La crise en Pologne

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La crise en Pologne
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La crise en Pologne
Krzysztof Pilawski
A
près des années de bouleversements économiques, la crise financière
a frappé la Pologne de façon spectaculaire. Parallèlement à une hausse du
chômage et à une diminution de la production industrielle, la crise a entraîné une
division entre partisans d’une politique libérale et partisans d’une politique sociale.
En juin 2008, un célèbre journaliste polonais a annoncé dans Polityka, l’hebdomadaire le plus influent de Pologne : « un zloty fort, une baisse du dollar,
des faibles droits de douane à l’importation donnent enfin à des millions de
Polonais la possibilité de consommer, ce dont aucune génération encore en vie ne
peut même se souvenir. Des millions de Polonais ordinaires sont rapidement entrés dans le monde ludique de la consommation ». Moins de quatre mois plus tard,
le même journaliste, déclarait : « C’est une crise. Nous ne pouvons pas nous attendre à ce qu’elle se termine à la fin d’un cycle économique typique. Elle se traduira
par un changement fondamental de mentalité, de civilisation, d’idéologie et par un
changement géopolitique qui est déjà en partie perceptible ». Pendant des mois en
Pologne, on a observé avec curiosité le déclin du marché financier aux États-Unis
et les épreuves de nombreux citoyens étatsuniens ordinaires chassés de leur
maison parce qu’ils étaient devenus insolvables. C’était, croyait-on, un monde
lointain qui n’avait rien à voir avec la Pologne.
Les bouleversements économiques
Le climat social en Pologne, l’an dernier, était le meilleur depuis la transformation du système en 1989. Les centres de recherche sur l’opinion publi-
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Augmentation du PIB en Pologne de 2001 à 2008 sur la base des données de
l’Office central de statistiques (Główny Urząd Statystyczny)
Année
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
Évolution du PIB par rapport
à l'année précédente (en
pourcentage)
1
1,4
3,8
5,3
3,2
6,1
6,7
4,8 (données estimées)
PIB (en milliards de
zlotys)
7508
7811
8147
8837
9677
10602
11753
Salaire annuel moyen en Pologne de 2001 à 2008 sur la base des données de
l’Office central de statistiques (Główny Urząd Statystyczny)
Année
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
Salaire (en zlotys)
2.062
2.133
2.201
2.290
2.380
2.477
2.691
2.944
La hausse des salaires s’est accompagnée d’une diminution du chômage.
En 2008, pour la première fois depuis novembre 1998, le chômage est tombé au-dessous de 10 %. Les travailleurs de la construction, les ouvriers et les
La crise en Pologne
que enregistraient des niveaux de satisfaction inégalés à la suite de l’abolition du communisme et de son remplacement par un nouveau système. En
juillet 2008, le salaire moyen en Pologne était équivalent à mille euros. C’était
11,6 % de plus qu’en juillet 2007. Les augmentations de salaires dépassaient
de trois fois le taux d’inflation. On pouvait croire que les Polonais allaient
bientôt cesser de chercher des emplois mieux payés à l’étranger.
Krzysztof Pilawski
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ingénieurs de nombreux secteurs, les vendeurs et les conducteurs pouvaient
choisir parmi de nombreuses offres d’emploi. Les employeurs qui souffraient
de pénuries de personnel attiraient les employés potentiels avec des salaires
élevés. Pendant une courte période, la plupart des Polonais ont pensé que cet
état de choses − la hausse des salaires et la sécurité d’emploi − durerait éternellement. Et cette conviction était partagée par les analystes d’institutions
financières de haut niveau. Le climat social qui en a résulté reflétait l’optimisme des consommateurs et cela a été l’un des moteurs du développement
économique. Les Polonais ont acheté des maisons et des appartements, des
voitures, de nouveaux meubles, des téléviseurs à écran plasma et des ordinateurs. Un nombre croissant de personnes ont décidé d’aller en vacances deux
fois par an à l’étranger — en été et en hiver. Afin de financer tout cela, ils ont
contracté des prêts auprès de banques qui rivalisaient les unes avec les autres
et offraient de l’argent sans se préoccuper des capacités de remboursement ou
des garanties.
Taux de chômage en Pologne de 2001 à 2008 sur la base des données de l’Office
central de statistiques (Główny Urząd Statystyczny)
Mois et année
Décembre
Décembre
Décembre
Décembre
Décembre
Décembre
Décembre
Décembre
2001
2002
2003
2004
2005
2006
2007
2008
Taux de chômage
(en pourcentage)
17,5
20,0
20,0
19,0
17,6
14,8
11,2
9,5
La baisse du zloty
La baisse du taux de change du zloty à partir du mois d’août a été le premier
indice de l’approche de la crise. En octobre, on a vu pour la première fois
des mouvements rapides du taux de change. Certains disaient qu’une attaque
spéculative sur le zloty avait été lancée par des institutions financières étrangères (en février 2009, la banque Goldman Sachs a révélé qu’elle avait atteint
un niveau de bénéfice de 7,9 % avec ses opérations sur le zloty polonais). Le
zloty a continué à perdre de sa valeur par rapport aux devises étrangères : euro,
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La crise en Pologne
dollar, franc suisse et livre britannique. Lorsque, à la mi-février 2009, le taux
de change est passé à 4,06 zloty pour un euro (en juillet 2008, il était de 3,2
zloty pour un euro), le Premier ministre Donald Tusk a annoncé que le gouvernement interviendrait en vendant des euros si le taux de change tombait en
dessous de cinq zlotys pour un euro. Ce point n’a pas encore été atteint.
Néanmoins la baisse du zloty a été mal accueillie par les citoyens polonais
ordinaires qui avaient contracté des prêts pour l’achat d’une maison ou d’un
appartement en devises étrangères ; elle a aussi été mal accueillie par les entrepreneurs. Des milliers d’entreprises avaient pris des options sur devises avec
des banques lorsque le zloty était fort, espérant vendre des euros aux banques
à un taux plus élevé que le taux officiel. Toutefois, avec la faiblesse du zloty,
le taux de change est tombé beaucoup plus bas que le taux officiel. Des entreprises ont dû vendre des euros aux banques à un taux de change beaucoup
plus bas que le taux officiel. Certaines entreprises n’ont pas pu honorer les
obligations de leurs prises d’options sur devises et ont dû déclarer faillite.
Ce sont les sociétés dont les propriétaires étaient polonais qui étaient les
perdantes ; les vendeurs d’options sur devises étaient en revanche des institutions internationales. Quatre-vingt quinze pour cent des accords portant
sur des options sur devises ont été conclus en juillet 2008, date à laquelle le
zloty était le plus fort. La police polonaise enquête pour déterminer s’il y a
eu violation de la loi dans cette affaire. Le vice-Premier ministre et ministre de l’Économie, Waldemar Pawlak, qui est aussi un dirigeant de Polskie
Stronnictwo Ludowe (PSL-Parti paysan polonais), parti qui a formé une coalition avec Platforma Obywatelska (PO-Plateforme civique), déclare vouloir
annuler les options sur devises qui, selon lui, constituent « un vol aux dépens
des entreprises polonaises ».
La baisse du zloty a entraîné une perte pour plus de 1,3 million de propriétaires d’exploitation agricole qui, en fonction de la superficie de leur exploitation, reçoivent des paiements calculés sur la base d’une règle de l’UE fondée
sur les taux de change au 30 septembre 2008. Or la valeur du zloty était considérablement plus faible à cette date qu’aujourd’hui, et le coût des moyens de
production de l’agriculture (les machines agricoles, les engrais, etc.) dépend
dans une large mesure du taux de change de l’euro.
Au cours du premier trimestre de 2008, le PIB a augmenté de 6 % par rapport au premier trimestre de l’année précédente au cours du deuxième trimestre, de 5,8 %, et au cours du troisième trimestre, de 4,8 %. Ce n’est pas
avant le quatrième trimestre qu’un ralentissement plus important du taux de
croissance a été noté avec une augmentation du PIB de 2,9 %. Cependant, par
rapport à d’autres pays de l’Union européenne, ce taux de croissance était
encore favorable à l’économie polonaise. Le PIB dans la zone euro a diminué
de 1,2 % au quatrième trimestre de 2008 alors qu’en Pologne il a augmenté
de près de 3 %.
Krzysztof Pilawski
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Variation du PIB au quatrième trimestre de 2008 par rapport au quatrième trimestre
de 2007 en Pologne et dans certains pays de la zone euro Eurostat et données de
l’Office central de statistiques (Główny Urząd Statystyczny)
Pays
Variations du PIB (en
pourcentage)
Pologne
2,9
Grèce
2,6
Autriche
0,5
Belgique
-0,5
Pays-Bas
-0,5
Espagne
-0,7
France
-0,1
Allemagne
-1,6
Portugal
-2,1
Italie
-2,6
La situation économique de la Pologne est relativement bonne, en particulier par rapport à la situation de la Hongrie, des États baltes, ou de la région
orientale de l’UE.
Variation du PIB au quatrième trimestre de 2008 par rapport au quatrième trimestre
de 2007 en Pologne et dans d’autres pays de la partie orientale de l’UE (Eurostat et
données de l’Office central de statistiques)
Pays
Variations du PIB (en
pourcentage)
Roumanie
4,5
Bulgarie
3,6
Pologne
2,9
Slovaquie
2,7
République tchèque
1,0
Lituanie
-1,5
Hongrie
-0,2
Estonie
-9,4
Lettonie
-10,5
177
Depuis novembre 2008, la production industrielle a chuté. En novembre, la
baisse s’est élevée à 9,2 % par rapport à novembre 2007 en décembre à 4,4 %,
tandis qu’en janvier 2009, la baisse s’est élevée à 14,4 %. La baisse de la production industrielle est le résultat de la baisse de la demande intérieure et en
premier lieu de la situation sur le marché mondial, y compris de la situation
dans la zone euro, aux États-Unis et en Ukraine. La zone euro est le principal
partenaire économique de la Pologne. Les échanges commerciaux avec l’Allemagne représentent à eux seuls un quart de la totalité des échanges commerciaux
de la Pologne. La diminution du PIB de la zone euro a entraîné une baisse de la
demande pour les produits polonais. Krosno, dans la région de Podkarpacie, avec
une population de cinquante mille habitants, a été la première ville polonaise à
être gravement touchée par la crise. Dans cette ville qui il n’y a pas si longtemps
était fière de son très faible taux de chômage (4,9 %), deux mille personnes ont
perdu leur travail en quelques mois. Il n’y avait plus de demande pour les produits en verre, les amortisseurs, les meubles, les pièces détachées d’avion et les
yachts fabriqués là-bas. Les salariés licenciés ont considérablement réduit leurs
achats ils ont cessé d’aller au restaurant, au café ou au cinéma. Cela a généré
des pertes d’emplois dans le secteur des services et la faillite de petites entreprises. La situation dans d’autres petites villes comme Krasnik, Stalowa Wola ou
Ostrzeszów, dont l’économie dépend d’une seule entreprise ou d’un petit nombre d’entreprises, est similaire. En janvier 2009, il y avait 160 600 chômeurs de
plus qu’en décembre 2008 et le taux de chômage était de 10,5 %. La crise a aussi
aggravé la division du pays entre régions pauvres et régions riches. En janvier, le
taux de chômage des voïvodies de Wielkopolskie, Śląskie et Mazovie ne dépassait pas 8 %. Mais dans la voïvodie de Warmińsko-Mazurskie il a atteint 18,1 %
et en Świętokrzyskie, Zachodniopomorskie, Kujawsko-Pomorskie, Lubuskie et
Podkarpackie, il a dépassé 14 %.
Selon les prévisions gouvernementales, le taux de chômage va atteindre
cette année en Pologne12,5 % ou 13,5 %. En 2010 il atteindra 14 %, ce qui
signifie que plus de deux millions de personnes seront au chômage. Au début
du mois de mars, la Gazeta Wyborczaa écrit qu’il y aurait des gens prêts à accepter un emploi pour un salaire mensuel équivalant à deux cents euros. Et ce
ne sont pas seulement les travailleurs de la construction ou du secteur industriel qui sont en train de perdre leur emploi et par conséquent leur solvabilité.
Le groupe touché comprend des jeunes gens dynamiques dont la carrière a
été rapidement interrompue par la crise. Ce sont des salariés des banques,
des compagnies d’assurance, des agences de publicité, ou des gestionnaires
d’entreprises et des journalistes. Ils appartiennent à des groupes qui sont des
enthousiastes du capitalisme et qui sont le cœur de l’électorat libéral de la
Platforma Obywatelska.
La crise en Pologne
Diminution de la production industrielle et hausse du chômage
Krzysztof Pilawski
178
Donald Tusk s’est rendu en Grande-Bretagne avant les élections parlementaires de 2007. En promettant des emplois aux Polonais qui travaillaient làbas, il a tenté de les convaincre de rentrer chez eux après le triomphe de son
parti. Il n’a plus le même message aujourd’hui car beaucoup de ceux qui sont
revenus de l’étranger sont maintenant au chômage.
Les réactions des hommes politiques
Le projet de budget pour 2009, établi par le gouvernement en juin 2008,
a prévu une hausse du PIB de 4,8 %. En décembre, le projet a été modifié
et la hausse prévue du PIB a été baissée à 3,7 % pour 2009. Maintenant, le
gouvernement de Donald Tusk prévoit pour cette année une croissance du
PIB de 1,7 %. Toutefois, il n’est pas improbable que le PIB baisse encore davantage. Un amendement à la loi de finances devrait être prêt d’ici le milieu
de l’année.
Jusqu’en octobre, le Premier ministre Donald Tusk était encore convaincu
que la Pologne était « un îlot de stabilité » au milieu des autres pays développés d’Europe et du monde et qu’il n’existait aucun motif d’inquiétude en ce
qui concerne la récession des marchés financiers. Il a affirmé que l’entrée
rapide dans la zone euro était le meilleur moyen pour protéger la Pologne de
la crise financière. Il a fixé à la fin 2011 cette entrée dans la zone euro.
Le PSL (Le parti représentant principalement les agriculteurs qui bénéficient de paiements à la surface) ainsi que le SLD (Alliance démocratique de
la gauche) qui vise à la pleine intégration de la Pologne dans l’Union européenne, sont tous deux en faveur d’une rapide entrée en « Euroland ».
Prawo i Sprawiedliwość – PiS (Droit et Justice), la principale force d’opposition dirigée par Jarosław Kaczyński, a décidé de se servir de la question
de l’euro comme principal sujet dans le débat sur la crise. Ce débat est sur le
point de diviser la société en partisans et en adversaires de l’euro aux élections
de juin au parlement européen. Selon le PiS et le président Lech Kaczyński,
la non-adoption de l’euro n’est pas la cause de la crise en Pologne puisque
les pays qui ont adopté l’euro ont des indicateurs économiques pires que la
Pologne.
Le PiS a exigé un référendum sur l’adoption de l’euro et a averti que la
nouvelle monnaie allait provoquer une avalanche d’augmentations de prix et
dégrader les conditions de vie des Polonais, en particulier des plus pauvres.
Le PO a jugé que l’euro n’est pas la cause de la récession et a affirmé que le
fait de ne pas être dans la zone euro approfondit la crise en Pologne. Cette
absence permettrait de spéculer sur le zloty, créerait des menaces d’inflation,
entraverait la vente rentable des obligations d’États qui ont maintenant de
solides concurrents sous la forme d’obligations émises en euros stables par
d’autres pays. Le PO associe l’introduction de l’euro à une meilleure intégra-
179
La crise en Pologne
tion dans l’UE, un meilleur climat pour l’investissement étranger, des profits
pour les entreprises polonaises qui collaborent avec l’Euroland, ainsi que la
réduction de l’inflation et la baisse des taux d’intérêt, ce qui stimulerait le
développement de l’investissement. Invoquant l’exemple de la Slovaquie qui
a adopté l’euro le premier janvier 2009, le PO est convaincu que les menaces
de hausses des prix étaient sans fondement. Au fil du temps, le conflit est
devenu moins polarisé parce que le PiS n’a plus remis en question l’adoption
de l’euro. Il a seulement insisté pour la retarder (jusqu’en 2015 ou même plus
tard) tandis que le gouvernement reportait la possibilité de l’introduction de
l’euro jusqu’en 2012 ou 2013 et il a convenu, en outre, que ce sont les conditions de l’entrée de la Pologne en « Euroland » plutôt que la date de l’adoption
de l’euro qui importaient.
La conception gouvernementale de la lutte contre la récession est incarnée
par le ministre des Finances, Jacek Rostowski (Jan Rostowski-Vincent), un
économiste né à Londres, qui a passé la majeure partie de sa vie en GrandeBretagne. Son néolibéralisme lui a valu le surnom de « Balcerowicz numéro 2 ». Rostowski a été conseiller de Leszek Balcerowicz lorsque, en tant que
vice-Premier ministre et ministre des Finances (1989-1991) il appliquait ce
qu’on a appelé sa « thérapie de choc ».
Rostowski veut maintenir à tout prix le déficit du budget de cette année à sa
prévision de 18,2 milliards de zlotys polonais. À son avis, la Pologne ne peut
pas se permettre un déficit plus élevé, en particulier parce que cette année,
l’État doit vendre des obligations d’une valeur de 155 milliards de zlotys polonais pour s’acquitter de ses obligations envers des créanciers étrangers, ce
qui sera extrêmement difficile en raison de l’énorme quantité de titres émis par
d’autres pays de l’Union européenne.
Le ministre des Finances affirme que la direction prise par les grands pays
européens dans la lutte contre la crise qui est d’augmenter la dette publique
via l’émission de titres est un mauvais choix et que pour la Pologne qui est
un pays pauvre, ce serait fatal. Dans son interview à la « Gazeta Wyborcza »
du 13 février 2009, Rostowski a déclaré : « Il est trop tôt pour savoir à quels
problèmes vont faire face les pays qui sont tellement disposés à accroître leur
déficit. Jusqu’à ce que nous connaissions ces résultats, il serait aventuriste
d’augmenter notre dette. La voie polonaise pour sortir de la crise est prudente,
elle consiste à accumuler des réserves et à se préparer pour ce qui va sans
aucun doute être une période très difficile pour notre économie ».
« La privatisation est un meilleur moyen d’acquérir des moyens financiers
que d’augmenter la dette » selon Rostowski. Cette année, le ministère du
Trésor veut vendre plusieurs grandes entreprises, y compris des entreprises
du secteur de l’énergie. Le point de vue de Rostowski est partagé par Donald
Tusk qui s’identifie à l’aile libérale depuis le début de la « transformation ».
Le ministre des Finances est également soutenu par Leszek Balcerowicz qui
Krzysztof Pilawski
180
est toujours présent dans les médias. La position des néolibéraux est tellement
forte que Rostowski peut déclarer publiquement qu’il va utiliser cette occasion pour procéder à « la deuxième transformation » (La première ayant eu
lieu en 1990 sous Balcerowicz).
Michał Boni est une deuxième figure clé dans le gouvernement Tusk impliquée dans une stratégie anticrise. Il est président du comité permanent du
conseil des ministres et un des dirigeants de l’équipe de conseillers stratégiques du Premier ministre. Il a également été un associé de Leszek Balcerowicz.
Boni est responsable de la politique sociale. Il a joué un rôle crucial dans
l’adoption d’une loi à l’automne 2008, qui a privé beaucoup de gens de leurs
droits à une préretraite. Une de ses tâches consiste à surveiller les dépenses
sociales. En outre, malgré la résistance des syndicats, le gouvernement insiste
pour qu’on paie chaque salarié la moitié du salaire minimum, indépendamment de son temps de travail : six heures ou quatre heures par jour. Ce montant
est égal à 160 euros hebdomadaires.
La stratégie du gouvernement Donald Tusk, c’est-à-dire la rigueur financière et la privatisation, est soutenue par le grand capital. Un grand nombre
d’employeurs baissent les salaires et coupent dans les avantages sociaux des
salariés. Le but de certains licenciements est de réengager des salariés dans
des conditions plus rentables pour les employeurs, plutôt que le désir de faire
correspondre le nombre d’employés aux commandes passées à l’entreprise.
Des employeurs ont fait bon usage de la récession pour pousser plus fortement
en faveur de changements dans le code du travail, en introduisant − entre
autres choses − ce qu’on appelle la flexibilité du temps de travail. Une autre
vision de la lutte contre la crise est représentée par le PSL, partenaire du PO
dans une coalition. Waldemar Pawlak recherche un élargissement de la base
de son parti. Il est très familier avec l’environnement industriel de la Pologne
et utilise sa position de vice-Premier ministre et ministre de l’Économie pour
devenir le principal porte-parole de l’industrie polonaise. Pawlak fait valoir
que, à la différence de Rostowski, il ne se concentre pas sur la rigueur financière mais sur la recherche de moyens pour relancer l’économie. C’est Pawlak
qui a préparé le plan anticrise de stabilité et de développement présenté par
Donald Tusk à la fin de 2008. Son plan prévoit un financement de l’économie
polonaise de 91,3 milliards de zlotys dans les années 2009-2010. Le plan suppose des garanties plus élevées pour les prêts accordés aux petites et moyennes entreprises − le montant total de l’aide, y compris les garanties de prêt, est
égal à environ 60 milliards de zlotys. En outre, le plan anti-crise prévoit, entre
autres choses, l’accélération des investissements réalisés à partir de fonds de
l’UE (environ 20 milliards de zlotys) et des investissements dans les sources
d’énergie renouvelable (1,5 milliard de zlotys).
Pawlak a été le premier à avoir eu l’idée d’un remboursement par l’État
d’une partie des prêts hypothécaires contractés par des personnes qui ont
181
Politique libérale contre politique sociale
Le conflit autour de l’euro s’oriente vers une division entre les partisans
d’une politique libérale et les partisans d’une politique sociale. Cette dernière
est principalement représentée par le PiS, parti conservateur de droite, car le
SLD, en raison de longs différends au sein du parti, n’est pas en mesure d’élaborer sa propre stratégie cohérente anticrise.
Le PiS a non seulement un important groupe de représentants au Parlement
(156 députés du parlement dans la Diète qui en compte 460 et 38 sénateurs
au Sénat qui compte 100 membres), mais il a aussi le soutien du président
Lech Kaczyński qui est docteur en droit du travail et adversaire du néolibéralisme, et qui est en faveur d’un dialogue social prenant en compte les intérêts
des travailleurs. En février, le Président a nommé deux conseillers économiques avec des points de vue similaires. L’un des deux est Ryszard Bugaj, bien
connu comme militant de l’opposition du temps de la République populaire
de Pologne. Dans les années 1990, Bugaj a été l’un des dirigeants d’un parti
de gauche appelé Unia Pracy (Union du travail). Il a représenté le parti à la
Diète où il était un critique vigoureux de Balcerowicz.
Le PiS veut une augmentation du déficit cette année, qui passerait de
18,2 milliards de zlotys à 25 milliards de zlotys. Il est fortement opposé au
plan de privatisation du gouvernement et veut plutôt que le gouvernement se
concentre sur la protection des emplois et aide les personnes souffrant de la récession, au lieu de se concentrer sur la rigueur budgétaire. Le PiS s’est opposé
La crise en Pologne
perdu leur emploi sans faute de leur part. Cette idée a ensuite été reprise par
Donald Tusk comme si elle venait de lui car il a estimé que les bénéficiaires de
cette politique seraient les meilleurs supporters de Platforma Obywatelska.
La proposition formulée par Pawlak d’invalider les options sur devises est
de loin le plus audacieux acte d’ingérence de l’État dans l’économie. Le ministre Rostowski s’y oppose fermement. Le ministre du Travail et de la politique sociale, Jolanta Fedak de PSL, qui a une attitude plus favorable envers
les travailleurs et qui cherche à établir de bonnes relations avec les syndicats,
constitue une alternative possible pour le gouvernement Boni.
L’opposition – PrawoiSprawiedliwośćetSojuszLewicyDemokratycznej – soutenue par les syndicats (y compris par « Solidarité » qui a des liens avec la droite
et aussi par « l’Alliance polonaise des syndicats » qui est plutôt à gauche) accusent Rostowski de ralentir l’économie par la baisse de la demande intérieure. L’opposition accuse Rostowski de se comporter comme Balcerowicz, qui
en 1997 a été nommé vice-premier ministre et ministre des finances dans le
gouvernement de Jerzy Buzek. Elle souligne également que le gouvernement
Tusk se concentre sur les réductions, les économies et le « serrage de ceinture »
alors que d’autres pays cherchent des moyens de relancer leur économie.
Krzysztof Pilawski
182
(comme le SLD) aux coupes du ministère du Budget de la Défense nationale
pour l’achat de nouveaux équipements produits dans les usines polonaises. Le
6 mars, lorsque des milliers de membres des syndicats des usines d’armement
ont protesté à Varsovie en face de la Diète et de la Chancellerie du Premier ministre, un représentant de l’Office national de sécurité du Président a accueilli
la délégation des syndicalistes et a exprimé son soutien à leur action.
Bien que la crise en Pologne ne fasse que prendre de l’ampleur, il est visible
que la scène politique se divise en deux blocs : le bloc libéral et le bloc social.
La Platforma Obywatelska libérale est encore en tête. Selon les résultats des
sondages, elle a le soutien de 45-50 % des citoyens. Le PiS a 25 % de soutien,
le SLD − 8 %, et le PSL 6 %. Le soutien pour les autres partis est inférieur
au seuil électoral de 5 %. Les pourcentages risquent de changer cette année.
L’augmentation du chômage, la peur de perdre son emploi et les difficultés
pour trouver du travail, ainsi qu’un ralentissement de la croissance des salaires
et le coût élevé de la vie − sont tous des facteurs défavorables pour le gouvernement, en particulier pour le PO. Le 1er mars, aux élections présidentielles à
Olsztyn, capitale du chômage dans la voïvodie de Warmińsko-Mazurskie, le
candidat PSL a battu le candidat PO, malgré le soutien du Premier ministre
Donald Tusk. L’affaiblissement du soutien populaire pour le PO sera probablement accompagné d’une restauration de l’influence du PiS. Ce parti a cessé
de mettre l’accent sur des slogans anticommunistes et se concentre maintenant sur les problèmes économiques. Un nouveau renforcement de l’indépendance du PSL au sein du gouvernement de coalition, en tant que parti modéré
centriste, pourrait également se produire. Le PSL pourrait prendre la place du
SLD en tant que troisième pouvoir politique.
Idéologiquement à la dérive, le SLD n’est pas en mesure de jouer le rôle
de principal groupe d’opposition luttant pour l’emploi, la protection des plus
pauvres et la justice sociale. Les revendications sociales de ce parti ont été
reprises dans une large mesure par les frères Kaczynski. D’autre part, il n’y a
pas de parti de gauche qui pourrait remplacer le SLD. Si la crise en Pologne
s’aggrave, il est plus vraisemblable que ce soit un nouveau parti national catholique qui fasse son apparition plutôt qu’un nouveau parti social de gauche.
Il est également possible qu’une force politique complètement nouvelle émerge des protestations sociales si la situation économique devient très mauvaise
(comme le Samoobrona d’Andrzej Lepper dans les années 1990).
Pour l’instant, la situation en Pologne semble être plus stable que le zloty.
Aucun parti représenté au parlement polonais ni même les grands syndicats
ne sont intéressés à perturber la paix sociale. Les revendications sont modérées. L’intensité des conflits est inférieure à ce qu’elle était pendant les campagnes électorales de 2005 et 2007. Les forces politiques et sociales au pouvoir
comprennent qu’une tentative de déstabilisation ne leur profiterait pas, alors
que cela avait profité aux institutions financières occidentales lors de l’attaque
183
La crise en Pologne
contre le zloty polonais. Au contraire, ces forces comprennent que cela pourrait se retourner contre elles.