La dernière éclipse solaire totale du millénaire

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La dernière éclipse solaire totale du millénaire
La dernière éclipse solaire totale du millénaire
Récit et photographies de Michel Willemin
L’éclipse solaire totale du 11 août 1999 aura déjà fait
couler beaucoup d’encre. Au cours des deux mois la
précédant, les articles de presse et les sites « Internet »
se multiplient à un rythme effréné. Cependant, dans le
milieu de l’astronomie d’amateurs, le sujet fait rêver
depuis au moins dix ans. Certains mordus mentionnaient
déjà en fin des années 1980 qu’ils prendront congé à
cette fameuse date pour contempler ce phénomène
naturel dans les conditions les meilleures. Cette
conjonction de la Lune et du Soleil n’a pas non plus
laissé le monde des astrologues indifférent. Les plus
folles prédictions pour 1999 vont bon train dans les
almanachs en rapport avec l’astrologie, allant même
jusqu’à prédire la fin du monde pour le jour de l’éclipse !
D’autres auteurs, légèrement plus modérés, ont
mentionné néanmoins toute une série de catastrophes
naturelles ou liées à l’activité humaine. Toutes ces
conjectures non-scientifiques ont laissé tant les
astronomes amateurs que professionnels de marbre,
pour se focaliser uniquement sur l’événement céleste de
la décennie. Ce n’est pas la première éclipse solaire, ni
la dernière et, l’homme est toujours présent sur Terre. Il
ne s’agit simplement que de la dernière occultation totale
du Soleil pour ce millénaire !
Cette éclipse est des plus médiatisée, car la zone de
totalité, là précisément où le Soleil apparaît totalement
masqué par le disque lunaire, traverse l’Europe, région à
haute densité de population. En 1961, une éclipse totale
a été visible depuis le sud de la France et le nord de
l’Italie. Elle a déjà été observée par des millions
d’individus, mais les médias de l’époque n’étaient pas
comparables à ceux que l’on connaît aujourd’hui. Celle
de 1912, également observable depuis la France, a été
quelque peu occultée dans la presse par le naufrage du
Titanic survenu 3 jours plus tôt. La plupart des éclipses
ne sont malheureusement visibles que depuis des
endroits inhabités ou difficilement accessibles comme les
océans. Il ne faut pas oublier que ces derniers couvrent
environ 71 % de la surface du globe ! Lorsqu’une éclipse
a lieu en Antarctique ou au milieu du Pacifique, il n’est
pas rare que seule la presse scientifique relate le
phénomène. Il faut souligner que le rôle joué par les
médias est également d’informer le public concernant les
dispositions à prendre pour la protection de la vue. Des
lunettes spéciales à film plastique aluminisé ont été très
largement diffusées, prévenant ainsi les risques de cécité
provoqués par l’observation des phases partielles de
l’éclipse à l’œil nu.
La date fatidique approche. Une petite semaine nous
sépare de l’instant magique et le sujet devient brûlant et
concret. Mais quelle stratégie faut-il adopter pour
maximiser ses chances d’observer l’éclipse dans de
bonnes conditions ? La zone de totalité parcourra le sud
de l’Angleterre, le nord de la France, le sud de
l’Allemagne, l’Autriche, la Hongrie, la Roumanie, la
Turquie, l’Irak, l’Iran, le Pakistan et se terminera en Inde.
Cette zone est communément appelée bande de totalité.
Malheureusement, elle évitera la Suisse. Du Jura, par
exemple, on pourra observer une éclipse fortement
partielle. La Lune masquera 96 % du Soleil. Mais, les 4
% restants seront toujours beaucoup trop brillants pour
empêcher l’observation des protubérances et de la
couronne solaire. Les personnes les moins curieuses ou
les moins intéressées par le phénomène se contenteront
de jeter un œil sur les phases partielles uniquement.
Elles pourront admirer un fin croissant de Soleil dans le
ciel jurassien, ce qui est déjà un phénomène très
singulier. Les plus curieux devront donc organiser un
voyage pour admirer le « Soleil noir ». Selon les
statistiques météorologiques pour le 11 août des années
précédentes, les chances d’avoir un ciel clair ne sont que
de 40 à 50 % pour l’Angleterre et la France, de 50 à 60
% pour l’Allemagne et l’Autriche, 80 % pour la Roumanie,
d’environ 90 % pour la Turquie, l’Irak et l’Iran et rechutent
à 20 % en Inde en raison de la mousson. Afin de mettre
toutes les chances de leur côté, une importante catégorie
d’observateurs a choisi de se diriger vers l’est.
L’inconvénient d’un tel voyage, mis à part son prix, est
une grande inflexibilité, interdisant tout changement de
dernière minute et l’embarquement difficile de matériel
astronomique et photographique pour la prise de clichés.
Cependant, l’avantage d’un tel voyage permet la visite de
sites géographiques et culturels très intéressants. Le
choix d’un site dans des pays riverains de la Suisse,
comme la France et l’Allemagne, pourvus d’une
statistique météo nettement moins favorable, permet le
transport de matériel, car un tel site est atteignable en
voiture en quelques heures. L’heure du paroxysme de
l’éclipse dépend naturellement fortement du lieu
d’observation (Table 1). Pour éviter toute confusion entre
les fuseaux horaires des différents pays, ainsi qu’entre
heures d’été et d’hiver, le temps universel (TU) est
largement utilisé dans le milieu de l’astronomie (heure
légale d’été en Suisse = TU + 2 h). Donc, pour atteindre
la plupart de ces lieux depuis la Suisse avant le début de
l’éclipse, soit environ 1 h 20 avant l’heure du maximum, il
faudra partir le matin très tôt ou la veille au soir. Il est
évident que de rouler durant toute une nuit sollicite
particulièrement l’organisme, et la conjonction de la
fatigue du voyage et de la nervosité engendrée par le
phénomène peut conduire à de désagréables surprises.
Dans de telles circonstances, on oublie par exemple
d’insérer un film dans le boîtier de l’appareil
photographique, ou, encore bien plus grave, on omet de
placer un filtre sur la lunette ou le télescope pour la
contemplation des phases partielles. Ces sites
relativement proches permettent une très grande
flexibilité, mais il ne faut pas négliger la surcharge de
trafic juste avant l’éclipse, ce qui peut générer de
gigantesques embouteillages. Il serait très dommage de
se trouver au volant au moment fatidique.
Lieu
Heure du maximum
en temps universel (TU)
Cherbourg
Le Havre
Amiens
Reims
Vouziers
Nancy
Strasbourg
Stuttgart
Göppingen
München
10 h 17
10 h 20
10 h 23
10 h 25
10 h 26
10 h 29
10 h 32
10 h 34
10 h 35
10 h 38
Table 1. Heure du maximum de l’éclipse du 11 août 1999
en fonction du lieu d’observation.
Au fil que les jours nous séparant de l’éclipse
s’amenuisent, les bulletins météorologiques se précisent.
Malheureusement, le problème majeur pour le jour J est,
comme on le craignait depuis quelques temps, une
météo très capricieuse sur l’ensemble de l’Europe
occidentale. Les services météorologiques prévoient des
averses intermittentes sur le sud de l’Allemagne et
l’Alsace. Seule une chance inouïe permettra à la
couverture nuageuse de se dissiper partiellement au
moment de la totalité et d’entrevoir le jeu de cache-cache
entre les deux astres. Les malheureux ayant réservé une
chambre d’hôtel dans ces régions devront probablement
se résoudre à voir une éclipse de l’éclipse par les
nuages ! Vu la situation météorologique extrêmement
instable le 10 août, nous décidons de ne rien décider et
d’attendre l’évolution des bulletins météorologiques
publiés sur « Internet » par Météo Suisse, Météo France
et le Deutscher Wetterdienst. Finalement, la veille au
soir, juste avant minuit, le couperet tombe. Vu la rareté
du phénomène, ma femme me convainc : « Au risque
que le ciel nous tombe sur la tête, il faut tout de même
nous déplacer. Je n’ose pas imaginer le remord si la
météo devenait soudainement plus clémente ! » Bon,
nous chargeons la voiture avec la lunette d’observation
solaire, les filtres et tout le matériel photographique. Mais
où faut-il se rendre pour optimiser nos chances ? D’après
les services de Météo Suisse, des calculs de la prévision
pour 12 h 00 (TU) le 11 août indiquent une couverture
nuageuse importante sur toute l’Europe occidentale avec
toutefois quelques « trous » dans les nuages. Sur la
bande de totalité, une couverture nuageuse à moins de
40 % est prévue pour la région de Champagne et plus
précisément dans le nord-est de Reims. Sinon, tous les
autres endroits, encore atteignables en voiture,
présentent une couverture nuageuse plus importante
pour la période de l’éclipse. Par conséquent, il sera
impératif de partir de très bonne heure pour atteindre le
site de Champagne à temps.
Après un bref repos qui n’en était pas vraiment un, vu
l’excitation et le stress, la voiture est mise en route sur le
coup de 1 h 30 (heure locale). Nous quittons la ville de
Zurich sous un ciel très chargé. Il ne tombe rien pour le
moment, mais nous ne voyons pas la moindre étoile !
Inutile de chercher la Lune évidemment, car elle ne doit
plus être très éloignée angulairement du
Soleil actuellement ! Sur le tronçon Zurich-Strasbourg, le
trafic routier est très réduit à ces heures, on ne peut plus
matinales. Sur l’autoroute d’Allemagne, un nombre
étonnamment élevé de véhicules immatriculés en Suisse
est observé. Ce sont probablement des amateurs
d’éclipse ! Sur l’aire de repos à la sortie de Strasbourg en
direction de Metz, nous décidons de faire le point. Le
premier souci en sortant de la voiture : l’état du ciel !
Entre les nuages défilant relativement rapidement sous
un assez fort courant d’ouest, on remarque des espaces
de ciel étoilé. La couverture nuageuse est évaluée
environ à 80 %, ce qui ne serait pas du tout favorable au
moment de l’éclipse. Nous décidons de poursuivre notre
route sur l’A4 en direction de l’ouest. Après avoir
contourné la ville de Metz, le temps n’est pas meilleur.
Une légère bruine est même perceptible sur le parebrise. Les kilomètres défilent, les heures passent et la
météo semble même se dégrader. C’est désolant. Le
moral n’atteint pas des sommets dans la voiture.
Régulièrement, nous écoutons les flashs d’information.
Les spécialistes de Météo France n’ont pas de solution
magique à proposer. Ils indiquent néanmoins une météo
légèrement moins défavorable dans la région de Reims,
mais c’est sans grande conviction. A ce moment, on se
dit qu’il aurait peut-être mieux fallu rester au lit ! Nous
approchons de la capitale de la Champagne et nous
choisissons de quitter l’autoroute à la hauteur de SainteMenehould, afin d’éviter d’éventuels engorgements de
trafic dans l’agglomération rémoise. Le jour a fait son
apparition. Le Soleil est caché par un épais plafond de
stratus. La question de continuer notre route dans la
direction de l’ouest ne va vraisemblablement rien
apporter. Il nous faut nous fier aux prévisions du bulletin
de Météo Suisse. Nous nous dirigeons alors vers la
bourgade de Vouziers, située non loin de la ligne de
centralité. L’éclipse totale doit durer 2 minutes et 13
secondes à cet endroit. Le paysage caractéristique de la
région de Champagne est quelque peu occulté par une
météo toujours aussi maussade. Néanmoins, nous
sommes impressionnés par les énormes étendues
parsemées de quelques haies, de maisons isolées, et
d’une multitude de bottes rondes. Après quelques
dizaines de kilomètres depuis la sortie de l’autoroute,
nous atteignons enfin Vouziers. La fatigue se fait sentir.
Nous n’avons aucune envie de visiter la localité. Il nous
faut uniquement trouver un site d’observation retiré et
attendre docilement. Aussitôt dit, aussitôt fait. Nous
empruntons une petite route de campagne reliant le
hameau de Bagot au village de Falaise. Le site théorique
idéal pour observer une éclipse est une petite montagne
surplombant une grande plaine, de manière à pouvoir
observer également l’arrivée de l’ombre lunaire. Dans
cette région de Champagne, tout est plat. Donc, peu
importe finalement, car la météo est aussi loin d’être
idéale. Nous garons la voiture dans un champ non loin
de la route. Lors de l’inspection des environs, nous
l’atmosphère. Quelques minutes après, la phase partielle
commence : c’est le premier contact. Il est 9 h 06 (TU).
La Lune croque inexorablement le disque solaire. Le ciel
est toujours chargé en nuages, mais les trouées nous
laissent entrevoir le spectacle. Durant toute la phase
partielle, des clichés sont pris à intervalles plus ou moins
réguliers.
Fig. 1. Photographie du Soleil encore non occulté (en
haut à gauche) et clichés de quelques phases partielles
de l’éclipse entre le premier et le second contact. Des
petites taches solaires sont visibles. Le temps universel
est indiqué pour chaque prise de vue.
apercevons une tente et une voiture immatriculée en
Belgique dans les environs. Un jeune couple sort de la
tente. Les mines ne sont manifestement pas au beau
fixe. Ils ont passé la nuit là, afin d’être à un endroit
favorable au moment fatidique, tout en étant reposés.
Ecœurés par le temps, ils empaquettent leurs affaires
humides dans leur voiture et s’en vont chercher un
meilleur ciel désespérément. Vu la situation générale
désastreuse, car il se met même à pleuvoir, nous
pensons que se déplacer de 50 ou 100 km ne changera
rien au problème. La situation météorologique ne varie
pas si localement. Quelle que soit la direction d’horizon
les couleurs sont les mêmes.
Il est 9 h heure locale, 7 h (TU) et rien n’a changé. Mon
épouse se repose dans la voiture, pendant que je bois un
jus d’oranges au petit restaurant à Bagot. Le patron est
étonné de l’affluence en ce mercredi matin. Il n’a pas
prévu suffisamment de croissants. Les touristesastronomes commencent à affluer. A ma question, s’il y a
une chance d’éclaircie pour la fin de matinée, il ne peut y
répondre. Il me précise juste que la journée d’hier était
splendide. Le commentaire est superflu… En sortant du
bistrot, la pluie a cessé et le ciel semble légèrement
moins sombre. Au fur et à mesure que je m’approche à
pied de notre site, le ciel s’éclaircit, au point de montrer
de minuscules coins de ciel bleu. Il est 8 h 15 (TU) et le
début de la phase partielle est prévu pour dans ¾
d’heure environ. Arrivé à la voiture, j’installe le réfracteur
de 80 mm sur sa monture équatoriale. Un film plastique
protège toujours la lunette d’éventuelles gouttes de pluie,
car le temps est toujours très instable. Enfin, le disque
solaire apparaît derrière le voile de nuages. Jusqu’à 9 h
00 (TU), il était impossible d’observer le Soleil à la lunette
avec le filtre solaire. A 9 h 02 (TU), le premier cliché du
Soleil est enfin figé dans le boîtier photographique et, à
l’oculaire, des taches solaires sont visibles (Fig. 1).
L’image est très contrastée car la pluie a bien purifié
A mesure que l’éclipse progresse, les pronostiques
météorologiques durant la phase totale vont bon train.
Entre-temps, une famille française nous a rejoint et les
curieux viennent également observer le Soleil au travers
de notre instrument muni d’un filtre spécial. Tout le
monde est bien sûr équipé des fameuses lunettes
protectrices en Mylar pour l’observation directe sans
instrument. Le disque solaire est occulté maintenant à
80 %. L’œil humain commence à percevoir un
changement dans l’éclairage ambiant. Les ombres
deviennent progressivement très nettes, car la source de
lumière que forme le reste du Soleil visible s’approche
d’une source ponctuelle. D’autre part, la couleur de
l’éclairage change également. L’œil humain est habitué
lors d’un crépuscule ou d’une aube à un virement des
couleurs vers le rouge en raison de l’absorption
atmosphérique des courtes longueurs d’onde (loi de
Rayleigh). En ce moment de forte phase partielle, la
température de couleur reste inchangée par rapport à un
Soleil non occulté. Seule l’intensité est diminuée et nos
yeux interprètent alors la couleur comme anormalement
verte. La nervosité augmente singulièrement, car les
nuages masquent régulièrement le reste du Soleil et tout
le monde espère très fort que la phase totale sera visible.
La couverture nuageuse est, à présent, évaluée à 50 %.
Une estimation rapide d’après la configuration des
nuages et leur vitesse apparente indique qu’on aura
vraisemblablement la poisse. Un gros nuage est vraiment
mal placé. Dans 2 minutes, la Lune masquera totalement
le Soleil. Ce sera le second contact. On se prépare
Fig. 2. Couronne solaire photographiée à 10 h 26 (TU).
Elle s’étend sur plusieurs rayons solaires. Cette image
résulte d’une composition de 3 clichés de ½, 2 et 8 s sur
Kodachrome 64 Asa avec la lunette de 80 mm, f/11. La
photographie de la couronne n’est pas triviale, car la
dynamique d’intensités est énorme. En raison de la nonlinéarité des films photographiques, un seul cliché ne
parviendrait pas à rendre la chevelure du Soleil
fidèlement.
organisé, car le droit à l’erreur pour la prise de clichés est
interdit. Telle la magie du spectacle est grande durant la
phase totale, l’homme perd totalement la notion du
temps. Les cris de joie et d’admiration retentissent dans
les environs et, malheureusement le timer émet un bip
sonnant le glas du phénomène après 2 minutes 13
secondes de bonheur. Le filtre solaire est à nouveau
remis en place pour l’observation de la fin de l’éclipse
jusqu’au quatrième contact.
Fig. 3. Protubérances solaires photographiées durant la
phase totale avec la même instrumentation que pour
l’image de la couronne. Seul le temps de pose est réduit
au 1/500 s. Les protubérances, résultant d’explosions,
sont des jets de matière essentiellement formés
d’hydrogène et d’hélium. La lumière rouge,
caractéristique des protubérances, n’est autre que la raie
Hα de l’hydrogène (656.29 nm).
activement à retirer le filtre de la lunette, sans quoi on ne
verrait absolument rien. Un timer est également
programmé pour sonner juste avant le troisième contact,
c’est-à-dire juste avant la fin de l’éclipse totale. Il faudra
replacer à temps le filtre solaire avant que les rayons de
l’astre du jour ne pénètrent dans l’instrument, au risque
d’endommager et la vue et/ou le boîtier photographique.
Depuis quelques minutes, la baisse de la température
ambiante est flagrante. Cet effet, conjugué au stress,
nous fait frissonner. La baisse de la température
ambiante a un effet extrêmement positif et salvateur, car
elle provoque la dissipation totale des gros nuages qui
auraient pu gêner l’observation du phénomène. Le ciel
devient parfaitement pur et la légère brise s’est
complètement calmée. Le minuscule croissant de Soleil
décline très rapidement durant les dernières secondes
précédant le second contact. Nous essayons de voir filer
l’ombre contre nous, mais sans succès en raison du
manque de relief. Et voilà, le moment tant attendu : le
croissant de Soleil fait place presque instantanément à
une magnifique couronne solaire (Fig. 2). Il est 10 h 25
(TU), l’heure prévue dans les éphémérides pour le
second contact à Vouziers. Les planètes intérieures
Vénus et Mercure sont facilement identifiables dans un
ciel très assombri.
Durant les 2 minutes et 13 secondes de totalité, chacun
essaie de profiter au maximum de ces instants
magiques. La couronne semble encore grossir. En fait,
cela est lié à l’adaptation de la vue à l’obscurité. En jetant
l’œil à l’oculaire, de magnifiques protubérances solaires
d’une couleur rouge intense sont visibles (Fig. 3). A l’œil
nu, elles ne sont pas détectables, car, malgré leur taille
impressionnante dépassant largement le diamètre
terrestre, la résolution de l’œil humain est limitée à la
minute d’arc. En suivant un protocole établi à l’avance,
les prises de vues s’accumulent dans l’appareil
photographique. Tout se doit d’être parfaitement
On comprend aussi pourquoi les peuplades de l’Antiquité
et du Moyen-Âge croyaient à la fin du monde en
présence d’un phénomène pareillement impressionnant,
et qui est, de loin, le plus spectaculaire en astronomie.
Chacun est euphorique et les cris de joie continuent bien
que les rayons de l’astre du jour réapparaissent
progressivement. La météo perd brusquement de son
importance. Certes, une phase partielle est toujours jolie
à admirer, mais elle n’atteint de loin pas le paroxysme de
la phase totale. La Lune et le Soleil se séparent dans un
ciel devenant à nouveau de plus en plus nuageux.
Comme précédemment, mais avec le stress en moins,
les phases partielles sont régulièrement photographiées
entre les nuages (Fig. 4). Le phénomène est suivi jusqu’à
son extrême fin, soit au quatrième contact à 11 h 49
(TU). Durant la phase totale, rien de particulier
concernant le comportement bizarre de la faune n’a été
relevé. En fait, les seuls animaux à proximité étaient des
vaches. Elles ont continué tout tranquillement à brouter,
sans se poser la moindre question. Des études lors de
précédentes éclipses précisent que les oiseaux sont les
plus sensibles à ce genre de phénomène. Les poules
retournent au poulailler pour éviter les renards, car leur
vision nocturne est particulièrement médiocre. Les
canards croient également à l’arrivée d’un crépuscule
précoce. Lors de l’éclipse à Hawaï en 1991, des études
relatives à la faune aquatique nécessitent une
interprétation nettement plus subtile.
L’éclipse du 11 août se termine dans l’enthousiasme
Fig. 4. Phases partielles de l’éclipse entre le troisième et
le quatrième contact. Le temps universel est indiqué pour
chaque prise de vue.
Fig. 5. Le site de Vouziers après l’éclipse. Le ciel est
particulièrement chargé, comme avant l’éclipse.
général. On prévoit déjà d’aller voir la prochaine en
Afrique en 2001, ou plutôt celle de 2006 qui parcourra la
Libye et la Turquie. Une question nous chatouille
également l’esprit : Les amateurs d’éclipses s’étant
rendus en Alsace ou dans le sud de l’Allemagne ont-ils
pu admirer le spectacle ? Le ciel particulièrement
encombré, comme en témoigne la Figure 5, nous a
néanmoins permis de voir le phénomène en entier.
L’heure d’un repos bien mérité est arrivée et ce n’est pas
avant le milieu de l’après midi que nous quittons le site
de Vouziers (Fig. 5). Lors des informations transmises
par France Infos, nous écoutons attentivement les
commentaires liés à l’éclipse. « Les observateurs s’étant
déplacés en Cornouaille n’ont pratiquement rien vu du
phénomène. Pour la France, le bilan est également
mitigé, car pour plus du 90 % des intéressés la
couverture nuageuse a masqué le phénomène. A Reims,
sur la place de la cathédrale, la foule massée n’a pu
admirer la couronne que durant 10 petites secondes. En
Alsace, certains ont pu entrevoir le spectacle entre les
nuages. Pour le sud de l’Allemagne, mis à part pour la
banlieue munichoise, le ciel est resté d’un gris
désolant. » Il n’y avait donc pas de site idéal en Europe
occidentale pour cette éclipse. Seule la chance pouvait
nous aider et c’est ce qu’elle a fait ! Le retour en Suisse,
sur deux jours, sera entrecoupé de visites en Alsace et
dans les Vosges et garni d’un excellent repas français en
guise de récompense.
Janvier 2000

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