La Peste noire dans l`Occident chrétien et musulman

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La Peste noire dans l`Occident chrétien et musulman
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La Peste noire dans l’Occident chrétien
et musulman, 1347-1353
STEPHANE BARRY
NORBERT GUALDE
Résumé. Entre les années 1346 et 1353 une terrible épidémie a balayé l’Asie de
l’Ouest, le Moyen-Orient, l’Afrique et l’Europe, provoquant de catastrophiques
pertes démographiques partout, à la fois dans les campagnes, les bourgs et les
villes. La peste noire fut une maladie d’une telle gravité que non seulement
elle a ébranlé le vieux continent dans ses fondations sociales et économiques
mais elle a également modifié le cours de l’histoire de l’humanité. Les auteurs
ont pris en compte plusieurs travaux consacrés à la peste noire et publiés dans
différentes langues. Dans le présent article, ils rapportent les caractéristiques
médicales et épidémiologiques de la pandémie ainsi que ses origines géographiques et les routes qu’elle a empruntées.
Mots-clés. peste, epidémie, quarantaines, puce, yersinia pestis, désinfection
Abstract. Between the years 1346 and 1353, a terrible epidemic swept over
Western Asia, the Middle East, Africa, and Europe, causing catastrophic losses of
population everywhere, both in the rural areas and in towns and cities. The
Black Death was a disease of such magnitude that it not only shook the Old
World to its economic and social foundations but changed the course of human
history. The authors considered and analyzed many studies on the Black Death
published in different languages. In the present paper they report medical and
epidemiological specificities of the pandemic as well as its geographical origins
and the routes of its spread.
Keywords. plague, epidemic, quarantine, flea, yersina pestis, antisepsis
La réapparition de la Peste en Occident au XIVe siècle revêt un caractère
nouveau et exceptionnel, car jamais auparavant un tel cataclysme ne s’est
Stephane Barry PhD, est l’ancien rédacteur en chef de la Revue sociologie santé.
Author, position
Norbert
Gualde est Professeur d’immunologie, université Victor Segalen, Bordeaux 2.
- ??
CBMH/BCHM / Volume 25:2 2008 / p. ??
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manifesté sur une si longue durée, ni sur une si vaste échelle géographique. La violence et la soudaineté du mal, sa progression inexorable,
l’inefficacité des soins et le nombre élevé des victimes traumatisent pour
longtemps les contemporains. La « Peste noire », expression qui, comme
celle de « mort noire1 », désigne les cinq terribles années du début de la
seconde pandémie occidentale de 1347 à 1352/1353, entraîne une formidable dépression démographique et modifie, parfois en profondeur, les
comportements sociaux. Cette « pestilence », « mortalité » ou encore
« maladie effrayante2 », le terme de « Peste noire » n’apparaît que tardivement3, représente un des événements catastrophiques majeurs de l’Europe médiévale, qu’elle soit chrétienne ou musulmane. C’est d’ailleurs ce
que nous laisse entendre de nombreux témoignages contemporains.
Abondamment étudiées depuis des décennies, les grandes pestes
médiévales ont suscité ces dernières années un vif intérêt qui doit beaucoup aux préoccupations actuelles touchant la santé publique. Au carrefour de plusieurs disciplines comme l’histoire, la médecine, la démographie ou la sociologie de la santé, l’étude de cette maladie bénéficie de
nouvelles sources d’information, notamment en archéologie funéraire4,
archéozoologie5 ou paléomicrobiologie6. Compléments indispensables
à la recherche en archives, ces sciences s’avèrent désormais incontournables et apportent des éclairages tout à fait nouveaux et stimulants
nous permettant de mieux comprendre les pestes historiques et notamment la plus célèbre d’entre elles : la Peste noire7.
LES CARACTÈRES ÉPIDÉMIOLOGIQUES ET CLINIQUES DE LA PESTE
Infection hautement contagieuse, la peste revêt un ensemble de caractéristiques épidémiologiques et cliniques dont un minimum de connaissances est indispensable afin de comprendre le déroulement effroyable de cette pandémie ainsi que les réactions des contemporains.
Il faut attendre 1894 et la troisième pandémie, apparue en Chine au
milieu du XIXe siècle, pour que le pasteurien Alexandre Yersin identifie,
à Hong Kong, le germe responsable qui porte désormais son nom,
Yersinia pestis, et le rôle des rats dans la propagation de la peste8. Quatre ans plus tard, un autre pasteurien, Paul-Louis Simond, découvre
l’importance des puces comme vecteurs de transmission de la maladie,
tant entre les rongeurs, que des rongeurs à l’homme. En quatre ans, ces
deux découvertes majeures « détruisent un mythe9 ». Les hommes sont
enfin susceptibles d’apporter une réponse à cette maladie millénaire.
Appartenant primitivement au genre Pasteurella10, Yersinia pestis,
est, selon les bactériologistes experts de l’évolution, une bactérie apparue
probablement en Asie centrale, il y a environ 20 000 ans11, à partir d’un
clone de Yersinia pseudotuberculosis12. L’épidémiologie de la peste est
complexe. Maladie tellurique se manifestant de manière endémo-
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épidémique et parfois pandémique, elle est d’abord, une maladie épizootique extrêmement virulente qui frappe sélectivement et primitivement les rongeurs sauvages. Elle n’appartient en propre qu’à ces derniers
et n’atteint qu’accidentellement l’homme par l’intermédiaire des
rongeurs commensaux13 puis de leurs puces hématophages susceptibles
d’être infectées par le parasite et surtout de le transmettre14. Une
épidémie de peste fait donc intervenir plusieurs facteurs qui sont respectivement : une bactérie, des rongeurs, des puces et les hommes.
Par bien des côtés, nous connaissons mal les opérateurs de cette nouvelle pandémie car, en six siècles, le germe, le rat, la puce et l’homme ont
biologiquement évolué. N’oublions jamais que le vivant change en permanence, particulièrement dans le cas des interactions conflictuelles
entre les agents pathogènes et l’homme15.
On connaît trois souches du germe Yersinia pestis. La forme antiqua,
installée autour des grands lacs africains, la medievalis localisée en Asie
centrale et l’orientalis, actuellement la plus répandue se situant en Orient et en Amérique. Il a longtemps été considéré que chacune de ces
souches était responsable d’une des trois pandémies de peste s’étant
manifestée jusqu’à ce jour16, mais récemment une découverte déterminante dans l’épidémiologie de la maladie a été faite. Des équipes
pluridisciplinaires regroupant archéologues, anthropologues, médecins
et historiens17 ont découvert, à partir des fouilles de charniers de pestiférés en France18 et d’analyses paléomicrobiologiques, notamment à
partir de la pulpe dentaire19, que « seule la souche orientalis semble posséder un potentiel de dissémination suffisant pour créer une
pandémie20 ». Pour arriver à cette conclusion, les chercheurs ont
développé une nouvelle méthode d’amplification et de caractérisation
génétique applicable à l’ADN ancien. Cette technique, appelée MST21, se
fonde sur le décryptage de certaines zones non codantes du génome et
réclame une très petite quantité d’ADN. Ces résultats apparaissent particulièrement importants à un moment où l’on note une recrudescence
de la peste en différents points du globe22. De plus, il ne faut oublier
que la peste constitue une véritable question d’avenir car elle est une des
maladies les plus étudiées en tant qu’arme bactériologique23.
Sous sa forme bubonique, la plus répandue, la peste est principalement transmissible à l’homme par l’intermédiaire de certaines espèces de
puces. Sans entrer dans les détails, rappelons qu’il existe un débat ancien,
mais régulièrement entretenu, à propos de la responsabilité de telle ou
telle puce dans la transmission de la peste bubonique.
Généralement chaque espèce de puce est « inféodée » à une espèce
particulière. Classiquement on met en cause Xenopsilla cheopis, Nosopsyllus fasciatus et Pulex irritans24. La première, adaptée aux climats
chauds, parasite essentiellement le rat, tout comme la seconde cependant
plus adaptée aux climats tempérés. La troisième, elle aussi vivant dans
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des milieux plus tempérés, est la puce de l’homme. Il existe quelques
exceptions, comme la Xenopsylla cheopis qui, tout en parasitant le rat25,
ne néglige nullement l’humain. Schématiquement, car la question est
complexe, suite aux observations réalisées dès la fin du XIX e siècle,
Xenopsylla cheopis est généralement considérée comme la puce vectrice à l’homme de la peste en Occident. Or, comme le souligne JeanClaude Beaucournu, son implication semble très improbable, car «sur le
plan écologique [cette puce] est liée aux climats chauds ou tempérés
chauds et ne peut donc s’acclimater chez nous26 ». Entre les XIVe et XVIIIe
siècles, l’habitat humain subit entre l’été et l’hiver des variations thermiques importantes et Xenopsylla cheopis ne peut y survivre. En outre,
les données archéologiques « établissent clairement que tout au long
des périodes historiques Pulex irritans est extrêmement abondante sur
l’homme. Aucune découverte fossile de Xenopsylla cheopis n’a été relevée
en Europe, et cette espèce est actuellement absente de notre pays27 ».
Toujours pour Jean-Claude Beaucournu, si Nosopsyllus fasciatus, « […]
peut transmettre la peste de rat à rat, elle pique l’homme « seulement à
contre cœur ». Pulex irritans est, par contre, le vecteur idéal par sa très
grande abondance sur l’homme et dans ses habitations28 ».
Quelles sont, dans ce cas, les puces responsables des épidémies occidentales ? Certains scientifiques avancent qu’« Un ensemble d’arguments écologiques et épidémiologiques ainsi que la spécificité et l’abondance sur l’Homme de Pulex irritans désigne cette espèce comme
vecteur potentiel ». D’autres considèrent maintenant, que le rôle de la
puce de l’homme doit être minoré au bénéfice à nouveau de Nosopsyllus fasciatus, la puce du rat noir au XIVe siècle. Jusque dans les années
trente, cette dernière est considérée comme un des principaux vecteurs
de la peste. Mais, au cours de cette même décennie, ces acquis sont remis
en question avec la théorie de la propagation de la peste bubonique par
les puces de l’homme et non du rat. Cette hypothèse relègue alors le rat
et ses puces à un rôle limité dans la chaîne épidémique, au profit des
puces de l’homme. Reconnue et admise par un grand nombre de scientifiques et d’historiens, jusque dans un passé récent, cette théorie est
toujours abondamment discutée.
Il semble donc évident de ne pouvoir aborder l’histoire de la peste
sans souligner les relations morbides unissant le plus fameux des
ectoparasites de l’imagerie humaine et deux de ses hôtes de prédilection :
le rat et l’homme. Mais il s’agit toujours d’interactions entre espèces
vivantes en évolution et, rigoureusement parlant, il est difficile de savoir
quelle est au XIVe siècle, la puce « la plus confortable » à la survie de
Yersinia pestis durant son transport par l’insecte. La modification d’un
seul gène peut « améliorer » la survie de la bactérie chez son vecteur.
Quelle fut la nature des interactions biologiques précises entre le bacille
de la peste et la ou les puces de l’époque ? Nous ne pouvons que le constater, par bien des côtés, nous connaissons mal les opérateurs de la
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Peste noire car, en six siècles, tous les acteurs de cette nouvelle
pathocénose, dans laquelle la peste tient, à partir du XIVe siècle, la place
principale29, ont biologiquement évolué.
Chez l’homme, la peste se manifeste principalement sous deux formes
cliniques primaires se différenciant par les voies de pénétration du bacille
et la gravité des symptômes développés. La peste bubonique, forme
classique de la maladie chez l’homme, est provoquée essentiellement,
comme nous l’avons vu, par la piqûre de certaines espèces de puces
infectées ou le contact direct entre une lésion cutanée ouverte et un
objet souillé par le bacille. Elle est celle dont la létalité est la moins élevée,
environ soixante-quinze pour cent de décès. C’est certainement la forme
la plus fréquente aux XVIe-XVIIe siècles. Sans que cela soit un signe
absolument constant, une plaque noirâtre, appelée charbon pesteux,
apparaît au point d’inoculation. Puis, au bout de deux ou trois jours,
apparaissent le plus souvent un ou plusieurs ganglions durs, douloureux
et gros. C’est le célèbre bubon que recherchent systématiquement les
médecins dès le XIVe siècle. Il se situe en principe suivant le territoire de
drainage des lymphatiques concerné vers le ganglion lymphatique le
plus proche du point de piqûre. Ainsi, une piqûre du pied induit un
bubon de l’aine et une piqûre de la main un bubon au creux de l’aisselle
du même côté. Les bacilles se multiplient dans le ganglion. Lorsque les
capacités de filtration du ganglion sont dépassées, les bacilles peuvent
essaimer dans la circulation sanguine, atteignant principalement la rate,
le foie et les poumons. Ces organes sont le siège d’une multiplication bactérienne très rapide à l’origine, par exemple, de lésions hémorragiques
remarquées par les témoins des épidémies. Notons que le bubon n’est
pas systématiquement décelable, puisqu’il peut être localisé dans des
régions plus profondes du corps. Parfois volumineux, il peut aller de la
taille d’une noix à celle d’un œuf de poule, Boccace parle même de la
taille d’une « pomme ordinaire30 ».
La forme pulmonaire est particulièrement grave et systématiquement
mortelle. Elle peut se développer de deux façons : une complication pulmonaire liée à une peste bubonique, ou une contamination directe entre
un individu sain et un malade ayant développé une atteinte pulmonaire.
Une véritable épidémie de peste pulmonaire se manifeste généralement
en hiver.
Conséquence possible d’une évolution gravissime des deux formes
évoquées ci-dessus, la peste septicémique s’accompagne de la présence
d’emblée de bactéries dans le sang. Attaque généralisée, elle est toujours
mortelle, parfois foudroyante en quelques heures. D’autres formes cliniques de la maladie existent, telles que la peste pharyngée ou encore
méningée. Ces manifestations secondaires ne sont, néanmoins, jamais
identifiées par les populations, étant donné que la nature du mal est
alors méconnue.
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L’APPARITION DE LA PESTE ET SA DIFFUSION EN OCCIDENT, 1347-1352
« Tant à l’est qu’à l’ouest, la civilisation subit une incursion destructrice, celle de
la peste qui dévasta les nations et raya des populations entières de la surface de
la terre. Elle annihila le bien qui avait été créé […] le niveau de civilisation
décrut en même temps que le nombre d’habitants. La face du monde habité en
—Ibn Khaldun32, Muquaddima33
fut changé31 ».
Si la peste n’est pas une maladie nouvelle à proprement parler, sa
gravité exceptionnelle en fait une maladie d’exception car jamais auparavant un tel cataclysme ne s’est manifesté sur une si longue durée, ni sur
une si vaste échelle géographique. Comme pour la peste justinienne,
l’origine de la Peste noire est incertaine. Selon les chroniqueurs, elle
viendrait de l’Inde ou plus probablement de la Chine34. Très bien renseigné, le médecin d’Almeria et témoin de l’épidémie, Ibn Khatima, écrit
à ce propos
« Il y a eu divergence sur le commencement de cet événement et le lieu de son
apparition. Des gens de confiance m’ont raconté que, d’après des commerçants
chrétiens arrivant chez nous à Almeria, son origine était le pays d’al-Khita en
langue persane c’est la Chine comme je l’ai appris de quelques autres arrivants
originaires de Samarkand, des gens de confiance et de sincérité. Le pays de la
Chine c’est l’extrémité de la terre du côté de l’Orient, et c’est ainsi qu’elle continua [la peste] à se propager de Bilad al-Khita et ses environs. Et là, elle
s’étendit vers l’Irak persan et les terres turques35 ».
Que savons-nous actuellement ? Les recherches menées à ce propos
au cours du XXe siècle, ont mis en évidence la propagation de la peste en
Chine dès 1331. On estime qu’un tiers de sa population est décimé entre
1331 et 1393. Elle passe alors d’environ 125 millions à, approximativement, 90 millions d’habitants36. Vers 1338, elle est attestée sur les plateaux
d’Asie centrale. Des fouilles, conduites sur un cimetière de chrétiens
nestoriens37 dans la région de l’Issyk-Koul au sud du lac Balkhach38, ont
permis de constater un taux de mortalité élevé pour les années 13381340. Trois pierres tombales, datées de 1338 et 1339, indiquent expressément la peste comme cause du décès39. De cette région, la maladie se
propage, par les voies traditionnelles du grand commerce entre l’Orient
et l’Occident, d’est en ouest vers la Méditerranée et l’Europe, se diffusant
au rythme des déplacements humains, frappant des cités comme
Samarkand, ou Saraï, capitale de la Horde d’Or ; la peste atteint les rives
de la mer Noire vers 1346.
C’est à Caffa40, petit comptoir génois fondé vers 1266 sur les bords de
la mer Noire, que va se jouer le futur drame pour l’Occident. La ville
assiégée en 1344, à la suite semble-t-il de contentieux commerciaux entre
les génois et les mongols, l’est une nouvelle fois en 1345-1346 par le
Khan de la Horde d’Or41 Djanisberg. Échouant à nouveau, son armée
affaiblie par la peste, Djanisberg décide de projeter par-dessus l’enceinte
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de la ville des cadavres pestiférés42. Si certains historiens s’interrogent sur
la véracité de cet évènement, il est certain qu’une terrible épidémie, due
à Yersinia pestis, éclate parmi la population de Caffa. Au même moment,
quelques navires génois quittent le port emportant le redoutable fléau
vers une Europe qui, en cette fin de première moitié du XIVe siècle, est
prête pour « l’accueillir ».
La dégradation du climat au cours de la première décennie du XIVe
siècle, avec des excès de pluviosité autour des années 1315, a eu des
répercussions dramatiques sur la production céréalière entraînant de
graves difficultés frumentaires. Une importante disette apparaît en 1309
dans le sud et l’ouest de l’Allemagne. Elle s’étend ensuite sur l’ensemble
de l’Europe de l’Ouest43. Un des points culminants de ces crises reste les
famines des années 1314-1316. Georges Duby écrit que de « mai à août
1316, un habitant sur dix mourut de faim dans la ville d’Ypres44 ». Néanmoins de nombreuses variations locales existent, tant pour les récoltes
que pour la géographie et la chronologie des disettes45. Dès lors, la
mesure précise des liens de causalité entre la détérioration climatique, ses
répercussions sur les hommes et la Peste noire, reste une question
ouverte dans laquelle la relation exacte entre famine et maladie occupe
une place capitale46. À ce propos Jean-Noël Biraben a souligné que si
des conditions préalables comme la sous-alimentation « peuvent doubler
ou tripler l’effet mortel de certaines maladies comme le typhus ou la
dysenterie », elles ne peuvent vraisemblablement modifier en rien, « à en
croire les découvertes les plus récentes, celui de la peste47 ». Ainsi, l’autonomie du phénomène épidémique, par rapport aux disettes et famines
n’est plus à prouver, bien que « l’importance de celui-ci reste conditionnée par le contexte dans lequel il s’insère48 ».
Comme si un malheur ne suffisait pas, la peste apparaît alors que de
nombreux pays sont confrontés à un contexte économique, politique et
social particulièrement dégradé. Les royaumes de France et d’Angleterre
sont en guerre depuis 1337, la couronne d’Aragon, plongée dans une
âpre guerre civile, et les principautés de la péninsule Italienne, connaissent de nombreux troubles politiques et militaires entraînant la misère, la
famine et le brigandage liés, notamment, au déplacement des troupes.
Toutes ces crises, plus ou mois graves, et surtout répétées, ont naturellement des répercussions sur une courbe démographique, jusque-là ascendante, qui stagne à partir des années 1310-1320. La Peste noire n’arrive
donc pas dans un « ciel démographique serein », mais dans une conjoncture « déjà profondément dégradée49 ». Pour de nombreuses contrées, elle ne va être que le paroxysme d’une série de calamités. C’est
dans ce contexte que des galères transportant du blé russe50 quittent
Caffa et font une première escale à Péra, autre comptoir génois qui jouxte
Constantinople51. La peste y culmine au cours des mois de novembre et
décembre 1347. Un des témoins, l’homme politique Démétrios Kydonès52
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rapporte que « Chaque jour la grande ville se vide […] chaque jour notre
tâche consiste à porter aux tombeaux nos amis […] les hommes se fuient
mutuellement, de peur de partager la maladie de leurs proches53 ».
Schématiquement, car retracer l’itinéraire et la chronologie exacte de
l’épidémie est délicat54, de Constantinople la peste se propage sur les
côtes de la mer Noire, dans les îles de la mer Egée, en Grèce, en Crête, à
Chypre ou encore à Alexandrie, d’où, suivant la vallée du Nil, elle se
diffuse en Egypte. Parallèlement, elle gagne la Palestine, le Liban, la
Syrie. Chaque port, chaque lieu touché deviennent un foyer à partir
duquel se propage la maladie.
En cette fin d’année 1347, les galères génoises poursuivent leur
macabre périple. Après avoir accosté en Sicile, d’où la peste gagne
ensuite la péninsule par Reggio de Calabre55, les galères sont refoulées de
Gênes, mais atteignent Marseille qui leur ouvre son port le 1er novembre
1347. La maladie ravage la ville avec une violence inouïe, au point
qu’une des rues, où tous les habitants meurent en quelques semaines,
prend le nom de rue « Rifle Rafle56». Véhiculée le long des voies commerciales terrestres, fluviales et maritimes57, la peste atteint l’Espagne,
sans doute par les ports du Languedoc58. En même temps, la Corse et la
Provence sont touchées avant la fin de l’année. Elle apparaît en Avignon, carrefour de l’Occident où siège le pape depuis 1309, au mois de
mars 1348. Le chapelain et médecin du pape Clément VI, Guy de Chauliac59, apporte un témoignage essentiel sur la venue de la peste dans
cette cité qu’il a étudiée en homme de l’Art, mais aussi en tant que victime de la maladie à laquelle il a eu la chance de survivre. Dans son
œuvre majeure la Grande chirurgie, rédigée en 1363, il dépeint ainsi le
mal qui afflige la cité :
« En Avignon, elle fut de deux sortes : la première dura deux mois avec fièvres
continues et crachement de sang, et l’on en mourait dans trois jours. La seconde
fut, tout le reste du temps, aussi avec des fièvres continues, et apostèmes et carboncles et parties internes principalement aux aisselles et aines, et on mourait
dans cinq jours. Elle occupa tout le monde ou peu s’en fallut, car elle commença en Orient, et ainsi jetant ses flèches contre le monde, passa par notre
région vers l’Occident et fut si grande qu’à peine elle laissa la quatrième partie
[25 %] des gens60 ».
Malheureusement aussi fines qu’elles soient, ces descriptions de la
maladie, ne permettent ni sa guérison et encore moins d’entraver
sa progression.
D’Avignon, la peste se diffuse de toutes parts. Entre février et mai, ce
sont Narbonne, Montpellier, Carcassonne et Toulouse probablement au
mois d’avril61, qui sont touchées, alors qu’en Italie62, Rome et Florence,
par exemple, sont ravagées par le mal. Conformément aux préceptes
médicaux du temps, les populations, pensant trouver leur salut dans la
fuite, ne font que répandre la peste en abandonnant les lieux sinistrés. La
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rapidité de propagation du fléau est telle qu’il se manifeste à Toulouse en
avril 1348 et à Agen moins d’un mois plus tard63. Le livre des Jurades de
la ville évoque alors une terrible épidémie64. Entre juin et août, ce sont
aussi Bordeaux, Lyon et Paris qui sont atteintes, puis la Bourgogne, la
Normandie, etc. La peste franchit les Alpes, frappe la Suisse et progresse
vers l’Est. Au même moment, en Europe du Nord la maladie traverse la
Manche et frappe Melcombe Regis, actuelle Weymouth, dans le Dorset
au sud-ouest de l’Angleterre65. En 1349, elle touche l’Irlande, l’Ecosse,
l’Allemagne et les Pays–Bas. En 1350 la Scandinavie est atteinte à son
tour puis tout l’espace hanséatique. En 1352, elle frappe Moscou, emportant dans son sillage le grand duc de Moscovie et le patriarche de l’Eglise
russe. Puis elle s’étend dans le sud, semble-t-il, jusqu’à Kiev.
Paradoxalement, alors que l’Occident s’embrase, certaines régions
échappent temporairement à l’épidémie. Si l’isolement des vallées montagnardes du Béarn66, peut expliquer ce phénomène, il n’en est pas de
même pour une partie de la Hongrie, la Roumanie ou encore le Brabant,
le Hainaut67, le Limbourg, contrées situées au cœur des réseaux marchands
de l’époque ou encore Saint-Jacques-de-Compostelle, le célèbre sanctuaire,
qui attire des pèlerins de toute l’Europe. Sans en connaître les raisons précises, nous pouvons imaginer que la propagation de la maladie, au cours
de ces premières années d’épidémie, ralentit ou s’arrête aux frontières de
ces régions pour des raisons géographiques, écologiques et climatiques.
Cependant, elles ne vivent là qu’un court répit, puisqu’elles seront frappées par la seconde flambée de peste des années 1360–1363 et ultérieurement, lors des nombreuses résurgences de la maladie68.
En cette fin de première moitié du XIVe siècle, en l’espace de quelques
années, la peste, après avoir ravagé l’Italie, la France, l’Espagne, le Portugal, l’Angleterre, le Danemark69, la Norvège, l’Europe centrale et de
l’est, les villes allemandes, la Pologne, la Lituanie la Hongrie, la Bohême,
la Suisse, etc70, laisse un monde désemparé et diminué. Elle progresse
généralement suivant un rythme saisonnier lié certainement à l’activité
biologique des puces. Ces dernières sont sous l’influence du climat dont
les interactions précises avec la Peste noire sont encore sujettes à discussions71. La peste régresse au cours de l’hiver, si elle ne prend pas une
forme pulmonaire, pour être plus vive au printemps et en été. À partir de
1347 la peste s’installe pour plusieurs siècles en Occident : c’est la naissance de la seconde pandémie.
LES RÉACTIONS COLLECTIVES ET INDIVIDUELLES POUR FAIRE FACE AU
FLÉAU : QUELQUES CONSÉQUENCES IMMÉDIATES ET À PLUS LONG
TERME DE L’ÉPIDÉMIE
Comment les populations et gouvernements réagissent-ils à l’approche
d’un fléau qui souvent est annoncé de ville en ville, par courrier et surtout
oralement73 ? Dès l’approche de l’épidémie, le roi de France Philippe VI
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Figure 1
La propagation de la peste de 1345 à 135272.
interroge l’Université de Paris qui donne, dans son célèbre Compendium
de Epidemia, l’état des connaissances sur le sujet. La peste est due, penset-on, à la corruption de l’air, elle-même provoquée par une mauvaise
conjonction des planètes. Dans ce monde, où l’essentiel des connaissances médicales provient des corpus Hippocratico-galénique, sans
oublier les savoirs d’une médecine arabe somme toute plus performante,
la théorie aériste est à la base de tous les conseils préventifs : s’enfuir
vers des régions plus saines, s’enfermer chez soi à l’abri des vents mauvais, respirer des parfums, faire des fumigations ainsi que de grands feux
purificateurs. En même temps, le bon sens populaire a tôt fait de se rendre à une autre évidence, celle de la contagion : « Et ladite mort et maladie
venait par contacts et contagion74 ». C’est de ces constatations que
découlent les premières mesures prophylactiques d’isolement et de quarantaines. La population perçoit, sans en comprendre pour autant les
raisons biologiques, que le mal se transmet après un contact avec des
malades, leurs maisons, leurs vêtements ou des cadavres.
Face à ce fléau, tous les traitements recommandés par les médecins se
révèlent inopérants. Les hommes de l’Art ne peuvent que constater leur
impuissance. Ils tentent, pourtant, de trouver des explications au mal
qui les frappe. Partout, en terres musulmanes ou chrétiennes, de nombreux traités de peste sont rédigés à partir de 1348 par de célèbres
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médecins ou profanes. Malheureusement les moyens curatifs proposés
sont totalement inefficaces, souvent inaccessibles aux plus pauvres,
extrêmement douloureux et fréquemment dangereux, comme l’incision
des bubons, technique alors couramment pratiquée. Les seules chances
de salut résident en fait dans la préservation.
En même temps, bien que désemparées, les autorités réagissent et
instaurent, avec plus ou moins de rapidité et de réussite, des mesures
préventives et souvent coercitives, visant à empêcher la venue de la
peste ou à la circonscrire lorsqu’elle se manifeste. Des mesures
d’« hygiène publique75 » sont immédiatement prises ou réactivées76, un
peu partout où frappe la maladie. Même le roi de France tente de réagir
en promulguant en 1352, une ordonnance établissant pour le royaume
des règles sanitaires afin d’éviter une nouvelle hécatombe après la triste
expérience de la Peste noire. Malheureusement, la réalité politique, financière, mais aussi la méconnaissance des règles d’hygiène les plus élémentaires, feront de ces tentatives des échecs constants. Enfin, gardons
toujours à l’esprit, que toutes ces mesures sont prises non pas pour combattre un péril microbien, d’ailleurs méconnu, mais pour éviter, conformément aux croyances médicales du temps, la « corruption » de l’air,
donc un risque de contagion provenant des mauvaises odeurs exhalées
par tous les détritus. Parallèlement, tous tentent de réagir face au fléau.
Le 30 mars 1348, la Sérénissime République de Venise établit, pour la
première fois en Occident, un conseil sanitaire, constitué par trois
nobles77 chargés de travailler pro conservatione sanitatis, puis des règlements sanitaires visant à préserver la santé des populations sont créés ou
étoffés78. De telles mesures, qui deviendront rapidement permanentes,
seront reprises et développées un peu partout dans la Péninsule italienne au cours des XIVe et XVe siècles79, puis dans tout l’Occident.
La même année en Toscane, dans la cité de Pistoia à proximité de Florence, le marché de la laine est placé sous contrôle, de peur que quelque
chose de « collant » susceptible de répandre la maladie ne se prenne
dans les mailles des étoffes80. Au mois de juin est organisé un corps de
fossoyeurs ou « enterreurs ». Deux mois plus tard à Orvieto81, on trouve
mention d’un médecin spécialement chargé de la « surveillance sanitaire civile82 ». Un peu partout, on cesse ou ralentit, dans la mesure du
possible, les foires et marchés, les échanges commerciaux. À ces mesures
internes s’impose donc rapidement la nécessité de contrôler les abords
des cités. Les axes de circulation sont surveillés et l’on crée « un vaste dispositif de points de garde et de contrôle le long des voies de transit et aux
lieux d’accès aux villes83 ».
À Milan84, dont l’influence dans la lutte contre la peste sera sensible
dans toute l’Italie septentrionale85, en 1373, Bernarbo Visconti fait barricader les portes et fenêtres de maisons où sont des pestiférés et leurs
familles86. Un an plus tard, alors que Gênes et Venise ferment leur port
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aux bateaux venant de localités infectées87, Visconti prend un « décret à
faire respecter non seulement à Milan et dans les autres villes, mais aussi
dans les bourgs, les châteaux forts et les campagnes. Il s’agissait d’éviter la
contagion88 ». Les podestats locaux sont alors tenus de prendre des dispositions afin que « chaque « ancien » de la paroisse dresse quotidiennement la liste des malades et que chaque medicus, ciroychus, barberius,
herborarius signalent à un inquisitor et executor désigné à cet effet les
noms des malades confiés à ses soins, en particulier ceux qui pourraient
avoir la peste89 ». Toujours dans le duché de Milan à la fin du XIVe siècle,
les premières désinfections publiques de marchandises sont pratiquées90.
En 1399, Gian Galeazzo Visconti91 édicte que la vente d’étoffes et de vêtements d’occasion ne sera permise qu’après avoir été préalablement lavés
et exposés au soleil ou au feu92. Trois ans plus tard, Gian Maria Visconti
ordonne les premières fumigations à base de vapeurs et de parfums93.
En 1377, Raguse94 « décrète un isolement d’un mois bientôt porté à
quarante jours à Venise, en accord avec la doctrine Hippocratique qui
considère que le quarantième jour est le dernier jour possible pour les
maladies aiguës comme la peste95 ». C’est encore à Venise qu’en 1423, des
voyageurs, venant de zones infectées sont refoulés et isolés dans un
hôpital, le lazaret96. Le Conseil majeur décide que cette quarantaine se
fera sur une île de la lagune où se dresse le monastère augustin de
Sainte-Marie-de-Nazareth. Le personnel soignant provient de l’hôpital
des lépreux situé sur la lagune. Il s’agit du premier établissement en
Europe destiné à mettre en quarantaine les pestiférés. En 1486 un second
lazaret est installé sur l’île de Saint-Erasme. Tandis que la gestion de
l’ancien, destiné à des malades, reste confiée à des religieux, celle du
nouveau lazaret revient essentiellement à des civils. Ces derniers ont
pour principales missions de contrôler les marchandises et équipages
et de pratiquer si nécessaire « l’exposition au soleil, à l’air, à des
fumigations de substances odorantes des cargaisons de laine, de soie ou
de lin ainsi que l’immersion de l’argent et des pierres précieuses dans
du vinaigre97 ».
Cette même année 1486, toujours à Venise, le magistrat de santé est
institué. Ses missions, très lourdes de responsabilités nous sont données
par S. Carbonne qui écrit :
« Les provéditeurs et les supraprovéditeurs contrôlaient les lazarets, la propreté de la ville, la salubrité des citernes, les canaux antérieurs, le bon ordre et
la propreté des auberges, les comestibles, les viandes, les vins, les poissons, les
boucheries, les habitations des pauvres, les débardeurs du port, examineraient
les attestations de santé des bateaux et procédaient à la quarantaine des bâtiments soupçonnés et à la purification des marchandises et de la correspondance, préposés à la répression de la mendicité, ils expulsaient les mendiants
étrangers et prenaient des mesures contre ceux de la ville ; ils surveillaient la
prostitution, […], le commerce des hardes et des vieux objets, l’exercice de la
médecine, de l’obstétrique, de l’art du barbier ; ils prenaient toute mesure con-
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Figure 2
Vue générale du Lazzaretto Vecchio de Venise98.
cernant ma dissection des cadavres et leur sépulture ; ils surveillaient aussi les
cimetières et avaient compétence en matière de dénonciation immédiate des
premiers cas suspects, de recensement et de tenue du registre des décès99 ».
Les États italiens furent de remarquables innovateurs en matière de
lutte contre la peste avec la pérennisation de magistratures sanitaires
qui perdent leur caractère opportuniste pour devenir des rouages permanents des administrations. À Florence, les Octo custodie (8 gardes)
sont institués en 1378 et une magistrature permanente apparaît en juin
1527 ; à Gênes, un Office pour la préservation de la santé est constitué en
1449 pour devenir permanent en 1480 et d’autres cités comme Turin
suivent le même exemple. Tout cela est parfaitement souligné par l’historien Carlo Maria Cipolla lorsqu’il écrit qu’à la fin du XVe siècle ils [les
États] « avaient mis sur pied une organisation sanitaire d’avant-garde,
bien avant le reste de l’Europe100 ». En revanche, il est surprenant de
constater que l’instauration de ces mesures de grande sagesse qui seront
à la base des politiques sanitaires mises en place en Occident tout au
long des XVIe-XVIIIe siècles ne suit pas la progression de la peste noire.
Pour exemple, bien que le phénomène de contagion soit parfaitement
identifié, dans les principautés musulmanes de la Péninsule Ibérique,
M. Melhaoui souligne que jusqu’à la découverte de nouvelles archives,
« Le problème de l’instauration éventuelle d’établissements d’accueil
des pestiférés en Occident musulman reste entier101 ».
Si les quarantaines, les hôpitaux de peste et les mesures de désinfection sont promis à un bel avenir, pour beaucoup, se protéger de
l’épidémie est synonyme tout simplement de fuite. Nombreux sont ceux
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qui, conformément aux préceptes médicaux, quittent leur cité sinistrée
pour se réfugier en des lieux qu’ils espèrent plus cléments. Malheureusement, cela ne fait que contribuer à la propagation de la maladie.
Quant à l’isolement, s’il limite réellement la contamination interhumaine, il reste sans doute relativement inefficace, car les rats et puces
sont partout présents et leur rôle dans les épidémies est complètement
ignoré par les contemporains.
Parallèlement, les hommes trouvent d’autres explications et remèdes.
Dans cette société chrétienne profondément croyante et superstitieuse,
l’origine de ce fléau ne peut donc être que surnaturelle102. Cette interprétation religieuse des causes de la peste « relève en fait d’une conception d’ensemble de l’ordre du monde103 », car, comme le souligne
Françoise Hildesheimer, « le discours de l’église intervient pour donner
à un phénomène inexplicable une signification d’ordre supérieur et
fournir des armes spirituelles pour lutter contre lui104 ». La population
cherche des intercesseurs et se tourne vers des figures protectrices
comme saint Sébastien, la Vierge, saint Louis et au XVe siècle, saint Roch.
Si les rassemblements et les cortèges funèbres sont parfois interdits, en
revanche, prières, supplications, processions propitiatoires se multiplient
à travers les villes et campagnes d’Occident105. Mais, là encore, le mal est
dans le remède, car ces actes de piété extrêmement demandés vont à
l’encontre de la prophylaxie de l’isolement et peuvent favoriser la propagation de la maladie. C’est pour cette raison que rapidement les
rassemblements processionnels sont déconseillés et le Pape dispense,
par exemple, les pèlerins anglais et irlandais du jubilé de 1350106. Partout
en même temps, on multiplie les signes afin d’apaiser la colère divine. À
Rouen, on décide d’interdire les jeux, la boisson, les jurons107, etc. Dans
les territoires relevant de la couronne d’Aragon, les officiers royaux tentent de prévenir un retour de la peste en interdisant jeux, jurons, le travail du dimanche, la pêche pour un gain financier les jours fériés et les
vêtements ostentatoires108.
Ces réactions répondent à l’idée très répandue, souvent rappelée
dans les textes du temps, que ce fléau universel est un châtiment divin
punissant les hommes de leurs péchés. Le Pape le reconnaît dans une
Bulle de septembre 1348, en évoquant « la pestilence dont Dieu afflige le
peuple chrétien109 ». Pour l’empereur byzantin, Jean Cantacuzène, il est
évident qu’une maladie accompagnée de souffrances et de puanteurs
aussi horribles et surtout d’un désespoir aussi profond avant la mort
n’est pas « naturelle » et ne peut être qu’un « châtiment du ciel110 ».
LE CHOC DÉMOGRAPHIQUE : UN « MODÈLE HIROSHIMA111 ».
« Car je ne me rappellerai jamais sans verser une larme cette année 1348, qui
nous ravit ce que nous avions de plus cher ; la mort trancha de sa faux impitoyable la vie des créatures adorables. Aussi la postérité aura peine à croire
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qu’il fut un temps pendant lequel, sans les foudres du ciel, sans les feux terrestres, sans les guerres, l’univers entier fut dépeuplé sur toute sa surface.
A-t-on jamais rien vu, rien entendu raconter de semblables ? ».
—Pétrarque, Triomphe de la Mort112
Les villes sont particulièrement touchées, car l’entassement de la population, l’extrême insalubrité et les fréquentes difficultés d’approvisionnement favorisent la contagion. Cette impression de catastrophe
démographique urbaine, (malheureusement et généralement réelle), est
d’autant plus renforcée à nos yeux, que les sources sur la Peste noire
encore existantes sont essentiellement des « archives urbaines » produites par les corps de ville, officiers royaux, corps ecclésiastiques, etc. Par
conséquent, gardons à l’esprit qu’elles ne nous permettent qu’une vue
fragmentaire d’une pandémie se répandant dans un monde où quatrevingt-dix pour cent de la population est rurale.
Frappant indistinctement hommes, femmes, enfants, bien portants
et malades, indigents, riches et productifs, la Peste noire et ses résurgences peuvent dépeupler de manière significative des régions entières
portant, par la même, des coups souvent catastrophiques à l’économie
ou à la cohésion sociale, ébranlant tous les « piliers » d’une société. La
saignée démographique bien que difficilement quantifiable est brutale et
massive. Citons quelques estimations probables mais malheureusement
non vérifiables.
Selon l’historienne Monique Lucenet la peste emporte à Damas au plus
fort de l’épidémie 1200 personnes par jour, alors que Gaza connaît 22 000
décès en un mois. A Chypre, la chute démographique est tellement inquiétante que les « chrétiens massacrèrent leurs esclaves musulmans de peur
qu’ils ne s’emparassent de l’île dont les chefs mouraient de contagion114 ».
De l’autre coté de la Méditerranée, la péninsule Italienne perd probablement, entre septembre 1347 et août 1348, 5 millions d’habitants sur les 11
millions qui la peuplent115. La peste tue plus de 30 % des habitants de
Gêne, Pise et Venise116. Pour cette dernière cité, les historiens estiment
que sur une population de 110 à 120 000 habitants, entre 38 et 50 000
d’entre eux ont été fauchés par cette première attaque pesteuse venue
d’Orient par la Dalmatie117. Dès 1250 patriciens du Maggior Consiglio
seuls 291 survivent118. Florence passe probablement de 110 000 habitants
en 1338 à 50 000 en 1351119. A Hambourg120 ou Brême121 entre cinquante et
soixante-dix pour cent de la population décède ; dans la Péninsule
Ibérique, Barcelone perd en quelques mois, environ 15 000 personnes sur
les 42 000 habitants de la cité122. En Provence, Dauphiné ou Normandie, on
constate une diminution de soixante pour cent des feux123. Certaines
régions voient disparaître jusqu’aux deux tiers de leur population. On
estime qu’Avignon a peut-être compté 30 000 victimes124, Lyon 45 000125. À
Narbonne, le nombre de feux passe de 6029 en 1336 à 2500 en 1361, ce qui
représente une diminution de plus de la moitié du nombre d’habitants126.
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Figure 3
« Le Triomphe de la mort ». « Le livre des comptes de Sienne pour 1347 rappelle le passage
de la peste de juin à décembre, dont les chroniqueurs disent qu’elle provoqua une forte
mortalité et que beaucoup de citadins en mourut113 »
En Dauphiné, quatre moulins sur cinq et un four sur deux ferment à la
suite de l’épidémie127. En Bourgogne, dans le petit bourg de Givry, qui
compte alors 310 feux, soit entre 1500 et 2000 habitants128, le curé, qui
notait entre 25 et 30 inhumations par an en moyenne, enregistre 615 décès
entre le 5 août et le 19 novembre129. Dans la paroisse Saint-Nizier de Lyon,
l’on note en quelques mois 900 décès, soit le quart ou le tiers des
paroissiens130. Dans la paroisse la plus importante de Paris, Saint-Germain
l’Auxerrois, on compte 3116 morts du 25 avril 1349 au 20 juin 1350131. Toujours à Paris, la peste emporte nombre de notables. P. Rambourg en
apporte la démonstration en évaluant à environ 30 % le nombre des morts
au sein de la confrérie Saint-Jacques132. La ville de Perpignan perd sans
doute 50 % de sa population en quelques mois133. Pour ne retenir que
l’exemple du royaume de France, alors en guerre, sans que l’unique cause
en soit la peste mais plutôt la misère, de nombreux villages sont abandonnés. À Bordeaux, alors possession anglaise, la mort décime la banlieue
rurale et les paroisses voisines de la cité134. L’Angleterre passe d’environ
trois millions sept cent mille habitants en 1348/1350 à deux millions en
1377/1380, en y incluant, il est vrai, les pestes de 1360 et 1369135. Témoins de
cette catastrophe, l’évêque de Bath et Wells écrit en janvier 1349 :
« La présente pestilence, dont la contagion se répand en tous lieux, a laissé
beaucoup de paroisses vides de prêtres. Comme on n’en trouve plus […], de
nombreux malades décèdent sans les derniers sacrements. Annoncez à tous
que, s’ils sont sur le point de mourir ils peuvent se confesser les uns aux autres,
et même à une femme si aucun homme est présent136 ».
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Le chroniqueur Froissart, contemporain de l’épidémie, évalue pour sa
part les victimes au tiers de la population : « En ce temps, une maladie,
que l’on nommoit épidémie, couroit, dont bien la tierce partie du monde
mourut137 ». Reprenant ces nombreux témoignages l’historien Fernand
Braudel écrit : « Les ravages [de la peste] furent sans commune mesure
avec ce qu’avaient provoqué les maladies ordinaires […]. En France, la
première poussée (1348-1349) qui traversa le pays en son entier, du sud
au nord, fut désastreuse : selon les lieux, le quart, le tiers, parfois quatrevingt à quatre-vingt-dix pour cent de la population disparurent138 ».
La peste conduit à un effondrement démographique, mais nous n’insisterons jamais assez sur ce point : personne ne connaît véritablement le
nombre des victimes, les documents contemporains de l’épidémie donnant des impressions horrifiées et non pas, sauf à de très rares exceptions, des comptes relativement précis. Les estimations actuelles établissent la mortalité dans une fourchette allant de 25 % à la moitié de la
population européenne139. Quel que soit le chiffre, la venue de la peste
est un incontestable désastre.
Tous sont touchés et c’est ce qui fait de la peste, pour partie, un
« drame » unique. Elle n’est pas un évènement annuel abattant exclusivement les éléments faibles de la société. Si Alphonse XI de Castille
est le seul monarque mort de la peste, le roi Pierre d’Aragon perd sa
femme, sa fille et une nièce en l’espace de six mois. L’empereur de
Byzance voit mourir son fils. Dans le royaume de France, en 1349, la
reine Jeanne de Navarre, fille du roi Louis X le Hutin et de Marguerite de
Bourgogne, ainsi que Bonne de Luxembourg, épouse du dauphin Jean141
sont emportées par la peste. Cependant, comme cela a été très tôt remarqué, ce sont les pauvres et indigents qui payent le plus lourd tribut à
l’épidémie, car, comme le souligne Jean-Noël Biraben, « la peste trouvait
chez les pauvres un magnifique terrain d’accueil travaillé en profondeur
par une séquence prolongée de disettes142 ». À Montpellier, Simon de
Covino attribue fort justement ce phénomène à la misère et aux privations qui rendent les pauvres plus fragiles143. Mais ce n’est qu’une partie
de la vérité, car il faut prendre en compte l’entassement dans les logis,
pour les plus démunis et l’extrême insalubrité qui règne partout. Guy de
Chauliac ou Jean de Venette évoquent une mortalité sélective selon l’âge
et la condition sociale. En fait, si la mortalité semble avoir été relativement faible dans quelques corps de dignitaires, elle fut parfois très élevée
dans de nombreux conseils de ville, chez les notaires, dans les couvents
et même au sein du clergé. La cour pontificale à Avignon est touchée : « 6
cardinaux et 93 membres de la cour meurent au cours de l’année 1348,
soit 14 % du personnel de la curial144 ». Dans la Péninsule Ibérique, 37 %
des évêques meurent, ou encore 32 % en Scandinavie145.
Enfin, les conséquences démographiques de la peste sont accrues par
les nombreux retours de la maladie, comme l’épidémie de 1360-1362,
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Figure 4
La Peste noire à Tournai en 1349140
caractérisée par une surmortalité des jeunes146, ou encore celles de 13661369, 1374-1375, 1400, 1407, etc. Nos propres recherches nous ont permis
d’ailleurs d’identifier 61 années de peste pour la seule ville de Bordeaux
entre 1500 et 1656. En Occident, la maladie ne disparaît donc que très
progressivement au cours du XVIIe siècle, des flambées, parfois
majeures, se manifestant encore au XVIIIe siècle, voire au XIXe siècle147.
LE « CORPS SOCIAL » À L’ÉPREUVE DE LA PESTE NOIRE
De par ses ravages démographiques, la Peste noire a des conséquences
sociales et psychologiques incommensurables148. La méconnaissance du
mal, la peur panique qu’il suscite, etc., entraînent la réapparition de
mouvements d’hystérie collective comme les flagellants. Cette secte utilisant comme pénitence la flagellation en public, renaît en Italie où elle
s’était déjà manifestée au XIIIe siècle.
Le Chronicon Henrici de Hervordia rapporte comment ils se mutilaient :
« Chaque fouet se composait d’un bâton avec, à son extrémité, trois lanières
comportant des nœuds. Chaque nœud était transpercé en son centre par deux
pointes métalliques, tranchantes comme des rasoirs, qui dépassaient de chaque
coté en formant une croix de la longueur d’un grain de blé à peu près. C’est
avec ce fouet qu’ils cinglaient leurs corps nus jusqu’à ce qu’ils ne forment plus
qu’une masse de chairs gonflées, lacérées, dégoulinantes de sang qui éclaboussait les murs. Il m’est arrivé de voir pendant les flagellations les pointes de
métal entrer si profondément dans la chair qu’il fallait s’y reprendre à deux ou
trois fois pour les en faire sortir150 ».
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Une procession de flagellants, miniature du XVe siècle149
Représentant une « expression du sentiment mystique des populations angoissées devant un fléau naturel151 », les flagellants se répandent en Europe centrale alors que la France est assez peu touchée. Leurs
manifestations ostentatoires, le caractère d’association secrète qui lie les
anciens pénitents et leurs participations aux persécutions des juifs, décident rapidement le Pape, ainsi que les autorités laïques, à les condamner,
car « les flagellants sous prétexte de piété ont fait couler le sang des juifs
que la charité chrétienne doit préserver et protéger152 ». Le successeur de
Saint Pierre ajoute : « on peut craindre que par leur hardiesse et impudence, un grave degré de perversion ne soit atteint si des mesures
sévères ne sont pas prises immédiatement pour les supprimer153 ». Pour
toutes ces raisons, l’empereur Charles IV les bannit d’Allemagne154, alors
qu’en France, le Roi Philippe VI ordonne le 13 février 1350 « que cette
secte damnée et réprouvée par l’Eglise cesse155 ».
La violence de l’épidémie, les difficultés à en expliquer les causes
poussent aussi à rechercher des coupables, des exutoires à l’angoisse
commune. Dans une récente étude sur la violence au Moyen Age, l’historien américain David Nirenberg souligne la fracture engendrée par la
Peste noire. Sa rapidité à tuer, l’impossibilité de trouver un remède efficace, la terreur qu’elle suscite déclenchent « des attaques contre des
groupes aussi divers que les juifs, les clercs, les étrangers, les mendiants, les pèlerins et les musulmans156 » auxquels nous pouvons rajouter
les lépreux157. Quels que soient les moteurs et les racines profondes dans
lesquels ces actes de violence et de rejet se nourrissent158, il en résulte que
ces groupes sont fréquemment accusés de disséminer la peste, d’intro-
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duire le mal dans une communauté en souillant les portes du pus des
pestiférés, en empoisonnant les puits, en entretenant des rapports avec
le Mal, etc. De nombreux échanges épistolaires entre quelques villes des
royaumes de France et d’Aragon, nous éclairent parfaitement sur l’impuissance des autorités à expliquer la propagation de la peste, si ce n’est
par des actes délétères, commis par des individus marginaux ou considérés comme tels. D’ailleurs, le viguier de Narbonne, André Benoît,
n’écrit-il pas aux jurés de Gérone, que dans les environs de Narbonne
« un quart de la population est morte et que de nombreux empoisonneurs, dont beaucoup sont des mendiants et des pauvres, ont été capturés avec leur poudre empoisonnée159 ».
Les exactions contre les juifs sont maintenant assez bien connues.
Elles sont particulièrement brutales dans la Péninsule Ibérique, à Lérida
par exemple, trois cents d’entre eux sont tués160 ainsi que dans l’Empire
où ils vivent nombreux. Des massacres ont lieu notamment à Nuremberg, Francfort161. En Provence, quarante d’entre eux sont brûlés à Toulon
dans la nuit du 13 au 14 avril 1348. Bien que le Pape Clément VI cherche
à les protéger en menaçant d’excommunication, les 4 juillet et 26 septembre 1348, ceux qui assassinent et pillent les juifs, quelques semaines
plus tard à Strasbourg, un terrible massacre a lieu. Les nouvelles et
rumeurs sur la progression de la maladie, l’angoisse collective régnante,
les horreurs de l’épidémie sans doute dépeintes par quelques survivants,
parviennent de tous côtés à la population strasbourgeoise créant un climat de panique. On accuse les Juifs d’avoir empoisonné les puits, et le
peuple exige leur expulsion ou leur extermination162. La municipalité
ouvre une enquête et demande des précisions à diverses villes alsaciennes et suisses, au sujet des « aveux » qu’auraient fait, (certainement
sous l’effet de la torture), quelques Juifs emprisonnés. Le 8 février 1349,
une réunion se tient à Benfeld, pour décider du sort des Juifs de la Basse
Alsace. A Strasbourg, le samedi 14 février 1349, jour de la Saint Valentin,
on cerne le quartier juif. Ses habitants sont traînés par la foule au
cimetière de la communauté où on les entasse sur un immense bûcher.
Seuls quelques-uns en réchappent en abjurant leur foi. Les biens des
suppliciés sont partagés, les créances détruites et certains gages rendus
à leurs propriétaires. Charles IV163, après avoir menacé la ville de représailles, lui accorde, quelques mois plus tard, son pardon. Évidemment, ce
massacre de la « saint Valentin » n’empêche nullement la peste d’emporter plusieurs milliers de strasbourgeois.
Excepté les juifs, les pauvres et parfois les pestiférés eux-mêmes, souvent sont désignés comme responsables du fléau. Dès lors, mendiants et
pauvres étrangers sont parfois chassés dès le début de l’épidémie. A
Uzerche, en 1348, on décide tout simplement d’expulser les malades165.
Peu à peu, le corps social assimile dans un même mal pauvres et peste.
Avec la Peste noire un changement de perception du pauvre s’amorce,
basculement qui ne cessera de s’accentuer.
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Figure 6
Autre illustration du massacre de la « Saint-Valentin »164
Dans cette société profondément chrétienne, la mort la plus redoutée
est la mort subite, imprévue et non préparée. Le nombre des décès, leur
caractère parfois foudroyant et la désorganisation sociale entraînée par
l’épidémie, favorisent la hantise de mourir sans sacrement. Ceci rend
encore plus terrifiant les derniers moments des malades. Pour répondre à ces angoisses, Clément VI juge nécessaire d’accorder le pardon de
leurs péchés aux nombreuses victimes de la peste mourant sans prêtre.
En Angleterre, un évêque donne l’autorisation aux laïques de se confesser entre eux comme au temps des apôtres166. La mort est partout
présente, comme le souligne le chroniqueur siennois Agnolo di Tura :
« Aucune [cloche] ne sonnait, et personne ne pleurait parce que presque tous
s’attendaient à mourir […] des gens disaient et croyaient : « c’est la fin du
monde […]. Le père abandonnait son enfant, la femme, son mari, un frère,
l’autre frère. Et moi, Agnolo di Tura dit le Gros, j’ai enterré mes cinq enfants de
mes mains et bien d’autres ont fait comme moi167 ».
La disparition des populations par mort ou fuite, la peur que suscite la
maladie, mais aussi la baisse des revenus ont également de nombreuses
répercussions dans les domaines intellectuels et artistiques168. Tandis
que Boccace reproche la prééminence, après 1352, d’une classe de gens
ignorants et médiocres, de nouveaux riches incultes, Chaucer169, de son
côté, attribue à la peste l’extinction en Angleterre du français : les moines
qui l’enseignaient étant morts, le peuple anglais impose ensuite la langue
vernaculaire. Il va de soi que le conflit opposant les royaumes de France
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et d’Angleterre a également contribué à cette disparition. De grands
artistes meurent. En Italie, les maîtres peintres siennois Ambroise et
Pierre Lorenzetti, dont les noms n’apparaissent plus après 1348, sont
probablement morts de la peste, tout comme le sculpteur et architecte
florentin Andréa Pisano, ou encore le grand théologien anglais Guillaume d’Ockham dont le nom disparaît après 1349. Selon Georges Duby,
on peut voir dans cette épidémie une des raisons « de la brusque stérilité
des ateliers anglais d’enluminure170 ». En même temps, la peste permet
l’éclosion d’œuvres marquées par une présence obsédante de la mort,
telles les célèbres danses macabres, dans lesquelles sont retranscrites
l’égalité des hommes devant la mort ainsi que les angoisses de cette
société profondément choquée et désemparée. À ces évocations
morbides s’ajoute une attirance pour le réalisme funèbre.
L’image idéalisée de la mort est remplacée par un sinistre réalisme
dans la représentation des cadavres. Ces derniers apparaissent livrés à
une précoce décomposition dans la charrette qui les emmène vers un
charnier improvisé. La pensée de la mort s’introduit partout, de nombreuses décorations d’édifices civils, religieux et mêmes privés l’évoquent.
En raison de la mortalité qu’elle engendre, l’épidémie bouleverse
l’économie et entraîne de nombreuses perturbations maintenant bien
connues comme la hausse du prix des produits agricoles172. À cause de la
crise dont les composantes sont la peste, mais aussi la guerre, les disettes
(en Aquitaine, 1373-1375), les déprédations des bandes de brigands, la
surmortalité d’un grand nombre de contribuables, l’interruption des
échanges commerciaux, etc., les nobles, les commerçants, mais aussi les
finances municipales connaissent parfois une baisse significative de leurs
revenus. En revanche, les survivants bénéficient de la carence de maind’œuvre et, par contre coup, d’une hausse des salaires urbains pouvant
entraîner un exode rural. Les richesses sont aussi redistribuées et parfois
concentrées à la suite d’héritages quelquefois inespérés et multiples. Au
final, comme le souligne Georges Duby, « l’épidémie a déterminé une
hausse générale du niveau de vie173 ».
La conséquence la plus insidieuse concerne le dépeuplement des
abbayes et des monastères. De célèbres exemples illustrent les ravages
occasionnés par le fléau dans certaines communautés. À Marseille, tous
les franciscains meurent. De même, tous les franciscains d’un couvent de
Montpellier sont emportés alors que seuls sept dominicains sur cent
quarante survivent à la peste174. Après la saignée du XIVe siècle, les
ordres religieux se trouvent face à un dilemme : rassembler dans une
maison les rares survivants ou laisser les demeures ouvertes. Cette seconde solution est le plus souvent retenue, aucun ordre ne voulant sembler perdre du terrain. Aux moines érudits furent substitués des ignorants souvent incroyants et cupides. Cette politique de recrutement
contribue à discréditer l’Eglise et à alimenter, à long terme, les accusations formulées par la Réforme175.
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Figure 7
Une danse macabre171
S’il est évident qu’au XIVe siècle, de nombreuses maladies affligent les
populations en même temps que la Peste noire, celle-ci, pour les contemporains, se distingue alors de toutes les autres maladies par sa nouveauté, son extrême virulence et son caractère quasi « universel ». Au
regard du cataclysme qu’elle représente, de sa rapidité de propagation et
de ses répercussions, quelques chercheurs ont voulu y voir autre chose
que la maladie due à Yersinia pestis. La nature véritable des grandes
épidémies médiévales resterait, selon eux, à établir et certains vont même
jusqu’à proposer, à la place de la peste, le charbon ou encore une maladie
de type fièvre hémorragique virale176. Pour étayer leur théorie, ils se
fondent, notamment, sur l’absence de témoignages à propos d’une quelconque épizootie murine précédant l’épidémie humaine, sur les saignements des malades relevés par les témoins, sur la présence non systématique des bubons, ou encore sur la diffusion extrêmement rapide de
la maladie.
Il est vrai qu’ordinairement, une épizootie murine précède une
épidémie de peste. Ce phénomène, depuis longtemps repéré en Orient,
comme manifestation annonciatrice d’un fléau, a été clairement établi à
la fin du XIXe siècle. Pourtant, ce signe n’est que très rarement relevé lors
des épidémies historiques en Occident et jamais dans le cadre de la Peste
noire. Il est intéressant de remarquer que les rats, qui pourtant pullulent
dans les villes et campagnes, ne sont que très rarement évoqués et suspectés. En fait, au Moyen Age et à l’époque Moderne, aucun rapprochement n’est fait entre le rat et la peste. Ce quasi-silence des sources
est peut-être à rechercher dans le comportement du rat noir en Occident.
Dans son ouvrage sur la peste Jean-Noël Biraben écrivait en 1975 :
« Si les hommes de cette époque n’ont pas remarqué de mortalité anormale
chez les rats, c’est peut-être parce que ceux-ci, qui étaient des rats noirs vivant
dans les greniers, vont à l’inverse des rats gris qui sortent de leurs caches pour
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mourir loin des hommes dans des endroits hauts et inaccessibles, c’est du moins
une hypothèse que nous pouvons faire177 ».
C’est aussi ce que pense l’archéozoologue Frédérique AudoinRouzeau : « En Europe, il [le rat noir] est un animal d’intérieur, un strict
commensal de l’homme : il est donc bien difficilement visible » et l’auteur ajoute :
« Mais le rat est pourtant bien là, dans les greniers, dans les entrepôts où il
s’abrite. On peut donc estimer que l’épizootie murine, si elle ne pouvait être
observée sur des rats titubant dans les rues […] aurait dû être aisément constatée au sein des habitats. Mais dans ces bâtiments qu’il colonise, le rat noir se
dissimule également : sa vie est essentiellement nocturne, ses nids sont identifiés dans les hauteurs, hors de la vue et de la portée des hommes. C’est un
excellent grimpeur et un non moins bon foreur ; il loge dans les greniers et les
combles aménageant les nids dans les hauts de charpentes, dans les croisées des
poutres, entre les tuiles, derrière les cloisons, dans les anfractuosités des murs
de terre ou de pierres […] aussi peut-on concevoir qu’il soit difficile d’assister
à la mort massive des rats, se dissimulant […]178 ».
Aux autres arguments retenus comme les hémorragies ou l’absence de
bubons, rappelons simplement que les formes bubonique et pulmonaire
de la peste peuvent entraîner des saignements expliquant parfaitement
les hémorragies relevées par les contemporains. Dès le XIVe siècle, la
présence du bubon sur les malades est relevée par les chroniqueurs et
médecins. Dans la Péninsule Ibérique, les deux formes cliniques
majeures de la peste sont très bien décrites. Le médecin musulman Ibn al
Khatib donne une description sans équivoque de la peste bubonique :
« Les tissus glandulaires qui se trouvent dans les aines disposés à recevoir les
rejets sont souvent le foyer d’abcès dans cette maladie, et en rapport avec le
cœur, nous rétorquons que la relation avec le cœur s’explique par le rapport que
cela a avec le pneuma d’abord, ensuite par le fait que le mal se généralise pour
toucher tous les organes principaux, et peut être même que le cœur relance les
matières jusqu’au dessous des aisselles tant que la matière n’est pas la même
[…]179 ».
Et de rajouter à propos, cette fois de la forme pulmonaire :
« Si on demande pourquoi celui-ci qui crache du sang est plus exposé à la contamination que les autres, nous répondons : parce que son cas est plus violent. Il rejette la guérison en raison de la correspondance d’une haleine à une
autre haleine dans le contexte de la prédisposition, en raison de l’adéquation du
poumon malade au poumon prédisposé, ce qui est comparable à la parole qui
n’a rien à voir avec ce sujet, selon la citation : la parole si elle est sortie du
cœur, elle va droit au cœur : ce qui caractérise les poumons c’est l’acceptation de
contagion comme la phtisie, etc.180 ».
On ne peut qu’être saisi par la justesse de son analyse : toute l’idée de
contagion interhumaine et d’infection pulmonaire sont dans ces
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quelques lignes. A Paris, le Carme Jean de Venette, témoin de l’épidémie
écrit « Il leur venait soudain des bosses [...] de la mort181 ». Si l’absence de
bubons est malgré tout relevée, elle ne remet pas systématiquement en
question la nature du mal, car la peste en Occident, au cours du premier
hiver au moins, se propage aussi sous sa forme pulmonaire. Dans ce cas
précis, le seul vecteur de transmission est l’homme. Jean de Venette nous
le laisse entendre lorsqu’il évoque la rapidité des décès : « ils n’étaient
malades que 2 ou 3 jours et mourrait rapidement, le corps presque sain.
Celui qui aujourd’hui était en bonne santé, demain était mort et porté en
terre182 ». La rapidité avec laquelle la peste tue sous cette forme explique
la rareté des cas buboniques au cours d’une même épidémie. Frédérique
Audouin-Rouzeau écrit à ce propos :
« La peste pulmonaire évolue à une rapidité foudroyante. Dans ces conditions,
quand bien même des membres de l’entourage seraient piqués par des puces
infectées, et quelles que soient ces puces, la vitesse de l’atteinte pulmonaire ne
permettrait pas d’observer le développement d’une peste bubonique contractée parallèlement. Le temps d’incubation de la peste pulmonaire est court et de
toute façon plus réduit que celui de la peste bubonique. L’apparition du bubon,
au 2e ou 3e jour de la maladie n’aurait pas le temps d’être détectée, le malade
étant déjà décédé de l’atteinte pulmonaire183 ».
En Europe, Yersinia pestis a été identifiée à plusieurs reprises sur des
victimes de la peste justinienne, de la Peste noire et des épidémies
postérieures. A propos des pestes du Haut Moyen Age, il a longtemps été
admis que le fléau s’était propagé en Gaule jusqu’à Clermont-Ferrand,
Reims, Trèves184, Bourges, Dijon185. A partir de rares sources, il était considéré comme fort probable, mais non incontestable, que cette pandémie
soit le fait de Yersinia pestis186. Désormais, de récentes fouilles
archéologiques, appuyées sur des analyses ADN de squelettes provenant
de sépultures de crises du Haut Moyen Age, prouvent que cette maladie
a eu en Gaule une diffusion plus large que celle envisagée par JeanNoël Biraben187. L’étude d’un gisement funéraire à Sens, daté des Ve-VIe
siècles, a permis de confirmer la présence du bacille de souche orientalis,
révélant ainsi pour la première fois la présence du bacille de la peste au
VIe siècle. Les épidémies postérieures ont également bénéficié de ces
techniques ayant permis de diagnostiquer Yersinia pestis sur des restes
humains issus de sépultures multiples datées du XIVe siècle (donc contemporaines de la Peste noire) et provenant du cimetière de Saint Côme
et Damien à Montpellier. De même, à Dreux, un gisement funéraire daté
encore du XIVe siècle a permis de mettre en présence Yersinia pestis,
corroborant, par là même, les résultats obtenus pour le site de Montpellier188. Citons aussi les résultats de chercheurs suédois qui ont mis en
évidence la présence du bacille dans un charnier du XIVe siècle contenant une vingtaine d’individus189. Incontestablement, la nature du
mal qui s’abat sur l’Occident à partir de 1347 est sans équivoque. Ces
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récentes découvertes ne peuvent que mettre fin à une controverse quant
à l’étiologie de cette épidémie pour laquelle d’autres agents pathogènes
ont été longtemps incriminés.
Au terme de cette étude, il nous paraît indiscutable, même si évidemment d’autres maladies se manifestent, que la Peste noire est due à
Yersinia pestis. Installée pour de longs siècles, la peste va désormais
frapper plus ou moins régulièrement villes et campagnes. Elle est un
incommensurable choc psychologique et, pour reprendre les mots de
Jean Delumeau, « une rupture inhumaine190 ». Pourtant les hommes
comprenant parfaitement le danger qu’elle représente vont progressivement s’organiser. Ainsi, naîtront des hôpitaux de la santé et lazarets,
des billets et patentes maritimes, des règlements « pour le temps de
peste », des législations sanitaires de plus en plus étoffées qui, pour certaines, perdureront et façonneront nos codes de santé actuels. Si ces
mesures prophylactiques et de police sanitaire contribuent à la disparition de la maladie, il est aussi envisageable que les survivants des
épidémies aient acquis progressivement des capacités immunitaires leur
permettant de se colleter avec plus de succès aux agressions répétées
de la peste. De plus ayant guéri et étant donc « vaccinés » ils deviennent
des protagonistes efficaces de l’immunité de la population191.
Au final, la peste, si ce n’est ponctuellement et localement, n’entravera
plus sur le long terme les progrès démographiques, économiques et culturels de l’Occident. Elle reste un passionnant sujet d’étude car de nombreuses interrogations subsistent à propos, notamment, de la gestion
funéraire en temps d’épidémie ou son impact démographique. Le renouvellement de la question doit passer par une multiplication des études
monographiques qui nous permettront de mieux appréhender la diffusion réelle de l’épidémie. Un intérêt croissant doit être donné à de nouvelles méthodes d’investigation passant par exemple par une prise en
compte des « archives biologiques ». Il sera alors possible que de nouvelles découvertes parviennent à résoudre, partiellement du moins, les
questions posées.
NOTES
1 Terme surtout employé par les anglo-saxons.
2 Le médecin de Grenade Ibn al-Kathib, témoin de la Peste noire, écrit un traité
intitulé Muqni’at as-sa il’an al-marad al-ha’il, ce qui signifie suivant la transcription
donnée par Mohammed Melhaoui « Convaincre le demandeur au sujet de la
maladie effrayante », manuscrit 1785, Bibliothèque royale de l’Escorial, Madrid, f°
57 b. Mohammed Melhaoui, Peste, contagion et martyre. Histoire du fléau en Occident
musulman médiéval (Paris : Publisud, 2005), p. 77. De fait, partout en Occident de
nombreux autres noms sont donnés à la peste. Giorgio Cosmacini dans son étude
sur l’Italie on donne quelques uns : « Febris pestilentialis, infirmitas pestifera,
morbus pestiferus, mortalitas pestis, morbus pestilentialis ou plus simplement
pestilentia pestis ». Giorgio Cosmacini, Soigner et réformer. Médecine et santé en Italie
de la grande peste à la Première Guerre mondiale (Paris : Payot, 1992), p. 20.
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3 Cette appellation de « mort noire » ou de « Peste noire », tardive, ne fait pas référence
à la couleur des cadavres des pestiférés qui n’étaient pas noirs comme on l’a trop
souvent imaginé aux XIXe-XXe siècles. L’expression se rapporte au sens figuré de
l’adjectif dans l’acception de lugubre, d’effroyable. L’expression de « mort noire »
fut, selon Jacqueline Brossollet et Henri Mollaret, employée en 1832 par un médecin
allemand, « en cette époque romantique, les auteurs l’expliquaient par « la couleur
noire du cadavre des pestiférés ». Le médecin allemand est J. Hecker, Der schwarze
Tod im vierzehnten Jahrhundert (Berlin, 1832). Jacqueline Brossollet et Henri Mollaret,
Pourquoi la peste ? Le rat, la puce et le bubon (Paris : Découvertes Gallimard, 1994),
p. 132-133. Mais sur une question aussi importante il est étonnant de constater que
tous les historiens ne sont pas d’accord sur l’origine de l’expression. Selon David
Herlihy, « La formule – Peste noire –, n’est pas attestée au Moyen Age. Ce sont
apparemment des chroniqueurs danois et suédois du XVIe siècle qui l’ont inventée.
L’adjectif « noir » ne se réfère pas à un symptôme ou à une couleur, mais a le sens
de « terrible », « effroyable ». La formule fut longue à s’imposer dans les autres
langues de l’Europe du Nord, l’allemand et l’anglais ». David Herlihy, La Peste noire
et la mutation de l’occident (Paris : Gérard Monfort Editeur, 1999), p. 29.
4 Dominique Castex et Isabelle Cartron, dir., Epidémies et crises de mortalité du passé
(Talence : Ausonius Editions, 2007), p. 95-120; Dominique Castex, « Sépultures
multiples : sépultures de catastrophes ? », Dossiers d’Archéologie, 208 (1997) : 44-47;
et Michel Signoli, Etude anthropologique de crises démographiques en contexte
épidémique. Aspects paléo et biodémographiques de la peste en Provence, thèse de
doctorat, Université de la Méditerranée-Aix-Marseille 2, 1998.
5 Frédérique Audouin-Rouzeau, Les chemins de la peste. Le rat, la puce et l’homme
(Rennes : PUR, 2003), p. 371.
6 La paléomicrobiologie a pour objectifs la détection et l’identification de
microorganismes : bactéries, virus, champignons unicellulaires et parasites dans des
échantillons humains et environnementaux anciens, le génotypage des microorganismes anciens, l’analyse de l’évolution génétique des microorganismes,
l’interprétation des données paléomicrobiologiques intégrant les données
anthropologiques et historiques dans une perspective évolutive des microorganismes
et des maladies infectieuses. Consulter le site : http://ifr48.timone.univ-mrs.fr. On y
trouve une abondante bibliographie.
7 Nous nous permettons de renvoyer le lecteur à notre étude : Stéphane Barry et
Norbert Gualde, « La plus grande épidémie de l’histoire », L’histoire, 310 (2006) : 38-49.
8 Henri Mollaret et Jacqueline Brossollet, Alexandre Yersin ou le vainqueur de la peste
(Paris : Fayard, 1985), p. 320.
9 Claude Chastel et Arnaud Cénac, Histoire de la médecine, introduction à
l’épistémologie (Paris : Ellipse, 1998), p. 168.
10 À l’origine, appelée Pasteurella pestis la peste ne prend que plus tard son nom actuel
de Yersinia pestis en hommage à Yersin.
11 A. Achtman, K. Zurth, G. Morelli, G. Torrea, A. Guiyoule, Elisabeth Carniel, «Yersinia
pestis, the cause of plague, is a recently emerged clone of Yersinia pseudotuberculosis », Proceedings of the National Academy of Sciences (1999) : 140-147; et Léon
Le Minor, Michel Veron, Bacteriologie médicale (Paris : Flammarion, 1989), p. 455-458.
Les chercheurs ont constaté d’après la structure de la bactérie que celle-ci a évolué
à partir d’un microbe intestinal bénin, Yersinia pseudotuberculosis. Yersinia pestis a
survécu dans le sang et non plus dans l’intestin, en s’emparant de gènes, de virus
et de bactéries semblables.
12 Yersinia pestis et Yersinia pseudotuberculosis sont deux espèces « génomiquement »
pratiquement identiques. Toutefois, il est probable que certains gènes ou groupes
de gènes acquis par Yersinia pestis, lui ont conféré son pouvoir pathogène
exceptionnel.
13 Comme par exemple le rat noir, Rattus rattus, qui est abondamment présent en
Occident au Moyen Age et qui est particulièrement sensible à la peste.
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14 Sur l’épidémisation de la peste, excepté les travaux de Jean-Noël Biraben et
Frédérique Audouin-Rouzeau, on peut consulter ceux de Jean-Claude Beaucournu,
« A propos du vecteur de la peste en Europe occidentale au cours de la deuxième
pandémie », Bulletin de la Société Française de Parasitologie, 13 (1995) : 233-252 ;
« Diversité des puces vectrices en fonction des foyers pesteux », manuscrit 1963/PLS14
Journée IP en hommage à Paul-Louis Simon ; et « Essai d’histoire de la peste, de la
bactérie tellurique à la puce et à l’homme : enchaînement d’adaptations et/ou
d’évolution », Ecole doctorale du muséum, Muséum d’histoire national d’histoire
naturelle, Paris, 2-4 mai 2001, p. 10, http://www.mnhn.fr.
15 Sur le thème de la coévolution entre les microbes et les hommes. Norbert Gualde,
Comprendre les épidémies. La coévolution des microbes et des hommes (Paris : Les
Empêcheurs de penser en rond/Le Seuil, 2006), p. 402.
16 Longtemps il a été pensé que Yersinia pestis antiqua était à l’origine des épidémies
de l’antiquité et du Haut Moyen Age ; Yersinia pestis medievalis était responsable
de la seconde pandémie qui débute en Occident avec la grande Peste noire au XIVe
siècle et que Yersinia pestis orientalis était la souche responsable de la dernière
pandémie partie de Chine au XIXe siècle.
17 Il s’agit de Michel Drancourt, Didier Raoult et leur équipe de l’unité des Rickettsies
à Marseille ainsi que le Laboratoire d’anthropologie des populations du passés
(Université de Bordeaux 1), de l’unité des Yersinia de l’Institut Pasteur (Paris),
Information génomique et structurale (Marseille), et le Centre d’anthropologie
(CNRS, EHESS, Universités de Toulouse 2 et 3).
18 Charniers datés respectivement du VIe et du XIVe siècle.
19 Tissu conjonctif situé dans la dent. « La pulpe dentaire correspond à un matériel
ancien particulièrement intéressant, particulièrement résistant, préservé du milieu
extérieur tant du point de vue de la contamination par la flore tellurique que du
point de vue du lavage, autorisant l’application de protocole d’extraction sans
décalcification. Ces particularités de la pulpe dentaire sont des avantages lorsqu’on
les compare au matériel osseux, actuellement le plus souvent utilisé dans les travaux
de paléomicrobiologie ». Michel Drancourt, « L’ADN de la pulpe dentaire : un outil
pour l’analyse en paléomicrobiologie », Médecine/sciences, 15 (1999) : 107.
20 G. Chabriat, « La peste au fil des siècles », Journal du CNRS, 179 (2004) : 10. Cité par
Castex et Drancourt, « D’un gisement funéraire à la détection d’une crise épidémique. Identité biologique et patrimoine génétique », Revue Sociologie Santé, 22
(2005) : 203.
21 Multispacer Sequence Typing. Il s’agit d’une technique de génotypage ici appliquée
à Yersinia pestis.
22 De 1987 à 2001, 24 pays ont déclaré des cas de peste se répartissant pour l’essentiel
sur le continent africain avec 80 % de ces cas et 84 % des décès notifiés. Le nombre
de déclarations de peste à l’OMS n’a cessé d’augmenter. Actuellement, près de 40
000 cas humains de peste ont été déclarés à l’OMS par 24 pays au cours des quinze
dernières années et ce malgré l’existence d’un traitement efficace et peu coûteux.
De plus, les chiffres publiés sont à considérer avec prudence car ils recouvrent des
réalités différentes en fonction des pays et des années, la nomenclature n’étant
pas toujours respectée (cas confirmés et cas suspects sont parfois indifférenciés) avec
souvent une sous-déclaration des cas en raison de la faiblesse des systèmes
nationaux de surveillance. Ces imprécisions sont liées au manque de laboratoires
et de personnel qualifié sur le terrain. Quand on analyse sur l’ensemble de la
période la répartition des cas de peste par continent, Madagascar et la Tanzanie
totalisent 60 % du total des cas en Afrique ; le Pérou 87 % dans les Amériques ; et
le Vietnam 60 % en Asie. Aux Etats-Unis, en 1996, 5 cas sont signalés dont deux
mortels chez des adolescents de 16 et 18 ans. En novembre 2002, deux cas de peste
bubonique, importés du Nouveau Mexique sont signalés à New York. Plus
récemment encore, de janvier à août 2006, treize cas de peste, dont deux mortels,
ont été rapportés dans l’ouest des Etats-Unis, soit le plus grand nombre de cas
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depuis douze ans. L’Etat le plus affecté est le Nouveau-Mexique. En moyenne, les
Etats-Unis recensent sept cas de peste par an. En Algérie après une période de
silence inter-épidémique de 50 ans, une épidémie a éclaté dans le courant du mois
de juin 2003 dans la banlieue d’Oran, deuxième ville du pays. Puis entre le 4 et le
18 juin 2003, 10 cas de peste bubonique apparaissent dans la localité de Kehaïlia,
commune de Tafraoui, un village de 1 200 habitants, à 30 kilomètres d’Oran. On
déplore le décès du premier cas signalé. Le village est isolé pendant 12 jours et tous
les habitants sont mis sous traitement préventif.
Une arme biologique est « une arme qui, délivre un micro-organisme susceptible
de provoquer une maladie chez l’Homme ou les animaux, ou de produire une
détérioration des matériaux ». Olivier Lepick, « La menace biologique », Revue
Sociologie Santé, 22 (2005) : 177-187. Du même auteur : « L’arme biologique, bombe
atomique du pauvre », La Recherche, 7 (2002) : 64-66 ; et Patrice Binder et Olivier
Lepick, Les armes biologiques (Paris : PUF, 2001), p. 127. On peut lire aussi avec profit :
Henri Mollaret, L’arme biologique. Bactéries, virus et terrorisme (Paris : Plon, 2002), p. 214.
Enfin passionnant et inquiétant est le récit du transfuge Ken Alibek qui pendant de
nombreuses années a été un des hauts responsables du programme militaire
biologique de l’ex URSS. Ken Alibek, La guerre des germes (Paris : Presse de la Cité,
2000), p. 441.
Dans les faits d’autres puces peuvent jouer un rôle dans l’épidémisation de la peste
notamment dans les zones chaudes de la planète.
Dans ce cas précis, le rat gris, Rattus norvegicus. Alors qu’en Occident au Moyen Age,
le rat le mieux implanté était le rat noir, Rattus rattus.
J.-H. Yvinec, P. Ponel, Jean-Claude Beaucournu, « Premiers apports archéentologiques de l’étude des Puces aspects historiques et anthropologiques
(Siphonaptera) », Bulletin de la Société entomologique de France, 105/4 (2000) : 424.
Yvinec et al., « Premiers apports archéentologiques », p. 424.
Jean-Claude Beaucournu, « Diversité des puces vectrices en fonction des foyers
pesteux », Manuscrit 1963/PLS14 Journée IP en hommage à Paul-Louis Simon, p. 2.
http://www.pathexo.fr/pdf/1999n5b/Beaucou.pdf. Consulté 3 août 2008.
Le concept de pathocénose, soit l’ensemble des états pathologiques présents dans
une population donnée à un moment précis est dû à Mirko Grmek. Mirko Grmek,
La vie, les maladies et l’histoire (Paris : Le Seuil, 2001), p. 29-33.
« […] aux hommes comme aux femmes, venaient d’abord à l’aine ou sous les
aisselles certaines enflures, dont les unes devenaient grosse comme une pomme
ordinaire, d’autres comme un œuf, d’autres un peu plus ou un peu moins, que le
vulgaire nommait bubon ». Boccace, Décaméron (Paris : Librairie Générale Française,
1994), p. 38.
William Naphy et Andrew Spicer, La Peste noire Grandes peurs et épidémies, 1345-1730
(Paris : Autrement, 2003), p. 34.
Ce lettré exceptionnel a perdu son père et dix de ses seize maîtres tunisois suite à
la Peste noire. Il écrit encore à propos de la terrible épidémie « on eût dit un tapis
que Dieu aurait roulé avec tout ce qui se trouvait dessus ». Gabriel Martinez-Gros
« Ibn Khaldun : itinéraire d’un lettré arabe », L’histoire, 309 (2006) : 63-64.
Le Livre des exemples, traduction par A. Cheddadi (Paris : Gallimard, 2002).
Il est vraisemblable que la peste sévisse en Inde dès le XIe siècle et peut-être en
Chine, dans la province du Yunnan dès 1165. Cité par Audouin-Rouzeau, Les
chemins, p. 19.
Ibn Kathima, Tahsil garad al-quasid fi tafsil al-marad al-wafid, XIVe siècle, manuscrit 1785,
Bibliothèque royale de l’Escorial, Madrid, f° 57 b. Cité par Melhaoui, Peste, p. 61-62.
Ces chiffres sans qu’ils donnent leurs sources, sont avancés par les historiens anglosaxons William Naphy et Andrew Spicer, La Peste Noire, p. 23. D’autres historiens, sans
que nous sachions les bornes chronologiques dans lesquelles ils inscrivent leur
estimation, avancent le chiffre de 13 millions de victimes. De même le cheminement
de la peste à partir de la Chine est aussi discuté. Frédérique Audouin-Rouzeau
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rappelle « qu’il est difficile, d’après Lien-Tech WU de savoir si la seconde pandémie
toucha la Chine avant ou après l’Europe ; depuis sa source d’Asie Centrale ». Ce
dernier auteur cite Hecker, « selon qui la maladie ravagea la Chine dès 1333, voire
plus tôt encore, et Creighton qui évoque l’année 1352 ». Cité par Audouin-Rouzeau,
Les chemins, p. 18 et note 22. Enfin Marie-Christine Lechipre reprenant ces auteurs
écrit à propos de la diffusion de la maladie : « Dès 1346, sous le règne de Chun-ti, la
Chine a 13 000 000 de morts de la peste ; celle-ci se propage ensuite dans trois
directions. La première route, la plus septentrionale, se dirige vers la mer Noire, en
passant par la Bulgarie et le territoire des tartares du Kapschack pour aboutir en trois
mois à Constantinople. La seconde passe par l’Inde à travers Hérat pour atteindre
les villes de la côte méridionale de la Caspienne, la Petite Arménie, la Caromanie,
Césarée, Antioche et l’Asie Mineure en cinq mois. La plus méridionale des voies part
de l’Euphrate et de Bagdad, traverse l’Arabie pour atteindre l’Afrique du Nord en
trois mois. Cette peste suit donc le chemin des caravanes transportées par les
marchands qui traversent librement la Chine ». Marie-Christine Lechipre, La médecine
italienne au Moyen-Age, thèse de doctorat, Université Paris 3-Sorbonne, 1992, p. 279.
Cité par Audouin-Rouzeau, Les chemins, p. 18.
Ce nom vient de Nestorius - 381 - 451 qui fut élu patriarche de Constantinople en
428. Il n’occupe que trois ans son siège. On appelle nestoriens les chrétiens adeptes
du nestorianisme, une des formes historiquement les plus influentes du
christianisme dans le monde durant toute la fin de l’Antiquité et du Moyen Âge à
partir de ses bases à l’ouest de l’empire perse. Les Chrétiens nestoriens se séparèrent
de l’organisation de l’Église au Ve siècle, se donnant comme chef un patriarche,
appelé patriarche de Séleucie et de Ctésiphon ou katholikos. http://fr.wikipedia.org.
Dans l’actuel état du Kirghizstan.
Jean-Noël Biraben, Les hommes et la peste en France et dans les pays européens et
méditerranéens, t. I (Paris/La Haye : Mouton & and Ecole des Hautes Etudes en
Sciences Sociales, 1975), p. 51.
Actuellement Féodossia ou Féodosie en Ukraine.
Michel Balard nous rappelle les origines de cette nouvelle attaque mongole sur
Caffa. Il écrit « [Les colonies de Crimée tenues par les Occidentaux] se trouvent alors
en butte aux menaces des armées mongoles. En effet en 1343, une rixe a opposée
Génois et Vénitiens aux indigènes de Tana, sur la mer d’Azov. Un mongol a été tué
par un Vénitien ; les maisons et entrepôts des marchands occidentaux ont été
pillés. Résolu à se venger de l’affront le khan Djanibeck vient mettre le siège en
février 1344 devant la colonie génoise de Caffa. Les Génois se défendent
farouchement, font une sortie nocturne et détruisent les engins de siège ainsi
qu’une partie de la flotte mongole, contraignant le khan à se retirer. Deux ans plus
tard, l’armée mongole revient devant Caffa ». Michel Balard, « Les semeurs de
peste », L’histoire, 262 (2002) : 18.
« Cette histoire a été rapportée initialement par G. de Mursis (ou Mussi) un
chroniqueur italien qui avait obtenu ces informations de marchands, sans preuves
directes. La contamination des rongeurs à l’intérieur de la ville fortifiée paraît
beaucoup plus vraisemblable ». Balard, « Les semeurs de peste », p. 18; et JeanFrançois Saluzzo, Des hommes et des germes (Paris : PUF, 2004), p. 53. « L’histoire livre
d’autres exemples de telles attaques biologiques. En 1422 le château de Karlestein,
en Bohême, tenu par les hussites est assiégé par les troupes de l’empereur
d’Allemagne Sigismond. Les attaquants font jeter dans la ville des cadavres de
soldats et des excréments d’animaux. Ces soldats sont supposés morts de peste, mais
sans certitude […]. En 1710, à Reval en Estonie, durant leur guerre avec les suédois,
les russes expédièrent les corps de leurs compagnons pestiférés dans la ville ». Il est
aussi probable qu’en 1785, la tribu tunisienne des Nadis, touchée par la peste tandis
que les chrétiens ne le sont pas encore, jetèrent des lambeaux de tissus et de
vêtements infectés sur leurs ennemis. En 1942, les Japonais utilisèrent la peste
comme arme biologique en Chine. Ils avaient envoyé un engin contenant de grosses
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puces prélevées sur des rats à qui ils avaient inoculé la peste dans le « laboratoire
731 ». Il y eut 500 décès. Audouin-Rouzeau, Les chemins, p. 12, note 6; et Jean-Noël
Biraben, Les hommes, t. I, p. 409.
Georges Duby, L’économie rurale et la vie des campagnes dans l’Occident médiéval. France,
Angleterre, Empire, IXe-XIVe siècles, t. II (Paris : Champs/Flammarion, 1977), p. 178.
Duby, L’économie rurale, p. 178. Emmanuel Le Roy Ladurie, dans une récente synthèse
sur l’histoire du climat, apporte quelques compléments et précise que pour cette
même période de mai à octobre cela représente « un minimum de 2 794 morts. Le
détail chronologique suggère une mortalité d’abord très forte de mai à août 1316,
à raison de 160 morts par semaine très exactement, puis cela se calme en septembre ;
on tombe à la quarantaine, ensuite à la trentaine et à la quinzaine de morts
hebdomadaire ». Emmanuel Le Roy Ladurie, Histoire humaine et comparé du climat.
Canicules et glaciers, XIIIe-XVIIIe siècles (Paris : Fayard, 2004), p. 42.
Emmanuel Le Roy Ladurie, Histoire du climat depuis l’an mil, t. I (Paris : Flammarion,
1983), p. 17-18.
De nombreuses études attestent de ces débats autours de cette relation
épidémie/famine. Citons pour exemple Elisabeth Carpentier, « Autour de la Peste
noire : Famines et épidémies dans L’histoire du XIVe siècle », Annales ESC, 2 (1962) :
1062-1091. Mentionnons également que des historiens italiens et anglo-saxons ont
réfuté avec force tout lien de cause à effet entre malnutrition et peste. Certain
même avancent l’hypothèse que la « malnutrition ait souvent protégé de la
maladie ». Cité par Samuel K. Cohn, Jr., dans Herlihy, La peste, p. 3.
Biraben, Les hommes, t. I, p. 147.
Michel Vovelle, La mort et l’Occident de 1300 à nos jours (Paris : Gallimard, 1983), p. 90.
Alain Demurger, Temps de crises, temps d’espoirs, XIVe-XVe siècle (Paris : Editions du
Seuil, 1990), p. 17.
Cosmacini, Soigner, p. 21.
Marie-Hélène Congourdeau, « La Peste noire à Constantinople de 1348 à 1466 »,
Medicina nei secoli 11/2 (1999) : 377-390.
Démétrios Kydonès, v. 1324-1397/1398, a été témoin de plusieurs épidémies à
Constantinople. Ce thomiste « grec » a été secrétaire de l’empereur Jean VI
Cantacuzène.
Marie-Hélène Congourdeau, « La peste à Byzance », Bulletin du centre d’étude d’histoire
de la médecine, 8 (1994) : 7.
Seul un très grand nombre d’études monographiques poussées pourrait sans doute
répondre partiellement à ces problèmes d’identification d’itinéraire précis et de
chronologie.
Massimo Livi Bacci, La population dans l’histoire de l’Europe (Paris : Editions du Seuil,
1999), p. 116.
Jean-Noël Biraben, « La maladie », dans Jean Favier dir., La France médiévale (Paris :
Fayard, 1983), p. 81.
Jean-Noël Biraben, « Les routes maritimes des grandes épidémies au Moyen Age »,
dans Christian Buchet, dir., L’homme, la santé et la mer (Paris : Honoré Champion,
1997), p. 23-37. Sur la rapidité de propagation de la peste, les historiens ont pu
créditer pour l’épidémie de Peste noire, une vitesse moyenne de diffusion d’environ
75 kilomètres par jour. La maladie a par exemple parcouru les 226 kilomètres qui
séparent Lyon d’Avignon en 115 jours, et seulement 25 jours ont suffi pour qu’elle
atteigne Perpignan à partir de Narbonne. Françoise Hildesheimer, Fléaux et sociétés
de la Grande Peste au choléra, XIVe-XIXe siècles (Paris : Hachette, 1993), p. 10.
En Espagne, la peste se manifeste par exemple à Barcelone en mai, à Valence en
juin, etc. Un mois plus tard, la Navarre est probablement touchée, sans que l’on
connaisse précisément la voie de pénétration de la maladie. Est-ce par Barcelone,
ou par les chemins de Saint-Jacques traversant la Gascogne ? Maurice Berthe
souligne cette difficulté à laquelle est confronté l’historien pour connaître
précisément l’itinéraire et la chronologie de la Peste noire. L’auteur écrit à propos
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de la diffusion de la maladie dans les régions nord de la Péninsule Ibérique « les
sources navarraises demeurent muettes autant sur l’arrivée de l’épidémie que sur
sa propagation. Pas d’avantage d’indication sur la date d’apparition du fléau ».
Maurice Berthe, Famine et épidémies dans les campagnes Navarraises à la fin du Moyen Age,
t. I (Paris : SFIED, 1984), p. 304, 307 et suiv. Sur la Peste noire dans la Péninsule
Ibérique, excepté les travaux de Jean-Noël Biraben, Les hommes, t. I, p. 198-219, nous
renvoyons à l’abondante bibliographie donnée par l’historien David Nirenberg.
David Nirenberg, Violence et minorités au Moyen Age (Paris : PUF, 2001), p. 287, notes
1-2.
A. Aimes, « Un illustre maître montpelliérain, Guy de Chauliac, le père de la
chirurgie moderne », Monspeliensis Hippocrates, 18 (1962) : 5-14.
Jean Schwartz, Réflexions sur l’histoire de la médecine (Strasbourg : Presse Universitaires
de Strasbourg, 2000), p. 21.
Richard-Louis De Lavigne, « La peste noire et la commune de Toulouse : le
témoignage du livre des matricules des notaires », Annales du Midi, 104 (1971) : 415.
Klaus Bergdolt, La Peste nera e la fine del medioevo (Casale Monferrato : Piemme
Pocket, 2002) 376 p.
« Sequuntur legata facta charitati Agenni Perpetuuus anno XLVIII tempore
mortalitatis pestifere que duravit dicto ab introitu mensis Madii ad festum Natalis
Domine Vel Urca », se qui signifie « rentes perpétuelles léguées aux charités de la
ville d’Agen en 1348, pendant la période de la peste qui règne cette année du
commencement de mai aux environs de Noël ». Louis Couyba, La peste en Agenais
au XVIIe siècle (Villeneuve-sur-Lot : Renaud Leygues, 1905), p. 394, G. Eche « La
population à Agen aux XIIIe-XIVe siècles », Revue de l’Agenais, 101 (1974) : 93-108; et
Thierry Mornet, La peste en Aquitaine au quatorzième et au début du quinzième siècle,
thèse de doctorat, Université Victor Segalen-Bordeaux II, 1988, p. 29.
Jurades de la Ville d’Agen, 1345-1355, « Item habeatur compotus a R. de Galapiano de
questis per ipsum receptis de avito tempore ante mortalitatem ». Couyba, La peste,
p. 10, note 1.
Buchet, dir., L’homme, p. 23-37.
Balard, « Les semeurs de peste », p. 19.
Dans une étude maintenant ancienne Gérard Sivery précise toutefois que « La
Peste noire a donc touché le Hainaut beaucoup plus profondément que ne le
laisserait croire les études d’ensemble. L’épidémie a frappé surtout le Hainaut
méridional et le Hainaut central tout au moins la région de Bavay-Mons. Le Hainaut
septentrional a été relativement épargné ». Gérard Sivery, « Le Hainaut et la Peste
noire », Mémoire et Publications de la Société des Sciences, des Arts et des Lettres du
Hainaut, 19 (1965) : 2.
Les études sur ces résurgences ou nouvelles épidémies sont nombreuses citons
parmi quelques travaux : Jean Glenisson, « La seconde peste : l’épidémie de 13601362 en France et en Europe », Annuaire-Bulletin de la Société d’Histoire de France
(1971) : 27-38; R.-H. Bautier, « Nouvelles recherches sur les épidémies du XIV e
siècle. L’exemple de Vic en Catalogne. Aspects et conséquences des pestes de 1362,
1371 et 1384 » dans Olivier Guyotjeannin, dir., Population et démographie au Moyen Age
(Paris : CTHS, 1995), p. 111-117 et 119-142; et Ch. Guillere, « Nouvelle recherches sur
les épidémies à la fin du XIVe siècle. L’exemple de Vic Catalogne. La mortalité de
1372 à 1407 », dans Olivier Guyotjeannin, dir., Population, p. 111-117 et 119-142.
Les traces documentées à propos de la peste apparaissent au milieu du XIVe siècle,
entre 1349 et 1352. Malheureusement les chercheurs danois ne disposent
actuellement que de très peu de données concernant la Peste noire.
Plusieurs travaux récents ou en cours renouvellent notre vision des épidémies de
peste médiévales. Ces résultats seront disponibles prochainement lors de la parution
des actes du colloque international « Peste : entre Epidémies et Sociétés », Marseille,
juillet 2001. A paraître.
Le débat est trop vaste pour être abordé dans ce court article. Signalons quelques
travaux abordant cette question : Biraben, Les hommes, t. I, p. 134-139; Le Roy
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Ladurie, Histoire humaine, p. 59-64. Dans ces quelques pages, l’auteur renvoie à des
travaux souvent érudits sur lesquels il fonde son étude.
Jean-Noël Biraben, « La Peste Noire en terre d’Islam », L’histoire, 11 (1979) : 34.
Alors que la peste ravage le sud du royaume de France, le roi Pierre IV le
Cérémonieux « a déjà reçu une lettre datée du 10 avril, envoyée par le gouverneur
du Roussillon et de la Cerdagne, qui a été informé par le sénéchal de Carcassonne
et le viguier de Narbonne de la pestilence qui fait rage en ces lieux ». Nirenberg,
Violence, p. 287.
Jacques Dupâquier, dir., Histoire de la population française, t. I (Paris : Quadrige/PUF,
1995), p. 317.
Ce terme que nous employons ici par commodité est toutefois un anachronisme
pour le XIVe siècle. Sur l’hygiène parmi les nombreux travaux existant : Bernard
Leguay, La pollution au Moyen Age (Paris : Editions Jean-Paul Gisserot, 1999), p. 127.
Déjà à Bordeaux en 1337, mais cela n’est pas une exception, le maire et les jurats font
publier les Règlements de la ville, dans lesquels nous pouvons lire entre autres
articles « qu’il est interdit à tous habitants sous peine de soixante-cinq sous
d’amende, de jeter aucune espèce d’immondice dans les grands fossés de la ville,
près des portes, dans l’estey du Pont Saint-Jean et dans la rivière. De rien laver dans
les fontaines publiques, d y jeter aucune ordure. Il y à peine d’amende pour
quiconque jettera par la fenêtre de l’eau ou des immondices dans la rue ».
Johannes Nohl, La mort noire. Chronique de la peste (Paris : Payot, 1986), p. 122.
Marie-Fançoise Viallon-Schoneveld, « Et Venise inventa le Lazaret ou les lois
sanitaires contre la peste », article présenté au IXe colloque du Puy-en-Velay,
« Médecins et médecine au XVIe siècle » (Saint-Etienne : Publications de l’Université
de Saint-Etienne, 2002), p. 198-213; Johannes Nohl, La mort, p. 122; et Cosmacini,
Soigner, p. 48.
Pour ne citer qu’un exemple, dans le duché de Milan Gian Galeazzo Visconti crée
l’officie de commissaire à la santé pour répondre à l’une des grandes vagues de
peste qui touche alors la ville et le duché. Dans cette perspective, il « confie
specialliter à son propre vicaire général, Johannes de Roxellis, l’offitium perquirendi
et exequendi expedientia circa conservationem sanitatis civitatis nostre Mediolani.
[…] Au cours des années suivantes, Filippo Maria Visconti institutionnalise l’office
en créant des officiers affectés à la conservation de la santé. Après la chute des
Visconti, cet officie de santé se verra confirmé par la république Ambrosienne et,
plus tard, par François Sforza ». Cosmacini, Soigner, p. 51. Voir aussi Marilyn Nicoud,
« Les médecins et l’Office de santé : Milan face à la peste au XVe siècle », Cahier du
GRHis, 16 (2005) : 53-54. La date de création de cet office ne fait pas l’unanimité entre
les historiens. Giorgio Cosmacini donne l’année 1399. M. Nicoud l’année 1400.
Marilyn Nicoud, « Les médecins », p. 54, note 15.
Cette mesure est tout à fait remarquable, car même si les populations l’ignorent, les
puces responsables de l’épidémisation de la peste s’installent dans les tissus et tout
particulièrement dans la laine. Cette prudence à l’égard des tissus ne fera que se
confirmer tout au long des XIVe-XVIIIe siècles, comme nous le verrons dans la
présente étude.
Elisabeth Carpentier, Une ville devant la peste. Orvieto et la peste noire de 1348 (Bruxelles :
De Boeck Université, 1993), 296 p.
Cosmacini, Soigner, p. 49.
Cosmacini, Soigner, p. 49.
La ville est fortement touchée par la peste en 1361 puis en 1385, 1387-1388, puis à
nouveau en 1399-1400. G. Albini, Guerra, fame, peste. Crisi di mortalità e sistema sanitario
della Lombardia tardomedioevale (Bologne : Cappelli, 1982), p. 14-22.
R.-J. Palmer « La Gran Moria », Kos, 2/18 (1985) : 28. Cela s’explique pour partie qu’au
début du XVe siècle, l’autoritaire Gian Galeazzo Visconti, au fait de sa puissance est
à la tête d’un Etat comprenant l’Italie du Centre et du Nord, de la Valteline à la
région de Sienne et de la région de Gênes à celle de Feltre.
Cosmacini, Soigner, p. 49-50.
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87 Jean-Noël Biraben, « Les conséquences économiques des mesures sanitaires contre
la peste du Moyen Age au XVIIIe siècle », Annales cisalpines d’histoire sociale, 1/4
(1973) : 56.
88 Albini, Guerra, p. 85.
89 Cosmacini, Soigner, p. 50.
90 Cité par Patrice Bourdelais, Les épidémies terrassées. Une histoire des pays riches (Paris :
Editions de la Martinières, 2003), p. 30. De même qu’en 1488 un lazaret dont on peut
encore voir les traces, est fondé dans cette ville. Pierre-Louis Laget, « Les lazarets
et l’émergence de nouvelles maladies pestilentielles au XIXe et au début du XXe
siècle », L’inventaire, 2 (2002), manuscrit en ligne : 1. www.culture.gouv.fr.
91 1385-1402.
92 Cosmacini, Soigner, p. 50.
93 Cosmacini, Soigner, p. 50-51.
94 Actuellement Dubrovnik en Croatie. Mirko Grmek, « Les débuts de la quarantaine
maritime », dans Christian Buchet, dir., L’homme, p. 39-56.
95 Bourdelais, Les épidémies, p. 30.
96 Pour Pierre-Louis Laget, « le terme lazaret vient du mot italien lazzaretto qui serait
lui-même une déformation de Nazareth […]. Dans les textes des XVIe et XVIIe
siècles un tel établissement est désigné parfois sous le nom de sanitat, qui est
emprunté lui aussi à l’italien Sanità, institution mise en place en 1486 par la
république de Venise pour administrer ses lazarets, qui étaient, depuis 1471, au
nombre de deux : le lazzaretto vecchio et le lazzaretto nuovo ce dernier destiné à
l’hébergement des convalescents. Lazaret n’a donc pas grand-chose à voir avec
saint Lazare par ailleurs patron des lépreux et non des pestiférés, mais résulte
néanmoins très vraisemblablement d’une contamination linguistique avec le nom
de Lazare Nazaretto / Lazzaretto ». Pierre-Louis Laget, « Les lazarets », p. 1. Sur cette
question on peut consulter : Françoise Hildesheimer, « Les lazarets sous l’Ancien
Régime », Monuments historiques, 114 (1981) : 20-24; et Daniel Panzac, Quarantaines
et lazarets. L’Europe et la peste d’Orient (Aix-en-Provence : Edisud, 1986), p. 219.
97 M. Brausatin, Il muro della peste. Spazio della pietà e governo del lazaretto (Venise : Cluva,
1981), p. 18.
98 L. Fozzati/Soprintendenza Archeologica del Veneto. http://www2.cnrs.fr.
99 S. Carbone, « Provveditori e Sopraprovvenditori alla Sanità della Republica di
Venezia », Quaderni della Rassegna degli Archivi di Stato, 21 (1962) : 15.
100 Carlo Maria Cipolla, Chi ruppe i rastelli a Monte Lupo ? (Bologne : Il Mulino, 1977),
p. 21.
101 Melhaoui, Peste, p. 118.
102 Jacqueline Brossollet, « Quelques aspects religieux de la grande peste du XIVe
siècle », Revue d’Histoire et de Philosophie religieuse, 64/1 (1984) : 53-66.
103 Françoise Hildesheimer, La terreur et la pitié. L’Ancien Régime à l’épreuve de la peste
(Paris : Publisud, 1990), p. 56-57.
104 Hildesheimer, La terreur et la pitié., p.57.
105 Notons que la prière et les actes de piété sont considérés comme indispensables dans
toutes les contrées où se manifeste la peste. Ainsi au Caire, dans le courant de
l’année 1348, « ordre est donné de s’assembler dans les mosquées pour réciter des
prières en commun. Le vendredi, 6 ramadan, le peuple fut invité à se grouper
derrière les bannières califiennes et des porteurs du Coran, près de la Qubbat alNasr, […] ». Biraben, « La Peste noire en terre d’Islam », p. 36.
106 Institué par le pape Boniface VIII en 1300, il s’agit d’une indulgence plénière
accordée gratuitement à tous les pêcheurs repentant qui se sont confessés […] et ont
fait le voyage de Rome. Barbara W. Tuchman, Un lointain miroir. Le XIVe, siècle de
calamités (Paris : Fayard, 1979), p. 195-196.
107 Nirenberg, Violence, p. 295.
108 Tuchman, Un lointain, p. 92.
109 Tuchman, Un lointain, p. 92.
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110 Tuchman, Un lointain, p. 92.
111 L’expression est employée par : Emmanuel Le Roy Ladurie, « L’histoire immobile »,
Annales ESC, 29 (1974) : 673-692.
112 Pétrarque perd Laure de Noves le 6 avril 1348 en Avignon. Il compose Le Triomphe
de la Mort. Monique Lucenet, Les grandes pestes en France (Paris : Aubier, 1985), p. 88;
et Karine Trotel Costedoat, « La peste : un mal bien médiéval », Moyen Age, 10
(1999) : 13.
113 Giovanni di Paolo représente la peste par un monstre hideux lançant des flèches.
Détail d’une miniature attribuée à Giovanni di Paolo, f° 164 r°., vers 1431 ou 1450,
Sienne, bibliothèque municipale. Georges Duby, An 1000 An 2000 sur les traces de nos
peurs (Paris : Textuel, 1995), p. 87.
114 Lucenet, Les grandes pestes, p. 21.
115 Cosmacini, Soigner, p. 19.
116 Cosmacini, Soigner, p. 19.
117 Viallon-Schoneveld, « Et Venise », p. 198-213.
118 M. Brunetti, « Venezia durante la peste del 1348 », Ateneo veneto, XXXII/1 (1999) : 289311 et vol. 2, p. 5-42. Archivio di Stato di Venezia, Provveditori alla Sanità, Registri
decreti, reg. 17, f° 4 : liste des familles patriciennes éteintes.
119 Yves Renouard, « Les conséquences et intérêts démographiques de la Peste noire
de 1348 », Population, 3 (1948) : 459-466. A certains, ces données semblent excessives.
Ainsi, K.-J. Beloch estime que la cité comptait 55 000 habitants en 1347 et 40 000
quatre ans plus tard : soit tout de même une ponction proche de 30 %. Jean
Delumeau, La peur en Occident (XIVe-XVIIIe siècles). Une cité assiégée (Paris : Fayard,
1978), p. 135.
120 Delumeau, La peur, p. 135.
121 Carpentier, « Autour de la Peste noire », p. 1065; et Marcel Reinhard, André
Armengaud, Jacques Dupâquier, Histoire générale de la population mondiale (Paris :
Editions Montchrestien, 1968), p. 99.
122 Nirenberg, Violence, p. 290.
123 Foyers fiscaux. Selon Jean-Louis Biget les 70 % de mortalité s’échelonnent entre 1340
et 1460. Jean-Louis Biget, « Tout a changé en Occident », L’histoire, 310 (2006) : 51.
124 Hildesheimer, Fléaux, p. 143. Roger Dachez avance le chiffre certainement très
exagéré de 60 000 victimes, d’ailleurs il propose aussi 100 000 morts pour la seule
ville de Florence, soit, très probablement, la quasi-totalité de sa population. Nous
voyons donc les toutes les difficultés pour appréhender l’impact démographique
réel de la Peste noire. Roger Dachez, Histoire de la médecine de l’Antiquité au XXe siècle
(Paris : Tallandier, 2004), p. 332-333.
125 Sur la région lyonnaise : Marie Thérèse Lorcin, Les Campagnes de la région lyonnaise
aux XIVe et XVe siècles (Lyon : Imprimerie Bosc, 1974), p. 548.
126 Ces quelques estimations sont extraites de Monique Lucenet, « La peste »,
http://www.bium.univ-paris5.fr.
127 Lucenet, « La peste », http://www.bium.univ-paris5.fr.
128 Sur le nombre des habitants les chiffres varient parfois considérablement. JeanNoël Biraben propose un peu moins de 2000 habitants : Jean-Noël Biraben, « La
maladie », dans Jean Favier, dir., La France, p. 82. D’autres avancent une population
d’environ 1200/1500 habitants en 1348. Georges Duby et Robert Mandrou, Histoire
de la civilisation française, t. I (Paris : Armand Colin/Le livre de poche, 1993), p. 248.
Michel Vovelle, lui, retient la fourchette de 1500 à 1700 habitants. Michel Vovelle, La
mort et l’Occident de 1300 à nos jours (Paris : Gallimard, 1983), p. 93.
129 Vovelle, La mort, p. 93. Georges Duby et Robert Mandrou donnent des chiffres
assez différents « […] la moitié de la population périt cette année là ; 680 décès en août,
septembre et octobre, alors que la moyenne normale était de cinq, […] ». Duby et Mandrou,
Histoire, p. 248.
130 Ces quelques estimations sont extraites de Monique Lucenet, « La peste »,
http://www.bium.univ-paris5.fr. Consulté 3 août 2008.
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131 Lucenet, « La peste », http://www.bium.univ-paris5.fr. Consulté 3 août 2008..
132 Guy Bois, La grande dépression médiévale XIVe et XVe siècles. Le précédant d’une crise
systématique (Paris : PUF, 2000), p. 81 et note 47.
133 Les taux de mortalité varient entre 50 % et 60 % pour les notaires et hommes de loi,
entre 57,5 % et 64,25 % pour les prêtres de la paroisse Saint-Jean, il oscille entre 36,6
% et 75 % pour les divers ordres du clergé régulier et, sur huit médecins, deux
seulement survivront à l’épidémie. Mais il est vrai que ce sont là des catégories qui
sont particulièrement exposées. M. Richard et W. Emery, « The black death of 1348
in Perpignan », Speculum. A journal of medieval studies, XLII/4 (1967) : 611-623.
E. Artieres, La peste à Perpignan du XIVe au XVIIe siècles, thèse de doctorat, Université
de Montpellier, 1985.
134 Robert Boutruche, La crise d’une société. Seigneurs et paysans du Bordelais pendant la
Guerre de Cent Ans (Paris : Les Belles Lettres, 1963), p. 200.
135 Reinhard et al., Histoire p. 98; Delumeau, La peur, p. 135; et Vovelle, La mort, p. 93.
136 Naphy et Spicer, La Peste, p. 29; et Tuchman, Un lointain, p. 87. En Angleterre selon
Yves Renouard la peste emporte 50 % du clergé et atteint 70 % des décès dans les
villages. Yves Renouard, « Les conséquences et intérêts démographiques de la Peste
noire de 1348 », Population, 3 (1948) : 459-466.
137 Jean Glénisson et J. Day, Textes et documents d’histoire du moyen âge XIVe-XVe siècles,
t. I (Paris : 1970), 341 p.
138 Fernand Braudel, L’identité de la France. T. I (Paris : Champs/Flammarion, 1990), p. 156.
139 Environ 30 % de la population européenne (environ 100 millions d’individus à
l’arrivée de la Peste noire) est emporté par la maladie d’après L. Del Panta, Le
epidemie nella storia demografica italiana (secoli XIV-XIX) (Turin : Loescher, 1980), p. 116.
Cité par Cosmacini, Soigner, p. 428, note 1.
140 Brossollet et Mollaret, Pourquoi la peste, p. 11.
141 Le futur roi de France Jean II le Bon.
142 Jean-Noël Biraben, « D’une épreuve à l’autre : entre la Peste noire et les troubles de
la fin du XIVe siècle » dans Michel Mollat, dir., Les pauvres au Moyen Age (Paris :
Hachette, 1978), p. 235-255.
143 Tuchman, Un lointain, p. 89.
144 Balard, « Les semeurs », p. 19.
145 Vovelle, La mort, p. 93.
146 Elisabeth Carpentier et Jean-Pierre Arrignon, La France et les français aux XIVe et XVe
siècles. Société et population (Paris : Ophrys, 1993), p. 12.
147 On ne voit plus d’épidémies majeures en Angleterre après celle de Londres en
1665, à Malmo en Scandinavie après 1712, en Autriche après 1716 et en France
après 1720 et la célèbre peste de Marseille. Toutefois, le mal persiste en Europe
centrale et, surtout en Orient où il peut réapparaître à tout moment : Moscou est
frappée en 1771, Marseille en fait la cruelle expérience en 1786. La peste frappe
ponctuellement l’Europe occidentale au cours des premières décennies du XIXe
siècle. Jean-Noël Biraben a relevé entre autres Malte en 1813, 1814, Noja, dans la
province de Bari en 1815-1816, mais ces épidémies limitées et importées sont sans
grandes conséquences. En revanche, l’Empire russe, dans sa partie orientale, est plus
souvent touché, tout comme les Balkans et l’Asie Mineure où la maladie reste
endémique. Jean-Noël Biraben, Les hommes, t. I, p. 374-449. Plus spécifiquement sur
l’Orient, on peut consulter Daniel Panzac, Quarantaines et lazarets. L’Europe et la peste
d’Orient (Aix-en-Provence : Edisud, 1986), p. 219. Collectif, Dictionnaire encyclopédique
des sciences médicales, t. VIII (Paris : Asselin et Cie/G. Masson, 1882), p. 169-170; D.
Samoïlowitz D., Mémoire sur la peste qui en 1771 ravagea l’Empire de Russie, surtout
Moscou, la Capitale (Paris : Leclerc, 1773), p. 286; et E.-I. Grigorieva Michel Signoli, A. I.
Buzhilova, « La peste à Moscou en 1771 », article présenté au colloque international
« Peste : entre Epidémies et Sociétés », Marseille, juillet 2001. A paraître.
148 Sur les conséquences démographiques, sociales, etc. Par exemple : Yves Renouard
pour qui, « seule la Peste noire de 1348-1351, parce qu’elle survint en tête d’une
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longue série et affecta presque tout l’Occident en trois ans, pourrait départager deux
générations », Yves Renouard, « La notion de génération en histoire », Revue
historique, CCIX (1953) : 21.
http://www.dinosoria.com.
Naphy et Spicer, La Peste, p. 39.
Biraben, Les hommes, t. I, p. 70.
Lucenet, « La peste », http://www.bium.univ-paris5.fr. Consulté 3 août 2008.
Lucenet, « La peste », http://www.bium.univ-paris5.fr. Consulté 3 août 2008.
Biraben, Les hommes, t. I, p. 70.
Lucenet, « La peste », http://www.bium.univ-paris5.fr.
Nirenberg, Violence, p. 286.
Françoise Beriac, Des lépreux aux cagots, Bordeaux (Talence : FHSO, 1990), p. 530.
Quelques pages concernent les rumeurs d’empoisonnement dont sont accusés
parfois les lépreux.
Nous renvoyons le lecteur à la très fine analyse ainsi qu’à l’importante bibliographie
que propose David Nirenberg sur cette question. Nirenberg, Violence, p. 286-303.
Nirenberg, Violence, p. 288.
Nirenberg, Violence, p. 293.
Reinhard et al., Histoire, p. 96.
A l’origine de cette enquête, il faut mentionner une lettre adressée à la Municipalité
de Strasbourg, par la Ville de Cologne, le 12 janvier 1349. Les édiles de Cologne
prient ceux de Strasbourg de prendre sous leur protection des Juifs, contre lesquels
on n’a pu trouver aucune preuve certaine de l’empoisonnement des puits. Cité par
Koenigshoffen dans sa chronique, p.1023. M. Warschawski, Histoire des juifs de
Strasbourg http://judaisme.sdv.fr/histoire/villes/strasbrg/hist/index.htm. Accessed 3
août 2008.
Charles IV de Luxembourg 14 mai 1316-29 novembre 1378 est roi des Romains
1368-1378, empereur du Saint Empire 1355-1378, roi de Bohème 1346-1378, comte
de Luxembourg 1346-1353 et margrave de Brandembourg 1373-1378. http://fr.
wikipedia.org. Consulté 3 août 2008.
H. Schedel, Liber chronicarum (Nüremberg : 1493), f° 220. BIUM : 739. http://www
.bium.univ-paris5.fr. Consulté 3 août 2008.
Il n’est pas certain souligne Jean-Noël Biraben que cette expulsion se soit faite dès
1348. Jean-Noël Biraben, « Les pauvres et la peste », Médecine et maladies infectieuses,
1/7-8 (1971) : 316, note 2.
Tuchman, Un lointain, p. 87.
Tuchman, Un lointain, p. 88.
G. Berruyer-Pichon, La représentation de la peste dans la littérature et l’iconographie,
thèse de doctorat, Université Paris X, 1976.
Brossollet et Mollaret, Pourquoi la peste, p.75.
Georges Duby, L’Europe au Moyen Âge. Art roman, art gothique (Paris,
Champ/Flammarion, 1984), p. 288.
http://www3.sympatico.ca.
Sur les conséquences économiques de la Peste noire, les études sont nombreuses et
nous renvoyons une nouvelle fois à la vaste bibliographie donnée par Jean-Noël
Biraben. Après 1976, on peut consulter entre autre ouvrage, Guy Bois, La grande
dépression, p. 80-102. Georges Duby et André Wallon, dir., Histoire de la France rurale,
t. II (Paris : Seuil, 1975), p. 31-73.
Duby, An 1000, p. 87.
Duby et Mandrou, Histoire, p. 248.
Brossollet et Mollaret, Pourquoi la peste, p. 76.
S. Scott et C.-J. Duncan, Biology of Plagues. Evidence from Historical Populations
(Cambridge : Cambridge University Press., 2001), mais aussi les travaux de
l’historien David Herlihy La peste, 106 p., de l’épidémiologiste G. Twigg, The Black
Death : A Biological Reappraisal (Londres : Batsford, 1984), ou récemment, de Naphy
et Spicer, La Peste, p. 187.
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177 Biraben, Les hommes, t. I, p. 335. Cité par Frédérique Audouin-Rouzeau, Les chemins,
p. 255.
178 Audouin-Rouzeau, Les chemins, p. 254.
179 Ibn al-Kathib, Muqni’at as-sa il’an al-marad al-ha’il, manuscrit 1785, Bibliothèque
royale de l’Escorial, Madrid, f° 44b-45a. Cité par Melhaoui, Peste, p. 76-77.
180 Ibn al-Kathib, Muqni’at as-sa il’an al-marad al-ha’il, manuscrit 1785, Bibliothèque
royale de l’Escorial, Madrid, f° 45a. Cité par Melhaoui, Peste, p. 77.
181 Cité par Dupâquier, dir., Histoire, t. I, p. 317; Carpentier et Arrignon, La France, p. 915.
182 Marie-Christine Delafosse, Psychologie des foules devant les épidémies de peste du Moyen
Age à nos jours en Europe, thèse de doctorat, Université Rennes I, 1976, p. 18;
Carpentier et Arrignon, La France, p. 11.
183 Audouin-Rouzeau, Les chemins, p. 200-201.
184 Biraben, Les hommes, t. I, p. 33.
185 Audouin-Rouzeau, Les chemins, p. 12.
186 La maladie ravage alors tant l’Orient que l’Occident. Le byzantin Procope de
Césarée écrit « Ceux dont le bubon prenait le plus d’accroissement et mûrissait en
suppurant, réchappèrent pour la plupart sans doute parce que la propriété maligne
du venin, déjà bien affaiblie, avait été annihilée. L’expérience avait prouvé que ce
phénomène était un présage presque assuré du retour à la santé. Mais l’issue était
fatale pour ceux chez qui le bubon conservait sa dureté ». En Gaule, Grégoire de
Tours écrit « un vaisseau d’Espagne arrivé des ports pour y commercer comme
d’usage apporta le germe pernicieux de cette maladie [...]. On disait Marseille
également dévastée [...]. Les cercueils et les planches étant venus à manquer, on
enterrait dix corps et même plus dans la même fosse [...] un certain dimanche,
dans la basilique Saint-Pierre, on compta jusqu’à 300 cadavres [...] la maladie qu’on
nomme inguinale ». Il précise aussi que « la mort était subite. Il naissant à l’aine ou
à l’aisselle une plaie semblable à celle que produit la morsure d’un serpent, et le
venin agissait de telle sorte sur les malades que le second ou le troisième jour ils
rendaient l’âme ». Monique Lucenet, « La peste », http://www.bium.univ-paris5.fr.
Evelyne Samama, « Thucydide et Procope : Le regard des historiens sur les
épidémies », dans Sylvie Bazin-Tacchella, Danielle Quéruel, Evelyne Samana, Air,
miasmes et contagion. Les épidémies dans l’Antiquité et au Moyen Age (Langres :
Dominique Guéniot, 2001), p. 55-74.
187 Biraben, Les hommes, t. I, p. 25-48.
188 Sur ces résultats de fouilles : Dominique Castex « Les anomalies démographiques :
clefs d’interprétation des cimetières d’épidémies en archéologie », dans Castex et
Cartron, dir., Epidémies, p. 95-120. Castex et Drancourt, « D’un gisement funéraire »,
p. 191-209. Les auteurs, respectivement anthropologue et médecin, donnent dans
leur article une bibliographie plus étoffée et spécialisée sur la question.
189 E. Nuorala, « Evidences moléculaires de la Peste noire en Scandinavie », article
présenté au colloque international « Peste : entre Epidémies et Sociétés », Marseille,
juillet 2001. A paraître.
190 Delumeau, La peur, p. 145.
191 Pour le problème de l’immunité des populations, voir Norbert Gualde, Les microbes
ont aussi une histoire (Paris : Les empêcheurs de penser en rond/Le Seuil, 2003), p. 332.