La construction du Canal de Nantes à Brest

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La construction du Canal de Nantes à Brest
JB Elbet
La construction du Canal de Nantes à Brest
Histoire du canal
C'est le comte François Joseph de Kersauson qui, en 1746, voulant favoriser l'éveil industriel de sa région est à l'origine
du projet, abandonné faute de financement.
L'idée est reprise en 1803 par l'ingénieur Guy Bouessel afin de relier les arsenaux de Brest et Lorient avec Nantes et
Saint-Malo en des temps de coalition et de blocus. Commencés en 1811, les travaux sont interrompus à la chute de
l'Empire puis repris en 1823.
Ouvert en 1838, le canal relie Nantes à Brest sur un tracé de 360,4 kilomètres jusqu'en 1923, date de la construction du
barrage de Guerlédan qui le coupe en deux, le projet d'ascenseur à péniche ne verra jamais le jour.
Il reste actuellement entre l'écluse n°1 de Saint Félix et l'écluse n°119 de Guerlédan, 226,7 km de voie navigable
établie par l'aménagement de plusieurs rivières ( Erdre, Isac, Oust, Blavet) dont elle relie les bassins par deux biefs de
partage.
De 1812 à 1816 se déroulèrent les premiers travaux. Le terrassement du bief de partage de Bout de bois est attribué à M.
Lamotte et Boursier pour la somme de 70 639,40 F, la construction de la maison éclusière du Pas d'Héric est confiée à
M.Bizet pour la somme de 1 000 F. Elle servira de référence de prix pour marchander les autres maisons éclusières.
De 1812 à 1814, 4 bataillons de prisonniers espagnols sont affectés au Service des Ponts et Chaussées pour les travaux
du canal en Loire Inférieure dans les landes des Jarriais. Mais logement étroit, de piètre qualité ( baraques en terre
couverte de chaume et de gazon, sans aération ni chauffage, paillasses à même le sol humide), nourriture insuffisante et
mauvais pain, un salaire "retenu" pour les 4/5e (payes de 30c puis 1 F par jour) provoquent révoltes, désertions et
épidémies. Rejetés par la population jusque dans la mort, les prisonniers sont enterrés sur les bords du canal. Les
prisonniers sont répartis en bataillons de 400 prisonniers, surveillés par deux officiers, douze sous-officiers et un
brigade de gendarmerie. Le travail avance à pas de fourmi.
Construction de l'écluse.
Il faut se souvenir que la plus grande partie du canal de Nantes à Brest utilise le cours de rivières antérieures. Or le lit
d'une rivière a pour particularité d'être constitué, en règle générale, d'alluvions à la consistance douteuse et à la faible
résistance. Le poids d'une écluse avoisinant les 6 000 tonnes, il faut que les ingénieurs conçoivent des fondations
extrêmement solides, qui supporteront le poids de l'ouvrage sans déformation ni fissure aucune.
Les écluses du canal de Nantes à Brest ont une longueur de 26,50 m et une largeur de 4,70 m.
Le premier soin des ingénieurs était d'assécher l'emplacement du chantier de la future écluse. Facile à dire, car on
n'empêche pas une rivière de couler... Il fallait donc, avant de commencer la construction d'une écluse, détourner le lit
de la rivière et poser des batardeaux étanches autour du chantier. Etait utilisée alors une technique que les Romains
connaissaient déjà : on enfonçait dans le sol, tout autour de la partie à assécher, un barrage de pieux serrés les uns contre
les autres. Puis on élevait un deuxième barrage identique à quelques décimètres du premier, et on comblait l'intervalle
entre les deux barrages avec de la glaise et des mottes de terre.
Ceci n'empêchait d'ailleurs pas toutes les infiltrations, et il était nécessaire de pomper sans cesse, à la main, 24 heures
sur 24 et 7 jours sur 7, tout le temps que durait l'élévation de la maçonnerie et la prise du ciment. Il est arrivé souvent,
au long des trente années qu'a duré la construction du canal, que des crues soudaines emportent tout le travail
péniblement réalisé...
Lorsque le chantier était à peu près asséché, il fallait creuser aussi profond que possible, afin de trouver un sol stable et
dur. Lorsque cette condition n'était pas remplie, on enfonçait alors dans le sol trop peu consistant des pieux de bois,
appelés "pilots". Certaines essences de bois, notamment le châtaignier et l'acacia, sont imputrescibles lorsqu'elles
demeurent dans un sol humide (Amsterdam et Venise sont construites de cette façon). Puis on coulait la fondation, en
pierres et ciment. Sur cette fondation était assemblé le fond de l'écluse, qu'on appelle radier, en blocs de granit taillé.
Ensuite étaient élevés les murs.
L'écluse est limitée par deux murs : le mur qui borde le halage s'appelle le bajoyer de rive, et le mur qui borde la rivière
(quand il y a rivière) s'appelle le bajoyer de large. Ces murs font plusieurs mètres d'épaisseur. Le parement est
également en blocs de granit taillé, alors que le coeur de la maçonnerie est réalisé en pierre de tout-venant collées au
ciment.
Observez bien l'assemblage des pierres sur toutes les faces de l'ouvrages d'art : murs, quais, radiers, déversoirs. Vous
constaterez que chaque pierre est encastrée dans ses voisines, par tenons et mortaises, l'ensemble formant voûte
lorsqu'il y a une résistance à opposer à la force de l'eau. Le poids de certaines pierres est énorme : celle où est ancré le
pivot supérieur des portes dépasse la tonne... Et pourtant, en dépit des moyens de levage primitifs dont on disposait au
siècle dernier, moyens qui n'avaient pas évolué depuis le Moyen-Âge, le travail a été effectué, et chaque pierre mise
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en place scrupuleusement, sans avoir jamais bougé jusqu'à aujourd'hui.
L'ingénieur Jean-Marie De Silguy a fait de nombreuses recherches afin de déterminer quel était le meilleur ciment à
employer. La plus grande partie des ouvrages étant immergée en permanence, il convenait en effet que le liant ne soit
pas dilué, ni attaqué par l'élément liquide. De la robustesse de ce ciment dépendait la solidité et la rigidité de toute la
construction. Voici la formule du ciment miracle du canal : on mélangeait 1 mètre cube de sable, 0,20 mètre cube de
cendre de tourbe, et 0,6 mètre cube de chaux éteinte.L'alimentation en eau
Adam de Craponne (1527-1576), voulant désenclaver le transport fluvial , imagine au XVIe siècle le principe du canal de
jonction à bief de partage.
Le canal de Nantes à Brest comporte trois biefs de partage: le premier se trouve à Bout-de-Bois (altitude 20 mètres), entre
les vallées de l'Erdre et de l'Isac. Le second bief se trouve à Hilvem (altitude 129 mètres), entre les vallées de l'Oust et
du Blavet. Le troisième bief se trouve à Glomel (altitude 184 mètres), entre les vallées du Blavet et de l'Aulne.
Les ingénieurs doivent trouver un moyen d'amener de l'eau, d'une façon artificielle, dans la section la plus haute du
canal, qu'on appelle bief de partage, là où le canal franchit une crête pour relier deux vallées. A chaque fois qu'une
péniche descend d'un côté ou de l'autre de la crête par une écluse, elle soustrait 300 mètres cubes d'eau au bief de
partage.
Quel que soit le nombre de péniches qui passent sur le bief de partage, la hauteur d'eau doit rester stable. Pour ce faire,
il faut alimenter le bief par une arrivée d'eau régulière, et suffisante pour compenser les pertes en éclusage. Car un
canal ne franchit jamais une crête au point le plus haut: pour éviter un trop grand nombre d'écluses, on essaie au
contraire de le faire passer par le col le moins élevé de la crête. Il y a donc toujours un point plus haut en altitude que
le bief lui-même. Il existe alors deux possibilités: soit détourner une source plus haute que le bief pour l'amener par
une rigole vers celui-ci, soit aménager un réservoir dans les hauteurs qui surplombent le bief, réservoir qui sera rempli
par les pluies d'hiver, et progressivement vidé l'été par les éclusages.
Dans les deux cas, il faut que la rigole ou le réservoir donnent suffisamment d'eau, même en été, pour que le bief soit
correctement alimenté. Dans la construction du canal de Nantes à Brest, les ingénieurs ont marié ces deux techniques,
rigole et réservoir, pour amener vers la voie d'eau le précieux liquide. Cependant, lors des années de grande
sécheresse, comme en 1921-1922, il a fallu interrompre la navigation faute d'eau dans le canal.
Pour relier les bassins de deux rivières, on creuse un canal à paliers, chaque palier est franchi à l'aide d'une écluse.
Le bief le plus élevé ( bief de partage) est alimenté en eau grâce à la création de plusieurs étangs ou réservoirs reliés
entre eux par des rigoles. L'eau est amenée au bief par une rigole alimentaire afin de compenser les pertes d'eau dues
aux éclusages, à l'évaporation ....
Aujourd'hui, les rigoles sont souvent remplacées par de puissantes usines de pompage d'eau.
Parfois d'autres solutions sont adoptées pour franchir les obstacles : le pont-canal, le souterrain (Riqueval), l'ascenseur à
péniche (Saint-Louis-sur-Arzviller). Le canal de Nantes à Brest a conservé son alimentation d'origine.
Le bief de partage ou "Grand Bief" qui s'étend de l'écluse du Pas d'Héric à l'écluse de la Remaudais, mesure près de 9
km. Le réservoir principal est l'étang de Vioreau relié au bief par une rigole alimentaire ou "Petit Canal".
L'étanchéité du canal.
Cette évidence n'est pas chose si évidente que ça... Vous vous imaginez que les rivières sont étanches, puisqu'elles
contiennent et dirigent l'eau de la source vers l'embouchure. Or il n'en est rien : en réalité, le lit d'une rivière est une
véritable passoire. Cette passoire laisse entrer l'eau, car des sources ont fait leur chemin dans les sols et viennent se
fondre avec le flot principal. Et cette passoire laisse également sortir l'eau, qui va s'égailler dans les marécages
alentour, se diluer dans les terrains sablonneux, ou bien alimenter les nappes phréatiques.
Mais lorsqu'on construit un canal, il n'est pas question de laisser le précieux liquide batifoler dans la nature, au risque de
laisser les péniches à sec, et les mariniers en grand courroux...
Lorsque le canal emprunte le lit d'une rivière, il n'y a pas grand travail à faire pour conserver l'eau, à part régulariser le
cours par des barrages afin d'assurer toujours un niveau minimum d'étiage.
En contrepartie, lorsqu'on construit une section artificielle, il faut prendre certaines précautions. La première de toutes
est de rendre le fond et les rives du futur canal totalement étanches. Si ce n'est pas le cas, il suffit d'une terre de
mauvaise qualité, ou encore de quelques ragondins creusant leur terrier, pour voir toute l'eau partir dans les prairies
environnantes. Pour réaliser cette étanchéité, on va appliquer, sur le fond et sur les côtés de la voie d'eau, une couche
d'argile mélangée à de la paille, épaisse d'une trentaine de centimètres.
Les digues qui bordent la voie d'eau doivent être extrêmement compactes et solides, car un trou dans la couche
d'argile, provoqué par le choc d'une péniche ou le terrier d'un animal, peut imprégner la digue et la faire s'écrouler.
Vous vous apercevrez, si vous randonnez lorsque le niveau d'eau est bas, que les côtés du canal sont souvent renforcés
par des perrés de pierres plates simplement posées les unes sur les autres, perpendiculairement à la paroi.
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Aux abords des écluses, cette étanchéité est renforcée, car une infiltration d'eau sous l'ouvrage irait saper les
fondations et provoquerait l'effondrement des maçonneries à plus ou moins long terme.
Les crues.
Elles sont la plaie du canal de Nantes à Brest. Il faut se souvenir que la plus grande partie du trajet du canal emprunte
des lits de rivières : Erdre, Isac, Oust, Blavet, Hyère, Aulne.
Les rivières sont assez courtes en Bretagne, mais la topographie des bassins versants et des vallées fait que les crues
sont souvent violentes. Chacun se souvient des terribles images de la grande crue de l'hiver 94-95, qui a vu Redon et
Quimper les pieds dans l'eau pendant de longues journées.
Lorsque l'eau monte au-delà du raisonnable, il se produit deux phénomènes qui engendrent les pires malheurs pour le
canal. D'abord un phénomène d'imprégnation des terres. Une fois gorgées d'eau, les berges, les digues, le chemin de
halage n'ont plus la même résistance, et ne demandent qu'à être emportées.
Le deuxième phénomène qui amplifie l'effet du premier est le courant. La violence du flot, sa vitesse, s'exercent sur des
"tas de terre" artificiels fragilisés car ils sont désormais sous l'eau. C'est ainsi qu'après chaque crue, il faut reconstruire
des sections entières du halage, reprofiler les digues, recreuser les rigoles, rapporter des blocs de roches aux barrages,
consolider les ouvrages sapés, et, bien sûr, débarrasser le lit de tous les débris que la crue y a laissés.
La crue en profite toujours pour achever lâchement de pauvres arbres qui surplombaient les rives. Lorsqu'ils sont dans le
lit du courant, le flot les lance alors tels des béliers sur les ouvrages. On a ainsi vu au printemps 95 des crémaillères
d'écluses, en acier de huit centimètres, tordues comme de vulgaires ferrailles, et des passerelles entières, sur l'Aulne,
réduites à l'état de squelettes. Sur le Blavet, c'est même une maison éclusière qui a été détruite par le flot furieux...
Un autre travail reste à faire après le passage de la crue : c'est le nettoyage des sas d'écluses. On y retrouve en général
des tonnes de sable, qu'il faut bien sûr enlever avant d'autoriser de nouveau la navigation.
La Grande Tranchée de Glomel...
A Glomel va être creusé le troisième bief de partage, celui qui sépare les bassin du Blavet et de l'Aulne. Il s'agit de
dégager dans la montagne une saignée de trois kilomètres dont le point le plus profond sera 23 mètres en-dessous du
sol initial. Pour éviter les effondrements, le profil des pentes est calculé de telle sorte que la "gueule" du trou, à sa plus
grande hauteur, fait une largeur de 100 mètres. Il faut attaquer à la pelle et à la pioche 1.500.000 mètres cubes, ce qui
donne le double à transporter, car une terre décompactée double de volume. Trois millions de mètres cubes, cela fait un
rectangle de 3 kilomètres sur un kilomètre et une épaisseur d'un mètre de bonne terre bien grasse et lourde... Par
bonheur, les outils ne rencontreront que peu de roche, car à cet endroit on trouve surtout de l'argile et du schiste
décomposé.
On transporte la terre avec des brouettes d'abord, puis avec des hottes, et on la répartit en deux grands tas de chaque
côté de l'immense tranchée. La rupture des sources provoque des éboulements dans la masse de terre creusée. En
1828, 15.000 mètres cubes s'écroulent d'un coup, qu'il faut pelleter de nouveau... Aujourd'hui, la végétation a stabilisé
les berges, mais il se produira des glissements de terrain jusqu'en 1915.
Le chantier de la tranchée de Glomel est si important qu'il est décidé de faire appel à 600 forçats du bagne de Brest.
Ceux-ci sont de pauvres bougres allergiques à la vie militaire, condamnés aux travaux forcés à perpétuité, que la
promesse d'une grâce encourage à travailler. Certains seront en effet graciés par le Roi, et renvoyés dans leurs
régiments.
On établit pour ces malheureux un camp près du chantier, à la Lande Perran, dans lequel les condamnés sont à la garde
de 50 gendarmes. Par crainte des incendies, les cabanes des forçats ne possèdent ni chauffage ni éclairage, et par
crainte des évasions, les ouvertures sont réduites à la taille d'un trou de souris...
Les conditions de vie et d'hygiène sont inimaginables. Il est construit quatre dortoirs mesurant chacun 20 mètres par 8,5
mètres. Dans ces 170 mètres carrés, on va entasser 150 hommes, qui dormiront dans des hamacs superposés. Le
travail est si dur que la maladie et la mort auront raison de nombreux bagnards. Les plus "chanceux" parviendront à
s'évader.
Les 54 gendarmes assignés à la garde sont beaucoup plus soignés, puisqu'ils disposent d'un grand dortoir long de 45
mètres... La vie de château, en quelque sorte...
Une des maladies endémiques qui frappait le camp est le paludisme, qu'on soignait déjà en 1820 avec de la quinine.
Mais pour être certain que le microbe était noyé, le "sulfate de quinine" était administré dans un verre d'eau-de-vie...
Le camp de Glomel sera construit en 1822 et détruit en 1834, suite à une épidémie de choléra, qui enverra à l'hôpital de
Rostrenen 50 gendarmes et 121 condamnés...
Il ne restait plus au départ des bagnards que 140.000 mètres cubes à enlever, soit le vingtième de la masse initiale. Ce
solde de travaux sera terminé par des entreprises locales.
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