LE BILLET DE LA PRESIDENTE - Le site des bouquinistes de Paris

Transcription

LE BILLET DE LA PRESIDENTE - Le site des bouquinistes de Paris
Parapet N°6
Table of Contents
Le Billet de la Présidente................................................................................................................. 2
I. ESPOIRS ET NOSTALGIES ............................................................................................................ 2
II. "QUE SERONT LES QUAIS DANS L'AVENIR ? QUE DEVIENDRONT LES
BOUQUINISTES ?".............................................................................................................................. 3
III. LES BOUQUINISTES "MARCHANDS D'VIEUX LIVRES"..................................................... 4
IV. DECOUVERTES CHEZ LES BOUQUINISTES .......................................................................... 5
V. "J'AIME LES QUAIS" .................................................................................................................... 5
VI. ILS ONT ECRIT .............................................................................................................................. 6
VII. LE TEMPS DES BOUQUINISTES .............................................................................................. 7
VIII. LE VOCABULAIRE DES BOUQUINISTES ............................................................................. 8
IX. BIBLIO ............................................................................................................................................ 9
1
Le Billet de la Présidente
Chers Adhérents,
Voici votre nouveau bulletin. Un numéro spécialement consacré à la profession de
bouquiniste. Je remercie les collègues qui nous ont fait parvenir leurs articles; et surtout
notre trésorière qui a effectué un travail de compilation et de recherche bibliographique
important.
J'espère que ce bulletin saura vous intéresser et vous donner l'envie de participer aux
prochains numéros.
I. ESPOIRS ET NOSTALGIES
Que sommes-nous ? (Nous les bouquinistes) où allons-nous ?
Sommes-nous toujours "un des plus beaux fleurons de la ville de Paris"
comme le
disait André Malraux, Ministre de la Culture - dans une belle
envolée
lyrique,
à
l'occasion d'un banquet du Prix des Bouquinistes dont
se souviennent encore "les
anciens".
Sans doute, sans doute, les quais ne sont plus ce qu'ils étaient. Les temps ont changé
comme aussi les mentalités. L'âge d'or est derrière nous.
Ah ! L'âge d'or ! Quant au hasard des achats, chez les particuliers, aux
Puces,
nous trouvions des merveilles. Les greniers, les soupentes, les
caves étaient souvent
autant de cavernes d'Ali-Baba.
Les occasions ne manquaient pas. Quand, par exemple, à celle d'un décès,
les
héritiers "liquidaient" les vieux livres qui sommeillaient là depuis des
décennies.
"Débarrassez-moi de çà !" Tout juste si on ne vous offrait pas
en cadeau toutes ces
vieilleries. Dans ces cas-là, on disait dans notre
jargon "faire une mortuaire", c'est à dire
une bonne affaire !
Du coup, les boîtes de bouquinistes devenaient, elles aussi, des boîtes
d'Ali-Baba.
1
Les amateurs, les fervents du livre y faisaient, à leur tour des
trouvailles.
1
Au chapitre des trouvailles, relisez Anatole France.
2
Des trouvailles à des prix défiant toute concurrence car la frénésie du prix n'était
pas encore de saison. Le bouquiniste n'avait pas
encore les yeux fixés sur les "cotes" de la
Bibliophilie. Il gagnait sa vie tout simplement.
Trouvailles c'était par exemple (pour ne citer que les miennes), Verlaine en
édition (Vanier 1888), Flaubert (Madame Bovary, Lévy 1857),
Nerval, George
Stendhal, et bien d'autres.
1ère
Sand,
Mais, trêve de nostalgie ! En dépit du progrès, des mutations irréversibles dues aux
progrès fantastiques de l'édition et de la diffusion, et aussi du
phénomène "Tourisme",
les quais sont, malgré tout, quand même, restés
cette merveilleuse bibliothèque publique
sise entre les deux bras de la
Seine, dont s'émerveillait Guillaume Apollinaire qui la
préférait aux bibliothèques officielles, austères et monacales.
Nous avions, en quelque sorte le monopole, l'exclusivité du livre d'occasion,
du
livre épuisé. C'était notre force, notre spécificité. C'est
encore vrai aujourd'hui quoique
dans une moindre mesure.
Bien sûr, on ne trouvera plus une édition originale des Fleurs du Mal
(c'est
arrivé) ou, paraît-il un manuscrit de J.J. Rousseau, ou encore, des
originales
de
Daumier, de même qu'il y ait peu de chance de trouver aux marchés aux Puces un Picasso ou
un Cézanne.
Mais nombre d'auteurs et non des moindres ne sont pas réédités,
"introuvables", "épuisés". Les bouquinistes peuvent en témoigner.
restant
Ah ! La jubilation, quand un chercheur, un "bouquineur" vous demande
sans
illusion - "Avez-vous "Les visages de la vie de Verhaeren", et que vous sortez du fond d'un
rayon le titre demandé ! La surprise du dit quidam ! ( "Il y a dix ans que je le cherche !").
Oui, il reste encore un large créneau ouvert au bouquiniste dans la
séculaire des quais.
tradition
Et puis, et puis, il y a aussi le vaste domaine des vieux journaux, revues, documents
anciens, gravures, illustrés de tout genre, qui font le bonheur
des
collectionneurs :
"Assiette au Beurre", "Crapouillot", "Charivari",
"almanach Hachette", "Gil Blas"... que
sais-je ? qui sont les témoins de
la mémoire, dans ce cadre prestigieux du coeur du
vieux Paris - avec "la Notre-Dame" et sa magnificence, eux-mêmes chargés de tant
d'histoire et de mémoire.
Allons, la cause est entendue ! Il y a encore pour les bouquinistes et leurs boîtes, de
belles années devant eux ! Avec ou sans âge d'or !
Robert
II. "QUE SERONT LES QUAIS DANS L'AVENIR ? QUE DEVIENDRONT LES
BOUQUINISTES ?"
3
Un autre vieux bouquiniste Louis Lanoizelée, décédé depuis, écrivait en
conclusion à son livre sur les bouquinistes :
1956
en
"Que seront les quais dans l'avenir, que deviendront les bouquinistes ?
La société actuelle marche à pas de géant. Il y a plus de changement en dix années
de maintenant que pendant des siècles de l'ancien temps. Tout
semodernise, s'uniformise
avec une vitesse vertigineuse, qui dépasse l'imagination.
Cependant, dans une centaine d'années les bouquinistes des quais penseront
avec
regret au temps que nous vivons actuellement. Et que les bouquinistes
d'aujourd'hui
maudissent quelque peu à la légère.
L'homme ne sait plus flâner. Nous sommes au siècle des records. Sans
médire des
sports, qui sont utiles et salutaires à la jeunesse, on peut constater que les stades sont plus
peuplés que les salles de conférence. Les quotidiens consacrent plus de pages aux sports
qu'à la littérature et à l'art.
Dans la lutte pour l'existence qui deviendra de plus en plus dure avec la natalité
effrayante et l'automatisation qui accroîtra le chômage nous nous demandons si le poète, le
rêveur et le bouquiniste auront droit de présence dans la cité future ?"
III. LES BOUQUINISTES "MARCHANDS D'VIEUX LIVRES"
"Il serait déplorable pour les fervents des quais que les livres soldés et les romans
policiers envahissent en trop grand nombre les étalages des quais."
S'inquiétait Louis Lanoizelée qui constatait qu'il y avait trois catégories de
bouquiniste :
1) - "Celui qui est devenu bouquiniste parce qu'il y a un ami qui l'était déjà et qui lui a
conseillé de postuler une place. Il ne connait pas grand-chose en bouquins. Avant, il n'en
avait même pas un seul dans son intérieur. Il achète un lot, sans savoir, au petit bonheur. Il
rate parfois une bonne affaire faute d'offrir un prix raisonnable. Il finira par connaître assez
médiocrement la bouquinerie."
2) - "Celui qui est, avant tout, un commerçant. Avant d'être bouquiniste, il n'aimait pas les
livres. Il ne les aime pas mieux maintenant, mais il les cajole comme une chose qui
rapporte. Il ne connait rien en littérature. Il a seulement le sens inné des affaires. Il achète
tout, vend n'importe quoi. Il a du flair et une excellente mémoire. Il sait la cote des livres
rares et des belles éditions illustrées. Celui-ci va réussir. Dans n'importe quel métier, il
aurait d'ailleurs réussi. Il est bien rare que ce bouquiniste reste longtemps sur les quais."
3) - "Celui qui est venu par vocation sur les quais, parce qu'il aime les livres..."
Puis aujourd'hui une quatrième catégorie de bouquinistes :
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"Les quincailliers" vendeurs d'air de Paris, de Tours Eiffel, de pin's, cassettes vidéos,
compacts, cartes postales à touristes. (Cf article Télérama du 10/02/93 au 16/02/93).
Bouquinistes "marchands d'vieux livres" Daniel Halevy l'avait bien compris :
"Le bouquiniste des quais sait qu'il faut respecter l'hésitation de celui qu'un livre
tente. Si le client s'écarte et passe, le malheur n'est pas grand, la place qu'il laisse est libre
pour un autre...
Les boîtes des quais sont le paradis des bibliophiles désargentés. Si le bouquiniste ne
le comprend pas, qu'il aille ailleurs, sa place n'est pas sur les quais parisiens." (Préface du
livre de Louis Lanoizelée).
IV. DECOUVERTES CHEZ LES BOUQUINISTES
"On ferait un gros volume des belles choses sauvegardées par les bouquinistes
propriétaires légitimes des parapets de la Seine, jusqu'au Pont-Royal en passant par la
Grève... Dans ces huit kilomètres de vieux livres qui subissent tous les dédains, tous les
outrages, les chercheurs de trésors arrivaient parfois aux plus merveilleuses découvertes..."
(Jules Janin).
Edité en 1868 "Le carnet de la Comtesse de L" dans la collection "Documents pour
servir à l'histoire de nos moeurs" l'éditeur Frédéric Henry dans sa présentation y raconte
comment le manuscrit tomba entre ses mains :
"C'est le 21 mai 1860 près du pont des Arts, que je l'ai trouvé dans une case à
vingt-cinq centimes, à l'étalage du bouquiniste Lainé, alors le plus hanté de Paris. Trois
heures venaient de sonner, et les grands fureteurs avaient accompli leur tournée
quotidienne.. Quels pessimistes viennent encore dire : " On ne découvre plus rien sur les
quais."
Publié en 1647, "L'homme de cour" par Balthasar Gracian, très répandu au XVIIème et
XVIIIème, texte fondamental de l'ancien régime humaniste et classique disparaît d'une
manière absolue à partir de 1808. C'est Rémy de Gourmont qui le redécouvre dans les boîtes
des quais du parapet parisien dans une vieille édition offerte à Louis XIV - (Note de la
préface d'André Rouveyre dans les Cahiers verts chez Grasset en 1924).
V. "J'AIME LES QUAIS"
"J'y passe le meilleur de mon temps. J'aime le fleuve et ses berges, cette eau qui
coule, toujours pareille et cependant toujours nouvelle, l'animation de ses chalands et des
ponts, l'air qu'on y respire, la sérénité de ce paysage éternel... (Frédéric Lefèvre dans "Le
vagabond")"
En 1922, Dodeman écrit :
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"Le nombre de véhicules va croissant de jour en jour. Avant la guerre au moment du
plus fort mouvement, de dix heures à midi, de trois heures à sept heures, on pouvait
compter soixante automobiles à l'heure ; on en compte maintenant deux cents."
En 1953:
"Par la bise d'hiver, par les étés torrides, tandis qu'à ses côtés la rue étourdissante
abrutit les plus résistants, le bouquiniste, sans jamais déroger ni solliciter le passant, installe
son éventaire, puis regarde défiler la vie de tous les jours sans se lasser d'attendre. Il vend
ou ne vend pas" (Albert Fournier "Métiers curieux de Paris").
En 1956, Lanoizelée :
"Un camion lancé à toute vitesse vient de raser le trottoir. Le bouquiniste, dont la
chaise pliante est près de la chaussée, s'en éloigne instinctivement. Les étalages sont
installés sur les parapets des grandes voies passantes longeant la Seine. Les trottoirs sont
peu larges et les quais n'ont pas de rangées d'arbres. Les bouquinistes sont donc à la merci
d'une direction qui se casse... Une dame bouquiniste à été tuée et plusieurs étalages ont eu
des dégâts plus ou moins importants."
Poème d'un chineur à son bouquiniste préféré.
"Le long des quais, mon bouquiniste
Vous le trouverez par tous les temps
Toujours aimable et optimiste,
Tel je le connais de longtemps.
Il tient bouquins de toutes gammes
Sous sa cape et dans ses sabots
Ses horizons sont "Notre-Dame"
De l'autre côté... les autos."
VI. ILS ONT ECRIT
"Lorsque l'après-dîner est plaisante et sereine
Ainsi que dit Ronsard, je descends vers la Seine
Et je vais feuilletant chez les marchands des quais
Un volume égaré quelques gros Rabelais
Dont le cuir est pelé comme un soulier de chasse
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Je sauve un vieux bouquin de poète et je passe...
Léon Paul Fargue
Mais aussi :
"L'Ame de la femme, nous l'avons découverte l'autre jour à Paris, à l'étalage d'un de
ces traditionnels bouquinistes qui survivent, voire prospèrent, le long des quais de la seine,
bien que les vieux livres désertent, poussés par des bandes dessinées, des soldes minables,
d'horribles productions et tout un bric à brac pour touristes.
("La sauvegarde du sourire" de Fruttero et Lucentini, 1989)
Pour la Princesse Bibesco les bouquinistes des quais sont "ces gardiens vigilants, ces
sauveteurs courageux de la chose écrite".
Mais aussi :
"D'une façon générale, le bouquiniste est un misanthrope qui veut être son maître.
Un maître récalcitrant, méfiant, avare, jaloux des confrères. C'est un être dépaysé partout,
parce qu'il ignore le progrès et la prime de rendement pour ne s'intéresser qu'à la valeur
commerciale des livres qu'il ne lit pas".
(Albert Fournier "Metiers curieux de Paris, 1953)
VII. LE TEMPS DES BOUQUINISTES
Pour Rainer Maria Rilke quand "les bouquinistes de quai ouvrent leurs boîtes et (que)
le jaune frais ou fatigué des livres, le brun violet des reliures, le vert plus étendu d'un
album, tout concorde, tout prend part et concourt à une parfaite plénitude".
(Les cahiers de Malte Laurids Brigge, 1910)
C'était encore hier.
Aujourd'hui cette plénitude, ce temps hors du temps, ce temps de bouquiniste,
intégré au décor encore impassible des parapets se dilue peu à peu au bruit de nos quaisaxes rouges.
"L'accélération de la circulation des voitures ralentit celle des idées. Le bruit étouffe
les paroles dans un métier ou le commerce des mots commence à l'oral et la poussière à
enfermer les livres lorsqu'il faudrait pouvoir les feuilleter".
(Extrait d'un article de Monde, "Quai des bouquins" de J.L. Perrier, 19/10/92)
SPLEEN
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A la morte saison de la carte postale,
Quand Homère et Dutourd sont le seul gagne-pain,
Dans le petit vent sec, sous l'averse glaciale,
Le bouquiniste songe aux tristes lendemains.
Il se souvient alors des temps mythologiques
Où Crésus en personne chinait sur le quai,
Répandant sans compter le métal bénéfique
Qui pousse au crime et au petit profit coquet...
Et les larmes trempant sa face rubiconde,
Les sanglots violentant son noble chef branlant,
Sont le spectacle à voir le plus affreux au monde,
Avecque son gousset, vide, amer et bâillant.
VIII. LE VOCABULAIRE DES BOUQUINISTES
BOUQUIN
Bouquin (ou plutôt "boucquin"), le mot apparaît vers le milieu du XVIème siècle, ainsi
que "bouquiner". "Bouquiniste" n'est employé qu'au début du XVIIIème et "bouquineur" lui est
un peu postérieur.
Les avis divergent sur l'origine du mot. La majorité des philologues et des
lexicologues (dont Larousse) le font descendre du flamand "boeckin". D'autres avancent qu'il
viendrait de l'allemand "buch" ou de l'anglais "book". L'avis le plus original est qu'il
proviendrait de bouc, soit à cause de la mauvaise odeur des vieilles reliures (thèse de
l'érudit François Génin), soit parce que les vieux livres étaient reliés en peau de chèvre, le
maroquin (thèse du bouquiniste Fernand Teulé).
CHINEUR
Amateur éclairé qui sait acheter ou, plus souvent, courtier qui recherche les livres
rares et épuisés pour un bibliophile ou un libraire.
DROUILLE
8
Lot bon pour le pilon.
ETRENNER ou DEROUILLER
Vendre son premier bouquin de la journée
EXPERT EN LIVRES
Flâneur qui bouquine longtemps sans rien acheter.
MORTUAIRE
Achat de bibliothèque après le décès de son propriétaire. Les mortuaires sont
généralement les meilleures affaires.
PANA
Livre invendable.
PIQUEUR
Fonctionnaire municipal chargé de la gestion des bouquinistes.
Les avis divergent sur l'origine du mot : expression employée aux travaux publics dont
dépendaient les fonctionnaires de la voie publique ; un commis pointait (piquait) sur une
feuille de présence les ouvriers employés aux travaux des artères de la capitale.
D'après Monsieur Frédéric-Dupont, il y aurait eu dans les services de la voie publique
un Monsieur Picqueur. Son nom aurait échu à ses successeurs.
Quelques piqueurs connus :
Charles Louis Philippe l'auteur de "Bubu de Montparnasse" fut nommé aux services de
l'Hôtel de Ville "Picqueur municipal" en 1902. Son travail consistait à mesurer l'emplacement
et à faire toucher les redevances des commerçants ayant un étalage sur les trottoirs
notamment les bouquinistes.
Gustave Lefrançais, ami de Vallès fut en 1854 admis picqueur du service municipal section du pavé de Paris, rue Taitbout.
TOILE
Lot de livres, d'après le carré de tissu dans lequel ils sont empaquetés. On fait une
"bonne toile" ou une "mauvaise toile".
IX. BIBLIO
Octave UZANNE
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Physiologie des quais de Paris. Maison Quantin 1892.
PIEDAGNEL
Un bouquiniste parisien : le Père Lecureux. Librairie Edouard Rouveyre 1878.
Sans oublier les nombreux auteurs déjà cités dans nos bulletins : Dodeman,
Lanoizelée, Fournier, et Anatole France cf n spécial.
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