La politique d`accueil des forains à Lyon

Transcription

La politique d`accueil des forains à Lyon
CENINI Aurélien
COUSTILLET-KASZOWSKI Quentin
DUPERRON Cécile
ESTRAGNAT Christel
CDM Action publique et territoires
La politique d’accueil des forains à Lyon
L’exemple de la Vogue aux Marrons
Enseignante : Cécile FERRIEUX
Année 2010-2011
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Sommaire
Introduction.........................................................................................................................................3
Pourquoi avoir choisi spécifiquement la Vogue de la Croix-Rousse ?............................................3
Eléments de définition.....................................................................................................................4
Méthodologie d’enquête..................................................................................................................5
Problématique et annonce du plan...................................................................................................7
I. Le cadre juridique de l'accueil des forains.................................................................................10
A) Une population considérée comme dangereuse à contrôler......................................................10
B) La loi Besson du 5 Juillet 2000 : entre volontarisme et antagonisme.......................................12
C) « Qui accueille-t-on : des citoyens ou une population à part? » (Gotman)...............................14
II. La fête foraine au concret : l'organisation de la Vogue............................................................16
A) Des commerçants installés sur le domaine public....................................................................16
B) Le pouvoir et l'argent : un autre visage de la fête.....................................................................19
III. Partager un territoire : les forains dans la société..................................................................23
A) Un quartier bouleversé, une fête controversée.........................................................................23
B) Les forains face aux préjugés....................................................................................................25
Conclusion.........................................................................................................................................29
Bibliographie.....................................................................................................................................31
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Introduction
Dans le cadre de la Conférence de Méthode « Action publique et territoires », nous avions à étudier
une politique publique au niveau local. Parmi la liste de sujets qui nous étaient proposés, d’emblée
nous avons choisi de nous pencher sur la politique d’accueil des gens du voyage. Peu après, nous
avons appris qu’il faudrait remodeler notre thème, car il était déjà traité par ailleurs. Puisque ce qui
nous intéressait, c’était de voir la manière dont on encadrait l’accueil d’une population spécifique,
nous nous sommes alors intéressés au cas des commerçants non sédentaires, à savoir les gens du
cirque et les forains. Les polémiques de l’été 2010 concernant les gens du voyage et les Roms ont
également eu une influence sur notre choix. Nous voulions essayer de comprendre s’il y avait une
stigmatisation globale des individus possédant un style de nomade, ou si l’opinion publique arrivait
à faire la part des choses entre forains et gens du voyage, et si les autorités publiques pouvaient être
influencées par ce débat brûlant dans leur gestion de l’accueil de ces populations. Le terrain
d’enquête était alors la zone du Lunapark, quai Perrache, à côté de l’ancien marché gare, qui abrite
une fête foraine l’hiver ; ainsi que les cirques de passage ; et l’espace du plateau de la Croix-Rousse
où se déroulait la Vogue aux Marrons.
De fil en aiguille, et reconsidérant la pertinence d’une étude aussi large, nous avons laissé de côté
les chapiteaux pour nous concentrer uniquement sur la Vogue de la Croix-Rousse, sans pour autant
exclure la zone du marché gare qui est l’endroit où est implanté le village caravane des forains.
Pourquoi avoir choisi spécifiquement la Vogue de la Croix-Rousse ?
Au moment de notre étude, la Vogue battait son plein. Elle durait cette année du 2 octobre au 14
novembre 2010. Cette Vogue, c’est-à-dire le nom d’usage en Rhône-Alpes pour parler de fête
foraine, est un moment clef de la vie festive lyonnaise. Deux d’entre nous étant originaires de Lyon,
depuis tous jeunes nous y allons sans s’être jamais penché sur la situation des personnes se trouvant
derrière les métiers. L’occasion se présentait donc de pouvoir le faire. De plus, de nombreuses
coupures de presse faisaient état de polémiques autour de la Vogue cette année. On lui reprochait sa
durée, ses nuisances sonores, on accusait des forains d’avoir coupé une branche d’arbre... C’est le
maire du 4ème arrondissement de Lyon qui était le plus virulent, déplorant notamment un manque
d’appui de la mairie centrale qui le laissait seul au cœur de la tempête, comme le montre ce
communiqué :
Cela fait maintenant plusieurs années que je lance des alertes sur le devenir de la Vogue de la
Croix-Rousse. […] Mais elle ne pourra être pérennisée que si elle est revue dans sa durée, son
extension et l’état d’esprit qu’elle véhicule. […]
Nous sommes mis devant de trop nombreux faits accomplis. Certains forains s’appuient sur la
posture trop passive de la Ville pour aller chaque année un peu plus loin dans les abus. Or, la
gestion de l’espace public et la maîtrise de ses usages sont du ressort de l’Hôtel de ville. Je
demande donc un positionnement clair et ferme du Maire de Lyon en direction des riverains et des
forains (…).
L’actualité du sujet, tant dans les médias que sur les trottoirs croix-roussiens nous a donc poussés à
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choisir définitivement cette thématique.
La Vogue de la Croix-Rousse, ou Vogue aux marrons (nom donné en raison de la présence
traditionnelle de vendeurs de marrons chauds) est une fête foraine qui compte près de 150
d’existence. Chaque année, elle s’étend du début du mois d’octobre à la mi-novembre, sur six
semaines, sur le plateau de la Croix-Rousse. Les manèges et autres stands sont installés sur la Place
de la Croix-Rousse, sur le Boulevard de la Croix-Rousse, et sur la Place des Tapis. Autrefois, la
Vogue s’étendait jusqu’au Gros Cailloux, mais des travaux récents ayant aménagé sur le site un
parking ont initié le redéploiement des métiers plus vers l’Ouest, et plus aucun manège n’est installé
à l’Est de l’arrêt de métro « Croix-Rousse ». A l’occasion de la mise en place du parking, la Vogue a
perdu l’une des ses attractions phares, la Grande Roue, qui n’a désormais plus assez d’espace pour
s’installer. La Vogue de la Croix-Rousse est un succès incontestable chaque année, attirant des
habitants de toute l’agglomération lyonnaise, voire des départements limitrophes comme l’Ain. Il
s’agit d’une manne financière importante pour les forains et pour les autorités municipales (grâce
aux frais d’emplacement que payent les forains). Elle a cela de spécifique qu’elle est la dernière
grande fête foraine intra-muros de France, ce qui est pour elle un avantage énorme puisque les gens
n’ont pas à aller à la fête foraine : c’est elle qui vient à eux.
Eléments de définition
S’intéresser à la politique d’accueil des forains par la ville de Lyon implique de définir dans un
premier temps ce qu’est un forain, notamment en comparaison avec les gens du voyage, et ce qu’est
une politique d’accueil.
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La distinction entre forains et gens du voyage
Les gens du voyage sont juridiquement définis comme des personnes ayant un mode de vie itinérant
et vivant en résidence mobile. Il s’agit d’une catégorie administrative définir par la loi du 3 janvier
1969 relative à l’exercice des activités ambulantes et au régime applicable aux personnes circulant
en France sans domicile ni résidence fixe.
Les forains, eux, sont définis comme des commerçants non sédentaires ne possédant ni domicile ni
résidence fixe, et exerçant une activité ambulante.
Forains et gens du voyage ont ainsi en commun leur mode de vie : le nomadisme. Aucun n’a de
résidence fixe. La différence se situe donc au niveau économique. Les forains sont avant tout des
commerçants dont l’activité implique d’être itinérants. Ils revendiquent prioritairement leur
appartenance à un catégorie économique, et refusent de se définir de prime abord comme nomade.
Malgré des différences évidentes, une même loi s’impose aux communes concernant l’accueil des
populations nomades. Il s’agit de la loi Besson, et plus précisément de son article 28 (dans la
version de 1990, repris dans la loi de 2000) qui dispose : « Un schéma départemental prévoit les
conditions d'accueil spécifiques des gens du voyage en ce qui concerne le passage et le séjour, en y
incluant les conditions de scolarisation des enfants et celles d'exercice d'activités économiques.
Toute commune de plus de 5000 habitants prévoit les conditions de passage et de séjour des gens du
voyage sur son territoire par la réservation de terrains aménagés à cet effet ».
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La politique d’accueil : une politique publique
Thoenig nous donne la définition d’une politique d’accueil : il s’agit des « interventions d’une
autorité investie de puissance publique et de légitimité gouvernementale sur un domaine spécifique
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de la société ou du territoire ».
La politique d’accueil est une politique publique car c’est la capacité qu'ont les systèmes publics à
gérer des demandes et des problèmes publics et à fabriquer du politique, dans un domaine précis
d’action. La politique d’accueil, comme toute politique publique, véhicule des contenus, se traduit
par des prestations et génère des effets. Elle se déploie à travers des relations avec des acteurs
sociaux collectifs ou individuels tels que des syndicats, des associations, des acteurs individuels
agissant pour leur propre compte.
Les autorités disposant des compétences en matière d’action publique agissent de deux manières :
par des pratiques matériellement repérables et par des pratiques plus immatérielles.
Méthodologie d’enquête
Nos recherches s’articulent autour de plusieurs grandes sources d’informations : les textes
juridiques, les articles parus dans la presse, les documents réglementaires (schéma d’emplacement
des métiers, notamment), des études réalisées sur la politique de la Ville, des entretiens, et des
rencontres informelles. Nous avons également fait de l’observation, tant sur les lieux de la Vogue
que sur ceux du village caravane.
Les articles de presse proviennent de sources variées allant des quotidiens gratuits comme Lyon
Plus, au journal Le Progrés en passant par Libelyon.fr, page internet locale du quotidien national
Libération. Il s’agit toujours de courts articles, et dont la portée ne dépasse guère la ville.
Les textes juridiques sont ceux que nous exposerons dans la première partie du dossier. Les textes
réglementaires, que le Maire du 4 ème arrondissement ou la DECA (Direction Economie, Commerce
et Artisanat) nous en fournis apparaissent eux en annexes, tout comme un courrier de syndicaliste
adressé au Maire de Lyon. Quant au mémoire que nous avons consulté, il s’agit d’un mémoire
réalisé dans le cadre d’un master d’urbanisme et intitulé « La mobilité des gens du voyage. Etude
de la politique publique d’accueil et d’habitat dans le département du Rhône (69) ».
L’essentiel de nos informations provient cependant des entretiens que nous avons réalisés. Dès le
départ, nous nous sommes mis d’accord pour rencontrer les différents acteurs de la politique
d’accueil des forains, et de la Vogue de la Croix-Rousse. Il s’agissait de rencontrer un élu local, une
association, un forain et un représentant des services administratifs compétents.
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Un forain
Christel Estragnat était en charge de rencontrer un représentant du monde forain. Il était en effet
impératif de recueillir l’opinion des principaux intéressés. Le nom d’un certain M. F. revenait très
souvent dans les documents consultés, sous le titre de « porte-parole des forains ». Elle s’est alors
rendue sur les lieux de la Vogue pour tenter de le rencontrer. Laissant ses coordonnées à un
guichetier du stand tenu par M. F., elle ne fut pour autant pas recontactée. Elle y retourna, et à force
de persévérance et après un report d’entretien, elle finissait par le rencontrer.
Nous avons eu la chance d’obtenir dans des délais très brefs ce premier entretien, avec la personne
que nous souhaitions rencontrer, et qui est visiblement très connue au niveau de la mairie centrale. Il
s’agissait, après les prises de position de la mairie d’arrondissement dans la presse, de notre
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première confrontation avec les arguments opposés.
Cet entretien permit de constater que de toute évidence, la vérité devait se trouver quelque part entre
les positions de M. B. le maire du 4 ème arrondissement, et M. F. Il apparait que les relations entre la
mairie centrale et les forains sont très bonnes, celle-ci œuvrant plutôt en leur faveur, tandis que les
relations avec la mairie d’arrondissement sont beaucoup plus tendues. M. F. nous a permis
d’appréhender le processus décisionnel administratif visant à la mise en place de la Vogue chaque
année, comment sont attribuées les places, etc.
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Une association
Notre premier constat fut qu’il n’existait pas à Lyon d’association spécifiquement consacrée à la
population foraine. En revanche, nous avions repéré sur Internet l’existence d’un Aumônier des
forains. Cécile Duperron se chargea de le contacter, en vain, car il s’est avéré que l’homme tant
investi que nous voulions rencontrer n’était plus en poste à Lyon, et que son successeur n’endossait
pas vraiment ce rôle. On pensa alors contacter le syndicat CIDUNATI, mais les numéros défaillants
nous firent rapidement abandonner la piste.
Puisque nous ne pouvions pas rencontrer d’association du côté des forains, et que nous avions déjà
eu un entretien dans ce milieu, nous avons opté pour une association de riverains de la CroixRousse, habitants concernés plus que quiconque par cette fête foraine qui bouscule leur quotidien
durant près de six semaines.
Après quelques recherches et coups de téléphone, Cécile obtenait un entretien avec le président de
l’association « La Croix-Rousse n’est pas à vendre », M. C. Nous avons obtenu de cet entretien des
détails sur le bouleversement que la Vogue opère sur le quartier durant près de six semaines. Nous
avons constaté le fort attachement des croix-roussiens à cette fête, mais qu’ils préconisent pourtant
une réduction de sa durée, et déplorent une évolution de la mentalité de la vogue au cours de
laquelle les valeurs traditionnelles se perdent : de moins en moins de vendeurs de marrons chauds,
des prix de plus en plus élevés, des manèges violents, des nuisances,…
-
Un élu local
Le troisième entretien réalisé fut celui du maire du 4ème arrondissement, réalisé par Quentin
Coustillet-Kaszowski. Dès le début de nos recherches, nous voulions absolument rencontrer M. B.,
en tant qu’acteur essentiel de la polémique ambiante. L’entretien fut obtenu avec une grande facilité,
ce qui nous étonna légèrement. En revanche, une fois l’entrevue négociée, elle fut reportée à
plusieurs reprises ce qui retarda légèrement l’avancée de nos recherches.
Il ressort de cet entretien que la mairie d’arrondissement ne dispose que d’une faible marge de
manœuvre dans la gestion du dossier de la Vogue. Le maire s’est présenté comme un négociateur,
qui tente de répondre au mieux aux demandes de la mairie centrale et des forains. Cependant, il
déplore le manque de collaboration de ses deux interlocuteurs. Les forains outrepassent les
règlements comme s’il n’était pas vraiment nécessaire de les respecter, tandis que de son côté la
mairie centrale est beaucoup trop laxiste envers des gens qui se moquent des règles, car quelque
part, elle y trouve son compte.
-
Un service administratif
Après avoir envisagé d’interroger les services de la préfecture sur des questions tenant plus à la
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sécurité, et avoir envisagé de rencontrer le personnel de la DDE (Direction Départementale de
l’Equipement), il nous a semblé plus pertinent de s’adresser à ceux qui sont au cœur des procédures
liées à la Vogue et à la gestion du village caravane : la DECA, service de la mairie centrale.
Aurélien Cénini s’est chargé de cette démarche. Au fur et à mesure des entretiens, ce service
revenait souvent, et la responsable était l’interlocuteur privilégié de M.F., par exemple. Au sein de la
DECA, nous avons contacté le service « commerce non sédentaire ».
La difficulté à obtenir un rendez-vous nous a conduits à un entretien fin janvier avec la responsable
de la DECA, Mme L., et le responsable des cirques, des fêtes foraines et des commerces ambulants,
M. F. La DECA apparaît véritablement comme l’institution pilote en ce qui concerne la gestion de la
population foraine et l’organisation de la Vogue. C’est elle qui met en place et coordonne
l’aménagement de la vogue ainsi que le terrain qui sert d’accueil aux forains pendant les six
semaines de la Vogue.
Au-delà de ces entretiens formels, nous avons profité de nos observations de terrain pour interroger
d’autres acteurs. Ainsi, le mardi matin se tient sur le plateau de la Croix-Rousse un grand marché.
Nous nous y sommes rendus afin de recueillir les impressions des marchands. En effet, le mardi
matin la Vogue ne fonctionne pas, et les marchands s’installent entre les manèges fermés, ou sont
déplacés vers l’Ouest. Les avis divergent énormément. Certains marchands considèrent les forains
comme leurs amis, les comprennent, notamment lorsqu’ils « cohabitent » avec la même personne
d’une année sur l’autre. Pour d’autres vendeurs, la situation est pénible et ils semblent trouver la
présence de la fête foraine insupportable.
Nous avons également interrogé quelques passants sur leur fréquentation de la Vogue, et là encore il
apparaît que les riverains y sont très attachés même si cela gêne un peu les parents d’élèves à cause
de l’école élémentaire toute proche.
Enfin, lors d’une « escapade » vers le marché gare pour voir les installations du village caravane et
prendre quelques photographies, nous nous sommes invités dans la caravane d’un couple de forains
avec lesquels nous avons parlé près d’1h30. L’homme s’est révélé être le responsable du syndicat
que nous n’avions pas pu joindre au téléphone. Il est apparu dans cette entrevue une forte tension
entre M. D., le syndicaliste, et M. F. le porte-parole des forains qui serait « pas du tout
représentatif ». Il nous a informés des relations entre les forains et les différentes municipalités en
France, et de la volonté des forains d’être rattachés au Ministère de la Culture alors que jusqu’ici ils
ne sont rattachés à aucun ministère.
Problématique et annonce du plan
La question de départ qui sous-tend notre étude, est :
Comment la Ville de Lyon gère-t-elle l'accueil de la population spécifique que constituent les
forains?
Cette question, très vaste, en rassemble d’autres :
- Quelles relations entretient la communauté foraine avec les services de la municipalité
d’accueil ?
- La mise en place de la Vogue de la Croix-Rousse relève-t-elle de la concertation ou d’une
imposition de force de la part de la mairie de Lyon ?
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A quels préjugés les forains sont-ils confrontés au quotidien ? Et cela a-t-il des répercussions
dans leurs rapports avec les autorités ?
L’octroi d’un terrain pour les résidences mobiles soulève-t-elle des problématiques dans
notre cas d’étude ?
Nous tenterons d’apporter des réponses à ces questions soulevées par notre sujet d’étude, et ce, en
trois étapes. Dans un premier temps, nous reviendrons sur les fondements juridiques de la politique
d’accueil des forains (I), avant de s’intéresser aux relations qu’entretiennent les forains avec les
autorités municipales (II) et enfin nous expliciterons les enjeux et problèmes inhérents à l’accueil de
cette population spécifique, au niveau de la Vogue et dans une perspective plus globale (III).
Ainsi, il conviendra de rappeler les différentes catégories de populations nomades que le droit
français distingue et de comprendre les forains comme « les personnes n ayant ni domicile ni
résidence fixe et exerçant une activité ambulante ». Un retour sur l’évolution de la législation
s’avère nécessaire, durant lequel nous verrons que les lois se sont montrées tour à tour répressives et
ségrégatives puis visant à rendre ces populations sédentaires. Face à l’échec de ces législations, on
va envisager d’apporter une solution par l’aménagement du territoire avec des lois obligeant les
communes à prévoir des terrains spécifiques pour les personnes nomades. On passe d’une logique
d’exclusion à une logique d’accueil et on commence à parler de « droit au logement » concernant
les populations nomades (Loi Besson de 1990). Une révision de la loi en 2000 met encore plus
l’accent sur le terme « d’accueil », dépassant l’aspect purement technique du stationnement, et
donnant un aspect bienveillant à ces dispositions. Elle permet aux municipalités de se doter de
moyens pour lutter contre les stationnements illicites, et impose aux communes de plus de 5000
habitants de mettre en place une aire d’accueil. Nous développerons les réglementations concernant
ces aires d’accueil, en fonction de la taille des villes, des groupes accueillis, et nous verrons les
équipements obligatoires. Cette loi Besson, qui aurait dû régler le problème de l’accueil des gens du
voyage n’est en réalité que peu appliquée. La principale raison réside dans les multiples lois
adoptées depuis qui ont allongés les délais d’application.
Après le cadrage juridique, nous entrerons de plein pied dans les relations qu’entretiennent les
forains avec les autorités publiques. Dans un premier temps, nous verrons que ces relations se
nouent autour de la négociation et de l’organisation de la Vogue. Nous reviendrons sur les
démarches d’immatriculation et de permis de stationnement à la charge des forains, et sur les
pouvoirs du maire sur le territoire communal (pouvoir de police, notamment). Les forains, bien
qu’apparaissant comme une communauté, effectuent individuellement les démarches
administratives. Les frais d’emplacement sont également payés individuellement, et nous
présenterons des exemples de tarifs obtenus directement auprès des intéressés. Le dialogue entre les
forains et les services administratif a notamment lieu dans le cadre des réunions de concertation
préalables à la Vogue et dont nous expliquerons la portée et les modalités. Enfin, concernant la
gestion et l’organisation de cet événement, la sécurité est un aspect important donc nous exposerons
les règles selon les catégories auxquelles se rattachent les attractions.
Hormis ces phases préparatoires où chacun a intérêt à collaborer de bonne grâce, dans les faits, nous
observons un sérieux rapport de force entre les autorités publiques et les commerçants qui centré
surtout autour d’intérêts financiers. Politiques et forains ont deux conceptions antagonistes de la
Vogue : les premiers souhaitent garantir la qualité de vie des riverains, et les seconds maximiser les
profits. Dans ce sens, la mairie d’arrondissement souhaite activement réduire la durée de la Vogue et
dénonce des abus de la part des forains et leur non respect des règles. Les rapports de force sont
également observables entre la mairie d’arrondissement et la mairie centrale. Le maire du 4 ème
accusant de laxisme les services de la DECA et le Maire de Lyon face à des forains virulents, le
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laissant gérer tant bien que mal les réclamations des riverains. Ces divergences dans les prises de
décisions politiques sont motivées par des raisons électoralistes et économiques comme nous le
verrons.
Enfin, nous mettrons l’accent sur les enjeux qui entourent l’accueil de ces commerçants forains dans
le cadre de la Vogue au Marrons. Cette Vogue ne fait pas l’unanimité car elle bouscule les habitudes
d’un quartier assez tranquille durant six semaines environ. Gêne de la circulation piétonne et
automobile, nuisances sonores, incitations à la consommation, perte croissante des valeurs
traditionnelles,… Les habitants se retrouvent un peu perdus et doivent adapter leurs habitudes à
l’événement, à la plus grande joie des enfants et au grand dam des personnes plus âgées. Les
riverains sont gênés par le bruit des manèges, et certains dénoncent l’insécurité résultant de
manèges mal disposés. Enfin, le marché doit à son tour s’adapter à la Vogue, en acceptant de
s’installer plus à l’Ouest sur le boulevard durant quelques temps, ou de se faufiler entre les métiers.
Les forains investissent la vie du quartier, et de la ville durant un temps conséquent. Nous nous
sommes donc interrogés sur leur intégration à la ville, et sur les préjugés dont ils pouvaient être les
victimes. Ils trainent une réputation de dangerosité, de violence, liée à l’assimilation facile avec les
gens du voyage. Ils sont perçus comme des individus ayant leur propre conception du droit, et
agissant sans gêne. Ces idées reçues sont perceptibles dans les propos du Maire du 4 ème
arrondissement et des responsables de la DECA. Cependant, la plupart des gens sont heureux de
leur arrivée sur le plateau de la Croix-Rousse début octobre, apportant avec eux un climat de fête,
d’une fête à laquelle les habitants sont très attachés. Nous reviendrons enfin, pour conclure, sur les
difficultés rencontrées par les forains dans leur intégration, notamment concernant la scolarisation
des enfants.
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I. Le cadre juridique de l'accueil des forains
Tout d'abord, il faut rappeler qu'au niveau juridique les forains représentent une catégorie
particulière. Ils se définissent par le nomadisme comme mode de vie. Ce type de population
entretien une relation spéciale avec le territoire. Leur stationnement et leur habitat, liés au mode de
vie itinérant, ne sont pas sans conséquences pour les puissances publiques.
La loi de 1969 relative à l'exercice des activités ambulantes et aux régimes applicables aux
personnes circulant en France sans domicile ni résidence fixe distingue trois catégories de nomades:
- les personnes ayant une résidence fixe et exerçant une activité ambulante les commerçants
- les personnes n ayant ni domicile ni résidence fixe et exerçant une activité ambulante
- les personnes n ayant ni domicile ni résidence fixe et ne pouvant justifier de ressources
régulières
Dans notre étude, c'est bien la deuxième catégorie qui nous intéresse car il est évident que les
forains exercent une activité professionnelle. Les forains malgré leur mode de vie itinérant
semblable aux gens du voyage ne veulent pas être associés à ces derniers. A Lyon, nous verrons que
les forains ont une place particulière puisque la ville est en effet la seule municipalité à accueillir,
par exemple, les forains de la vogue de la Croix-Rousse sans qu’ils n’aient à payer ce que la DECA
(Direction de l'Economie du Commerce et de l'Artisanat) appelle la « base de vie ».
Avant d’entrer dans le vif du sujet, il est intéressant de revenir dans le passé afin de montrer
l'appréhension par la puissance publique de ce type de population.
A) Une population considérée comme dangereuse à contrôler.
Nous pouvons évoquer en effet qu'au Moyen-âge déjà, ce type de population ayant pour mode de
vie le nomadisme était mal perçu (vagabonds) et ceci c'est également vérifié tout au long de
l'Histoire comme lors de la « solution finale » dans la mesure ou les tziganes, gitans... les gens du
voyage en général, ont connu un sort dramatique.
Mais les premières lois n'apparaissent qu'au début du XXème siècle. La loi de 1912 sur l'exercice
des professions ambulantes et la règlementation de la circulation nomade instaurent un régime
juridique des gens du voyage. Dans cette loi, il est surtout question de l'ethnie et elle met en place
un système d'identification par l'intermédiaire d'un carnet anthropométrique familial. Cette loi est
avant tout répressive et ségrégative.
Une évolution majeure intervient en 1969. La loi de 1969 relative à l’exercice des activités
ambulantes et aux régimes applicables aux personnes circulant en France sans domicile ni résidence
fixe toujours en vigueur (loi n 69-3 du 3 janvier 1969) abroge la loi de 1912. On voit l'instauration
d'un nouveau statut puisqu'elle distingue trois catégories de nomades citées ci-haut. Le but de cette
loi est de sédentariser les personnes ayant un mode de vie nomade. Il s agit en fait d inciter les
populations à se fixer à une commune, à scolariser leurs enfants, à assimiler cette population.
L'expression de cette volonté politique passe par la circulaire n 78-202 du 16 mai 1978 du ministère
de l'intérieur à messieurs les préfets:
« Afin d améliorer les conditions de vie des nomades et de faciliter leur intégration dans la
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communauté nationales, je souhaiterais que soit prévus dans les secteurs connus comme lieux
habituels de séjour ou de passage de ces populations des terrains aménagés pour l accueil des
caravanes[...]. Je vous demande également de veiller à ce que l'accueil des populations nomades
soit le meilleur possible. Seuls des séjours suffisamment longs au même endroit permettent aux
adultes d exercer une activité professionnelle et aux enfants de fréquenter utilement l école où il y a
lieu de faciliter ce type de séjour. »
Le premier constat suivant la mise en place ces premières législations révèle un échec. Les familles
conservent un habitat de type caravane sans point d'ancrage véritable sur des territoires. Le
nomadisme est alors désigné comme incompatible avec une intégration dans une société à l'inverse
marquée par le mode de vie sédentaire et la propriété privée vue comme un moyen de lutter contre
la précarisation sociale et fait partie d'un trait culturel de la société occidentale.
C'est donc sur cet échec de la sédentarisation qu'à partir des années 80 une nouvelle réflexion de la
part de la puissance publique voit le jour. Cet échec s'explique en partie par un manque de
règlementation au niveau du stationnement où des communes refusent d'accueillir ce type de
population. Le problème passe alors par l'aménagement des territoires ou peuvent stationner les
populations nomades. En 1983, la jurisprudence du Conseil d'Etat dite « Ville de Lille contre
Ackermann » empêche les maires de commune d'interdire totalement le stationnement de nomades
sur sa commune et les oblige à prévoir un terrain réservé aux stationnements temporaires (pendant
48 heures minimum) des gens du voyage.
La Loi besson de 1990 est canonique dans la gestion de ces populations. Toutes les problématiques
sur la gestion de ce type de population sont orientées vers leur accueil. Le 10 mai 1990, la loi n 90
449 comporte un article rajouté par amendement dédié à la question de l'accueil des gens du voyage
et selon l'article 28: « un schéma départemental prévoit les conditions d'accueil spécifiques des gens
du voyage en ce qui concerne le passage et le séjour en y incluant les conditions de scolarisation des
enfants et celles d'exercice d'activités économiques. Toute commune de plus de 5000 habitants
prévoit les conditions de passage et de séjour des gens du voyage sur son territoire par la réservation
de terrains aménagés à cet effet. Des la réalisation de l'aire d accueil définie à l'alinéa ci dessus le
maire ou les maires des communes qui se sont groupées pour la réaliser pourront par arrêté interdire
le stationnement des gens du voyage du territoire communal ».
Cette loi autorise cependant les communes de plus de 5000 habitants d'interdire le stationnement de
caravanes sur tout le reste de leur territoire. Le stationnement spontané et illicite des caravanes ne
peut être accepté par les élus. Cet article 28 cherche à régler les problèmes d'ordre public liés au
stationnement des caravanes dans les communes urbanisées et à doter les populations du voyage
d'un dispositif d'accueil leur permettant une intégration réussie dans les communes qu'elles
traversent.
Mais force est de constater que dix ans après la loi besson sur la mise en œuvre du droit au
logement pour cette population, une quinzaine de départements seulement ont rédigé et signé leur
schéma départemental et un quart seulement des 1739 communes concernées par l’article 28 se sont
dotées d une aire d accueil. Environ 5000 places ont été réalisées sur les 25000 à 30000 annoncées.
L'échec de cette loi s'explique surtout par le manque de soutien technique et de l'insuffisance des
crédits de financement attribués pour la réalisation des aires d'accueil et les maires n'ont pas reçu de
réel pouvoir afin de lutter contre les stationnements sauvages. La loi n'a pratiquement pas été
appliquée.
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B) La loi Besson du 5 Juillet 2000 : entre volontarisme et antagonisme
Dans ce contexte la loi n°2000-614 du 5 juillet 2000 relative à l'accueil et à l'habitat des gens du
voyage est mise sur pied. La loi Besson reprend, abroge et surtout développe l'article 28 de la loi du
31 mai 1990 relative à la mise en place du droit au logement. Cette loi reste dans un double objectif:
rendre effective la liberté d'aller et venir aux gens du voyage en leur assurant des conditions
décentes de stationnements et d'autre part apporter des solutions aux communes touchées par les
problèmes d'ordre public en cas de stationnement illicite de gens du voyage sur leur sol. La loi
reprend les deux principaux éléments de l'article 28 de la loi de 1990: un schéma départemental
prévoit des secteurs géographiques d’implantation des aires permanentes d'accueil et les communes
où celles-ci doivent être réalisées : il y a l'obligation pour les communes de plus de 5000 habitants
de se doter d'une aire d'accueil pour les gens du voyage. Certaines communes de moins de 5000
habitants peuvent cependant se voir contraindre de réaliser une aire d'accueil par le schéma
départemental sur la base des besoins d’accueil diagnostiqués. Le schéma départemental ici devient
un document clé de la politique publique. Ce schéma se centre sur l'organisation du stationnement et
des questions d’habitat mais aussi sur l'activité économique, le suivi social ou la scolarisation des
enfants. Ce type d'instrument fait écho à la loi SRU et les SCOT.
Ce schéma est élaboré et approuvé par le représentant de l'Etat dans le département, le préfet, et le
Président du conseil général. Cette logique partenariale permet un schéma mieux porté
politiquement puisqu'il met les acteurs autour de la table avant la signature des obligations de
chacune des communes. Cette logique de partenariat se matérialise par la commission consultative
départementale, celle-ci rassemble les principaux acteurs de la mise en œuvre du schéma : le
représentant de l'état dans le département, les services déconcentrés de l'état (DDE, DDASS,
inspection académique), le conseil général, des représentants des maires, des représentants des gens
du voyage par le biais d’associations et les services de la police et de la gendarmerie. Cette
commission établit chaque année un bilan de l’application de la loi.
Cette loi a également un soutien financier plus conséquent et tente par là même de remédier aux
maux de la loi Besson de 1990 pour la gestion des aires d’accueil. Une subvention d'Etat de 70% de
la dépense totale hors taxe est mise en place dans la limite du plafond de dépenses subventionnables
selon la circulaire n° 20001-49/UHC/IUH1/12 du 5 juillet 2000. Le département soutient les
communes figurant dans le schéma départemental avec une participation de 25% aux frais de
gestion. La CAF aussi apporte une subvention. A ce soutien s'ajoute le recours à la structure
intercommunale pour la réalisation de ces obligations. Ce dispositif de répartition du financement
permet de mutualiser les coûts et moyens techniques et permet aussi de limiter les pressions
électorales sur les maires ayant à réaliser un équipement qui est rarement apprécié par le reste de la
population. Les communes peuvent donc déléguer les compétences de réalisation et de gestion à
l’EPCI.
Enfin, au niveau de l'urbanisme, l'article L110 du code de l'urbanisme précise que les collectivités
publiques ont la charge « d'assurer sans discrimination aux populations résidentes et futures des
conditions d'habitat, d'emploi de services et de transports répondant à la diversité de des
ressources ». Au Niveau du PLU (Plan Local d’Urbanisme), les aires qui bénéficient du statut
d'équipement public d'intérêt général peuvent être localisées dans les zones urbaines ou à urbaniser
mais aussi dans les zones naturelles ou agricoles et forestières à condition du respect de certaines
normes environnementales ou de prévention des risques. Cela permet de laisser un plus grand choix
de terrain pour les communes. De plus, la circulaire du 5 juillet 2001 affirme qu'un PLU qui
interdirait le stationnement des caravanes sur l'ensemble du territoire de la commune serait entachée
d’illégalité.
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En cas de non respect de la loi, il existe des sanctions : « les communes figurant au schéma
départemental sont tenues dans un délai de deux ans suivant la publication de ce schéma de
participer à la mise en œuvre » selon l’article 2 de la loi du 5 juillet 2000. L’article 3, lui, dispose
que « l'Etat peut acquérir les terrains nécessaires pour réaliser les travaux d'aménagement et gérer
les aires d'accueil au nom et pour le compte de la commune ou de l'établissement public défaillant »
L'article 8 de la loi de 2000 répond à l'attente des maires contrairement à l article 28 de la loi Besson
de 1990 et renforce le pouvoir des communes en cas de stationnements illicites constatés sur leur
territoire. Selon cet article « dès lors qu'une commune remplit ses obligations, le préfet de police
peut, par arrêté, interdire en dehors des aires d'accueil aménagés, le stationnement sur le territoire
des résidences mobiles ». Les maires peuvent par voie d'assignation délivrée aux occupants et le cas
échéant au propriétaire du terrain ou titulaire d'un droit réel d'usage saisir le tribunal de grande
instance aux fins de faire ordonner l'évacuation forcée des résidences mobiles ».
L'aire de grand passage et l'aire de petit passage : toutes les communes de plus de 5000 habitants ou
désignées par le schéma départemental doivent se doter d'une aire d’accueil. Celle-ci a vocation à
accueillir des familles de passage ou de séjour mais ne doit en aucun cas constituer une réponse à
des besoins d’habitat sédentaire. « La place dite de caravane doit permettre le stationnement d'une
caravane, de son véhicule tracteur et le cas échéant de sa remorque » selon la circulaire du 5 juillet
2001. Une aire d'accueil peut avoir une capacité qui va d'une quinzaine à une cinquantaine de
places. «Les aires d'accueil sont situés au sein ou à proximité des zones urbaines afin de permettre
un accès aisé aux différents services urbains ». Au niveau de la conception, l'aire d'accueil comporte
au minimum un bloc sanitaire intégrant au moins une douche et un WC pour cinq places de
caravanes au sens des dispositions de l'article précèdent. Chaque place de caravane est dotée d'un
accès aisée aux équipements sanitaires ainsi qu’à l'alimentation en eau potable et à l'électricité »
selon le décret du 29 juin 2001. « L'aire d'accueil est dotée d'un dispositif de gestion et de
gardiennage permettant d’assurer la gestion des arrivées et des départs, le bon fonctionnement de
l'aire d accueil et la perception du droit d'usage ».
Les aires de grand passage sont une réponse d'accueil aux gens du voyage se déplaçant en grands
groupes. Ces aires dont la localisation et la capacité d'accueil sont prévues dans les schémas
départementaux ont pour vocation de permettre le stationnement de groupes de 50 à 200 caravanes
pour des séjours courts .Elles proposent une alimentation en eau, en électricité, un dispositif
d’assainissement mais restent cependant très sommaires en terme d'équipements. Il s agit d'éviter
l'occupation spontanée de terrains privés par de grands groupes. Ces emplacements visent à
accueillir les participants des grandes occasions comme les foires ou les fêtes foraines ou
religieuses. Les aires de petit passage s'adressent aux communes de moins de 5000 habitants non
concernées par le schéma départemental, il s agit de petites aires d’environ dix places dont le niveau
d'équipement est relativement sommaire. Cela vise les séjours très courts environ deux semaines et
vise surtout les communes rurales. On voit bien ici que les puissances publiques appréhendent la
gestion de ce type de solution seulement sous l'angle de l'ordre public et du stationnement dû à leur
mode de vie non sédentaire.
Les multiples reports dans les délais d’application de la loi de 2000: la loi du 18 mars 2003 pour la
sécurité intérieure dite loi Sarkozy a modifié la donne et le 13 août 2004, un délai supplémentaire de
2 ans pour la signature des schémas départementaux et un autre délai supplémentaire de deux ans
pour la réalisation des obligations ont été adoptés. En théorie, d'après la loi besson de 2000, la
totalité des aires d'accueil prévues par la loi auraient du être réalisées au maximum le 5 janvier
2004, mais avec cette loi du 13 aout 2004, on voit un changement de volonté politique. Quant à la
loi dite Sarkozy, elle va renforcer les sanctions à l'encontre des gens du voyage en situation de
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stationnement illicite passible d'une peine de six mois d'emprisonnement et de 3750 euros
d’amende. Ce nouveau choix politique montre le peu d'égard de la puissance publique vis à vis du
mode de vie nomade et que la principale démarche de gestion de cette population est la sanction.
Pour conclure Michel Monbrun (FNASAT-gens du voyage) dit « sans terrains légaux pour le séjour
et l'habitat les gens du voyage sont condamnés à vivre dans l'illégalité et à subir les sanctions
sévères de la loi pour la sécurité intérieure».
C) « Qui accueille-t-on : des citoyens ou une population à part? » (Gotman)
Le mot « accueil » dans la loi Besson de 2000 fait son apparition alors que la loi Besson de 1990 se
focalisait surtout sur le droit au logement et, dans le cas des gens du voyage, sur l’aire de
stationnement. Ici, avec cette nouvelle loi, on a l'idée de l'habitat mais aussi de l'accueil, l'angle
d'attaque n'est pas seulement la gestion du stationnement pour ce type de population. Il existe une
différence entre accueil et stationnement. En effet l'accueil suppose une bienveillance à l'égard de
l'arrivant, il s'agit aussi de l'accueillir dans des conditions dignes (Gotman) alors que la gestion de
ce type de population à travers le terme de stationnement est purement technique. Mais cette
nouvelle loi induit deux logiques antagonistes; une logique d'accueil mais aussi un renforcement de
la logique répressive en cas de stationnement illicite.
L'hospitalité domestique est un choix alors que l'accueil public serait plutôt une contrainte. Dans le
premier cas, « l'arrivant n'est pas privé de droits, on lui doit en effet honneur, présence, respect »,
l'arrivant est l'acteur principal (Gotman) alors que dans le cas de l'accueil public, « l'accueillant
concentre sur lui toutes les attributions et prérogatives pour organiser et régenter un public soumis à
sa souveraineté » (Gotman). L'accueil est donc régi par le droit.
Le problème de ce type de régulation publique de l'accueil est le phénomène NIMBY c'est à dire
que les maires sont d'accord pour réguler le stationnement de ce type de population mais ne sont pas
prêts à les accueillir sur leurs communes du fait de la mauvaise réputation de cette population aux
yeux des électeurs. On veut bien accueillir ces populations mais pas sous notre fenêtre. D'autre part,
il y a le sentiment d'impunité vis à vis des ces populations qui est ressentie par les citoyens. Et ces
population sont souvent associées à un sentiment d'insécurité et « la perception d'une errance sans
but ». C'est pourquoi, lors des débats à l'Assemblée Nationale et au Sénat, les acteurs politiques ont
souvent insisté sur le caractère répressif de la loi dû à cette perception et à des enjeux électoraux. En
fait, le devoir d'accueil des collectivités locales est la condition de leur droit d'expulsion en cas de
stationnement illégal. « Il s'agit pour les maires de ne pas usurper la place du maitre de maison ».Et
ces populations ont un droit d'usage fixé par voie conventionnelle. Il peut être gratuit mais ce n'est
pas obligatoire. Dans le cas de la ville de Lyon, la DECA constitue l'institution pilote qui gère ce
type de population sur le territoire de la ville de Lyon. Et dans ce cas de la vogue de la CroixRousse, la mairie de Lyon a décidé de ne pas faire payer de droit d'usage pour la base de vie (lieu
d'accueil des forains). C'est le fruit d'une volonté politique qui traduit l'attachement de la ville aux
bons rapports entretenus avec les forains de la vogue. Cependant, cette hospitalité est contractuelle :
elle implique des droits et des devoirs. Les forains doivent donc respecter certaines règles fixées par
la puissance publique (contrat Veolia pour l'eau, EDF pour l'électricité, etc.). Le schéma
départemental montre bien cette logique contractuelle entre l'État et les collectivités territoriales.
Cependant ce schéma n'est pas à l'échelle nationale et les auteurs de la loi ont préféré insisté sur des
frontières communales. On est dans une logique de défense face à cette population. Certains
représentants des gens du voyage ont qualifié ces aires d'accueil de « camp Besson » car elles
cherchent à ne pas rendre trop visible cette population aux yeux des citoyens.
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L'accueil dans son essence a une acceptation positive et pourtant on voit qu'avec cette loi elle
produit son contraire. Ce terme est réduit à son acceptation la plus minimale, à un terme technique
de stationnement. On voit bien que le nomadisme pose beaucoup de problèmes à nos sociétés
sédentaires. Les gens du voyage, les forains sont une population à part, ils doivent posséder un
carnet de circulation depuis la loi du 3 janvier 1969. Ils ne sont pas soumis aux mêmes lois, ils ne
peuvent pas bénéficier du RMI par exemple. L'objectif de départ était de mettre au même niveau
nomades et sédentaires mais force est de constater que cet objectif-là n'est que peu rempli.
«Les lois ne sont que les rapports nécessaires qui dérivent de la nature des choses » disait
Montesquieu. Ces populations vivent dans un « délit d'existence » et « ces nomades quoique
anciennement présents sur le territoire, font figure d'éternels arrivants »(Scotson).
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II. La fête foraine au concret : l'organisation de la Vogue
Après avoir étudié le cadre juridique conditionnant l'accueil des forains au sein des villes, il est
temps pour nous de nous pencher sur l'organisation de la fête en elle-même, c'est-à-dire plus
précisément l'activité professionnelle de cette catégorie de population, en se fondant sur l'exemple
de la Vogue de la Croix-rousse.
Ainsi, nous analyserons la concertation entre forains et mairie en vue de l'installation des métiers
sur la voie publique, puis nous constaterons la forte pregnance d'intérêts politiques et économiques
dans la gestion de cette activité.
A) Des commerçants installés sur le domaine public
Une fête foraine se traduit par une occupation du domaine publique. Les forains sont soumis à des
formalités particulières. En matière d'immatriculation, ils doivent obtenir une « carte permettant
l'exercice d'une activité commerciale ou artisanale ambulante » du Centre de Formalités des
Entreprises de la Chambre du Commerce et d'Industrie (CFE CCI). Cette obligation concerne tout
commerçant non sédentaire exerçant une activité sur la voie publique. Sa durée de validité est de 4
ans. Les commerçants forains présentent cependant une caractéristique supplémentaire par rapport
au simple commerçant ambulant. Ils ne disposent pas de domicile fixe. A ce titre, les forains doivent
être titulaires d'un livret de circulation sur lequel figure leur commune de rattachement. Ce livret de
circulation est délivré par la Préfecture.
C’est la mairie centrale, où se trouve une déléguée au commerce et à l'artisanat et adjointe au Maire
de Lyon, qui prend en charge l’accueil des forains Cela nécessite une organisation et une gestion
particulière. Le maire est détenteur de plusieurs pouvoirs sur le territoire de la commune et les
forains sont tenus de respecter les arrêtés municipaux. La rédaction du règlement intérieur est de la
compétence du maire. Ce dernier doit néanmoins consulter les forains, soit les organisations
professionnelles intéressées, avant de l'édicter. Il est aussi responsable de la règlementation les
emplacements du marché. La jurisprudence a confirmé le pouvoir du maire et interdit les inégalités
injustifiées entre commerçants sédentaires et commerçants non sédentaires : « toute occupation de
la voie publique ou des marchés publics en vue d'une exploitation commerciale donne lieu à une
autorisation du maire et au paiement d'un droit de place » (Conseil d'Etat, 22 mars 1967, Mme
Laborie, Re. T. 719).
La délivrance des autorisations d'emplacement sur le domaine public donne lieu à des frais
d'emplacement. Le conseil municipal dispose d’une marge de manœuvre dans la fixation du
montant du droit de place. Le Code général des collectivités territoriales ne prévoit que
l’établissement d’un règlement ou d’un cahier des charges. Le mode de calcul de droits de place est
laissé à la discrétion de l’autorité communale. A titre d'indication, ils s'élèvent à 608 euros pour un
toboggan gonflable de 72m2 et à 386 euros pour un stand de tir de 48 m2. Ils sont payés à la mairie
pour l'ensemble de la durée de la fête. Le marchand forain doit ensuite demander un branchement
électrique à EDF. Cela coûte 178 euros pour deux attractions, auquel s'ajoute la consommation
électrique d'environ 120 euros. Ce montant est naturellement variable selon les attractions. Des
démarches similaires doivent être effectuées pour le village caravane. Plusieurs caravanes se
regroupent autour d'un même branchement électrique. Le branchement électrique revient environ à
30 euros par caravane. Le même fonctionnement s'opère pour l'eau. Le raccordement au circuit
coûte 70 euros, soit environ 11,5 euros par caravane. Le mètre cube est ensuite facturé à 3 euros.
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Les dépenses s'élèvent donc de 80 à 100 euros par mois.
Les démarches pour obtenir un permis de stationnement sont effectuées individuellement. Elle doit
tenir compte du métrage de l'attraction, qui peut changer d'une année sur l'autre. La place de
l’attraction au sein de la fête foraine revêt en effet une importance décisive pour le marchand
forain :
Chez nous le métier compte, mais c’est surtout la place. Vous avez des
places bonnes et vous avez des places qui sont pas bonnes, qui sont
pas commerciales.(M. F, forain)
Les autorisations d'exploitation du domaine public sont temporaires et révocables. Les
emplacements ne sont attribués que pour le temps de la vogue et un forain ne peut prétendre à une
même place l'année suivante. Dominique B., le maire du 4 ème arrondissement, insiste sur le caractère
précaire de l’emplacement :
La loi française elle est très claire : toute occupation du domaine
public est révocable. Elle est très provisoire, temporaire et elle est
révocable.
Il souligne néanmoins le fait que le caractère révocable des emplacements est peu pris en
considération :
Dans les faits, les forains intègrent leur place dans telle ou telle
Vogue, dans ce qu'on appelle la tournée. C’est ce qui donne de la
valeur à un métier, c'est pas uniquement la valeur économique directe
du métier, mais c'est le fait qu’ils ont une place dans une tournée
annuelle. C'est ça qui donne la valeur. Lorsque les forains se cèdent
entre eux les, les métiers, c'est ça qui donne la valeur.
Il rappelle cependant que « juridiquement, ça n'a pas de valeur (…), mais de fait ça fonctionne
comme ça ». Une même attraction est donc repositionnée au même endroit d'une année sur l'autre.
L'ancienneté joue un rôle important dans cette pratique.
Mettons que cet ancien avait quarante ans d’ancienneté dans tous les
pays qu’il faisait, automatiquement il avait des bonnes places. (M. F.,
forain)
Mais tous les forains ne sont pas titulaires. Des zones désignent pour chaque fête foraine des
emplacements sur lesquels les attractions changent d'une année sur l'autre. Cela permet de
renouveler l'offre et de créer un effet de surprise. Ces zones bleues ont été supprimées à la CroixRousse. Les forains sont désormais presque sûrs de pouvoir se réinstaller au même endroit chaque
année. Comme en témoigne M. F. :
Alors malgré qu’on soit sur le domaine public, il y a quand même des
règles, un règlement, il y a des us et coutumes qui font que vous êtes
propriétaire de cette place.
Des concertations entre services municipaux et forains sont organisées pour préparer la fête et
assurer son bon fonctionnement : elles rassemblent, du côté des autorités, l'adjointe responsable du
commerce et de l'artisanat, les deux maires d'arrondissement concernés (1er et 4e) et le directeur de
cabinet du maire et, du côté des forains, les principaux représentants, dont M. F.. Un bilan est
ensuite dressé lors de sa fermeture et on fait la liste des points litigieux et des points de friction afin
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d'en tirer des conclusions pour l'année suivante et améliorer ainsi le déroulement de la vogue. Ils
passent en revue ce qu’il faudra modifier.
On parle de l’organisation, des choses qui peuvent, comment dire, être
différente d’une année à l’autre. Par exemple comme depuis deux ans
là le village caravane. Bon après les problèmes je sais pas ça peut
être des problèmes d’électricité, ça peut être des problèmes
d’emplacement qui ont disparu, qui faut qu’on modifie, qui… Et puis
après vous avez les réunions-types où alors on est, comme ça doit se
produire là cette année justement avant la fin de la vogue, où il faut
qu’on fasse un bilan, où nous on va exposer tout ce qui va pas, et de la
même façon la municipalité expose elle les soucis qu’elle a pu
rencontrer ou qu’elle reçoit. (M. F., forain)
Chaque partie peut faire valoir ses revendications lors de ses réunions ou exprimer des demandes.
La Mairie a par exemple demandé, à titre d'expérimentation et de manière facultative, à ce que de la
nourriture bio soit proposée dans les stands alimentaires. Elle a aussi interdit la vente de pistolets à
billes, suite à des violences constatées dans un collège. Des compromis ont permis de concilier les
intérêts de chacun. Les horaires d'ouverture sont symptomatiques de cette recherche de compromis.
La vogue est fermée le jeudi depuis cinq ans afin de laisser aux riverains une journée de répit. La
municipalité tente notamment de réduire les nuisances sonores pour les riverains. M. F. explique :
Toutes les années, on est en négociations. Alors de notre côté on fait
des efforts. On fait le maximum pour… pour agrémenter, pour
essayer… d’alléger justement ces gênes. (…) Tous les jeudis, il y a
une fermeture. Parce que le souci de la fête foraine, tout le monde
aime la fête foraine, mais personne la veut en bas de ses fenêtres.
Le maire exerce également des pouvoirs de police. La police municipale est responsable de faire
respecter l'ordre. Les forains peuvent en plus faire appel, à leur frais, à une société de vigiles. Ces
derniers travaillent alors avec la police municipale. Ces vigiles sont nécessaires en cas de trop forte
affluence. Malgré quelques polémiques autour des questions de sécurité (en 2009, quelques jeunes
avaient tirés avec des pistolets à billes fraîchement gagnés sur des écoliers en récréation), la vogue
de la croix-rousse ne rencontre que peu de débordements ou de troubles de l’ordre public. L’incident
des pistolets a donné lieu a un arrêté municipal auquel les forains sont tenus de se plier. Ces
derniers, qui regrettent ces faits divers qui nuisent à leur image, s’y adaptent et les respectent. Les
forains ont été amenés dans le passé à avoir recours à des sociétés de gardiennage pour éviter la
dégradation de leurs attractions mais ce n'est plus le cas actuellement. Ils assurent désormais euxmêmes le gardiennage de leurs métiers.
Des règles sont décidées au niveau national pour assurer la sécurité de la fête foraine. Des contrôles
périodiques des attractions sont effectués afin d'éviter tout danger. Ils étaient auparavant réalisés
tous les trois ans. Depuis le décret décret n° 2008-1458 du 30 décembre 2008, pris pour
l’application de la loi n° 2008-136 du 13 février 2008 relative à la sécurité des manèges, machines
et installations pour parcs d’attractions, leur fréquence dépend de la catégorie à laquelle se rattache
l'attraction. On en distingue 3, définies par la Socotec de la manière suivante :
• catégorie 1 : matériels pour enfants non accompagnés de moins de 1m 40.
• catégorie 2 : matériels autres que ceux de catégorie 1 ne nécessitant pas de dispositif de
retenue des passagers ou équipés d’un dispositif de retenue collectif dont la position de
verrouillage est non réglable ou réglable manuellement par le passager.
• catégorie 3 : matériels autres que ceux de catégorie 1 équipés d’un dispositif de retenue des
passagers autre que celui défini ci-dessus.
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Les contrôles techniques sont annuels pour les attractions relevant de la troisième catégorie. Ils ont
lieu tous les deux ans pour la seconde et tous les trois ans pour la première qui regroupe les
attractions les moins dangereuses (manèges enfantins, boutiques...). De plus, le contrôle technique
est devenu obligatoire pour toute attraction neuve, reconstituée ou ayant subi une modification
substantielle. Une commission de sécurité vérifie les installations avant l'ouverture de la vogue. Elle
s'assure par exemple que les pompiers puisse passer, que l'attraction a été correctement montée. Sur
ce dernier point, les propriétaires des grosses attractions doivent fournir un certificat de conformité.
B) Le pouvoir et l'argent : un autre visage de la fête
Nous venons d'apprécier la manière dont une fête foraine comme la Vogue aux marrons est
organisée. Après un tel exposé, nous pourrions croire que l'entente est cordiale entre les forains et
les autorités, et que la Vogue, tradition séculaire, a adopté son rythme de croisière. Or, chaque
année, la gestion de cet évènement est sujette à controverses et à la fête se mêlent d'autres passions,
d'autres intérêts, comme le pouvoir et l'argent.
La politique, en effet, vient jouer les troubles-fête dans la gestion de la Vogue. Si l'hôtel de ville
demeure l'interlocuteur principal des forains, un troisième homme vient perturber cette relation : il
s'agit de Dominique B., maire du 4e arrondissement et l'un des trente-sept maires d'arrondissement
de France. À ce titre, il gère sur son territoire les équipements collectifs, le logement ou encore
l'urbanisme. Or, la Vogue se déroule en grande partie dans le 4e arrondissement, c'est-à-dire sous les
yeux de M. B.. Bien qu'il n'ait aucun réel pouvoir quant à la politique d'accueil des forains, le maire
du 4e arrondissement de Lyon dresse régulièrement son bilan de la fête et formule ses critiques.
Déjà dans une interview donnée début 2008, il expliquait : « la Vogue participe à faire du 4e un
territoire original, pas banal. Mais nous aimerions la revoir dans son format, dans son espace et
dans le temps. Elle est trop longue, trois semaines ce serait largement suffisant. Elle est trop
étendue aussi, cela pose des nuisances en termes de circulation sur l’espace public»1.
À chacune de ses interventions publiques sur la Vogue, l'homme formule les mêmes griefs, à savoir
réduire la durée :
Bah la vision des politiques, à l’heure d’aujourd’hui, ils aimeraient
qu’on écourte la vogue. Donc euh… Ça a déjà été fait hein. Avant,
elle durait beaucoup plus longtemps. (M. F., forain)
et les nuisances de la Vogue :
Bon, du côté du maire du 4 ème entre autre, bon lui il dit « oui mais un
métier, ça génère du bruit ». (M. F., forain)
Cette petite guerre entre les forains et la mairie du 4e, chaque année renouvelée, pourrait prêter à
sourire. Pourtant, cette année, le message de l'élu s'est fait plus menaçant : dans un communiqué
publié en octobre dernier, le maire dénonçait cette fois-ci des dégradations et des installations
illégales. La tension, déjà latente entre les deux partis, est montée d'un cran. Le président d'une
association locale, M. C., nous a résumé la situation de la sorte :
J’ai eu l’occasion de voir des altercations entre des élus et des
1 Thomas Seymat, « L'esprit canut, un fil rouge pour le maire du 4e arrondissement », dans le Nouvel observateur, 26
janvier 2008, à l'occasion des élections municipales.
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forains. Disons que c’est des gens violents, voilà. Et alors le problème
c’est que elle [la Vogue] dépend du maire de Lyon qui est très content
d’avoir cette Vogue de la Croix-Rousse parce qu’elle est très réputée,
dernière vogue intra-muros, mais il laisse un petit peu les soucis au
Maire du 4ème, et cette année, donc, ça a explosé.
Nous reviendrons sur les motifs principaux de la discorde dans notre troisième partie, mais tentons
pour le moment de comprendre les raisons d'une telle fronde de la part du maire du 4e. Comme
nous l'avons évoqué précedemment, la mairie du 4e arrondissement se trouve dans une position
particulière : elle n'est pas une mairie de plein exercice. De par le mode d'élection particulier à
Lyon, à Paris et à Marseille, le maire d'arrondissement s'efface derrière le maire de la ville et assure
la représentation d'un quartier auprès de la mairie centrale plus qu'il n'est le gestionnaire et le garant
de l'autorité sur ce territoire. Ainsi, M. B. nous avoue, presque :
Le maire d'arrondissement, si vous voulez, quand vous regardez la loi
PML, ses compétences sont limitées. Donc je dirai que je me définis
toujours d'abord comme un agent d'influence. C'est-à-dire que même
si dans le texte j'ai très peu de pouvoirs au sens de compétences en
dernier ressort, où c'est moi qui signe et voilà, dans les faits j'ai un
grand pouvoir d'influence.
La particularité de ce 4e arrondissement tient aussi à son histoire. La Croix-rousse est
traditionnellement un quartier de révolte et de résistance, à l'image des canuts. Tous les intervenants
que nous avons interrogés nous ont confirmé cette particularité que résume très bien M. F., le
forain : « un Croix-roussien il n’est pas lyonnais, il est croix-roussien ». Le maire du 4e
arrondissement semble avoir récupéré cet héritage : il n'hésite pas à parler d'« épreuve de force » ou
de « plan de bataille » et entend défendre le quartier à la fois contre les dérives des forains et contre
les défaillances de la mairie centrale. Dans son argumentation, il renvoie sans cesse la mairie
centrale et les forains dos à dos, se laissant le beau rôle, celui de négociateur :
J'avais négocié avec eux [les forains] et on avait réduit d'une semaine.
Donc on avait une vraie négociation et, bon, on avait montré que on
était à l'écoute. Mais là, je considère que c'est vraiment pas
satisfaisant, quoi. Et puis, bon, objectivement, vous avez compris en
lisant mon communiqué que je considère que l'hôtel de ville est
responsable d'un manque de tenue de l'implantation des forains. (…)
Je considère que je suis le mieux placé pour négocier, mais encore
faut-il que le maire s'engage et me donne les moyens de négociation.
On le voit, ses diatribes ont pour but de remettre en cause l'hégémonie de la mairie centrale. Le
maire du 4e arrondissement ressent son infériorité, son exclusion du jeu politique comme une
injustice et c'est pour cela qu'il intervient, principalement par voie de presse, pour réclamer un plus
grand rôle dans le dossier des forains. Aussi, il se victimise pour mieux se dédouaner. M. C.,
président de l'association, trouve une fois de plus les mots justes pour nous l'expliquer :
Cette année le maire du 4e a dit « Il faut que le Maire de Lyon
intervienne pour faire respecter le règlement, et tout ». Puisque
finalement le maire du 4ème arrondissement a beaucoup d’ennuis avec
la vogue parce que lui reçoit les plaintes mais en retour il a pas
tellement de satisfactions.
Les vitupérations de M. B. s'expliquent d'autant plus que, cette année, il se présente aux élections
cantonales. Le canton auquel il postule recoupe exactement les limites de l'arrondissement qu'il
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administre. Certains Croix-roussiens (comme en témoignent de nombreux commentaires
d'internautes) suspectent là une stratégie électoraliste et ne sont pas dupes du haussement de ton de
M. B.. Selon eux, se battre contre des moulins comme le fait le maire du 4e relève de la farce. Le
forain M. F., lui aussi, s'en rend compte :
Un élu, c’est un élu. Alors n’oublions pas que cette année c’est les
cantonales qui sont là. Alors bon je pense, c’est mes dires à moi, il
faut qu’ils fassent voir qu’ils sont là.
Au final, la relation entre les forains et la mairie du 4e est un drôle de rapport de force, dans lequel
la mairie centrale joue un rôle très ambigu. Alors que la solidarité politique et le rappel à la loi
devrait logiquement les amener à soutenir le maire du 4e arrondissement dans son combat contre les
dérives des forains, les services centraux prennent plutôt le parti des forains. De ce fait, tous les
forains que nous avons rencontrés ont eu tendance à décrire le maire du 4e arrondissement comme
un ennemi et le maire de Lyon comme un grand ami :
Alors on a une grande chance, en parlant sincèrement, c’est que le
maire de Lyon est quelqu’un, est un homme - comment dire - un
homme de cœur, puis un homme avec un visu assez juste. Il mesure
avant de prendre une décision. Il mesure le pour et le contre. Et je
pense que pour nous, pour notre profession, il est bon. (M. F., forain)
M. C., président de l'association, nous en a fait aussi part. Mais comment expliquer cette position de
l'hôtel de ville? Il semble qu'il s'agisse encore une fois d'une stratégie politique : en effet, en dehors
de quelques récalcitrants croix-roussiens défendus par M. B., la Vogue est fortement appréciée des
Lyonnais. Par ailleurs, et bien qu'elle soit devenue purement commerciale et que chacun s'emploie à
dénoncer les prix exorbitants des attractions, la Vogue génèrerait 50 000 euros de revenus pour la
Ville de Lyon, d'après la DECA. Bien entendu, le maire du 4e arrondissement n'en voit pas
directement la couleur et constate plutôt les désagréments qu'apporte la fête foraine. Ce qui pèse
encore plus fortement dans la balance entre mairie centrale et mairie d'arrondissement.
Vous voyez le nombre de gens qu’on arrive à faire déplacer. Je pense
pas qu'un homme politique ait l’imbécillité de supprimer un
évènement comme ça ou il va se mettre plutôt les gens à dos qu’autre
chose. (M. F., forain)
Arguments électoralistes et économiques ont pris le pas sur la convivialité et l'ordre de cette fête. Le
maire du 4e arrondissement regrette d'ailleurs ce temps où la Vogue était « villageoise » et solidaire,
ce « côté sympa » de la Vogue. Il dénonce la dévoiement des valeurs et dit sa préférence pour de
l'évènementiel gratuit. M. C., de l'association, fait le même constat, presque amer :
Si c'est la fête, si c'est le côté exceptionnel, les manèges à sensation,
on partage la gaufre, etc. ok. Mais, le problème c'est qu'y'a pas que
ça, c'est d'abord une affaire de fric, y'a ces machines à sous qui
envahissent tout. (M. B., maire du 4e arrondissement)
Elle a perdu le côté traditionnel qu’elle avait avant. Au départ, c’était
la Vogue des marrons et du vin doux. Et puis on a vu se développer
des loteries. Vous pouvez faire le tour, y’a des quantités de loteries où
on gagne des babioles, on gagne trois fois rien… bon, c’est pas très
très intéressant. Bon bah ça… je regrette cette évolution. (M. C.,
président de l'association)
21
La fête foraine n'est donc pas qu'un divertissement : elle est avant tout une affaire commerciale dans
laquelle les forains exercent leur métier. Mais elle est aussi l'affaire des administrations, car il
revient à la puissance publique d'organiser et de contrôler cet événement qui occupe le domaine
public. De même, on ne peut méconnaître les conséquences politiques de la Vogue, tant les conflits
et les polémiques la caractérisent.
Si la Vogue leur permet de réaliser un chiffre d'affaire très important (tous nos enquêtés nous le
confirment), les forains restent impopulaires pour certaines franges de la population (à commencer
par les riverains). Dans la partie qui suit, nous nous intéresserons aux préjugés et aux protestations
qu'ont à subir les forains.
22
III. Partager un territoire : les forains dans la société
Les rapports qu'entretiennent ces populations nomades avec le territoire se retrouvent dans les
rapports qu'ils entretiennent avec la société. Incessamment sur les routes, vivant en communauté
familiale, à l'écart des grands lieux de sociabilité, les forains ne ressemblent pas à la majorité de la
population française dont le mode de vie est fortement individualiste et lié au territoire.
De ce fait, les forains sont souvent critiqués, stigmatisés, exclus. Leur présence est dérangeante et
les plaintes à leur encontre sont nombreuses. Tâchons donc de comprendre en quoi les gens de la
Vogue bousculent la vision traditionnelle de la Croix-rousse et ce qu'on leur reproche généralement
A) Un quartier bouleversé, une fête controversée
Durant six semaines, à la Croix-rousse, les habitants perdent tous leurs repères. Le quartier, qui vit
habituellement comme un petit village sur sa colline, éloigné des tumultes de la ville (« C’est pas un
sentiment de supériorité mais c’est simplement un sentiment d’être dans un quartier spécial » dit M.
C.), voit affluer des milliers de personnes. Un nouveau monde, une nouvelle organisation, de
nouveaux occupants (72 attractions selon M. F.), de nouveaux lieux de sociabilté : le train-train
quotidien cède sa place à la fête foraine, les habitudes sont bousculées (« Bah d’habitude moi je
mets ma voiture ici, d’habitude moi mon chien il vient pisser ici, d’habitude moi mon petit fils il
joue au ballon… » dixit M. F.). Le territoire n'est plus exclusivement aux Croix-roussiens et il faut
le partager, ce qui occasionne de fortes tensions.
En effet, les forains prennent de la place. Ils occupent les larges trottoirs du Boulevard de la Croixrousse, la Place des Tapis et la Place de la Croix-rousse. De ce fait, les cheminements piétons sont
considérabelemnt diminués. Les voies de circulation le sont aussi partiellement : une partie du
Boulevard des Canuts et la rue Terme, par exemple, sont barrées pendant les heures d'ouverture de
la Vogue. Ces modifications provoquent naturellement de nombreux mécontentements de la part des
riverains. De même, les places de stationnement viennent inexorablement à manquer : trois-cents en
moins selon la mairie.
Ça cause une gêne. C’est-à-dire, ça cause surtout un méconnu pour
les gens. Ceux qui connaissent, ils savent que la circulation est un peu
dérangée… donc, aux heures de pointe, peut-être que ça augmente
aussi le temps de trajet, tout ça.
(...)
Et y’a une telle masse de monde que par rapport à la circulation y’a
fallu boucher deux rues.(M. F., forain)
Fatalement, la sécurité des piétons et des conducteurs est compromise. À de nombreux endroits,
nous avons pu constater la présence de câbles électriques non signalés, en plein passage. Les tuyaux
d'arrivée d'eau sont également des dangers et le maire a pu nous faire part de quelques plaintes
concernant ces obstacles, et d'un accident en particulier, impliquant une dame âgée.
Les attractions sont normalement placées de manière à respecter le schéma d'implantation fourni par
la DECA (en annexe). Or, les métrages ne correspondent quelquefois pas à ce dessin, ce qui
engendre un placement désordonné et totalement improvisé, comme en témoigne M. B., le maire du
4e arrondissement :
23
Parce qu'il [le forain] a une autorisation pour un métier qui va faire,
je sais pas moi, qui doit faire sur le papier dix mètres de long et puis
il arrive et puis en fait il fait douze mètres. Bon bah voilà, donc ça on
est habitué, entre guillements.
(...)
Le problème c'est qu'il y a un écart entre le document théorique et la
réalité des choses. C'est ça dont il est question. Et pour réduire cet
écart, je vois pas d'autre solution qu'un dispositif d'implantation très
musclé.
La Mairie prévoit d'ailleurs la mise en place de « cadettes », des plots en béton empêchant les
forains de s'installer anarchiquement. Les bancs, qui jonchent habituellement la Place de la Croixrousse, mais aussi les arbres qui pourraient gêner l'installation du métier, sont régulièrement
détériorés. La Ville, habituée de ces dégradations, prend maintenant les devants en déboulonnant les
bancs et en élaguant les arbres susceptibles de se trouver en travers du chemin des forains. Lors de
la dernière édition de la Vogue, l'installation illégale de métiers a provoqué l'émotion du maire du 4e
arrondissement. Pourtant, de son côté, la mairie du 4e est aussi intervenue pour modifier les
emplacements de certaines attractions, en raison de la gêne qu'elles occasionnaient : c'est le cas du
toboggan gonflable de M. et Mme D., relégué sur un côté de la Place des Tapis suite aux plaintes du
personnel de la mairie du 4e arrondissement.
Comme chacun de nos enquêtés nous le précise bien, la Vogue de la Croix-rousse est une des
dernières fêtes foraines de centre-ville. C'est donc un espace limité et contraint qui est offert aux
forains. Comme nous l'a expliqué le maire du 4e arrondissement, le quartier se caractérise d'ailleurs
par de petites rues étroites et de grands immeubles, hormis la grande artère qu'est le Boulevard de la
Croix-rousse. Lorsque la Place du Gros caillou a été réaménagée pour en faire un parking, les
forains qui s'installaient habituellement sur cette place ont été renvoyés plus à l'ouest,
principalement sur la petite place des Tapis. Cette réorganisation de l'espace a eu un impact sur le
chiffre d'affaire des forains qui ont dû déménager :
Bah là vous avez des gens qui ne sont même pas à un tiers de ce qu’ils
faisaient sur le Gros Caillou. Vous avez des gens aujourd’hui qui
préfèrent ne pas venir du tout et qui cherchent une autre fête plutôt
que de venir planter derrière sur la Place du Tapis. (M. F., forain)
Les forains ont beaucoup protesté mais ont dû accepter ce déménagement. Une fois encore, l'intérêt
des forains s'opposait à l'intérêt général. Lorsque nous avons fait remarquer à M. B., maire du 4e
arrondissement, que les forains avaient quand même fait beaucoup de concessions (départ de la
Place du Gros caillou, fermeture de la Vogue le jeudi, etc.), il s'est soudain énervé en rappelant que
la Croix-rousse était une mine d'or pour ces forains et, en résumé, qu'ils n'avaient pas de raison de
se plaindre :
À partir du moment où ils se bousculent pour être là, c'est que c'est
intéressant, alors qu'ils ne viennent pas nous raconter d'histoires ! Et,
justement, c'est bien ce que j'appelle la recherche d'un compromis.
Environ quatre-vingts plaintes sont parvenues sur le bureau de M. B. lors de la dernière réunion de
bilan. Certaines sont particulièrement cocasses : ainsi, plusieurs parents ont émis des réclamations à
l'encontre des forains au sujet du prix des attractions et des produits. Une école élémentaire se situe
sur le Boulevard de la Croix-rousse et le trajet domicile-école doit traverser la Vogue. Durant les six
semaines de la fête foraine, les enfants sont donc quotidiennement amenés à demander à leurs
parents de débourser des sommes élevées pour faire un tour de manège ou acheter une friandise.
24
Cette plainte illustre bien l'augmentation excessive des prix de la fête, dénoncée par M. C. :
Y’a une école ? L’école Aveyron, qui est juste à côté, quand les gamins
sortent « maman, j’veux faire un tour de manège ! J’en veux encore un
deuxième ! Encore un troisième !» et le coût a encore augmenté,
régulièrement, le tour de manège c’est 5 euros, c’est 6 euros, 7 euros,
8 euros.
Enfin, nous ne pouvons parler de la désorganisation du territoire sans évoquer les commerçants de
ce quartier, fortement impactés par la présence de la Vogue. Bien sûr, les vitrines des boutiques sont
cachées par les manèges et les clients préfèrent acheter une friandise vendue par les forains plutôt
que de pénétrer dans un café ou un restaurant. Mais il y aussi le cas des commerçants « non
sédentaires » du marché : un mardi matin, nous nous sommes rendus sur le Boulevard de la Croixrousse pour interroger les vendeurs du marché « aux produits manufactués » (par opposition au
marché aux légumes, situé sur le trottoir d'en face, qui n'est pas touché par la Vogue). Un vieil
homme avait aménagé son étal de manière à ce qu'il comble l'espace entre deux caravanes de
forains. Ces articles n'étaient pas protégés de la pluie. Pourtant, il ne témoignait d'aucune animosité
à l'encontre des forains, qu'il connaissait depuis des dizaines d'années, et expliquait qu'il fallait bien
« bricoler ». D'autres vendeurs, en revanche, étaient ulcérés de la place que prenait les forains.
Normalement, des lignes jaunes sont peintes au sol pour délimiter les emplacements des étals du
marché : en période de Vogue, cependant, les forains empiètent très largement sur les emplacements
des marchands, qui le ressentent sur leur chiffre d'affaire (car les clients circulent très mal). Leur
colère est d'autant plus grande qu'ils paient leur emplacement chaque mois et qu'aucune ristourne
n'est faite durant les mois où la Vogue s'installe.
M. F., le forain que nous avons rencontré, parle des rapports que les forains entretiennent avec les
commerçants du marché (qu'on peut aussi appeler « forains ») :
Ils ne peuvent s’installer que le mardi après-midi, c’est-à-dire après le
marché, une fois que les forains de marché sont partis, que ça a été
nettoyé donc là ils peuvent s’installer à partir de cette date-là
seulement. Bon y’a des contraintes comme là pour le démontage, toute
cette partie-là quoiqu’il arrive, quoiqu’il se passe, il faut que le lundi
soir tout soit démonté. Parce qu’il y a quand même une petite partie
des marchands forains qui pendant la vogue de la Croix-Rousse ne
s’installent pas. C’est un nombre différents le mardi. Mais ça bon ils
le savent. Ça fait… c’est la tradition on va dire. C’est depuis des
années et des années. Par contre de la même façon, nous on a eu des
difficultés pour replacer du monde mais on touche pas les places de
marché.
Dans tous ces cas, le maire du 4e préconise le « compromis ». Mais ce mot cache souvent des
situations dans lesquelles les forains sont forcés d'accepter l'arbitrage des autorités et se soumettent
à la décision de la mairie. Les forains ne sont pas acceptés comme des commerçants « normaux » et,
dans leur métier comme dans leur conditions de vie, sont considérés comme des gens à part.
25
B) Les forains face aux préjugés
Les forains se heurtent à la prégnance des préjugés. Ils sont stigmatisés comme étant des gens du
voyage, ce qui dans l’imaginaire collectif est associé à du sans-gêne, de l’irrespect, de la violence
voire de la dangerosité. Ces préjugés animent le discours de certains élus. Celui du maire M. B., très
critique vis-à-vis de l’ampleur et de la longueur de la vogue, en témoigne :
On a toujours un petit peu des soucis. Un, un forain, si vous voulez,
c'est quelqu'un, ça le, ça l'embête pas de démonter un banc, voire de
le casser pour installer son métier.
Mais ils se retrouvent également chez des personnes plutôt bienveillantes à l’égard de l’évènement.
Mme D., responsable à la DECA, et M. C, président de l’association La Croix-Rousse n’est pas à
vendre, déclarent à propos des forains :
On a beaucoup de difficultés à faire respecter le règlement par les
forains en règle générale : ce sont des gens qui... ils ont leur propre
conception de ce que doit être la fête foraine, et c’est pas toujours
compatible avec les exigences du domaine public. (Mme D., DECA)
Oui, oui, oui. Moi j’avais, j’avais vu un contact à la mairie, un forain
qui en sortait, qui, qui était très mécontent, très violemment. Les
forains ne sont pas des, des professions intellectuelles, vous voyez…
Donc c’est des gens habitués à des conditions dures, et qui, qui font
pas dans la dentelle, vous comprenez c’que je veux dire, voyez, quand
on est… Qui menacent, qui menacent si on les embête trop, et bah ma
foi, de barrer le boulevard avec leurs semi-remorques, vous voyez. (M.
C., de l'association)
Ces préjugés entretiennent un climat d’animosité. Les forains déplorent les comportements hostiles
à leur égard. M. F., forain, raconte :
Mais le premier terrain que j’ai acheté à l’époque, ça a été une
grande aventure. J’ai acheté comme tout le monde : un particulier, on
est passé chez le notaire, on a fait un compromis, après… Voilà quoi !
On a acheté et puis un jour on a découvert come ça sur le journal, la
municipalité où on avait acheté avait fait un gros article. Alors je
l’avais fait préparé, aménagé, tout pour que ça soit top ! Parce que
j’aime bien les choses top. Et euh… ils ont perçu ça d’une mauvaise
façon, ils ont contacté les gens, les voisins, en disant que ça allait être
un terrain de gens du voyage, qu’on allait, je ne sais pas moi, brûler…
je sais pas quoi ! Et les gens y’a eu une levée, mais une levée
incroyable de pétitions, de… Et personne nous connaissait !
Il s'agit le plus souvent de véritables idées reçues, que des relations plus approfondies balayent.
Chaque fois que j’ai eu la possibilité, j’ai toujours invité les élus, les
gens d’une municipalité, alors d’une ville, d’une commune, chez nous,
dans nos caravanes. Et là on a chaque fois, à chaque fois, la même
réflexion. Les gens arrivent pas à s’imaginer nos caravanes. Bon moi,
moi personnellement, mon fils vient d’en acquérir une là, elle fait 83
m2. C’est des remorques ou semi-remorques et ça se déplie en
26
longueur, ça se déplie en largeur, voilà. On a des salles de bains (il
rit), on a les WC, on a nos épouses, elles ont les buanderies, y’a des
cuisines, y’a la chambre d’enfant, une deuxième même si y’a garçon
et fille, la chambre des parents, voilà quoi. Et ça choque les gens
« ah ! Ah mais vous vivez comme ça ! ».
Bien qu’ils souffrent de cette position de « marginaux », les forains ne sont cependant eux-mêmes
pas à l'abri des préjugés. Se retrouvent chez eux des attitudes un peu méprisantes envers d'autres
populations itinérantes : ainsi, ils appellent les gens du voyage « les mangeurs d’hérissons et les
gratteurs de guitares ». Ils mettent avant tout l'accent sur leur activité professionnelle et établissent
une réelle distance entre leur groupe professionnel et les autres catégories de gens du voyage.
De plus, si certains riverains se réjouissent de la venue annuelle des forains, d’autres s’en irritent
considérablement. Outre le goût ou non pour les évènements festifs ou la tranquillité, la différence
en termes de comportement s’explique souvent par l’ancienneté de l’habitant dans le quartier. Les
natifs et habitants de longue date considèrent la fête foraine avec bienveillance. La convivialité et
l’ambiance festive générée par la vogue l’emportent sur les désagréments. Il s’agit pour eux d’une
tradition à laquelle ils sont attachés et qui participe à l’identité du quartier. Les anciens CroixRoussiens connaissent cet évènement et savent à quoi se préparer chaque année. Il n’en est pas de
même pour les (plus ou moins) nouveaux arrivants. Ils ne sont pas préparés à ce bouleversement de
la vie du quartier. Or le renouvellement de la population est très important à la Croix-Rousse, ce qui
vient perpétuer, voire grossir le réquisitoire contre la vogue. Cette distinction ne fonctionne que
dans une certaine mesure. Les élus, comme on l'a vu précedemment, cherchent à satisfaire leur
électorat en tentant de prendre des mesures susceptibles de satisfaire les mécontents.
La question du terrain mis à disposition des forains pour qu’ils puissent installer le « village
caravane » est également un sujet de conflit. Le terrain du village caravane est mis à disposition par
la mairie. Il se situe actuellement à Gerland, à l'emplacement de l'ancien marché-gare. La mise à
disposition d'un terrain est une obligation juridique pour la ville. La ville de Lyon ne dispose
cependant pas de terrain bien défini pour l'accueil des forains. Le site varie d'une année sur l'autre.
Dans le passé, il était par exemple situé dans le 3ème arrondissement à un moment donné. La
localisation du village caravane est un enjeu important pour les forains et un motif de tensions entre
ces derniers et la municipalité. Les forains désirent en effet habiter le plus près possible de leur lieu
de travail. Or son implantation en centre-ville est peu réalisable et ils sont le plus souvent relégués
en périphérie. Il faut également que le terrain soit équipé.
L'entretien avec M. F., désigné comme le porte-parole des forains, a révélé un besoin de
reconnaissance de la part des marchands forains. Ils ont parfois le sentiment que les élus ne les
prennent pas au sérieux ou se soucient guère de leur problème :
Ben les problèmes rencontrés avec les services c’est quand vous avez
un souci, que vous en parlez et puis que bon y’a pas de suite, on ne
donne pas de suite.
Ils ne se sentent pas toujours respectés dans leur activité professionnelle et souhaiteraient une
véritable reconnaissance de leur métier. Ce manque de reconnaissance est nettement ressenti lors de
la convocation des réunions.
C’est-à-dire que (il soupire) pour avoir une réunion, il faut demander,
faut redemander, faut solliciter… Et puis bah tout d’un coup hop ils
ont décidé qu’y avait une réunion alors faut que tout le monde soit
libre ! Mais bon on a aussi justement notre profession, hein, de la
27
même façon. Et bon… dans les gens représentatifs on est cinq-six là
sur Lyon à essayer de participer à toutes les réunions. Mais quand
vous êtes à 500, 600 voire 700 km vous arrivez pas à vous libérer
comme ça huit jours auparavant. Vous pouvez pas laisser votre
matériel à un endroit et puis aller, venir à la réunion, reprendre votre
matériel, repartir après...
L’impression que les réunions ne donnent aucune suite alimente ce sentiment d’absence de
reconnaissance de la part des administrations.
Quand vous faites, comme je vous disais toute à l’heure, des fois deux,
trois cent, quatre cent, six cent kilomètres ! Vous passez la journée ici,
vous laissez votre métier tenu par votre femme ou par des employés,
vous êtes loin de tout ça, vous passez votre temps pour en fin de
compte s’occuper de la profession des autres et avec la ville et puis
que euh, au bout de deux ans y’a toujours rien qui s’est passé… ça
fait pas plaisir. On a l’impression qu’on est pas… vraiment reconnu
sur ce coup.
La scolarisation des enfants restent enfin un point sensible. Il n'existe pas de prise en charge de ces
derniers au niveau des écoles.
− Et les municipalités ne mettent rien en place pour l’accueil des
enfants ?
− Non c’est difficile. C’est très très difficile. Y’a des, bon, y’a des
villes où ça se passe bien et puis de la même façon y’a des villes où ça
se passe moins bien. Voilà ! Mais c’est… assez compliqué.
Rien n'est organisé pour faciliter leur insertion scolaire. Au contraire, les enfants de forains sont
parfois victimes d'une ségrégation informelle, voire inconsciente, de la part du personnel éducatif.
Y'a des gens, des directeurs d’école, ou directrices, qui ont l’image
des gens du voyage et qui nous assimilent toujours à ce gens-là et qui
nous reçoivent pas forcément avec plaisir. (…) Pour eux c’est une
gêne, ils vous expliquent que dans une classe, quand y’a deux petits
forains qui arrivent, ils sont nouveaux, les autres les connaissent pas
donc ils veulent les connaître, ils veulent discuter avec, ils veulent
s’amuser
Cette attitude s'explique en partie par le comportement des enfants eux-mêmes qui peuvent
déstabiliser des instituteurs peu expérimentés en la matière.
Et puis bon les nôtres ont un peu l’esprit, comment dire, libre aussi.
Donc euh… ils sont pas forcément dans le cadre de l’instituteur…
Différentes solutions s'offrent alors aux parents pour pallier à ce problème. Certains enfants sont
placés dans des pensions, d'autres confiés à des membres de la famille vivant de façon sédentaire
afin qu'ils puissent bénéficier d'une scolarité stable. Ces solutions présentent des inconvénients
évidents. La vie familiale est fortement perturbée et les enfants ne profitent que rarement de leurs
parents.
Parce que quand ils viennent le week-end, c’est justement, c’est là où
on travaille le plus !
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Conclusion
Les forains font juridiquement partie des gens du voyage mais s'en distingue nettement dans le sens
ou ils exercent une activité commerçante et produisent de la richesse. Mal perçus avec cette image
de populations ayant un mode de vie itinérant, ils vivent dans un « délit d'existence ». La deuxième
loi Besson avait pour objectif d'accorder un droit au logement à cette population en leur accordant
des aires de stationnement mais aussi une obligation d'accueil des communes et de prévoir des
espaces d'accueil dignes de ce nom. La loi voulait mettre sur un pied d'égalité sédentaires et
nomades, mais il est clair que, lors des débats à l'Assemblée nationale et au Sénat, cet objectif-là a
été l'objet de débats féroces.
En fin de compte, la logique répressive l'a emporté avec des mesures de sanctions en cas de
stationnement illicite. Le fait du report des dates en ce qui concerne le schéma départemental qui
prévoyait la création d'aire d'accueil révèle également le peu de considération du monde politique
envers cette population considérée comme « à part ». Leur intégration est par conséquent très
difficile. L'exemple lyonnais constitue un cas particulier du fait de l'attachement à la Vogue et de
son histoire. .
La ville de Lyon accueille depuis longtemps des fêtes foraines sur son territoire. Autrefois, chaque
quartier avait la sienne. Celle de la Croix-Rousse, appelée vogue des marrons et du vin nouveau,
occupe une place particulière à Lyon. Dernière grande vogue lyonnaise, elle s’est perpétuée au fil du
temps. Si les puristes regrettent que son caractère traditionnel se soit étiolé au fil du temps, elle fait
partie des fondamentaux du quartier et ses habitants y sont le plus souvent très attachés. La
réputation de cette animation n’est plus à faire. Elle attire chaque année un large public fortement
diversifié et son attractivité va bien au-delà des limites de la ville. Composée de plus de 70 stands
disposés le long du Boulevard et sur la Place du Tapis, elle rythme la vie du quartier pendant un
mois et demi. Si nombreux sont ceux qui se réjouissent de cet évènement annuel, son ampleur et sa
durée font également l’objet d’un mécontentement récurrent et de multiples polémiques ou débats,
tant au niveau des riverains que de la municipalité ou des forains.
La fête foraine, en tant qu’activité commerciale non sédentaire exercée sur la voie publique
nécessite une gestion et une organisation spécifique. Ce sont principalement les services de la
municipalité centrale qui s’en occupent. A Lyon, la DECA est l'institution pilote qui coordonne la
gestion des forains et de l'aménagement de la Vogue de la Croix-Rousse. Cela recouvre des
domaines divers tels que l’attribution des emplacements, le règlement des droits de place, les
questions de sécurité, etc. La DECA reçoit les demandes des forains pour les emplacements et met
en place un schéma d'implantation des attractions pendant toute la durée de la Vogue. La DECA a
un budget propre pour la gestion des forains. La Ville de Lyon est un cas unique en France dans la
mesure où elle prend en charge la base de vie qui accueille les forains. C'est un choix délibérément
politique et qui insiste sur le lien fort qu'il existe avec la Vogue, inscrite dans une tradition
lyonnaise.
La mairie d’arrondissement n’est pas directement associée à cette organisation, ce qu'elle regrette,
mais elle s’exprime lors des concertations entre les services municipaux et les forains. Ces réunions
entre les parties prenantes à la fête foraine jouent un rôle important dans sa préparation. Elles
permettent de créer un espace d’échange entre les protagonistes dans lequel ils peuvent exposer
leurs revendications afin de pouvoir ensuite établir des compromis et apporter des améliorations au
déroulement de l’évènement. Ces compromis revêtent une réelle importance. En effet, les demandes
des uns entrent souvent en contradiction avec celles des autres. Les forains doivent respecter un
29
certain nombre de règles. Ils se plient aux arrêtés municipaux et prennent en compte les demandes
qui leur sont faites. Ils sont généralement représentés par cinq-six membres de la profession
lorsqu’il s’agit de faire valoir leurs intérêts mais pour le reste, ils effectuent la plupart des
démarches individuellement.
L'organisation d'un tel événement, brassant plusieurs dizaines de milliers d'euros chaque année,
génère bien sûr des conflits. Entre forains et autorités, les accords tacites mais aussi les coups bas
sont légion. La politique met de l'huile sur le feu, notamment à l'approche des élections. Chacun
défend sa part du gain et veut récupérer celle de l'autre. À chaque nouvelle édition de la Vogue
s'installe un climat de plus en plus délétère, où la violence et les provocations sont de mise :
dégradations, protestations, interdictions. Si les discours officiels clament le succès de la fête, les
riverains n'en retiennent que les nuisances. Par ailleurs, les valeurs défendues autrefois sont
dépravées et ce qui était auparavant la fête des marrons est devenu la fête du business.
Le quartier de la Croix-Rousse se voit complètement bouleversé par l'arrivée de ces gens qui ne
respectent pas les habitudes, qui sont différents. Quelque part, il reste encore à résoudre de
nombreuses difficultés. Le mode de vie nomade des forains éveille encore dans les imaginaires la
suspicion et la crainte. Leur accueil en est directement affecté, comme l’illustre le manque de prise
en charge de la scolarité des leurs enfants. Outre les relations empreintes de conflictualité dues à des
intérêts divergents, la prégnance des préjugés et des idées reçues entravent le déroulement
harmonieux de la fête foraine et viennent entacher les relations entre les différents acteurs en
présence. Les forains ont parfois l’impression que leurs intérêts sont négligés ou peu pris en
considération. En outre, ils aspirent à une véritable reconnaissance de leur activité professionnelle.
Mais il est clair qu'en règle générale, l'objectif de sédentariser cette population a été abandonné du
fait de son mode de vie particulier et la volonté d'intégration constitue un échec patent. Ces hommes
sont donc condamnés à vivre dans le rejet, à la fois des citoyens et des autorités. Si la loi oblige à les
accueillir, il vaut mieux que ce soit sur la commune d'à côté, loin du regard. Leur présence est
tolérée un moment mais pas trop longtemps.
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Bibliographie
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AUBERT Josselyn, DELAHAYE Philippe, GAUCHE Sylvain, « Marchés : il est légal, mon
étal ! ». La Lettre du cadre territorial, 15 avril 2010, n°399. p. 62-64.
BISSUEL Bertrand, « La loi sur l’accueil des gens du voyage n’est pas appliquée », in Le
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GOTMAN Anne, « L’hospitalité façonnée par le droit : la loi Besson sur le droit et l’accueil
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