LEON GAUTIER , élève canonnier à bord du COURBET en 1940

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LEON GAUTIER , élève canonnier à bord du COURBET en 1940
LEON GAUTIER , élève canonnier à bord du COURBET en 1940
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Pour magnifier la victoire
d'un pays exsangue qui a aussi
perdu sa puissance au fond
des tranchées, les gamins bretons comme tous les autres
du pays, apprennent à chanter
la Marseillaise sur les bancs
de la communale. C'est tout
naturellement que Léon chante
à tue-tête devant le monument
aux morts de son village sous
le regard de l'instituteur, du
maire et des anciens combattants. Léon Gautier, crie
sa haine du « boche » au rythme entraînant du chant
tricolore. Le soir, à la lueur vacillante des lampes à
pétrole, on en parle encore et toujours de la Dernière…
Les portraits des pères des oncles ou des frères sont là,
posés sur la cheminée pour rappeler qu'ils sont tombés
au champ d'honneur. Dans l'ombre des conversations,
Léon écoute les grands qui fabriquent de l'amertume.
Au fur et à mesure que l'heure passe et que les bouteilles
se vident le ressentiment se fait de plus en plus vif.
Alors, pour ces récits qui le hantent, debout devant le
beau monument qui renvoie des douleurs bien mal
éteintes, Léon chante la vengeance et appelle à la revanche.
Les années passent ainsi ponctuées de « 11 novembre
brûlants ». Elles passent, chaotiques, jusqu'à l'instant
où la France populaire goûte aux délices des victoires,
celles des congés payés et de la semaine de 40 heures.
Pendant ce temps, tout près, un autre peuple soumis aux
vociférations hitlériennes, a choisi d'adhérer à la propagande de Goebbels. L'année 1939 arrive et quand le
3 septembre, Daladier confirme le drame, notre jeune
breton rejoint Brest et s'engage dans l'école des canonniers à bord du cuirassé COURBET. Il a 17 ans et est trop
jeune pour les blindés ou l'aviation, c'est donc la marine
qui accueille Léon bien décidé à en découdre. Pendant
cette année d'attente et loin d'un front faussement rassurant, Léon va apprendre dans l'arsenal du Ponant les
rudiments du marin au contact d'une discipline de fer.
La rébellion des poilus et la mutinerie à bord du
cuirassé La FRANCE stationné en mer Noire en 1917,
ajoutées aux profonds mouvements d'opinion que
connaît la France de l'entre deux guerres, ne laissent
aucune place à une insubordination à bord d'un navire
de ligne tel que le COURBET fort de 1 200 hommes
d'équipage, alors que le pays est en guerre.
Devenu élève de la marine nationale, Léon salue
son supérieur à six mètres, il dort dans un hamac tendu
sous la batterie de 75mm dont il apprend la manœuvre.
C'est aussi dans cet univers d'un poste d'équipage spartiate qu'il épluche les patates dont une partie revient de
droit aux officiers. Du navire, il en connaît peu de choses.
La passerelle lui est interdite et les machines ne se visitent que sur demande. Canonnier, il veut être, canonnier,
il sera.
La vie à bord du COURBET est le reflet parfait de
la société du moment. Le plus souvent issus de la vieille
classe dirigeante combattue par les partis politiques, les
officiers supérieurs souvent cooptés pour leurs origines
sont parfois de médiocres marins. Ils sont peu progressistes et gardent une défiance aristocratique envers les
hommes du rang.
A bord du bâtiment, le jeune Léon suit les cours du
matin et de l'après-midi. Il y découvre la balistique, les
forces de gravitation, les différents modèles de culasses,
et les divers types de munitions. Bon élève, il s'instruit et
bientôt il sera spécialiste du moderne canon de 75mm.
Et même quand on lui impose une quinzaine de jours
de cachot à fond de cale pour avoir laissé tomber à l'eau
malencontreusement un quartier de viande lors d'une
de ces pénibles corvées de ravitaillement, Léon accepte
la punition sans broncher. Mais, il sait jouer aussi de la
fatuité des hommes. Il accepte la clémence de l'aumônier du bord qui intercède pour lui auprès de Wietzel,
alors officier en second du bâtiment : il obtient de ce
dernier, l'amnistie sous le couvert du goupillon.
Entre école et corvées, Léon attend sur les bords de
la Penfeld une guerre qui ne vient pas. Le COURBET
est un vieux navire, il fonctionne toujours au charbon et
régulièrement, il faut regarnir les soutes avec des briquettes
que l'on se jette de bras en bras. C'est dans ce cordon
humain qui va du quai aux profondeurs du cuirassé que
Léon exécute la manœuvre éreintante qui dure à chaque
fois deux longues journées. Régulièrement, il monte dans
le tripode où il astique un projecteur jusqu'à en user le
cuivre. Les nouvelles sont mauvaises d'où qu'elles viennent. Ce soir, il est en permission.
Les revues de détail sont nombreuses à bord et le
marin doit avoir une tenue parfaitement propre. Aussi,
après avoir montré réglementairement son slip immaculé
comme un laissez-passer, il peut traîner rue de Siam et
dans les ruelles adjacentes pour écouter la guerre qui se
prépare. Elle s'affiche pleine page dans les journaux, elle
s'annonce partout dans les conversations.
Alors, un jour, pendant que de multiples embarcations marchandes et militaires s'accumulent devant la
Pointe des Espagnols pour fuir vers des ports plus cléments, le COURBET largue les amarres. Le cuirassé part
enfin à la guerre, il sort du Goulet en montant vers le
nord les machines à plein régime. Il quitte Brest emportant
ses hommes vers la gloire ou la mort, dont beaucoup,
sans les connaître, rêvent d'être un Lamotte-Piquet ou
un De Grasse.
A bord, Léon fixe l'écume qui glisse sur la coque et
songe aux maisons bretonnes où les portraits dansent
encore dans les lueurs, il entend toutes ces voix qui finirent
par s'unir pour fabriquer la catastrophe. Dans ses pensées,
il oublie la visite qu'il avait faite à la Tour Rose. Il ne s'en
souviendra que quelques années plus tard, un certain
6 juin 1944.
NOTE DE L'AUTEUR.
LAMOTTE-PIQUET et DE GRASSE :
personnages français qui partirent de Brest
pour participer aux opérations qui contribuèrent
a l'indépendance des Etats Unis d'Amérique
en 1783. De nombreux navires de la Marine
Nationale porteront successivement ces noms
prestigieux dans l'histoire de la guerre d'indépendance Américaine.
La TOUR ROSE: il s'agit du monument
élevé en 1927 par l'Americana Battle Monuments
pour commémorer l'accueil des Brestois réservé
aux soldats américains durant la grande guerre.
Elle est détruite en 1941 par les bombardements
et reconstruite en 1951.
Dessin de Albert Brenet.
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Les derniers instants
Certains somnolaient encore quand LE FLOCH
donna les ordres pour hisser les ancres. Vers 11 heures 15,
le SANSONIA et le GROWLER tractèrent le COURBET
et à 13 heures, le cuirassé venait s’immobiliser à 3360 mètres
du rivage dans le 351°5 du sémaphore de Ouistreham. Les
touées furent larguées définitivement et les remorqueurs
ainsi libérés, s’éloignèrent prestement. Ils firent chacun un
arc de cercle et se mirent à distance du COURBET en
positionnant leur proue vers le condamné. Dans le même
temps, le second envoya les hommes aux postes d’évacuation et WIETZEL, resté seul sur la passerelle, actionna sans
hésiter la mise à feu des charges explosives. Pendant une
fraction de seconde il ne se passa rien, puis un bruit sourd
et des frémissements venus des profondeurs annoncèrent
la fin du navire.
Doucement l’énorme masse s’enfonça sous les yeux
des officiers qui saluèrent le pavillon tricolore claquant au
vent. Les mouvements d’air qui luttaient bruyamment contre
l’eau envahissante, s’apaisèrent. Digne et droit, le COURBET
reposa par 11 mètres de fond à un endroit qu’il n’allait
plus jamais quitter.
Le commandement naval britannique avait remarqué
l’attirance que le vieux cuirassé exerçait sur les servants de
l’artillerie côtière et les aviateurs ennemis. Pour l’accroître
encore, il fit hisser à son mât de tripode un immense
pavillon tricolore frappé de la croix de Lorraine, et de ce
jour, le COURBET devint un pôle d’attraction irrésistible
pour les obus, les bombes et les torpilles ennemies, sans
toutefois causer de réels dommages.
Plus tard, alors qu’il remplissait efficacement son rôle
de brise-lame et de guet anti-aérien, il fut au cours de la
nuit du 16 au 17 août, la victime indifférente de la dernière
sortie des torpilles humaines allemandes, les Marder, venues
de Houlgate. Le cuirassé reçut coup sur coup deux torpilles
qui ne modifièrent en rien sa position mais qui malgré
tout, brisèrent sa coque.
La barre à zéro, terminé pour les machines !
Les deux officiers français saluèrent réglementairement
les artilleurs anglais qui prirent possession du bâtiment
immobile à cet instant précis.
Après un bref séjour à terre, l’équipage embarqua sur
le GROWLER qui appareilla le lendemain à 7 heures à
destination de Portsmouth.
Le drapeau tricolore flotte au mât de misaine du COURBET après son sabordage.
Le drapeau à croix de Lorraine flotte
au sommet du tripode.
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Immobile après sa dernière mission, LE COURBET ne bougera plus jamais de cette position.
Le cas est sûrement unique dans l'histoire de la Marine Nationale.
Quelques mois plus tard, le front se déplaça
vers le Nord et l’Est de la France. En novembre
1944, les opérations militaires étaient terminées
en Normandie et toutes les installations portuaires
temporaires furent officiellement abandonnées.
Ces équipements connurent des fortunes
diverses ; emportés par les tempêtes successives
pour les uns, démontés, réemployés, renfloués et
ferraillés pour d’autres, ou tout simplement laissés
sur place tels les derniers témoins de cette aventure
hors du commun.
Les traces de leur existence aujourd’hui,
réservent bien des surprises aux explorateurs
passionnés par cet immense cimetière marin.
Gabriel Serra à propos du DUNVEGAN HEAD
Les deux tourelles double de 305mm superposées à l’avant et à l’arrière. On lit souvent qu’elles tirèrent des salves contre l’ennemi et
qu’elles furent ensuite récupérées par la Marine Nationale. Tout cela est faux et fait partie de la légende. En 1944, les pièces de
305mm étaient hors d’usage et le bateau dépourvu d’énergie pour les faire fonctionner. Les tourelles furent ferraillées en 1946.
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… nous avons effectué ce déchargement de plus de
500 tonnes d'obus et une fois allégé, remis ce bateau à flot
qui a été vendu en vue d’une remise en service après travaux.
Les 500 tonnes d'obus ont été neutralisées et traitées
par nos soins avec l'aide d'un commando de prisonniers
de guerre allemands. Ces derniers nous avez été « loués »
par le centre de prisonniers de guerre de Caen qui se
situé route de Thury-Harcourt. Les hommes au nombre
de vingt, été gardés par un surveillant français armé
d'un fusil et d'une bicyclette. Nous les avons hébergé dans
une villa rue des Dunes à Ouistreham, villa transformée
pour l'occasion en mini camp de prisonniers. Leur travail
consistait à décharger l'épave sur la plage et à transporter
les munitions dans un blockhaus à proximité.
Il fallait séparer les douilles en laiton de l'obus
proprement dit après avoir dévissé les fusées. La poudre
propulsive provenant des douilles servait en brûlant, à
chauffer l'eau à température élevée dans un grand
chaudron dans lequel étaient plongés les obus. Cela faisait
fondre l'explosif contenu à l'intérieur des obus. Il était
récupéré et servait pour les travaux de destruction sousmarins. Les munitions ainsi neutralisées représentaient
de très bons métaux prêts à être vendus…
Un LCT anglais échoué et abandonné devant les villas détruites à Hermanville-sur-Mer.
Le DUNVEGAN HEAD ou LE KERRY HEAD. Ce petit cargo touché par les
Allemands contenait 500 tonnes d’obus. Ils furent déchargés par les Serra. On aperçoit
nettement des mitrailleuses sur le château. Le navire sera remis à flot puis vendu.
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