Le CHSCT et le recours à l`expert
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Le CHSCT et le recours à l`expert
service droit en pratique Le CHSCT et le recours à l’expert Le CHSCT peut avoir recours à une expertise dans deux cas : le risque grave et le projet important. Que signifient ces deux termes ? Explications de texte. L e comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail (CHSCT) a la possibilité de faire appel aux services d’un expert agréé afin de l’aider à se déterminer en certaines circonstances. En effet, aux termes de l’article L. 4614-12 du Code du travail : « Le comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail peut faire appel à un expert agréé : 1) lorsqu’un risque grave, révélé ou non par un accident du travail, une maladie professionnelle ou à caractère professionnel, est constaté dans l’établissement ; 2) en cas de projet important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail… » (art. L. 4614-12 du Code du travail). Deux cas permettent donc aux CHSCT le recours à l’expertise : le risque grave et le projet important ayant un impact sur les conditions de travail. Le risque grave La loi ne donne pas de définition du risque grave. Elle laisse le soin au juge d’en préciser les contours lors de litiges soumis à son examen. Ce dernier va considérer si, au vu des éléments de fait, le risque grave existe. Cette gra- 48 Travail & Sécurité– Novembre 2010 vité est appréciée par rapport aux conséquences, c’est-à-dire si la situation de travail qui engendre le risque est susceptible de porter atteinte à l’intégrité physique et/ou à la santé mentale. La Cour d’appel d’Orléans précise à cet égard qu’un risque grave doit s’entendre comme un péril qui menace ou compromet la santé ou la sécurité des salariés (1). À titre d’illustration, la jurisprudence a appliqué la notion de risque grave aux cas suivants : • présence excessive de fumée et poussières nocives résultant d’une insuffisance de ventilation. L’employeur n’avait pas envisagé de procéder aux travaux nécessaires malgré plusieurs mises en demeure de l’inspecteur du travail (2) ; • lombalgie et niveaux sonores supérieurs aux normes avec des cas de surdités professionnelles déclarées (3) ; • agression d’agents par le public (4). • aggravation des pathologies dépistées en rapport avec le stress professionnel constatée par le médecin du travail. En l’espèce, la mission de l’expert était notamment d’étudier les pratiques de management imposées par la direction (5) ; • s ituation de tension chronique extrême et persistante constatée par l’inspecteur du travail et ce, en dépit du plan d’action mis en œuvre par la direction qui n’a pas su mettre fin à des ingérences dans la vie privée des salariés et à des comportements proches du harcèlement moral (6) ; • harcèlement moral où le CHSCT avait démontré le lourd malaise dans l’établissement et les troubles ressentis chez plusieurs salariés (7). A contrario, ne constitue pas un risque grave : • un suicide ; même si celui-ci légitime des interrogations sur les conditions de travail, il ne justifie pas à lui seul le recours à un expert agréé (8) ; • les accidents de la circulation, ayant touché plusieurs membres du personnel lors de leurs déplacements. Par conséquent, doit donc être annulée la délibération du CHSCT de l’établissement ayant décidé une expertise en application de l’article L. 236-9 (L. 4614-12) (9). Il convient de noter le caractère fondamental des preuves et éléments apportés par le CHSCT quant à la réalité des faits invoqués au soutien de la demande d’expertise et qui feront l’objet d’une analyse détaillée par le juge. Un projet important Le deuxième cas de recours à l’expert est l’existence d’un projet important modifiant les conditions d’hygiène et de sécurité ou les conditions de travail. En application de l’article L. 4612-8 du Code du travail, constitue un projet important : « toute décision d’aménagement important modifiant les conditions de santé et de sécurité ou les conditions de travail ; toute transformation des postes de travail découlant de la modification de l’outillage, d’un changement de produit ou de l’organisation du travail ; toute modification des cadences et des normes de productivité liées ou non à la rémunération du travail ». Sur le fondement de cet article, les juges ont pu considérer que constituait un projet important justifiant le recours à un expert : • un projet de regroupement du personnel sur un même site, impliquant notamment des problèmes de restauration collective (10) ; • un projet de changement d’horaires sur un effectif de 400 salariés, dont 255 étaient postés. Le changement d’horaires les affectait directement et le médecin du travail avait rappelé que le travail posté était en soi perturbateur des rythmes biologiques. La Cour d’appel en avait conclu qu’il était préférable de se rapprocher de ces rythmes biologiques et en a déduit que les conditions posées par l’article L. 236-9 (L. 4614-12) du Code du travail – qui permet au CHSCT de recourir à une expertise – étaient réunies (11). Cependant, ne constitue pas un projet important le réaménagement de l’organigramme prévoyant la restructuration de l’encadrement sans transformation des postes de travail. Dans cette affaire, la Cour d’appel qui a relevé que « le projet de la direction concernait le réaménagement de l’organigramme en redéfinissant des divisions, en prévoyant la restructuration de l’encadrement, la simplification de la gestion mais ne prévoyait nullement de transformation importante © Gaël Kerbaol/INRS des postes de travail, aucun changement de métier, aucun nouvel outil, ni modification des cadences ou des normes de productivité, ce dont il résultait que le projet n’était pas un projet important au sens de l’article L. 236-9 du Code du travail » a pu décider que le recours du comité d’hygiène, de sécurité et des conditions de travail à une expertise ne se justifiait pas (12). Récemment, la Cour de cassation a affirmé que le nombre des salariés ne détermine pas à lui seul l’importance du projet. Elle précise que ce qui permet de justifier le recours à l’expert, c’est l’impact réel qu’a le projet sur les conditions de santé et de sécurité des salariés ou sur leur conditions de travail (13). Elle confirme que le seul critère « quantitatif » pour évaluer l’importance du projet n’est pas suffisant. Des modalités et une procédure Désignation de l’expert La désignation de l’expert a lieu lors d’une séance plénière du CHSCT au cours de laquelle les élus exposent les motifs de leur demande, en justifiant ce qui constitue la gravité d’un risque ou l’importance d’un projet. En cas d’urgence, deux membres du CHSCT peuvent demander une réunion extraordinaire dans le but de désigner un expert (14). À la suite de cet exposé, intervient une délibération prise à la majorité simple. Seuls les membres titulaires présents participent au vote. Le vote porte tant sur le principe de la désignation de l’expert que sur l’étendue de ses pouvoirs. Le CHSCT doit choisir l’expert sur la liste des experts agréés par arrêté du ministère chargé du Travail (15). Il revient au secrétaire du CHSCT d’informer l’expert de sa nomination et de rédiger une lettre de mission en ce sens. Obligations et rôle de l’expert Le rôle de l’expert est d’apporter des éléments sur un problème requérant son savoir-faire technique. À ce titre, il présentera en réunion plénière devant le CHSCT les conclusions de son rapport qui comportera, dans la mesure du possible, des préconisations en vue d’améliorer la prévention des risques, résultant soit du constat d’un risque grave, soit du projet important de réorganisation. En cas de projet important, l’expertise est réalisée dans un délai d’un mois. Ce délai peut cependant être prorogé dans la limite de quarantecinq jours à compter de la nomination de l’expert, pour tenir compte des nécessités de l’expertise (16). L’employeur ne peut s’opposer à l’entrée de l’expert dans l’établissement. Il lui fournit les informations nécessaires à l’exercice de sa mission. L’expert est tenu aux obligations de discrétion et de secret professionnel, notamment pour toutes les questions relatives aux procédés de fabrication dont il aurait eu connaissance dans le cadre de son expertise (17). Frais d’expertise et de procédure Le CHSCT n’ayant pas de budget propre, les frais d’expertise sont à la charge de l’employeur (18). Selon la jurisprudence, l’employeur doit supporter le coût de l’expertise et les frais de la procédure de contestation éventuelle de cette expertise, dès lors qu’aucun abus du CHSCT n’a été établi (19). Contestation de l’expertise L’employeur qui entend contester la nécessité de l’expertise, la désignation de l’expert, le coût, l’étendue ou le délai de l’expertise saisit le juge judiciaire (20). Le Président du Tribunal de grande instance saisi statue sous la forme de référés, c’est-à-dire en urgence, ce qui permet d’éviter que le projet de modification ne soit retardé trop longtemps. La procédure de contestation par l’employeur suspend la décision du CHSCT. 1. Cour d’appel d’Orléans, arrêt du 27 janvier 2005, RG N° 04/01624, Brand industries c/CHSCT. 2. Cour de cassation, Chambre sociale, arrêt du 19 décembre 1990, pourvoi n° 89-16091. 3. Cour d’appel de Nancy, arrêt du 25 juin 1996. 4. Cour d’appel de Paris, arrêt du 5 octobre 1999. 5. Cour d’appel d’Aix-en-Provence, arrêt du 5 juillet 1999. 6. Cour d’appel de Versailles, 14e chambre SA c/CHSCT de l’établissement de Malakoff Maif, arrêt du 24 novembre 2004 n° 04/07486. 7. Cour d’appel de Paris, 14° chambre B, arrêt du 31 mars 2006. 8. Cour d’appel de Versailles, 23 novembre 1988. Soc., 3 avril 2001. 9. Cour de cassation, Chambre sociale, arrêt du 3 avril 2001 n° 99-14002. 10. TGI de Paris arrêt du 8 septembre 2006, n° 06-56904. 11. Cour de cassation, Chambre sociale, arrêt du 24 octobre 2000 pourvoi n° 98-18240. 12. Cour de cassation, Chambre sociale, arrêt du 26 juin 2001, pourvoi n° 9916096. 13. Cour de cassation, Chambre sociale, arrêt du 10 février 2010, pourvoi n° 08-15.086. 14. Article L. 4614-10 du Code du travail. 15. Cette liste est publiée chaque année au Journal officiel de la République française. La liste des experts agréés figure également sur le site de l’INRS : www.inrs.fr. 16. Article R. 4614-18 du Code du travail. 17. Article R. 4614-17 du Code du travail. 18. Article L. 4614-13 du Code du travail. 19. Cour de cassation, Chambre sociale, arrêt du 12 janvier 1999, pourvoi n° 97-12794. 20. Article L. 4614-13 du Code du travail. Claire Soudry Travail & Sécurité – Novembre 2010 49