Altération cognitive post-opératoire chez le sujet âgé

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Altération cognitive post-opératoire chez le sujet âgé
MISE AU POINT
Altération cognitive post-opératoire
chez le sujet âgé
P. Pfitzenmeyer, A. Musat, L. Lenfant, A. Turcu, A. Musat
L ’ E S S E N T I E L
■ Deux catégories distinctes : Les troubles cognitifs post-opératoires sont
représentés par le syndrome confusionnel et le dysfonctionnement cognitif
post-opératoire, appelé parfois syndrome amnésie/démence.
■ Le syndrome confusionnel : Perturbation cognitive aiguë survenant habituellement dans les 24 à 48 heures post-opératoires, il correspond à une
décompensation cérébrale aiguë favorisée essentiellement par la fragilité cérébrale antérieure du sujet à laquelle se rajoutent les effets délétères du stress
opératoire ; des facteurs précipitants organiques doivent être systématiquement
cherchés, mais ils semblent moins fréquents chez les patients chirurgicaux que
chez les patients confus en milieu médical. Bien que peu d’études aient évalué
l’impact d’une prévention sur le risque de syndrome confusionnel post-opératoire, il semble qu’une évaluation pré-anesthésique associant gériatre et anesthésiste permettrait, à travers une approche globale, de proposer une prise en
charge post-opératoire individuelle efficace.
es progrès des techniques anesthésiques
L et opératoires permettent aujourd’hui de
proposer à des patients de plus en plus âgés
des interventions jusqu’alors récusées sur
ces terrains fragiles. Ainsi, le nombre d'actes
anesthésiques a presque doublé en 15 ans
puisqu’il est passé de 3 600 000 en 1980 à
7 937 000 en 1996. Proportionnellement, le
nombre d’anesthésies réalisées chez les
sujets âgés s’est très nettement accru
puisque les sujets de plus 55 ans représentaient plus de 38 % des anesthésies en 1996,
contre seulement 26 % en 1980 [1]. C'est
dans la catégorie des patients les plus âgés
que l'augmentation d'actes a été la plus forte.
Actuellement, les patients comme les
médecins redoutent l’apparition d’une altération cognitive dans les suites opératoires.
Il est cependant difficile de savoir si cette
association est purement fortuite ou s’il
existe une relation de cause à effet entre acte
opératoire et dysfonctionnement cognitif.
L’anesthésie générale perturbe de façon
transitoire les fonctions de relation et la
période opératoire est suivie d’une phase où
les performances psychomotrices et les
capacités d’attention sont perturbées de
façon obligatoire. Cette phase correspond à
648 ➞ La Presse Médicale
■ Le dysfonctionnement cognitif post-opératoire : Il est cliniquement
beaucoup moins systématisé que le syndrome confusionnel. Ses symptômes
vont des pertes de mémoire transitoires avec difficultés d’apprentissage, à la
démence avérée avec altérations sévères de la personnalité. L’étude ISPOCD1,
réalisée récemment sur un grand nombre de sujets âgés, a montré qu’une
altération cognitive était observée chez 25,8 % des patients opérés à 1
semaine et chez 9,9 % à 3 mois. Sur un suivi de l’ordre de 1 à 2 ans, la fréquence d’une altération cognitive était de 10,4 %, rejoignant les chiffres d’une
population témoin non-opérée. Il est donc possible que de nombreux états
démentiels mis sur le compte d’une intervention chirurgicale soient en fait des
maladies démentielles révélées au moment du stress hospitalier tandis qu’elles
évoluaient jusqu’alors progressivement sans avoir attiré l’attention de la famille
ou des médecins.
la période d’élimination des agents anesthésiques et ne doit pas excéder 24 heures. La
survenue des troubles cognitifs après la 48e
heure post-opératoire, doit être considérée
comme pathologique [2-4].
La nosologie des troubles cognitifs postopératoires n’est pas parfaitement claire. Il
est cependant possible de déterminer 2 catégories distinctes : le syndrome confusionnel
post-opératoire [5] et le dysfonctionnement
cognitif post-opératoire, appelé auparavant
syndrome amnésie/démence [6].
VIEILLISSEMENT CÉRÉBRAL
ET RISQUE PÉRI-OPÉRATOIRE
Le vieillissement est caractérisé par une
réduction progressive de certaines performances cérébrales [7]. La diminution des
fonctions cognitives liée à l’âge est très
variable d'un individu à l'autre, fonction de
l'environnement, du milieu social et de l'éducation. La fragilité cérébrale est essentiellement consécutive aux syndromes démentiels
surajoutés dont la prévalence est évaluée
dans les pays européens à 9 % environ dans
la population des plus de 70 ans [8], tandis
Presse Med 2001 ; 30:648-52 © 2001, Masson, Paris
qu’elle atteindrait 40 % dans certaines
études chez les plus de 85 ans [9]. Ainsi, la
baisse des réserves fonctionnelles cérébrales
consécutives aux effets du vieillissement et
à l’impact des maladies, notamment démentielles, exposent le sujet âgé, lors du stress
opératoire, au risque de décompensation
cérébrale représenté essentiellement par le
syndrome confusionnel.
Les lésions d’athérosclérose associées à
une fragilité de l’autorégulation de la perfusion cérébrale participent au risque d’hypoperfusion cérébrale, notamment dans les
régions sous-corticales, lors des variations
hémodynamiques systémiques fréquentes en
per et post-opératoire [10]. L’impact de
l’hypoperfusion cérébrale serait particulièrement important dans la survenue du
Service de Médecine gériatrique (PP, AM, LL, AT).
Centre de Gérontologie de Champmaillot, CHU,
Dijon.
Département d’Anesthésie-Réanimation (AM),
CHU Bocage, Dijon.
Correspondance : P. Pfitzenmeyer, Service de Médecine
gériatrique, Centre de Gérontologie de Champmaillot.,
CHU, 2, rue Jules Violle, F21034 Dijon.
Tél. : 03 80 29 39 70. Fax : 03 80 29 36 21.
Email : [email protected]
Reçu le 20 octobre 2000 ; accepté le 12 mars 2001.
7 avril 2001 / 30 / n° 13
P. Pfitzenmeyer et al.
dysfonctionnement cognitif post-opératoire
[11]. Parallèlement à la fragilité cérébrale,
les déficits sensoriels comme les troubles de
la vision et de l'audition réduisent les capacités d’adaptation du sujet âgé et l’exposent
au syndrome confusionnel notamment en
post-opératoire.
LE SYNDROME CONFUSIONNEL
C’est une des complications post-opératoires
les plus fréquentes du sujet âgé, son incidence étant évaluée en moyenne à 36,8 %
[5]. Sa fréquence dépend du type de chirurgie, le risque le plus important étant trouvé
en chirurgie cardiaque et en orthopédie (24 à
72 %) et du caractère programmé ou non de
l’intervention (fréquence de 25 à 65 % pour
des actes réalisés en urgence, contre 15
à 25 % dans des actes de chirurgie réglés)
[12, 13].
Clinique
Les critères de diagnostic du syndrome
confusionnel post-opératoire sont définis par
L’American Psychiatry Association dans le
DSMIV (encadré 1) [14], mais les travaux
récents concernant les états confusionnels
post-opératoires utilisent volontiers une
échelle dérivée du DSM IIIR appelée Confusion Assessment Method (CAM) [15]. Le
syndrome confusionnel est une perturbation
cognitive de début brutal, survenant habituellement dans les 24 à 48 heures post-opératoire [16]. La symptomatologie est fluctuante dans le temps, associant troubles de la
vigilance et inversion du rythme veille-sommeil. L’altération cérébrale est globale, donnant lieu à des signes très variés, notamment
déficit d’enregistrement mnésique, désorientation temporo-spatiale, troubles du
comportement et anxiété majeure. Cette perturbation cérébrale organique est théoriquement totalement réversible lorsque la prise
en charge est adaptée [17].
Physiopathologie
L’hypothèse dominante fait appel à la responsabilité d’une réduction du métabolisme
cérébral entraînant une baisse des neuromédiateurs, GABA, sérotonine, noradrénaline
et surtout acéthylcoline [18]. Les hypothèses
7 avril 2001 / 30 / n° 13
1. Diminution de la capacité de maintien de
l’attention aux stimuli externes
2. Désorganisation de la pensée relevée par des
propos incohérents
3. Au moins 2 des paramètres suivants :
_ Diminution du niveau de conscience (difficulté
à rester éveillé pendant l’examen)
_ Altération de la perception (illusions, hallucinations)
_ Altération du cycle veille/sommeil
_ Augmentation ou diminution de l’activité psychomotrice
_ Désorientation temporo-spatiale
_ Altération de la mémoire (difficulté d’apprentissage d’un nouveau matériel, ou de se remémorer des événements récents)
4. Délai court d’apparition de la symptomatologie
(heures ou jours), avec tendance à la fluctuation au cours de la journée
5. Au moins 1 des caractéristiques suivantes :
_ Mise en évidence dans les antécédents récents,
au cours de l’examen physique ou dans les
résultats biologiques d’un facteur étiologique
organique
_ Si aucun facteur étiologique organique évident
n’est retrouvé, absence d’altération cognitive
non organique qui pourrait être la cause des
troubles actuels (épisode maniaque etc.)
cipitants du syndrome confusionnel postopératoire soient différents de ceux observées chez les patients médicaux, les causes
médicales semblant beaucoup moins
fréquemment décelées dans le contexte
chirurgical [18, 36]. Certaines chirurgies
semblent particulièrement pourvoyeuses
de syndrome confusionnel : cardiaque en
raison des perturbations hémodynamiques
cérébrales [37], orthopédique où le rôle des
embolies graisseuses est discuté [19, 28], de
la cataracte en raison des modifications sensorielles [38]. Par contre, le type d’anesthésie, qu’il soit général ou locorégional, n’a
pas été identifié comme un facteur de risque
de syndrome confusionnel post-opératoire
[39, 40].
Cependant, le mécanisme physiopathologique du syndrome confusionnel reste le
même, puisqu’il est à l’évidence la conséquence d’une rencontre entre facteurs de fragilité préexistante (altération cognitive,
dépendance, âge) et d’un stress opératoire
plus ou moins important en fonction du type
de chirurgie et des différents facteurs organiques aigus qui se surajoutent [13].
physiopathologiques concernant la confusion post-opératoire sont très pauvres :
le rôle de l’hypotension peri-opératoire,
suspecté dans une étude [19], n’a pas
été confirmé dans une autre [16] ; il en est
de même pour l’impact éventuel de l’hypoxémie post-opératoire [20-22] ; le rôle de
l’augmentation du cortisol durant le stress
opératoire a été soulevé [23], de même
qu’une réduction de la disponibilité du tryptophane au niveau cérébral dans la période
per et post-opératoire [24].
Pronostic
L’apparition d’un syndrome confusionnel est
associée à un pronostic défavorable avec une
augmentation de la morbidité, de la mortalité et de la durée d’hospitalisation [31, 32].
Le taux de mortalité semble être de l’ordre
de 20 à 30 %. La persistance de troubles
cognitifs 6 mois après la chirurgie est observée dans 6 à 42 % des cas de syndrome
confusionnel [16, 32, 41], ces patients présentant en outre un état de dépendance
important [41, 42].
●●●
Encadré 1
Critères diagnostiques du syndrome
confusionnel (DSMIV).
Facteurs étiologiques
De nombreuses études réalisées sur la survenue d’une confusion chez les patients médicaux ont permis de mettre en évidence certains facteurs prédisposants (encadré 2) et
un très grand nombre de facteurs précipitants (encadré 3) [12, 25-27]. Dans les
études réalisées en milieu chirurgical, les
facteurs prédisposants semblent identiques,
tandis que les facteurs précipitants mis en
évidence sont beaucoup moins nombreux
(encadré 4) [5, 13, 16, 19, 28-36]. Ainsi, il
est possible que les facteurs étiologiques pré-
Encadré 2
Facteurs prédisposants au syndrome
confusionnel chez les patients médicaux.
• Age avancé
• Affections organiques cérébrales chroniques
_ Syndomes démentiels dégénératifs
_ Accidents vasculaires cérébraux et démences
vasculaires
_ Maladie de Parkinson et affections apparentées
• Dépression
• Dépendance
• Déficits neurosensoriels visuels et auditifs
• Affections chroniques telles insuffisance rénale
ou hépatique
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MISE AU POINT
Altération cognitive post-opératoire chez le sujet âgé
Encadré 3
Facteurs précipitants du syndrome confusionnel chez les patients médicaux.
• Infections (bronchopulmonaires et urinaires
notamment)
• Troubles métaboliques :
_ troubles hydroélectrolytiques : hypo ou hypernatrémie, hypercalcémie,
_ hypo ou hyperglycémie
_ acidose ou alcalose
_ insuffisance rénale, respiratoire ou hépatique
_ dénutrition sévère et déficit vitaminique : B1,
folates, B12
• Troubles cardio-vasculaires
_ insuffisance cardiaque
_ troubles du rythme paroxystique
_ infarctus du myocarde et embolie pulmonaire
• Douleur aiguë et syndromes rétentionnels
(rétention aiguë d'urine et fécalome)
• Affections neurologiques :
_ lésions expansives : hématome sous-dural,
tumeur, anévrisme
_ accident vasculaire cérébral
_ épilepsie : en particulier type petit mal absence
• Dérèglements endocriniens :
_ dysthyroïdies,
_ hyperparathyroïdie
• Facteurs iatrogènes
_ psychotropes : benzodiazépines et apparentés,
barbituriques, carbamazépine, antidépresseurs,
neuroleptiques
_ antiparkinsoniens
_ antalgiques (majeurs ou non)
_ corticoïdes, indométacine
_ antibiotiques (quinolones)
_ anti-ulcéreux dont cimétidine et oméprazole
_ traitement à visée cardio-vasculaire : digitaliques,
β-bloqueurs, antiarythmiques, diphénylhydantoine, antihypertenseurs centraux
_ théophylline
_ antihistaminiques
_ syndrome de sevrage aux benzodiazépines et
apparentés
• Facteurs psychologiques
_ deuils
_ changement du cadre de vie : hospitalisation ou
entrée en institution
Le pronostic semble bien meilleur lorsqu’une cause médicale définie est retrouvée
et traitée que lorsque la confusion survient
sur un état simplement fragilisé par des
conditions pathologiques chroniques [36].
L’évolution est d’autant plus défavorable que
le syndrome confusionnel persiste 1 mois
après l’acte opératoire [31]. Ce pronostic
défavorable semble tout aussi bien dépendant de l’état de fragilité antérieure des
patients (syndrome démentiel, état de dépendance et polymorbidité) qui favorise la survenue du syndrome confusionnel que du
génie évolutif du syndrome confusionnel luimême [31, 43].
650 ➞ La Presse Médicale
Encadré 4
Facteurs précipitants du syndrome
confusionnel mis en évidence chez
des patients chirurgicaux.
• Iatrogène
_ Polymédicamentation préopératoire [14, 17]
_ Prise de psychotropes avant l’intervention
_ Neuroleptiques [34], anticholinergiques [30,35]
• Infection [34]
• Troubles électrolytiques [37]
• Hypoxémie post-opératoire [20]
• Douleur post-opératoire [36]
Prise en charge préventive
Quelques études ont évalué l’impact d’une
prévention du syndrome confusionnel chez
des patients généralement peu âgés bénéficiant d’une chirurgie cardiaque [44]. A notre
connaissance, seule l’étude de Gustafson
et al. a évalué l’intérêt d’une prise en charge
à visée préventive sur le risque confusionnel
chez des patients âgés chirurgicaux [19]. Le
programme comprenait un délai d’intervention le plus court possible, une évaluation
pré et post-opératoire par un gériatre, une
oxygénothérapie systématique et une surveillance stricte de l’hématose en per et postopératoire immédiat, enfin, une prévention
et un traitement des hypotensions observées
en per-opératoire. L’incidence de la confusion était de 61,3 % dans le groupe contrôle
et de 47,6 % dans le groupe étudié (différence significative). Une autre étude a montré qu’en cas de fracture du col fémoral, l’intervention la plus précoce possible permettait de réduire la fréquence du syndrome
confusionnel [16].
Parallèlement, le nombre d’études
concernant la prévention du syndrome
confusionnel chez des patients médicaux est
faible [44, 45]. Notre expérience gérontologique nous amène, cependant, à proposer
quelques pistes concernant la prévention du
syndrome confusionnel en milieu chirurgical (encadré 5). Il semble, en tout état de
cause, qu’une évaluation pré-anesthésique
associant gériatre et anesthésiste permettrait
d’évaluer au mieux, à travers une approche
globale, le risque de syndrome confusionnel
post-opératoire et de proposer une prise en
charge post-opératoire individuelle efficace.
Traitement
Le traitement du syndrome confusionnel
requiert d’abord le diagnostic et le traitement
des facteurs organiques précipitants [18]. Le
diagnostic étiologique implique un examen
physique approfondi, une évaluation neuro-
logique et un bilan biologique complet. Tous
les médicaments pris par le malade doivent
être suspectés de principe comme une cause
potentielle du syndrome confusionnel. La
prise en charge nutritionnelle, la surveillance
de l’état d’hydratation et la prévention des
complications de grabatisation doivent être
systématiques [17]. L’usage d’un traitement
pharmacologique, qui reposerait aujourd’hui
plutôt sur les neuroleptiques atypiques (rispéridone, tiapride), n’est indiqué que dans
une minorité de cas, lorsqu’existent des
troubles comportementaux difficilement
tolérables pour le milieu hospitalier.
Encadré 5
Proposition concernant quelques mesures
préventives du syndrome confusionnel
chez le patient chirurgical.
Attitudes validées
- Evaluation pré et post-opératoire par un gériatre,
- Oxygénothérapie systématique et surveillance
stricte de l’hématose en per et post-opératoire
- Prévention et traitement des hypotensions observées en per-opératoire
Attitudes non validées
En pré-opératoire
- Réduction des prises médicamenteuses notamment des anticholinergiques
En post-opératoire
- Surveillance et traitement de la déshydratation et
des troubles hydroélectrolytiques
- Compensation de l’anémie
- Traitement précoce des complications infectieuses
- Prise en charge active de la douleur post-opératoire
- Prise en charge de la dénutrition protéinoénergétique
- Mobilisation précoce
- Lutte contre l’isolement sensoriel
- Réduction de l’utilisation des contentions
chimiques et physiques
LE DYSFONCTIONNEMENT
COGNITIF POST-OPÉRATOIRE
ET/OU SYNDROME
AMNÉSIE/DÉMENCE
Apparaissant dans les jours ou les semaines
post-opératoires, le syndrome amnésie
/démence évolue de manière chronique et
peut être définitif. La présentation clinique
est beaucoup moins précise que celle du syndrome confusionnel. Ses symptômes vont
des pertes de mémoires transitoires avec difficultés d’apprentissage (syndrome amnésique), à la démence avérée avec altérations
sévères de la personnalité.
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P. Pfitzenmeyer et al.
Le syndrome amnésie/démence post-opératoire a été mentionné pour la première fois
en 1955 par Bedford qui rapporte 18 cas de
malades âgés ayant développé un syndrome
de démence post-opératoire [46]. L’hypo
xémie per et post-opératoire et l’hypoperfusion cérébrale consécutive à l’hypotension
artérielle pourraient jouer un rôle dominant
dans l’apparition du syndrome démentiel
post-opératoire [22].
Cependant, les travaux ultérieurs n’ont
pas mis en évidence de retentissement flagrant à long terme de l’anesthésie en chirurgie générale sur les aptitudes cognitives des
patients, les cas de démence post-anesthésique restant très ponctuels [47].
Plus récemment, 2 études montraient un
impact négatif de l’acte anesthésique sur les
tests cognitifs réalisés à 1 semaine et 3 mois
après un acte chirurgical orthopédique ou
abdominal [48, 49]. Cependant, dans l’une
et l’autre de ces études, les résultats à plus
long terme (de 6 mois à 2 ans) ne trouvaient
aucune différence concernant la fréquence
d’une altération cognitive entre la population
opérée et une population témoin de même
âge [49, 50]. L’étude ISPOCD1 [48] a inclus
1218 patients issus de différents pays d’Europe et des USA pour réaliser une batterie de
tests neuropsychologiques à 1 semaine puis
à 3 mois après une geste chirurgical autre
qu’une intervention cardio-thoracique.
L’évolution cognitive de ces patients était
comparée à celle de témoins du même âge.
Une altération cognitive, portant essentiellement sur la rapidité des processus mentaux,
était notée chez 25,8 % des patients opérés
à 1 semaine et chez 9,9 % à 3 mois, les
M A I N
chiffres pour la population témoin étant de
3,4 % et 2,8 %, ce qui témoignait d’une différence significative. Les facteurs de risque
d’une altération cognitive étaient un âge
avancé, la durée de l’anesthésie, un niveau
bas de scolarité, une deuxième intervention,
une complication post-opératoire infectieuse
ou respiratoire. Une partie de cette population (336 sujets) était réévaluée dans un délai
de 1 à 2 ans après l’acte chirurgical [50].
Une altération cognitive était observée dans
10,4 % des cas chez les patients opérés,
contre 10,6 % dans la population témoin.
Parallèlement, dans l’étude de Dijkstra et al.,
n’ayant porté que sur 56 patients évalué à
1 semaine, 3 et 6 mois après un geste chirurgical qui n’était pas en rapport avec une
intervention cardiaque, l’évaluation à 6 mois
ne montrait aucune altération objective des
tests cognitifs tandis que persistait une
plainte subjective des patients peut-être en
rapport avec une sémiologie dépressive [49].
A la vue de ces résultats, il nous semble
possible d’envisager quelques hypothèses
concernant le dysfonctionnement cognitif
post-opératoire : dans quelques rares cas,
l’acte anesthésique peut certainement, en raison d’une souffrance cérébrale due à une
hypoperfusion ou une hypoxie, entraîner une
altération cognitive définitive de nature
démentielle; plus fréquemment, le syndrome
confusionnel post-opératoire peut certainement se compliquer d’une altération démentielle chronique ; dans la majorité des cas,
l’intervention chirurgicale agirait comme le
révélateur d’une pathologie démentielle préexistante. Dans ce contexte, ce serait le syndrome confusionnel post-opératoire, extrême-
ment inquiétant par sa brutalité et son intensité, qui amènerait les proches à prendre
conscience de la détérioration cognitive de
leur parent. En effet, l’interrogatoire précis
retrouve la plupart du temps chez ces patients,
des troubles cognitifs antérieurs à l’anesthésie, parfaitement occultés jusqu’alors en raison de leur évolution progressive et en l’absence de retentissement social important.
CONCLUSION
Le syndrome confusionnel est une décompensation cérébrale aiguë parfaitement réversible, résultante d’un état de fragilité préexistante due à l’âge et aux pathologies cérébrales chroniques, des éléments du stress
opératoire et d’éventuels facteurs organiques
aigus post-opératoires. La prévention et le
traitement d’une telle décompensation passent certainement par un travail interdisciplinaire entre anesthésiste et gériatre.
Le dysfonctionnement cognitif post-opératoire semble disparaître spontanément chez
de nombreux patients dans les mois suivants
l’intervention, puisque, dans un délai de 6
mois à 2 ans, la population opérée rejoint la
courbe d’une population témoin en ce qui
concerne le risque de détérioration cognitive.
Il est donc possible que de nombreux états
démentiels mis sur le compte d’une intervention chirurgicale soient en fait des maladies
démentielles révélées au moment du stress
hospitalier tandis qu’elles évoluaient
jusqu’alors, progressivement, sans avoir
attiré l’attention de la famille ou des
médecins. ❏
P O I N T S
Post-operative cognitive disorders in the elderly
■ Two distinct categories: Postoperative cognitive disorders include delirium
and long-term cognitive dysfunction.
Delerium: Delirium is an acute state occurring early during the postoperative
period. It may be considered as an acute cerebral insufficiency which may be consecutive both to the negative effects of aging and chronic illness on cognitive function,
and to the cerebral impact of operative stress. In addition, precipitating postoperative
medical factors may facilitate cerebral failure. Only a few studies have been devoted
to prevention programs aimed at reducing the risk of postoperative delirium. Nevertheless, we can hypothesize that a preoperative gerontology assessment would be
effective in determining risk factors of delirium in old patients and thus enable proposing individual postoperative management.
■
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Long-term cognitive dysfunction: The definition of this clinical picture is less
precise than delirium. Long-term cognitive dysfunction corresponds to a loss of
cognitive performance in the weeks and months after anesthesia. The IPOCD1
study conducted in a large cohort of elderly patients has shown that postoperative
cognitive dysfunction was present in 25.8% of patients 1 week after surgery and in
9.9% 3 months after surgery. One to two years after surgery, cognitive dysfunction
was observed in 10.4% of patients compared with 10.6% in a control population of
non-operated patients. We would suggest that in many cases, postoperative cognitive dysfunction may result from preoperative dementia unmasked by surgery.
■
P. Pfitzenmeyer, A. Musat, L. Lenfant et al.
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7 avril 2001 / 30 / n° 13

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