de cette rencontre sur le livre illustré numérique, trois interventions sont au programme afin de faire part des nouvelles avancées technologiques (Feedbooks) ou pour démontrer ce qui a été réalisé récemment dans ce domaine (Fleurus et Studio V2). Chacun des trois intervenants (seul ou en duo) ont eu une vingtaine de minutes pour leur présentation. Une courte période de questions a suivi chacune des interventions. La salle était presque comble au nouveau Labo de l’édition (lieu initié par par la Ville de Paris et inauguré le 7 décembre dernier) où se tiendront de nombreuses animations. Le Labo de l’édition a pour mission de soutenir et d’accompagner les éditeurs dans leur développement technique et commercial vers le numérique. Il est possible de recevoir des informations sur les animations en s’inscrivant à l’infolettre sur le site internet : www.labodeledition.com Première intervention : La page et le flux Présentée par Hadrien Gardeur de Feedbooks.com Hadrien Gardeur est le co-­‐fondateur de la société Feedbooks qui, depuis 2007, propose une librairie en ligne pour l’achat et le téléchargement de livres numériques (www.feedbooks.com). Cette plateforme de distribution est accessible en France, en Allemagne et aux Etats-­‐Unis. L’objectif de M. Gardeur dans sa présentation était simple : qu’est-­‐ce qu’une page et qu’est-­‐ce qu’un flux ? Quelles sont les différences entre la page et le flux lorsqu’il s’agit de livre numérique ? La page est de nature définie et ce sont ces créateurs qui en fixent les limites et les caractéristiques. Textes et images sont ainsi disposés selon une mise en forme déterminée, invariable d’un écran à l’autre. La technique employée est simple puisqu’il s’agit essentiellement de PDF avec ou sans images. Avant l’avènement de l’ePub, les premiers livres numériques ont ainsi été conçus, par simple numérisation de la page originale du livre papier. La multiplication des supports et la diversité des tailles d’écrans ont montré rapidement les limites (dans tous les sens du terme !) de la page fixe, devenue souvent illisible sur un plus petit écran comme celui du smartphone. Aussi, l’ePub a remplacé le PDF et est devenu le format standard du livre numérique, plus souple et flexible, proposant un flux identique à ce qui se pratique sur le web grâce au langage HTML. A l’inverse de la page définie, le flux propose plutôt une fenêtre indéfinie dans laquelle vient se disposer textes et images en fonction de la taille de l’écran ou du simple changement de taille ou de police de caractères. Afin de bien illustrer son propos, M. Gardeur a fait la démonstration d’une page fixe avec une image. Lors de la conception du livre, l’image a été insérée à un endroit précis du texte qu’elle vient ponctuer. Avec l’affichage en flux, cette même illustration se déplace en fonction des diverses modifications possibles indiquées plus hauts (la démonstration a été faite avec un iPad en le positionnant tantôt verticalement, tantôt horizontalement, en augmentant ou diminuant les caractères, etc.) et, du coup, l’image n’apparaît plus là où il était prévu qu’elle apparaisse comme sur la page fixe. Le rapport texte/image est alors rompu et il n’y a plus de cohérence dans la lecture des deux éléments devenus distanciés. L’avantage du flux avec l’ePub permet de lire un même livre sur (presque) tous les supports mais le livre illustré, quant à lui, perd de sa qualité originelle. Parfois, nous l’avons vu, le résultat est même plutôt raté visuellement (par exemple une image décalée à la fin d’un paragraphe, isolée sur une autre page). Une solution a été développée par Apple que l’on désigne par un ePub « fixed layout » (proche de l’ePub3). M. Gardeur n’est pas entré dans les détails techniques mais il a fait la démonstration avec un livre illustré pour la jeunesse. Disons que cette version de l’ePub est un compromis entre la page fixe définie par l’éditeur et l’affichage par flux en fonction de l’appareil de lecture. Ici, il n’y a plus la possibilité de modifier la typo ou la taille de caractères : le livre se présente ouvert, sur toute la surface de l’écran, sur une ou deux pages et le lecteur tourne les pages, comme pour un livre papier. Le « fixed layout » est finalement un flux à fenêtre non recomposable. L’inconvénient de ce format c’est qu’il est adapté essentiellement pour les appareils Apple (iPad et iPhone) et non pour l’ensemble des tablettes et des liseuses. Il faut dans tous les cas que l’éditeur multiplie les designs en fonction des technologies des différents périphériques. Une solution est en cours de développement (l’ePub4 ?) suite aux échanges entre professionnels au sein de l’IDPF (International Digital Publishing Forum : www.idpf.org) qui ont eu lieu à Taipei en octobre 2011. Vraisemblablement, la nouvelle technologie irait vers un « responsive design » qui tient compte, dès la conception du livre, de tous les formats d’écrans et d’appareils. On peut déjà en voir un exemple sur le net avec The Boston Globe (www.bostonglobe.com) dont le contenu s’adapte en fonction de la taille de l’écran. Pour s’en rendre compte, il suffit simplement de moduler sa fenêtre sur un ordinateur (plein écran à écran très réduit) ou en comparant avec un smartphone. Ici, textes et images s’affichent avec une cohérence déterminée par l’écran et restent lisibles selon une disposition différente, adaptée (on parle aussi d’ « adaptive design ») selon le périphérique. Fini les adaptations multiples selon les appareils et les tailles d’écran ? L’avenir est prometteur de solutions : rien n’est encore bien défini mais les innovations logicielles se développent très rapidement Enfin, très brièvement, M. Gardeur a abordé la question des métadonnées (les éléments qui identifient le livre et son contenu), essentielles à une meilleure valorisation et diffusion des livres numériques sur les plateformes de vente. Pour s’en convaincre, il suffit de parcourir son site internet ou celui de l’Immatériel (www.librairie.immateriel.fr) pour constater l’importance des métadonnées dans la recherche d’un livre dans la sélection par tri des catégories. Il a souligné que les éditeurs doivent fournir le maximum de métadonnées, qui sont souvent insuffisantes. Le Syndicat national de l’édition, Electre et Dilicom ont recommandé aux éditeurs l’usage de la norme ONIX (une version 3.0 vient d’être traduite en français par le Cercle de la librairie) pour la transmission des métadonnées interprofessionnelles lors d’Assises qui ont eu lieu à Paris en novembre 2011. Deuxième intervention : Le livre illustré numérique chez Fleurus Présentée par Julien Garcia et Anne de Lilliac Les éditions Fleurus font partie depuis 1984 du groupe Médias Participation (un groupe de presse et d’édition : www.media-­‐participations.com) dans lequel on trouve également les éditions Rustica, Mango et Mame (groupe Fleurus : www.fleuruseditions.com) et des maisons d’édition de bandes dessinées, telles Dargaud, Lombard et Dupuis. Les principaux secteurs éditoriaux du groupe Fleurus sont le livre jeunesse, le pratique, le livre de cuisine et environ 80% du catalogue est constitué d’ouvrages illustrés. Dès 2009, Julien Garcia et Anne de Lilliac, responsables du développement numérique au groupe Fleurus, ont eu le mandat de constituer un catalogue de livres numériques à partir du fonds existant. A l’heure actuelle, environ 400 titres, tous illustrés, sont disponibles en version dématérialisée. La stratégie de Fleurus s’est articulée à partir de deux axes de réflexion qui ont déterminés leur modèle économique pour le développement du numérique, à savoir le choix du format et de la diffusion. Ainsi, les deux intervenants ont fait leur présentation à partir de ces deux données. Alors que l’ePub était au départ le format essentiellement valable pour le texte, Fleurus a adopté ce format pour ses livres illustrés. Le format de l’application n’a pas été retenu pour des raisons économiques et commerciales. En effet, l’objectif était de constituer un catalogue, assez rapidement, à moindre coût et avec une diffusion large. La direction a souhaité proposer des livres numériques, non enrichis, peu chers (entre 50 et 60% du prix de la version papier), sans DRM et lisible sur un maximum de périphériques. Le choix du format de l’ePub, plutôt que l’application, allait donc dans ce sens. Fleurus a également mis en place sa propre plateforme de téléchargements payants sur son site internet et propose des extraits gratuits pour découvrir leur offre. L’onglet « livres numériques » sur la page d’accueil du site internet est facile d’utilisation pour les lecteurs non-­‐
initiés. Une partie importante du catalogue étant disponible en numérique, Fleurus n’exclu pas de considérer l’avancée des technologies pour leurs nouveaux projets. Ainsi, quelques nouveautés ont été conçues en « fixed layout » ou en intégrant des sons et de la vidéo, sachant que l’enrichissement n’était pas l’objectif du départ. Le premier titre proposant de la vidéo a été Trichez aux cartes !. Les vidéos étaient déjà disponibles sur le DVD qui accompagnait le livre papier et elles étaient un réel complément au livre : elles permettaient de bien visualiser et maîtriser ensuite les techniques de triche ! Dans la version numérique, les vidéos ont été intégrées en rapport avec le texte. En ce qui concerne la commercialisation, Fleurus prévient le consommateur en indiquant qu’une version sans vidéo existe également pour les liseuses qui ne peuvent les lire. (Après vérification, on s’aperçoit que seule la version avec vidéo est disponible sur iBooks d’Apple, la version sans vidéo sur les plateformes de librairies, telles Feedbooks et Immatériel et aucune version disponible sur le site de Fleurus !). Bien qu’encore peu importantes dans le CA de Fleurus, les ventes actuelles du numérique ont tendance à augmenter de manière significative par rapport à 2009-­‐2010 (les intervenants non pas voulu donner de chiffres) et leurs meilleures ventes sont les courtes histoires pour enfants (tirées de recueils) au coût de 0,99€ l’unité. Troisième intervention : La coccinelle aux éditions Gallimard & Studio V2 Présentée par Jean-­‐Marie Lagnel et Sébastien Marchal Studio V2 (www.studio-­‐v2.com) est une société de création graphique créée en 2007 et présidée depuis 2011 par Jean-­‐Marie Lagnel et dont le responsable de l’animation et du dévelop-­‐
pement est Sébastien Marchal. Tous deux sont venus présenter le livre La coccinelle, une application disponible uniquement pour iPad et iPhone, qui s’adresse à de jeunes lecteurs (ou utilisateurs devrait-­‐on préciser puisqu’il y a très peu de texte à lire) de 3 à 6 ans. La version papier, parue chez Gallimard en 1989, dans la collection « Mes premières découvertes » s’adresse à des lecteurs de 2 à 5 ans (www.gallimard-­‐jeunesse.fr/Catalogue/GALLIMARD-­‐
JEUNESSE/Mes-­‐premieres-­‐decouvertes-­‐nouvelle-­‐presentation/La-­‐coccinelle). Précisons que le principe de cette collection éditée par Gallimard Jeunesse est à la fois ludique et éducatif. En effet, « ces livres interactifs stimulent la curiosité des 2-­‐5 ans en montrant l'intérieur et l'envers des choses » que ce soit un végétal, un animal, un objet, grâce à l’intervention astucieuse de pages transparentes illustrées qui viennent se superposer sur une autre illustration pour lui ajouter un complément visuel du type avant/après, dedans/dehors, etc. Ces superpositions d’illustrations apportent un élément dynamique à la lecture et à la compréhension des sujets traités, s’approchant d’une certaine forme d’animation. Ici, dans la version numérique, élaborée avec beaucoup de soins par Studio V2 pour Gallimard, la notion d’animation prend tout son sens. Une démonstration vidéo est visible sur leur site internet : www.studio-­‐v2.com/coccinelle-­‐gallimard/. Tout le potentiel des moyens techniques accessibles grâce à la technologie développée par Apple pour les tablettes iPad semble avoir été exploité. Les concepteurs ont gardé les illustrations originales et les ont utilisées avec le même but pédagogique et ludique, propre à la collection, mais en variant les animations qui, pour le livre papier, fonctionnaient plus sommairement avec la seule page transparente. La comparaison entre le livre et l’application devient donc difficile. L’esthétique et le contenu sont les mêmes (à quelques variantes près) mais là s’arrêtent la similitude. L’application propose une variété d’animations et contient des sons et une narration auditive que le livre papier n’a pas. Pour autant, s’est interrogé le public, s’agit-­‐il au final d’un livre ou d’un jeu, certes éducatif ? La question ne se posait évidemment pas avec la version papier. Elle se pose davantage ici puisque la notion de « livre » numérique illustré et animé, en partie parce qu’il est dématérialisé, soulève un certain débat ontologique que n’ont pas voulu aborder les intervenants. L’application est disponible au prix de 3,99€ sur l’App Store (le livre papier coûte 8,00€) et Studio V2 doit sortir sous peu une autre application, issue de la même collection : La Forêt. Il faut souligner que l’entente avec Gallimard a pour objectif de produire plusieurs applications à partir des titres de la collection, en grande partie pour rentabiliser les outils, mis en œuvre pour le premier titre, qui seront ensuite facilement réutilisables. Des versions en langues étrangères sont disponibles en anglais, allemand, russe et chinois, produites également par Studio V2. La notion de la rentabilité, au vu des investissements engendrés, n’a pas été abordée explicitement : la prudence semble de mise et, chez Gallimard, on teste encore le marché. Le public a, en tout cas, bien apprécié le résultat esthétique et dynamique de cette application.