Une pharmacie sur trois n`est plus rentable

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Une pharmacie sur trois n`est plus rentable
Une pharmacie sur trois n’est plus rentable
8 décembre 23h00
Selon une étude du KOF, le centre de recherches conjoncturelles de l’ETH (Ecole polytechnique
fédérale de Zurich), un tiers des officines n'est plus rentable.
Il y a l’histoire de la vieille dame, qui vient sonner à la porte de la pharmacie de garde en pleine nuit. «Elle
avait besoin de quelque chose pour soigner la conjonctivite de son hibou. Elle n’est pas venue de jour parce
que son oiseau n’ouvre les yeux que pendant la nuit, évidemment.» Roger Thionnet, pharmacien genevois,
en rit encore.
Roger Thionnet est aussi président de Salveo, un réseau romand regroupant 115 pharmacies
indépendantes. Des anecdotes de ce genre, il en a plein les poches. Celle de la grand-mère, incapable de
lever les bras, venue chercher de l’aide pour étendre son linge. Ou encore, celle du monsieur, très embêté
au beau milieu de la nuit. «Il s’était réveillé affamé, et s’est brûlé le zizi en se faisant une omelette.»
Le rôle du curé de campagne
Rien de grave, un bobo, un petit souci, les problèmes typiques de l’âge. Mais à qui en parler en toute
confiance et dans un délai très rapide, si ce n’est à son pharmacien? demande Roger Thionnet. «On
remplace en quelque sorte le curé, auparavant conseiller et oreille attentive pour toute une paroisse.»
Blague à part, le rôle social de la pharmacie tient à cœur aux gérants des petites pharmacies. Sans oublier
tous les tests de dépistage, qui ne sont pas remboursés par l’assurance (et souvent «offerts» par la
pharmacie), mais qui permettent de détecter un diabète, des problèmes de tension, ou de cholestérol.
«On ne prend pas assez en compte le coût que ce genre de service à la population peut permettre
d’économiser», regrette de son côté Eric Bussat, directeur de la holding PharmaciePlus, un deuxième
réseau romand regroupant des pharmaciens indépendants. «Bien des personnes âgées dont s’occupent les
pharmacies ne pourraient plus rester à domicile, si elles perdaient ce lien.»
Ce sont justement les indépendants, les pharmacies de campagne et de quartier qui risquent de disparaître
sous les attaques répétées de ceux qui leur cherchent des poux, lancés dans une chasse sans merci aux coûts
du secteur de la santé, qui ne cessent de gonfler.
Erosion de la rentabilité
Pourtant, une officine sur trois n’est plus rentable, selon la récente édition d’étude commandée chaque
année par PharmaSuisse au KOF, centre de recherches conjoncturelles de l’ETH (Ecole polytechnique de
Zurich). Car la moyenne du chiffre d’affaires des 1000 pharmacies sondées a baissé de 3,2% en 2010. Or,
les charges ont continué d’augmenter, et n’ont été compensées que partiellement par une augmentation des
ventes, selon le centre de recherches conjoncturelles.
La baisse du chiffre d’affaires des pharmacies est la conséquence, entre autres, de la décision de l’Office
fédéral de la santé publique, au printemps 2010, d’imposer une baisse des prix de fabrique de plusieurs
produits, mais aussi la marge de distribution des pharmacies de 15 à 12%. Avec l’objectif de réduire le prix
des médicaments. L’effet de ces mesures n’est enregistré pour l’heure qu’à 60% environ, dans les résultats
de l’étude. La prochaine évaluation, portant sur 2011, devrait révéler un impact encore plus fort.
Attaques tous azimuts
Cette décision de l’Office fédéral de la santé vient s’ajouter à la pression croissante de la concurrence.
Les chaînes de grands groupes ne cessent de gagner du terrain. Avec une offre imbattable en matière de
prix, qui dispense sa clientèle du paiement des émoluments sur la prestation, etc. Internet vient encore
compliquer la tâche des pharmaciens, offrant des tremplins à triple ressort pour de nouveaux venus, comme
ces médecins thurgoviens qui ont créé Zur Rose, une société de vente de médicaments par correspondance
(lire ci-dessous).
Plus récemment, SantéSuisse a sorti une étude qui accable les pharmaciens à propos de leurs marges, un
quart plus élevées que dans les pays voisins. L’association faîtière des assureurs maladie veut couper à la
hache dans les revenus de ces intermédiaires, ainsi que dans ceux des médecins.
Les pharmaciens s’en mettraient-ils plein les poches? Avant-hier – il y a deux lustres – peut-être…
Aujourd’hui, la profession crie à l’injustice. «Les salaires des employés représentent près de 70% des
charges d’une pharmacie», relève encore PharmaSuisse. Ce sont les emplois qui sont désormais menacés.
Comparer les marges entre la Suisse et la France, en outre, est totalement aberrant, selon Roger Thionnet,
Français d’origine. «Le pays a instauré un numerus clausus. Une pharmacie a davantage de clients et son
chiffre d’affaires est donc plus élevé. D’ailleurs, les Français sont sans doute les plus grands
consommateurs de médicaments du monde. Ce qu’ils perdent en marge, ils le compensent en volume…»
En outre, une petite pharmacie suisse de quartier réalise un chiffre d’affaires, en moyenne, de 1,7 million.
Une grande structure enregistre plutôt 5 millions. Selon Roger Thionnet, et plusieurs de ses collègues, les
patrons de pharmacies indépendantes ne comptent pas leurs heures, travaillant jusqu’à 60 heures par
semaine. Au lieu des 40 heures d’un employé d’une chaîne. Le rendement économique d’une petite
structure est équivalent à celui d’une pharmacie intégrée dans un groupe, où l’on consacre trois minutes
maximum au patient. «A quoi bon, alors, détruire toute cette trame sociale?»
Vente
par
Zur Rose, un concurrent très malin et à la pointe de la modernité
correspondance:
Avec Zur Rose, ce sont les médecins qui se sont attaqués au territoire des pharmaciens. Fondé en
Thurgovie (Frauenfeld) par 21 médecins en 1993, le groupe compte aujourd’hui plus de 1800 actionnaires
(toujours médecins), et a réalisé en 2010 un chiffre d’affaires de près de 490 millions de francs. Son
concept est très simple, et surtout très «dans l’air du temps»: Zur Rose vend des médicaments par La Poste.
Les clients envoient leur ordonnance, et reçoivent en retour un paquet à la maison. Déjà 6% des
médicaments sous ordonnance sont commandés par le biais de ce canal en Suisse, indique Zur Rose, qui
s’est également lancé dans la vente de médicaments sans ordonnance, suscitant une colère noire de
PharmaSuisse, qui a attaqué Zur Rose en justice.
Jusqu’à présent, le groupe thurgovien opérait uniquement du côté alémanique. Mais désormais, le groupe
s’attaque à la Suisse romande, avec l’ouverture d’un bureau à Lausanne.
Se targuant de contribuer à la réduction des coûts de la santé publique à hauteur de 11 millions de francs
suisses par an, Zur Rose se démène pour «mettre tout le monde dans sa poche». Proposant aux médecins
prescripteur de transmettre directement par voie électronique. Dernière invention: une application iPhone,
avec des fonctions de rappel pour la prise des médicaments.
Katarzyna Gornik

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