JS Foer - Dis-moi ce que tu manges ...,Ailleurs c`est ici,Une

Transcription

JS Foer - Dis-moi ce que tu manges ...,Ailleurs c`est ici,Une
J. S. Foer - Dis-moi ce que
tu manges ...
Quoi ? Vous avez mangé de la viande à midi ?
Vous préparez du poisson pour ce soir ?
Tout laisse à penser que le nom de Jonathan Safran Foer vous
est encore inconnu …
Dans son ouvrage, l’écrivain new-yorkais se livre en effet à
une étude de nos comportements alimentaires et de leurs
conséquences sur les élevages et les traitements infligés aux
animaux.
Si
vous
pensiez
vous
abriter
derrière
les
labels
et
appellations tels qu’ « élevés en plein air », « bio », et
j’en passe, jetez un oeil à « Faut-il manger les animaux ? ».
Loin des discours moralisateurs de certains extrémistes
végétar/l/iens, J. S. Foer livre par écrit ses propres
réflexions sur quelle alimentation donner à son jeune fils.
Et il tient à ce que le lecteur garde à l’esprit que c’est le
père de famille qui est allé visiter des élevages considérés
comme traditionnels. Il a également rencontré d’anciens (ou
actuels) employés d’élevages industriels (…ayant presque
toujours souhaité garder l’anonymat).
Ces mêmes élevages où vetusté, torture et barbarie
représentent souvent le quotidien des animaux qui y sont
cultivés (peut-on vraiment parler d’élevages dans ces
conditions), abattus, et « préparés » en vue de les rendre
« propres » à la consommation humaine.
Privations,
enfermement,
dégénérescence
génétique,
démembrements à vif … les pires pratiques y passent … et
créent des espèces animales mutantes, incapables de vivre à la
lumière du jour ou encore de se reproduire entre elles …
Des dindes assexuées, des poulets n’ayant comme espace vital
que la surface d’une feuille A4, des porcs électrocutés,
torturés, de jeunes boeufs castrés à vif … Il est préférable
de terminer son assistte avant de reprendre sa lecture…
Et pourtant, jamais l’auteur ne se pose en extrêmiste
moralisateur mais se propose toujours de fournir les clés pour
que chaque lecteur puisse répondre, en son for intérieur, à
cette question essentielle, et universelle : « Est-il vraiment
naturel de manger des cadavres d’animaux ? »
Vous vous en doutez, cette lecture interroge. Retourne.
Bouleverse.
A découvrir de toute urgence pour se faire sa propre opinion
sur la question !
Cet ouvrage, qui fait suite dans l’oeuvre de Foer au succès de
« Extrêmement fort et incroyablement près » est le fruit de
trois années de recherches et de rencontres. Jeune père,
compagnon de la romancière Nicole Krauss, Foer s’affirme comme
une vraie figure de la nouvelle littérature états-unienne.
Il sort en 2011 son nouveau roman « Tree of Codes ».
Bibliographie de J. S. FOER :
2009 : Eating Animals (Faut-il manger les animaux ?)
2005 : Extremely Loud and Incredibly Close (Extrêmement fort
et incroyablement près)
2005 : The Unabridged Pocketbook of Lightning
2005 : A Beginner’s Guide to Hanukkah
2004 : The Future Dictionary of America
2002 : Everything Is Illuminated (Tout est illuminé)
2001 : A Convergence of Birds
Ailleurs c'est ici
Y’a des films qui te retournent le cerveau. Des films qui te
transportent temporairement sur un autre plan. « Je me
souviens, je me rappelle », dans la nuit lourde, la maison est
endormie. Je regarde un court métrage Ailleurs c’est ici. Oui,
comme la chanson de Louis-Ronan Choisy.
Inlassablement. Encore et encore, je l’ai regardé, cet objet
cinématographique. Peut-être sept fois. Sept fois comme le
compte égrainé par le héros du film, atteint de troubles
obsessionnels compulsifs.
Fascinée par cet étrange équilibre mis en place par le
réalisateur : certaines séquences sont une invitation à
ressentir, d’autres à méditer. Le peu de dialogues est très
écrit, l’atmosphère de l’ensemble, rêvée.
…/…
Strasbourg Saint Denis, un soir d’été – une gouaille de titi,
le verbe volontiers fleuri, l’œil vif, la malice aux
commissures des lèvres – le voilà mon coupable. Qui penserait
à le voir là, à débouler ainsi du métro que ce jeune homme est
responsable de ce voyage tout en correspondance, dans
l’Ailleurs et ici?
Thomas est réalisateur. Quand, à 8 ans, on regarde Alice au
pays des Merveilles, en trouvant ce dessin animé fichtrement
dérangeant, au même âge, il regardait Cria Cuervos de Carlos
Saura. Ca ne s’invente pas. Un héritage paternel, raconte-til. Car le cinéma est familial. A travers une « famille »
cinématographique, ou plus simplement, d’amis.
Vient le temps de raconter des histoires. Plus tard.
Et c’est là que ça devient intéressant. Décidément, chez
l’artiste, il y a toujours quelque chose de Dr Jekyll et Mr
Hyde. Sirotant tranquillement sa bière, il se marre. Thomas,
le cinéphile ne s’entendrait pas bien avec Thomas Creveuil, le
cinéaste.
Ce
qui
le
meut
et
l’émeut,
Thomas,
cinématographiquement ne correspond pas à ce qui sort de sa
plume et de sa caméra. Sa came sur l’écran, c’est Desplechin,
Garrel. Derrière la caméra, c’est du fantastique. « J’adore le
cinéma social, urbain, un peu dur. Les frères Dardenne, par
exemple. Mais dès que j’essaie d’écrire un Conte de Noël,
c’est du fantastique qui sort. Je crois que c’est mon truc, en
fait. » Les voies de la création sont impénétrables. Il ne se
l’explique pas.
« Jugez-moi. A tout à l’heure »
Cinéma Max Linder Panorama, un matin de janvier. 300 personnes
dans la salle. On projette Ailleurs c’est ici. Là, tendu,
devant tous ces gens, Thomas. – « Merci de vous être levé à 8h
du matin / Voilà ce que je fais / Jugez-moi. A tout à
l’heure« .
Présenter son travail est une démarche bizarre, nous racontet-il.
Pudeur, impudeur. A présenter son univers, on s’expose
fatalement. Le fil est ténu entre réserve et impudeur.
Mais « le cinéma est une affaire de partage ». Son idéal?
« Toucher les gens. Qu’ils sortent de la salle en ayant des
questions, sur eux-même ». De soi vers l’universel. Moi vers
les autres.
Les autres, c’est aussi ce qui sous-tend sa manière de
travailler. Si on peut être habité par ses personnages, on
peut l’être également par ses acteurs, – et c’est sans
conteste le cas de Thomas. Et il en parle avec les yeux
brillants. Ses comédiens, il bâtit son histoire avec et pour
eux. « Je construis avec eux. Tout le temps. En fonction des
gens que j’ai en tête. Je les entends parler ».
Il avoue que sur le tournage d’Ailleurs, c’est ici, il a
supprimé quelques séquences pour que l’équipe aille à la
plage. Et à ceux qui clament que c’est un point de vue
amateur, rien à foutre. Le bonheur d’être ensemble. « Etre
heureux d’être là ».
« Les émotions passent par la musique »
Dans le métro parisien, un jeune homme, les écouteurs vissés
aux oreilles. Les notes d’une chanson « Ailleurs, c’est ici ».
Et une vision.
« Dans le métro, un soir, en écoutant cette chanson de Louis,
j’ai eu la vision de la scène des femmes-taureaux (NDLR: scène
clé du film). Mais vraiment tout ». Aveu d’autant plus
frappant que la musique a un rôle essentiel dans son courtmétrage. La voix du chanteur est un personnage en lui-même. Il
scande, rythme l’intrigue. « Pour moi, au cinéma, les émotions
passent par la musique ». Créer de l’image par le son. Les
faire correspondre, comme par vases communicants. je me dis
qu’il a raison. Et que c’est quand même très baudelairien
comme idée. Vous savez, l’idée baudelairienne des
correspondances. Que « les parfums, les couleurs, les sons se
répondent ». Mon mystère de l’autre soir, à regarder son
court, ça venait de là, en fait. Les correspondances, vous
dis-je, les correspondances.
Des Correspondances aux traversées des portes de la
perception, il n’y a qu’un pas. Traversées, c’est d’ailleurs
le titre de son prochain projet, avec Louis-Ronan Choisy,
Clémentine Poidatz et Julia Piaton au casting. L’histoire? Une
société contre-utopique, après une apocalypse industrielle.
« Tout est fracassé. Flingué ». Un homme, Louis, tente d’y
croire. Je sais pas, vous, mais la dernière fois qu’on m’a
raconté l’apocalypse au cinéma, Lars, of course, ça m’a
retournée comme une crêpe. De bonne augure? Certainement!
AILLEURS C’EST ICI – Trailer from Thomas Creveuil on Vimeo.
Ailleurs, c’est ici de Thomas Creveuil. Avec Pascal Barbier,
Clémentine Poidatz. 18′. Horizon Pictures – A Travers le
miroir.
Une séparation
Tout semble avoir été dit sur le chef d’œuvre iranien. La
critique est unanime. On applaudit le réalisateur Asghar
Farhadi, la performance de Leila Hatami, on salue un scénario
finement tissé, des personnages miroirs sans teint d’une
société iranienne peu connue. Tout est dit et pourtant, on ne
peut s’empêcher d’en reparler…
Peut-être parce qu’on nous a laissé choisir, sans matraquage
publicitaire, d’aller voir ce secret qui se passe de bouches
en oreilles ?
Peut-être parce que le film déroute par son ambivalente
complexité simple ?
Sûrement parce que le film reste dans un coin de la tête comme
une triste ritournelle dont les quelques accords restant en
éternelle redéfinition, questionnent.
La première scène du film s’ouvre sur un couple côte à côte et
pourtant si lointain. Le juge est pris à parti, chacun semble
attendre que l’autre recouvre la raison grâce à son
intervention mais la mésentente ne trouve pas d’issue. Elle
veut partir, lui veut rester. Une longue séparation commence.
La séparation d’un couple, d’un ici et d’un là-bas, d’un fœtus
et de sa mère, d’une fille et de son père, de deux couples que
tout oppose, de deux Iran roulant à allure différente.
D’une rive, le couple central qui reflète un Iran moderne où
chaque individu préserve une existence qui lui est propre, où
l’identité duale n’a pas pris le dessus, et où le divorce
n’est pas un tabou. Nader, père de famille aimant et fils
fidèle à son père malade d’Alzheimer. Simin, femme active,
réfléchie, que la détermination a rendue froide, mais belle et
libre. Leur fille, une adolescente sage et studieuse qui
refuse de faire un choix entre les deux parents. Ils évoluent
dans une maison confortable. Pourtant, la lumière traversant
les pièces ne suffit pas à unir ces êtres. Elle appelle vers
des envies d’ailleurs qui divisent.
De l’autre berge, le couple iranien plus attendu peut-être,
celui de Razieh et son mari, où l’homme, pilier central en
voie d’effritement, repose sans jamais l’admettre sur les
initiatives secrètes de son épouse dissimulée derrière un
tchador protecteur.
Bande annonce
Simin décide de tenter le coup: elle part vivre chez sa mère
pour essayer de faire changer d’avis Nader, attendant sans
suite qu’il vienne l’implorer de revenir. Nader s’obstine: il
y arrivera tout seul. Il engage alors Razieh, afin de
s’occuper de son père malade. Celle-ci accepte, accompagnée de
sa petite fille, mais ne dit rien à son mari, un homme
impulsif et instable.
Quand Nader retrouve son père tombé aux pieds du lit, laissé
seul sans surveillance, il renvoie Razieh brutalement sous
l’effet de la colère. Celle-ci, enceinte fait une faussecouche. Relation de causes à effets ? Coïncidence ?
Mensonges ? Victimes ? Coupables ? Vérités ? Tout se mélange…
Les deux couples se retrouvent alors pris dans une bataille
judiciaire acharnée lors de laquelle les sentiments des uns et
des autres s’entremêlent. Aidés par les traditions, la
religion, l’honneur, la vérité, l’obsession, les dominos
s’écroulent et les évènements s’enchevêtrent vers une issue de
plus en plus incertaine. La religion justement, présente à
travers un jeu de voiles croisés et cette scène surprenante.
Face à l’homme incontinent, Razieh ne sait pas comment réagir.
Doit elle laver le vieillard au risque de toucher à son
intimité ? Sa religion le lui autorise t-elle? Elle compose un
numéro de téléphone où un savant religieux disponible 24h/24h
répond à sa question. Duale, la religion. Ridicule et perverse
en motrice de tout cet imbroglio mais aussi gardienne d’une
issue favorable quand le doute s’installe et que les pêchés
proposent de s’échanger….
Peut-être qu’ Une séparation fait couler autant d’encre car il
s’adresse au monde, rapprochant cet Iran trop longtemps resté
lointain.
Le film a joué les prolongations dans les salles. Où voir Une
séparation
Faites l'amour... protégés!
La comédie musicale Hair, ça vous évoque quelque chose, non ?!
Mais oui!
Bien sûr me direz-vous « Let the sunshine in » ou «
Laissons entrer le soleil». Des cheveux longs, du sexe, de la
drogue et surtout de la contestation.
Au Palace l’univers soixante-huitard reprend forme mis en
scène par Sylvain Meyniac et prolonge les représentations
jusqu’au 24 septembre.
Hymne intemporel à la liberté!
Plus de 40 ans après sa première adaptation française au
Théâtre de la Porte Saint Martin avec Julien Clerc, le
spectacle phare de la période « Peace and Love » fait encore
parler de lui. Il évoque des sujets qui n’ont rien
d’anachronique aujourd’hui et offre une nouvelle lecture du
mouvement hippie. Psychédélique, sulfureux, sensuel voire même
érotique, on comprend bien pourquoi cette comédie musicale
avait soulevé tant de contestations et pourquoi le message
« Protégez-vous » y trouve parfaitement sa place aujourd’hui.
Le fragile personnage principal lutte pour trouver sa place
dans cette société. Résistant à ses parents qui souhaitent le
voir intégrer l’armée. Le tout sur fond de lutte contre le
SIDA … ce qui peut expliquer la participation de Pierre Bergé,
président de Sidaction.
Même si les comédiens donnent tout, on déplore parfois
certaines lenteurs et une acoustique qui ne permet pas de bien
saisir les paroles.
Pourtant, « Il est interdit d’interdire », « Faites l’amour
pas la guerre », et autres slogans sont toujours très actuels.
Cette « tribu », c’est ainsi que la troupe s’appelle, nous
ouvre de beaux moments de groupe et une mise en scène pêchue.
A 21 sur scène et avec une telle volonté d’impliquer le
public, on finit forcément par taper dans ses mains et en
redemander.
Coloré, festif et subversif, Hair version 2011 vaut bien un
petit retour à l’heure des « pattes d’eph » !
En ce moment en représentation au Théâtre Le Palace. Pour en
savoir plus, rendez-vous sur :
http://www.faiteslamour.fr/index.php
Théâtre Le Palace
8 rue du Faubourg Montmartre
75009 Paris
Distribution
Mise en scène : Sylvain Meyniac ; Musique : Galt Mac Dermot
Adaptation française : Sylvain Meyniac
Direction musicale : Alexandre Finkin ; Costumes : Victoria
Vignaux
Décors : Anne Wannier
Scénographie : Stéphane Baquet
Chorégraphie: Jean-Claude Marignale
Avec Laurent Bàn, Laurent Marion, Lucie Bernardoni, Lorène
Devienne, Corentine Planckaert, Candice Parise, Anandha
Seethanen, Camille Turlot, Régis Olivier, Lola Aumont, Jua
Amir, Alexander Donesch, Noémie Alazard, Anne Mano, Philippe
d’Avilla, Dominique Magloire, Sebastien Lete, Xavier Combs,
Alex Finkin, François-Charles Delacoudre et Héloïse Adam.
De victimes à bourreaux...
« Où j’ai laissé mon âme » retrace le parcours de deux hommes.
Deux militaires français « engendrés par la même bataille,
sous la pluie de la mousson » au Viêtnam. L’un est capitaine,
l’autre lieutenant. Tous deux sont coincés dans le cercle
impitoyable de la violence et de leurs pensées. L’un écrit à
l’autre pour dénoncer ses dérives, l’autre se débat éperdument
avec sa conscience et soliloque. Tous deux sont confrontés à
une profonde réflexion sur le Bien et le Mal. Mais, au beau
milieu de cette si sournoise guerre d’Algérie, où est le Bien
? Un livre magistral parfois brutal sur la souffrance et la
torture.
Des hommes face à d’autres hommes. Des soldats face à d’autres
soldats. Prêts à se battre quelle que soit la guerre et qui en
oublient leur âme. Les gentils contre les méchants, cette
simpliste vision de l’histoire n’a pas cours dans ce livre.
Des personnages bouleversants, dont l’un des prisonniers
Tahar. Victime christique de l’armée française, ce rebelle a
quelque chose de douloureux et d’énigmatique.
Le capitaine Degorce est une figure forte de résistant et
déporté de la Seconde Guerre Mondiale. Il sera le mentor du
jeune lieutenant Andréani. Des liens inaltérables naîtront
lors des affrontements. Jusqu’à ce qu’ils deviennent eux-mêmes
les bourreaux.
Sous la plume de ce professeur de philosophie, Jérôme Ferrari,
le capitaine Dégorce et le lieutenant Andreani se débattent
pour rester droits dans leurs bottes. Jérôme Ferrari nous
propose humblement une réflexion prenante, philosophique et
poignante. Une histoire bestiale et cruelle.
L’Auteur :
Jérôme Ferrari aborde sans détours une page noire de
l’histoire. Grâce à l’alternance du discours de ses deux
personnages pivots, «Où j’ai trouvé mon âme » prend un tour
romanesque sans pour autant dénaturer l’importance des faits
historiques. Tantôt déchaînés et accusateurs pour Andréani,
tantôt littéraires et
nuancés pour Degorce, les propos
s’équilibrent et sonnent juste.
Après s’être essayé au recueil de nouvelles avec « Variétés de
la mort », c’est en 2003 que Jérôme Ferrari publie son premier
roman, « Aleph Zero » aux éditions Albiana.
Prolixe, Jérôme Ferrari publiera chaque année un nouveau roman
chez Actes Sud toujours. En 2007, « Dans le secret »,
« Balco Atlantico », en 2009 « Un dieu un animal ».
en 2008
Extraits :
« Pendant toutes ces années, il n’a pas vraiment repensé à
tous cela ; les guerres qu’il a menées ne lui ont pas laissé
le temps, et les dix mois passés à Buchenwald s’étendent
derrière lui comme une immense steppe grisâtre qui coupe sa
vie en deux et le sépare à jamais du continent perdu de sa
jeunesse, mais il n’a pas oublié. Le mois de juin 1944 s’est
installé silencieusement dans sa chaire pour y inscrire
l’empreinte d’un savoir impérissable qui lui a permis
d’expliquer à ses sous officiers : « messieurs la souffrance
et la peur ne sont pas les seules clés qui ouvrent l’âme
humaine. […] N’oubliez pas qu’il en existe d’autres. La
nostalgie. L’orgueil. La tristesse. La honte. L’amour. » [1]
«Rappelez-vous, mon capitaine, c’est une leçon brutale,
éternelle et brutale, le monde est vieux, il est si vieux mon
capitaine, et les hommes ont si peu de mémoire. Ce qui s’est
joué dans votre vie a déjà été joué dans des scènes
semblables, un nombre incalculable de fois, et le millénaire
qui s’annonce ne proposera rien de nouveau. Ce n’est pas un
secret. Nous avons si peu de mémoire.
Nous disparaissons comme des générations de fourmis et tout
doit être recommencé. » [2]
[1] « Où j’ai laissé mon âme » Jérôme Ferrari, édition Acte
Sud (2010), page 83
[2] « Où j’ai laissé mon âme » Jérôme Ferrari, édition Acte
Sud (2010), page 23
"Frontières" sans limites à
NAVA
Le festival NAVA (Nouveaux Auteurs dans la Vallée de l’Aude)
est un monde dans un monde. Une poignée de pèlerins qui
s’intéressent aux plumes du théâtre, présentes et futures, au
milieu de nulle part, dans un de ces magnifiques paysages
français.
À l’intérieur de la programmation 2011, il y a eu une œuvre
qui sera considérée un jour comme « de jeunesse » d’un auteur
résolument nouveau : Régis de Martrin-Donos, aujourd’hui âgé
de 23 ans. Baptisée « Frontières », c’est la première mise en
espace établie à partir de ce texte.
Quels mots ! Et quels comédiens !
Dans le cadre splendide du château de Serre, une chaise attend
l’acteur. Le jour s’éteint peu à peu, et, entre chien et loup,
le Fils (Sylvain Dieuaide) s’installe. La folie se lit dans
son regard, une psychose évidente se confirme sur le visage
dès les premiers mots de sa mère (Raphaëline Goupilleau),
plutôt marâtre. Elle s’évertue à descendre son fils plus bas
que terre, secouant la mémoire du grand frère modèle comme une
cloche au-dessus du crâne de sa dernière progéniture tout en
l’habillant des pieds à la tête. L’habillant de mots,
l’habillant d’insultes, l’habillant pour l’hiver en somme.
« Plus je te regarde et plus tu es laid » lance-t-elle. Comme
la mère d’H.P. Lovecraft à son fils. Quand on sait dans quelle
folie ce rejet maternel a plongé l’écrivain, on ne peut pas se
retenir d’imaginer le pire pour ce garçon qui évolue face à
nous. Heureusement, il ne se laisse pas brimer sans réagir. On
assiste à sa première rébellion envers celle qui l’a mis au
monde. Il lui dit qu’il veut sortir, faire sa vie, savoir qui
il est, partir à la Guerre.
La folie s’exprime enfin. Le Fils est un humain avec des airs
de mutant, ou de zombie, aucune importance… Il arrive
désormais à sortir le monstre que sa mère a enfanté avec lui.
Sylvain Dieuaide offre une interprétation juste, nous faisant
par là-même oublier qu’il tient un texte en main. Lorsqu’on
suit le fil de son parcours en 2011, il a joué dans « La Coupe
et les Lèvres » d’Alfred de Musset mis en scène par JeanPierre Garnier, une œuvre collective où seul le groupe avait
sa place, et le seul souvenir marquant que pouvait laisser le
comédien était qu’il jouait du piano. Puis il a interprété
Jean-Louis dans « Perthus » de Jean-Marie Besset, mis en scène
par Gilbert Désveaux. Un rôle très bien incarné mais où il
n’était pas le héros. Dans « Frontières », il est ce héros, il
habite ce Fils, il est fou et nous emmène sans efforts dans sa
folie transcendante.
Lorsqu’enfin, il s’échappe, c’est pour tomber sur le balai du
gardien de l’immeuble (Yves Ferry), qui finit de dessiner ce
monde rédhibitoire aux yeux du jeune homme. Une terre dévastée
où la guerre entre Nord et Sud fait rage. « C’est trop tôt
pour voir le monde » ou encore « Tu n’as pas le droit ! » lui
serine-t-il. Cet échange (comme le reste de la pièce) est
magnifiquement mis en espace par Benjamin Barou-Crossman, le
gardien et le fils s’installant dans un jeu de chat perché
dominant /dominé très esthétique.
Il s’avère au moment de partir que cet homme est le père que
le Fils n’a jamais connu. C’est l’auteur qui prend un coup
d’avance sur le spectateur en faisant se poser la question au
personnage avant qu’elle n’arrive à notre esprit. Et cette
brillante prise de court sur le public n’est qu’un petit rubis
échappé de ce texte qui, entier, est couronné de joyaux.
La troisième scène représente le Fils complètement fanatique,
ayant traversé des déserts entiers pour rejoindre le front à
pied, il rencontre un déserteur (Stefan Delon). Cet homme le
met face à ce qui habite souvent la jeunesse : la fougue, la
naïveté, la sensation d’être invincible quand on sort enfin à
la découverte du monde. Lorsque l’on s’évade « du rêve de ses
parents », que se passe-t-il ?
Refusant de tuer le soldat, Le Fils repart et expérimente. Il
tente de vivre la vie dont il rêvait, et finalement, se
retrouve nez à nez avec sa mère, la Guerre est finie, mais il
souffre de n’avoir pu se battre. Et c’est dans les derniers
mots que naît l’évidence, avec une phrase particulièrement
forte, d’un Fils aux ailes coupées adressée à celle qui l’a
mutilé : « J’ai compris que mon seul ennemi c’était toi, je te
déclare la guerre ».
Quand un jeune auteur met ces mots sur du papier, et que
d’excellents comédiens les incarnent aux yeux d’un public
unanime, on aurait tendance à s’interroger sur ce qui a poussé
Régis de Martrin-Donos à écrire cela, à sa vie, à ses
blessures. Mais lorsque l’on vit ce moment de théâtre intense
dans un festival si singulier, alors on ne peut qu’imaginer le
futur et ce qu’on pourra encore découvrir de cet écrivain à la
plume si brillante. On ne sort pas du spectacle rassasié, non,
on sort conquis et avide de découvrir la suite.
La seconde pièce de Régis de Martrin-Donos, « Un garçon sort
de l’ombre » sera créée lors de la saison 2011-12 du CDN des
Treize Vents à Montpellier du 27 octobre au 4 novembre. La
mise en scène sera signée Jean-Marie Besset, et Stefan Delon y
tiendra de nouveau l’affiche.
Plus d’informations : http://www.theatre–13vents.com
Jacques Air Volt: "C'est la
musique qui décide"
Une après-midi d’été, aux Tuileries. La rumeur ambiante, la
terre qui entre dans les ballerines, un coca avec glaçons. Je
rencontre Jacques Air Volt, de son vrai nom Denis. En plus de
parler, on a joué aux chaises musicales. En une heure de
discussion, on a changé quatre fois de tables, chassés par la
pluie, les parasols qui ploient sous l’eau, le bruit, le
manque de place. L’été est pourri, moi j’vous dis.
Heureusement qu’il y a la musique, et son EP à se mettre dans
les oreilles, Attendre. Rencontre.
Tu t’appelles Denis mais joues sous le nom de Jacques Air
Volt. Tu nous racontes son histoire ?
Jacques Air Volt est arrivé il y a 5 ans. En fait
commençait à monter avec des copains Le monstre de papier,
court métrage avec des personnages en papier. J’avais fait
musique de ce clip, et je devais trouver un nom. JAV vient
on
un
la
de
là. En fait, et c’est une exclu attention, Air Volt c’est
Voltaire à l’envers, je trouvais que ça sonnait bien.
Ensuite, j’ai voulu continuer l’histoire avec une chanteuse
qui s’appelle Harmony Baudou. On a fait un duo à partir d’un
morceau que j’ai écrit. On a fait pas mal de cafés concerts
avec toujours un décor en papier, on s’amusait sur le côté
théâtral des choses.
Puis des musiciens sont venus, ce qui a mené à Première Bande,
qui est composé de chansons enregistrées ces dernières années.
Mais alors pourquoi avoir fait le choix de sortir un EP après
un premier album ?
Parce que je pense qu’aujourd’hui il vaut mieux sortir
quatre/cinq titres que treize. Je trouve que cela correspond
plus aux attentes des gens. Sur un album, j’ai souvent du mal
à tout écouter. Je préfère m’arrêter uniquement sur les
morceaux que je préfère. Les Beatles, à cette époque là,
sortaient des singles de quelques titres. Et je trouve que ça
correspond bien à ce qu’on attend aujourd’hui.
Tu as mis un an à produire cet EP. Un perfectionnisme lié à un
grand respect de la musique ?
Je pense que si on veut faire une bonne musique, il faut y
passer beaucoup de temps. Je cherche vraiment à faire quelque
chose qui soit un peu différent. C’est peut être un peu
audacieux. C’est surtout dur, il faut du temps, trouver les
arrangements, chercher les bons mots… Du coup pour faire un
album il m’aurait fallu peut être trois ans. Sur 4 titres avec
2 intros j’ai mis 1 an depuis la première prise de guitare !
Tu as toujours fonctionné comme cela ?
En fait, quand j’ai voulu faire cet EP, j’ai eu la chance et
le confort de travailler dans un très bon studio, avec du
temps, donc je me suis dit que j’allais le prendre. Je ne
voulais pas que les chansons arrivent posées, mais faire ce
que je veux, tout m’autoriser, quitte à détruire les chansons,
à les transformer, les déstructurer. C’est ce qu’on a réussi à
faire. C’était un de mes rêves d’enregistrer dans ces
conditions là, et on y est arrivés.
Tu parles de déstructurer. Et c’est vrai que quand on
t’écoute, on ne peut que remarquer des ruptures dans
l’harmonie des morceaux.
Je pense que tu fais allusion à la dernière chanson, Dernière
Division, qui passe du jazz à la pop. Le but était de figurer
la mort et la vie. C’est l’histoire de quelqu’un qui marche
dans le cimetière du pere Lachaise, qui figure la vie et qui
regarde des petites filles limite en train de danser sur des
tombes. Ca c’est la pop. Et la mort est figurée par le jazz,
avec cette espèce de saxophone qui crie, qui est un peu
dissonant. Je me suis amusé avec ça en créant des ruptures, de
grandes oppositions que j’ai ressenties en me baladant dans le
cimetière.
C’est vrai qu’on a l’impression que tu accordes autant
d’importance à la musique qu’aux paroles. Comme si chacun
était porteur d’un sens vraiment distinct, et qu’il n’y en a
pas un pour accompagner l’autre.
Oui, ils sont à la fois parallèles et liés par le sens. En
fait j’essaie de faire que la musique illustre les mots au
maximum, qu’elle leur donne un sens. En fait dans le processus
de création les deux s’entremêlent. La musique peut aussi
nourrir les paroles, même si c’est souvent le contraire. Mais
je veux qu’à un moment les deux se rencontrent, que ce soit
cohérent, que ça crée un univers réel, un monde.
En écoutant les textes, on n’a pas l’impression que tu
racontes des histoires mais que tu délivres des touches, des
images…
En fait c’est plus des descriptions, des questionnements. Ce
n’est en effet pas des histoires complètes, il n’y a pas
forcément de chute. Parce que j’aime bien qu’on puisse
interpréter, qu’on puisse trouver un autre sens. Ou s’imaginer
autre chose. J’aime bien les textes à double lecture. Dans ce
disque là il y en a peut-être moins, mais j’aime que cela
reste onirique. J’essaie que le sens soit donné par la
musique. Qu’elle donne le ton du texte. Parce qu’un texte on
peut l’interpréter de dix manières différentes, donc peut être
que c’est la musique qui décide. Comme si le texte se
reflétait dans la musique.
Tu as un côté un peu mutin et désinvolte, et en même temps
mélancolique. Est-ce que c’est une dualité sur laquelle tu
veux jouer ou est-ce que c’est plutôt naturel ?
Je n’ai pas trop l’impression de jouer avec, ça vient
spontanément. C’est assez sincère. Dans la création, ça vient
des influences. J’aime autant Nick Drake que Rage Against the
Machine. Les propos sont différents, on ne l’aborde pas avec
la même énergie ! Je n’aime pas trop les disques où tout est
sur le même temps, ça m’ennuie. Si on prend Grace de Buckley,
on passe de chansons presque monastiques à des trucs violents.
C’est super, du coup on a envie de réecouter le disque. De
toute façon je pense que les disques qu’on réecoute sont ceux
qui sont contrastés. Aussi bien dans les propos que dans la
musicalité.
Et d’ailleurs qui t’inspire ?
La chanson française pour les textes et la mélodie :
Gainsbourg, Bashung, Léo Ferré, Brel, en passant par Higelin,
Jacques Dutronc, Arthur H. Et pour le côté anglo-saxon,
Radiohead, les Pink Floyd, Nick Drake, Jeff Buckley à fond…
Jeff Buckley et Nick Drake, ça s’entend !
Ca me fait plaisir, ça ! Nick Drake, je l’ai connu à 15 ans,
grâce à une cassette que mon frère avait rapportée de l’armée.
Il était inconnu, on a commencé à le chanter plus tard grâce à
une pub Volkswagen qui reprenait l’un de ses titres ! Ce qui
est triste, c’est qu’il s’est suicidé après une longue
dépression, sans avoir jamais connu le succès. Il y a dix ans,
sa soeur a écrit sur Internet que si cette pub avait été faite
avant sa mort, et qu’il s’était senti reconnu, peut-être qu’il
ne se serait pas tué. Alors moi je trouve ça quand même
terrible !
Je crois qu’il avait une grande frustration, c’est de pas
pouvoir jouer en concert, ça le paralysait. Du coup il en a
fait très peu. Comme il tournait pas, il pouvait pas se faire
vraiment connaître. Il voyait tous les mecs qui jouaient,
comme Neil Young, et pas lui. Il jouait dans sa chambre !
Or chanter comme il fait, avec des paroles et des notes qui
ont l’air simples mais qui en fait sont super sophistiquées,
c’est très dur ! Moi j’ai jamais vu un mec jouer du vrai Nick
Drake. Les gens reprennent mais ils simplifient.
Je te demandais tes influences parce qu’on t’en attribue un
sacré paquet. Tu trouves qu’elles sont justes ?
Je trouve surtout ça super, ça veut dire que j’ai quand même
un peu réussi mon pari de faire une musique étonnante, un peu
audacieuse. Je suis assez fier en toute humilité !
Ca rejoint l’image du perfectionniste. A partir du moment où
tu considères qu’un morceau est terminé c’est que tu en es
fier, que tu considères qu’il correspond à ce que tu souhaites
?
Pour cet EP là, oui complètement. Le but était d’aller
vraiment jusqu’au bout d’une destruction. On a réenregistré je
sais pas combien de fois les parties, on coupait, on collait.
C’était génial. C’est la première fois que j’ai pu aller
jusqu’au bout. Jusqu’au bout de quelque chose sans savoir où
on allait ! Je savais juste que j’allais faire quatre titres.
Tu as grandi auprès de musiciens et d’artistes. Est-ce que tu
as dû du coup te poser la question : est-ce que je peux faire
autre chose que de la musique ?
Je ne me suis jamais posé la question, c’est vrai ! Ah si je
voulais être agriculteur à un moment. J’aurais bien aimé être
sur mon tracteur. Mais ça n’a pas duré longtemps car un de mes
frères m’a dit que quand je serai grand tout serait robotisé,
que ce serait des robots qui s’occuperaient de tout. Ca m’a
détruit mon rêve et j’ai vraiment pleuré quand, en 6ème, une
prof a demandé ce que je voulais faire comme métier plus tard.
Je ne savais pas quoi écrire, alors je me suis mis à chialer.
Elle m’a demandé pourquoi, je lui ai répondu que c’était parce
que je ne pouvais plus devenir agriculteur, à cause des
machines. Donc j’ai fait de la musique !
Attendre. Jacques Air Volt. Believe/Zimbalam. Disponible en
digital.
Crédits photo: Valérie Archeno
Mathilde Cristiani