La dégradation de l`arganeraie et ses causes dans la province de

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La dégradation de l`arganeraie et ses causes dans la province de
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La dégradation de l’arganeraie
et ses causes dans la province
de Taroudant
Yann le Polain de Waroux, Doctorant F.R.I.A., ELI/
TECLIM, Université Catholique de Louvain, 3 Place Louis
Pasteur, Louvain-la-Neuve, Belgiqu0e
([email protected])
Eric F. Lambin, Professeur, ELI/TECLIM,
Université Catholique de Louvain, 3 Place Louis Pasteur, Louvainla-Neuve, Belgique
La dégradation de l’arganeraie
et ses causes dans la province de Taroudant
Résumé La dégradation de l’arganeraie en termes de densité a été mesurée sur photos aériennes et images
satellites pour une zone de 100.000 hectares dans la province de Taourdant, et les causes principales en ont été analysées. Les auteurs ont trouvé une perte de densité de 44,5% entre 1970 et 2007,
attribuable principalement à l’aridification et aux coupes de bois pour la consommation domestique
et la vente. Il semble y avoir eu une diminution des coupes durant la dernière décennie, qui serait
attribuable à la consommation de gaz, de matériaux de construction modernes, et à la participation accrue
des hommes au marché de l’emploi et à la migration.
The degradation of the argan woodlands
and its causes in the province of Taroudant
Abstract
The degradation of the argan forest in terms of density was monitored on aerial photographs and
satellite images for an area of 100.000 ha in the Taroudant province, and its principal causes were
investigated. The authors found a density loss of 44.5% between 1970 and 2007, principally due to
increasing aridity and wood extraction for local consumption and for sales. There appears to have
been decrease of wood extraction during the last decade, which may be due to the substitution of gas
and modern building materials for argan wood, as well as the greater involvement of local men in the
labor market and in migration.
Actes du Premier Congrès International de l’ Arganier, Agadir 15 - 17 Décembre 2011
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Introduction
L’arganeraie a connu de nombreuses transformations au cours des dernières décennies. Des
transformations environnementales : extension des villes et des cultures sous serres en zone forestière,
abandon de l’agriculture dans certaines zones marginales, dégradation qualitative ou quantitative de la
forêt, reboisements. Mais aussi des transformations sociales et économiques : migration internationale
et exode rural, développement des infrastructures, nouveaux acteurs institutionnels, développement
du monde associatif et des ONGs, et explosion du marché de l’huile d’argane. L’arganeraie est devenue
en ce début de 21ème siècle un territoire d’expérimentation du développement durable, porteur de
l’espoir d’une réconciliation entre les intérêts économiques – des entreprises et des populations locales
– et la conservation de la nature, comme en témoigne la nomination de l’arganeraie comme Réserve
de la Biosphère de l’UNESCO. Ce rôle rend plus urgente encore la nécessité de mieux connaître les
dynamiques écosystémiques, sociales et économiques de la région de l’arganier, et les liens entre ces
différentes dynamiques. C’est à cette compréhension des liens entre évolution des activités humaines
et changements dans l’arganeraie que tente de contribuer ce travail, en se concentrant dans un
premier temps sur l’étude de la dégradation et de ses causes (les dynamiques sociales et économiques
font l’objet d’un travail en cours qui n’est pas développé ici). La zone d’étude choisie se situe dans la
province de Taroudant, à proximité d’Aoulouz, dans le piémont et le début de l’Anti-Atlas, et couvre
environ 100.000 ha. C’est une région à relativent faible densité d’arganiers : généralement moins
de 30 arbres par hectare. C’est aussi la partie la plus continentale de l’arganeraie, et à ce titre elle
est marquée par des variations climatiques intenses. L’analyse de la dégradation présentée dans
cette communication est un résumé d’un article publié par les auteurs en 2011 et qui comprend de
nombreux détails méthodologiques qui n’ont pu être reproduits ici faute de place (voir le Polain de
Waroux & Lambin 2011 pour ces détails). Elle fait partie d’une thèse de doctorat menée à l’UCL sur
les dynamiques de changement social et environnemental dans l’arganeraie (voir les remerciements
en fin de texte).
Changements de couverture forestière dans l’arganeraie
Si la dégradation de l’arganeraie est reconnue depuis longtemps, les chiffres la quantifiant sont
encore relativement peu nombreux à ce jour. Rocher (1926), Boudy (1958) et Monnier (1965) ont
rapporté des coupes importantes pour la première moitié du 20ème siècle, principalement attribuées
à la demande en charbon et bois de feu des villes marocaines et de l’Europe pendant les deux
guerres mondiales. McGregor, Dupont, Stuut & Kuhlmann (2009) ont observé une diminution de
la concentration en pollen d’arganier dans des sédiments à proximité de la côte Atlantique depuis
la fin du 18ème siècle.
De même, si les causes principales de la dégradation ont été identifiées, il manque des études
empiriques sur le lien entre celles-ci et l’intensité de la dégradation. El Yousfi (1988, cité dans Mhirit
et al., 1998), a montré que des forêts de moyenne et de faible densité ont été ouvertes à l’agriculture
sur 45% d’une zone de 22000 hectares dans la plaine du Sous entre 1969 et 1986. Un rapport récent
(TTOBA, 2007) a montré qu’entre 1969 et 2006, 9% d’une surface de 55000 hectares incluant la
précédente avaient été déboisés pour l’agriculture entre 1969 et 2006, et 5% pour l’urbanisation, et
que 32% avaient perdu en densité.
La dégradation dans l’arganeraie résulte de la combinaison de l’absence de régénération et de la
perte d’arbres, qui dépend elle-même de facteurs biophysiques et sociaux (voir figure 1). Le manque
voire l’absence complète de régénération de l’arganeraie est reconnu depuis longtemps (M’Hirit et al.,
1998; Tarrier & Benzyane, 2003; Nouaim, 2005; Bellefontaine 2010).
Actes du Premier Congrès International de l’ Arganier, Agadir 15 - 17 Décembre 2011
et de la perte d’arbres, qui dépend elle-même de facteurs biophysiques et sociaux (voir
figure 1). Le manque voire l’absence complète de régénération de l’arganeraie est
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reconnu depuis longtemps (M’Hirit et al., 1998; Tarrier & Benzyane, 2003; Nouaim,
2005; Bellefontaine 2010). Il peut être causé en partie par le surpâturage, car les animaux
mangent les jeunes pousses (M’Hirit et al., 1998; Nouaim, 2005; Naggar, 2005; Aafi,
2007). Des expériences sur des périmètres fermés au pâturage (Culmsee, 2005; Taleb,
Il peut être causé en partie par le surpâturage, car les animaux mangent les jeunes pousses
2007) ont
montré que la régénération peut se faire si ceux-ci sont exclus. Le surpâturage
(M’Hirit et al., 1998; Nouaim, 2005; Naggar, 2005; Aafi, 2007). Des expériences sur des périmètres
peut aussi endommager les sols et causer de l’érosion (M’Hirit et al., 1998; Aafi, 2007).
fermés au pâturage (Culmsee, 2005; Taleb, 2007) ont montré que la régénération peut se faire si
Certains
auteurs sont également d’avis que le pâturage excessif par les caprins et les
ceux-ci sont exclus. Le surpâturage peut aussi endommager les sols et causer de l’érosion (M’Hirit et
camelins endommage les arbres (M’Hirit et al., 1998; Nouaim, 2005; Aafi, 2007), tandis
1998; Aafi, 2007). Certains auteurs sont également d’avis que le pâturage excessif par les caprins
que al.,
d’autres
suggèrent qu’un pâturage modéré stimule la production de fruits (Bourbouze
et les camelins endommage les arbres (M’Hirit et al., 1998; Nouaim, 2005; Aafi, 2007), tandis que
& al., 2005). La collecte des noix (afiyach) pour la production d’huile peut devenir un
d’autres suggèrent qu’un pâturage modéré stimule la production de fruits (Bourbouze & al., 2005).
problème
si trop peu de graines sont laissées au sol pour la germination, ce qui semble
La
collecte
noix (M’Hirit
(afiyach) pour
production
d’huile
peut L’augmentation
devenir un problème
si trop peu de
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endroits
et al.,la1998;
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2007).
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de l’huile
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fruits (M’Hirit et
al.,
1998;
Benghazi,
2007).
L’augmentation
des
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de
l’huile
d’argane
a
probablement
causé une
depuis la fin des années 1990 (Lybbert, 2002).
intensification de la collecte des fruits depuis la fin des années 1990 (Lybbert, 2002).
Figure
1 : Modèle
conceptuel
de
Figure 1 : Modèle
conceptuel
de la
dégradation
la dégradation
L’augmentation de l’aridité, rapportée à échelle régionale par Esper et al. (2007), pourrait avoir
voir aussi
Stour & Agoumi, 2009). Il a été montré que l’aridité augmente l’instabilité du développement, ce
qui revient à dire qu’elle diminue la résilience des individus (Alados & El Aich, 2008). Un stress
hydrique excessif peut augmenter la mortalité des arbres, particulièrement ceux sur des pentes fortes
et fortement exposées au soleil (El Abidine, 2003). L’augmentation de l’aridité peut être due à un
changement ou cycle climatique, ou à des changements dans les conditions micro-climatiques induits
par la diminution du couvert forestier et de la végétation au sol (M’Hirit et al., 1998; Nouaim 2005).
Les sécheresses peuvent exacerber la pression du pâturage sur les ressources existantes (M’Hirit
et al., 1998).
L’augmentation de l’aridité, rapportée à échelle régionale par Esper et al. (2007), pourrait
des consequences negatives sur la germination et la survie des pousses (Nouaim, 2005;
avoir des consequences negatives sur la germination et la survie des pousses (Nouaim,
Actes du Premier Congrès International de l’ Arganier, Agadir 15 - 17 Décembre 2011
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La diminution du couvert forestier et de la végétation au sol peut aussi causer de l’érosion, qui,
parallèlement à la dégradation des sols (sous la forme de salinisation et perte de matière organique,
principalement dans les zones irriguées), peut rendre des sols impropres à la germination (Bani
Aameur & al., 2001; Nouaim, 2005; Aziki, 2008). Des villes comme la conurbation d’Agadir-Aït MelloulInezgane, ainsi que de plus petits centres administratifs et que des zones de tourisme balnéaire, se
sont étendus dans la forêt (M’Hirit et al., 1998; Nouaim, 2005; TTOBA, 2007). L’agriculture irriguée
s’est également étendue dans la forêt, principalement dans la plaine du Souss (El Yousfi, 1988;
TTOBA, 2007). Un effet indirect de l’expansion de l’agriculture irriguée est l’abaissement de la nappe
phréatique par le surpompage, qui peut augmenter la vulnérabilité des arbres à la sécheresse (M’Hirit
et al., 1998; El Abidine, 2003; Nouaim, 2005; TTOBA, 2007). Enfin, une extraction excessive de bois
pour le commerce et pour la consommation locale a été considérée depuis longtemps comme un
problème majeur dans la région (Monnier, 1965; M’Hirit et al., 1998; Bourbouze & El Aich, 2005;
Nouaim, 2005; Faouzi, 2005; Aafi, 2007; Abourouh, 2007).
Plusieurs des liens décrits ci-dessus sont encore partiellement hypothétiques, et leur importance
relative n’est pas toujours connue. Il se peut que des causes importantes aient été omises, ou que
certaines de celles mentionnées soient peu significatives. Il s’agit donc bien d’un modèle « exploratoire »
de la dégradation, qui a pour but de fournir le contexte à l’étude de cas ci-après. Cette étude se
concentre sur la mesure de la dégradation en termes de densité, et sur trois causes : l’aridification,
l’extraction de bois, et le pâturage. En ce qui concerne les autres causes mentionnées, soit il nous était
impossible de les évaluer avec les données disponibles, soit elles ne jouaient pas un rôle important
dans la zone d’étude – comme par exemple l’urbanisation et l’extension de l’agriculture irriguée, qui
en sont quasiment absentes. Comme il a été mentionné précédemment, il s’agit ici d’un aperçu qui ne
reprend pas tous les détails méthodologiques de l’étude.
Mesure du changement de densité
Pour estimer le changement de densité de la forêt nous avons utilisé d’une part, une série de
photos aériennes au 1/30.000 datant de 1970, et d’autre part, les images SPOT et IKONOS datant
de 2007 qui sont disponibles sur Google Earth, à respectivement 2,5m et 1m de résolution. Après
géocorrection des photos aériennes (avec le logiciel ILWIS, en utilisant le modèle numérique de terrain
ASTER GDEM et 20 points de contrôle par photo), un échantillon de 1067 cercles de 50m de rayon a
été généré de manière aléatoire au sein d’une grille de maille d’1 km carré. Le nombre d’arbres dans
chaque cercle a été compté pour les deux dates – la valeur de 2007 a été rectifiée (à la hausse) sur base
de la relation entre les comptages sur image et les comptages sur le terrain dans 38 zones de contrôle.
La densité forestière ainsi mesurée a diminué en moyenne de 27,4 arbres/ha à 15,2 arbres/ha sur la
période d’étude, soit un changement de -12,2 arbres/ha, ou -44,5% (voir figure 2).
Actes du Premier Congrès International de l’ Arganier, Agadir 15 - 17 Décembre 2011
au sein d’une grille de maille d’1 km carré. Le nombre d’arbres dans chaque cercle a été
compté pour les deux dates – la valeur de 2007 a été rectifiée (à la hausse) sur base de la
relation entre les comptages sur image et les comptages sur le terrain dans 38 zones de
contrôle. La densité forestière ainsi mesurée a diminué en moyenne de 27,4 arbres/ha à
15,2 arbres/ha sur la période d’étude, soit un changement de -12,2 arbres/ha, ou -44,5%
(voir figure 2).
Figure2 :2 changement
: changement
densité
(à gauche
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en 1970
; à droite,
Figure
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densité
en 1970 ;
à droite,
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2007)
Causes du changement de densité
Causes du changement de densité
Pour évaluer l’effet des coupes de bois, nous avons procédé en deux étapes.
Pour
évaluer l’effet
nous avons
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en deux étapes.
Premièrement,
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mais la
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bois et diminution du couvert, il faut toutefois souligner que les contraventions, dictées
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par les capacités humaines et matérielles du service forestier, sont un piètre indicateur du
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Entre les années 1970 et 1990, des camions acheminaient même le bois d’arganier vers
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au souk et de
Entre les années 1970 et 1990, des camions acheminaient même le bois d’arganier vers
d’autres régions. Plusieurs témoignages font état de ventes quotidiennes au souk et de chargements
hebdomadaires de camions en bois. Il serait fort peu vraisemblable que toute cette activité n’ait pas
eu un impact important sur la forêt.
Pour estimer l’effet de l’aridification sur le changement forestier, nous avons d’abord estimé la
tendance d’un indice d’aridité, l’indice de gravité de la sécheresse de Palmer ou PDSI (Palmer, 1965).
Pour la période d’étude, celui-ci a diminué de manière significative, ce qui indique qu’il y a bien eu
aridification – qu’elle soit linéaire et liée au changement climatique mondial, ou qu’elle fasse partie
d’un cycle, par exemple lié au phénomène El Niño.
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Comme une augmentation d’aridité aurait eu un effet plus marqué sur les zones plus exposées au
rayonnement solaire et à basse altitude, qui sont déjà d’ordinaire exposées à des températures plus
élevées, nous avons mesuré par une régression linéaire l’influence d’un indice d’exposition (le Solar
Radiation Index, tiré de Keating, Gogan, Vore & Ilby, 2010) et de l’altitude sur la diminution de couvert,
en incluant la densité initiale comme variable de contrôle. Les trois variables étaient significative, et le
SRI avait un coefficient particulièrement élevé : les pentes les plus exposées au soleil ont subi un taux
de diminution de la densité très nettement supérieur aux pentes les moins exposées. Ceci indique que
l’aridification a dû jouer un rôle important dans la dé-densification de l’arganeraie dans cette zone,
une observation d’ailleurs corroborée par les résidents eux-mêmes, qui sont nombreux à témoigner
que beaucoup d’arbres sont morts lors des dernières sécheresses.
Enfin, pour estimer l’effet du pâturage, nous avons estimé la corrélation entre le nombre d’animaux
par village (la moyenne des valeurs pour 1970 et 2009, telles qu’estimées par les autorités locales
– moqaddmin), et le changement de densité forestière, pour 22 villages. La corrélation n’était pas
significative à 90%. Cependant, ici aussi, l’indicateur est problématique, et ce pour plusieurs raisons.
Premièrement, les estimations ainsi faites ont une fiabilité limitée. Deuxièmement, elles ne tiennent
pas compte de la pression des troupeaux des nomades. Troisièmement, cette approche ne capture pas
l’effet à plus long terme du pâturage sur la régénération (qui est, comme ailleurs dans l’arganeraie,
complètement absente). Tout au plus peut-on en conclure qu’un effet direct du pâturage sur la mort
des arbres n’a pas pu être observé.
Nous avons donc là une zone qui a connu une forte dégradation entre 1970 et 2007, en partie au
moins causée par l’aridification du climat, les coupes domestiques et les ventes de bois et de charbon.
Quelle est la tendance aujourd’hui? Le principal de la dégradation s’est-il passé plutôt au début où à
la fin de la période d’étude? Y a-t-il eu un changement de comportement vis-à-vis de la forêt, et si oui,
quelle en est la cause? Si les photos ne nous apprennent rien sur le sujet, les enquêtes sur le terrain,
elles, fournissent des éléments de réponses.
Contexte social et économique du changement : quelques
éléments
Les ventes de bois, et dans une moindre mesure, de charbon, ont depuis longtemps constitué
un revenu d’appoint dans cette région, particulièrement en temps de sécheresse. L’acroissement de
la demande des villes, la disponibilité de nouveaux moyens de transport et l’accroissement de la
population rurale n’ont probablement fait qu’exacerber cette pression de coupe, et ce jusque récemment.
Cependant, tout indique que les coupes ont diminué drastiquement pendant la dernière décennie. En
effet, certains villages avec un taux de diminution de la densité forestière élevé présentent aujourd’hui
très peu de traces de coupes (celles-ci ont été observées sur une série de transects dans les territoires
de 5 villages, avec un total de 475 points d’observation). Si la consommation domestique persiste,
les témoignages concordent sur le fait que les ventes de bois ont énormément diminué depuis la fin
des années 1990 – elles ont en fait quasiment disparu dans la majorité de la zone. Aujourd’hui, le
bûcheronnage est une activité résiduelle, apparemment vouée à disparaître
Les causes de ce changement sont multiples. La généralisation de l’usage du gaz dans les villes
et la disponibilité de bois et charbon d’autres essences (comme l’olivier et l’oranger) due aux activités
des fermes irriguées de la plaine ont certainement contribué à concurrencer le bois d’arganier. La
disponibilité de matériaux de construction modernes, notamment les poutres en eucalyptus et le
ciment, permet de se passer de poutres en bois d’arganier (considérées comme trop courtes) pour les
constructions récentes.
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La perspective de gains liés au marché de l’huile d’argan a pu changer les valeurs et les
comportements par endroits – bien que, selon notre étude en cours sur la contribution de l’huile
d’argane aux revenus des ménages, ces gains ne se soient encore que très faiblement matérialisés
dans la zone, avec 4% en moyenne des revenus en 2009 pour les 86 ménages enquêtés. Mais le facteur
majeur qui a contribué à la diminution des ventes de bois est probablement le coût d’opportunité du
travail dans un contexte d’intégration au marché de l’emploi par la migration. La vente de bois était et
reste un travail difficile, risqué car illégal, et relativement mal rémunéré (aujourd’hui encore, le prix
d’un chargement d’âne, soit une demi-journée à une journée de travail si l’on comprend le transport,
est de 50 à 70 Dh, moins qu’un salaire de journalier dans l’agriculture). Les jeunes des villages de
toute la région, faute d’opportunités porteuses dans leurs villages, sont partis travailler dans les
villes, et dans une moindre mesure, à l’étranger. Là, s’ils commencent avec des salaires bas, ils ont
une perspective d’amélioration, et avec les années, beaucoup accèdent à des niveaux de revenus qui
dépassent largement ce qu’ils auraient pu obtenir en restant au village.
Ainsi les bûcherons vieillissent, quittent le métier et ne sont pas remplacés. Il en est de même,
dans une large mesure, pour les bergers : très peu de jeunes aujourd’hui gardent les bêtes. Le nombre
d’animaux diminue, au moins par endroits, car la chèvre et le mouton font moins qu’avant office de
placement (il existe des familles qui augmentent leur troupeau, mais la tendance générale semble être
à la baisse). Cette diminution du cheptel est probablement remplacée en partie par une augmentation
du nombre des troupeaux nomades, difficile toutefois à mesurer.
Si certains ont pu développer des activités économiques porteuses dans leur village ou dans ses
environs proches, l’émigration vers les villes et vers l’étranger est devenue une composante centrale de
l’économie locale, et les transferts des migrants constituent une source majeure de devises (35% des
revenus en moyenne en 2009, pour les ménages enquêtés). La discussion ci-dessus montre qu’elle a
vraisemblablement contribué aussi à une diminution importante de la pression de coupes au cours
de la dernière décennie.
Conclusion
Cette étude illustre une dynamique de changement dans une partie l’arganeraie différente par
certains aspects de celle observée dans d’autres régions. L’arganeraie d’Aoulouz a connu une perte
de densité importante en l’espace de quelques décennies, sous l’effet conjugué de l’aridification et
des coupes, peut-être aggravésepar le surpâturage. Si les coupes semblent avoir fortement diminué
à ce jour, la consommation de bois de cuisson et de chauffe dans une forêt qui ne se régénère pas
reste problématique. D’autant plus inquiétant est l’effet de l’aridité sur la perte de densité qui selon
les projections du GIEC (IPCC 2007) a toutes les chances d’augmenter au cours du siècle à venir.
Cela pose question sur les perspectives de l’arganier en tant qu’espèce et en tant que ressource
économique. Par ailleurs, nous avons suggéré que l’intégration au marché de l’emploi a probablement
permis, récemment du moins, de diminuer la pression de coupes dans l’arganeraie en rendant obsolète
l’activité de bûcheron.
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Remerciements
Cette recherche fait partie d’une thèse de doctorat (2008-2012) intitulée « Trajectoires de
changement dans le système socio-écologique de l’arganeraie », menée à l’Université Catholique de
Louvain (Belgique) sous la direction du professeur Eric F. Lambin, et financée par le Fonds National
pour la Recherche dans l’Industrie et l’Agriculture (FRIA, Belgique). Elle n’aurait pu se faire sans
les apports précieux des membres de mon comité d’accompagnement de thèse : Mohammed Qarro
(ENFI), Marc Mormont (ULg), Veerle Vanacker (UCL), ni sans ceux de Jeanne Chiche (anciennement
IAV Hassan II). L’ENFI, et particulièrement le professeur Mohammed Sabir, a apporté un support
logistique important. Abdelhakim Bourahet, Lahoucine Bouffi et Morad Choukri m’ont été d’une
aide précieuse sur le terrain en tant qu’enquêteurs, interprètes et guides. Des discussions avec des
personnes de l’ENFI, du HCEFLCD, du CRF de Rabat et de Marrakech et de la DREF-SO et l’IAV m’ont
permis d’affiner mes connaissances sur les aspects forestiers et économiques. Enfin, je remercie les
nombreuses personnes sur le terrain qui ont patiemment accepté de répondre à mes incessantes
questions, m’ont fourni un toit, invité pour un thé, ou simplement accompagné d’une présence
chaleureuse.
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