Les stratégies de lutte contre la pauvreté

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Les stratégies de lutte contre la pauvreté
Les stratégies de lutte contre la pauvreté et les plans des
pays donateurs, rendent-ils l’aide plus efficace ?
Vision mondiale Canada1
« Les pays qui se dotent d’une stratégie de lutte contre la pauvreté s’approprient
leur développement; ils se donnent une vision bien articulée de leur avenir et
un plan systématique pour atteindre leurs objectifs. »
« Une nouvelle approche des stratégies nationales de lutte contre la pauvreté »
Banque mondiale et Fonds monétaire international, 2000
L’efficacité de l’aide est devenue problématique pour les gouvernements autant que pour
les organisations non gouvernementales
(ONG). Depuis 2002, l’Agence canadienne de
développement international (ACDI) en fait
son but principal qu’elle tente d’atteindre par
la mise en œuvre de stratégies de lutte contre
la pauvreté dans les pays bénéficiaires. L’ACDI
part de l’hypothèse que l’aide gagnerait en
efficacité en étant versée à un moins grand
nombre de pays, dans moins de secteurs, à
l’aide d’un plan de développement par pays
fondé sur un cadre stratégique de lutte contre
la pauvreté (CSLP). Les stratégies de mise en
œuvre des Objectifs du Millénaire pour le
développement sont désormais rattachées aux
CSLP.
Les raisons du litige entourant les CSLP
et les plans de développement par pays
Dans les années 1990, des millions de gens
dans le monde se sont joints à la campagne du
Jubilé de l’an 2000 pour demander l’annulation
de la dette et la réforme des paradigmes de
développement avancés par la Banque mondiale
et le Fonds monétaire international (FMI). À
l’automne 1999, face aux pressions publiques,
la Banque mondiale annonçait qu’elle changeait
d’orientation. Au lieu d’imposer aux pays en
développement les très contestés programmes
d’ajustement structurel, la Banque favoriserait
l’élaboration d’un CSLP propre à chaque pays,
qui servirait de base à la réduction de la dette
et aux prêts concessionnels. En théorie, les
CSLP allaient garantir que les sommes
épargnées grâce à la réduction des paiements
de la dette serviraient à lutter efficacement
contre la pauvreté. Les institutions financières
internationales (IFI), sans modifier leurs
hypothèses économiques de base, ont finalement
reconnu la nécessité de remplacer une
approche uniforme par des plans adaptés à
chaque pays.
Beaucoup de choses dépendent de la qualité
des CSLP, notamment les espoirs et les rêves
de millions de personnes qui vivent dans la
pauvreté. Les CSLP sont-ils à la hauteur de ces
attentes ? Sinon, comment y remédier ? C’est
la question que Vision mondiale Canada se
propose d’examiner avec ses partenaires dans
quatre des pays de concentration de l’ACDI en
Afrique.
1
Le présent texte révèle l’opinion et l’expérience de Vision mondiale Canada et des partenaires ayant contribué à sa
rédaction. Les points de vue exprimés ne sont pas nécessairement partagés par l’ensemble des membres du Conseil
canadien pour la coopération internationale. Ce texte est une traduction de l’anglais.
Conter nos histoires : Tirer les enseignements stratégiques de l’expérience du développement
20
Dès le début, Vision mondiale a préconisé
l’engagement critique sur cette question, publiant
un ensemble de rapports de recherche remettant
sérieusement en cause l’approche des CSLP.
Dans ces rapports, basés sur des faits provenant
de pays en développement, Vision mondiale
recommande d’importants changements dans
le contenu et la démarche des CSLP, ainsi que
dans les cadres stratégiques macroéconomiques
des IFI, qui sont trop restrictifs à l’échelle locale.
S’ils ne changent pas, les CSLP ne permettront
probablement pas de lutter durablement contre
la pauvreté, une nouvelle fois au détriment de
l’efficacité de l’aide.
La logique inhérente aux CSLP se fonde sur la
reconnaissance que les efforts nationaux de lutte
contre la pauvreté sont du ressort de chaque pays.
Les pays comme le Sénégal et la Tanzanie, pour
être admissibles au renouvellement d’un soutien
financier et à une réduction de la dette, devaient
élaborer des stratégies détaillées basées sur une
analyse plus minutieuse de la pauvreté dans leur
pays, en plus de garantir une participation active
de la société civile et du secteur privé. Des
mécanismes de responsabilisation veillaient à
ce que les pauvres profitent de la réduction de
la dette et des nouveaux prêts. La prise en charge
locale devait permettre d’augmenter les chances
de réussite.
À mesure que les CSLP sont mis en œuvre,
d’autres critiques plus mitigées s’expriment.
Dans la société civile, certains insistent sur
leur potentiel, qu’ils se proposent d’améliorer,
mais peu ont manifesté un réel enthousiasme.
Même la Banque mondiale a publié des évaluations étonnamment critiques à l’égard des
CSLP; néanmoins, les changements proposés
dans ces documents sont pour la plupart
mineurs; le développement économique durable
n’y est pas abordé, non plus que d’autres questions
cruciales. Nombre de détracteurs jugent plus
durement les CSLP. Quatre ans après la promulgation de la nouvelle approche, le Bretton
Woods Project établi au Royaume-Uni et lancé par
des ONG en vue de promouvoir des changements
au sein des IFI, a déclaré :
Mais les IFI ont gardé la mainmise sur l’approbation finale du projet de CSLP et sur les cordons
de la bourse, sans modifier leur cadre
stratégique de politiques économiques. Les
CSLP ont donc suscité la controverse dès leur
création. Plusieurs acteurs du développement
espéraient que, pour la première fois, la prise
en charge locale donnerait la possibilité aux
populations de nombreux pays de participer
aux décisions les concernant. Mais d’autres
ont vivement critiqué les CSLP, n’y voyant
qu’une manière détournée de cacher de puissants
intérêts et d’instaurer à nouveau les programmes
d’ajustement structurel si contestés. Plusieurs
autres demeuraient sceptiques, ne voyant dans
les CSLP qu’une mode passagère ne méritant
pas leur attention.
« Le gouvernement a la responsabilité de rédiger
le document de stratégie pour la réduction de la
pauvreté et d’y intégrer les commentaires des
experts techniques et des organismes donateurs.
Dans la pratique, cela revient souvent à susciter
la “prise en charge” de politiques économiques
déjà existantes que les IFI ont normalisées et
qu’elles préfèrent. Cette contradiction inquiète
de nombreuses ONG parce qu’elle signifie que
les gouvernements optent ainsi pour des programmes dont ils savent qu’ils seront acceptés,
même si cela va à l’encontre de priorités qui ont
été déterminées dans le cadre d’un processus
consultatif. »
Les ONG pouvaient difficilement rester en
dehors du débat quand les organismes donateurs
ont pris le virage des CSLP. Les sommes libérées
par l’allègement de la dette ne suffisaient pas à
financer les plans. Des organismes donateurs,
dont l’ACDI, ont donc dû faire en sorte que
leurs programmes de développement bilatéral
se conforment aux CSLP, au nom de la prise en
charge locale, de la coordination des donateurs
et de l’efficacité de l’aide. Dans bien des cas, cela
a été fait sans remettre en cause les hypothèses
économiques de base qui sous-tendent les
décisions des IFI et qui façonnent les CSLP.
Conter nos histoires : Tirer les enseignements stratégiques de l’expérience du développement
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Première grande conclusion : pour rendre
l’aide plus efficace, il faut améliorer de beaucoup
les CSLP et les stratégies des pays donateurs.
Selon Kathy Vandergrift, directrice du projet
de recherche : « L’ACDI ne doit pas fonder son
succès sur des hypothèses à propos des CSLP.
Dans une approche plus responsable, elle doit
avoir une analyse critique et des stratégies
propres à améliorer ses plans par pays, qui
constituent maintenant la base de ses prétentions de rendre l’aide plus efficace. »
Lorsque l’ACDI a ajusté son orientation
stratégique en matière d’aide efficace sur celle
des CSLP, Vision mondiale Canada, s’appuyant
sur des rapports de recherche produits avec
ses partenaires du Sud, a émis des réserves sur
l’absence d’analyse critique et a donc décidé
d’effectuer sa propre analyse. Afin de tester
l’efficacité des stratégies par pays de l’ACDI et
l’impact des CSLP, Vision mondiale Canada a
lancé un projet d’étude participative auprès de
partenaires de quatre pays de concentration de
l’ACDI en Afrique – Tanzanie, Éthiopie,
Sénégal et Mozambique – sélectionnés pour la
variété de leurs expériences et de leurs contextes.
Vision mondiale espère tirer de ces pays des
leçons applicables à une plus grande échelle.
Il semble logique de concentrer l’aide en santé
et en éducation dans un nombre restreint de
pays, mais aucun programme sectoriel ne peut
être efficace si la stratégie nationale comporte
des lacunes importantes. Selon les témoignages
recueillis, pour rendre l’aide plus efficace, les
quatre pays doivent apporter des améliorations
dans au moins quatre secteurs.
Les leçons à tirer de
l’expérience accumulée
Par son expérience terrain, Vision mondiale
contribue au débat sur l’efficacité de l’aide au
moyen des plans des pays donateurs et des
CSLP. Ses partenaires du développement dans
les quatre pays examinés ont pris part dès le
début au processus des CSLP et ils sont
demeurés associés de diverses façons à la mise
en œuvre des programmes et au travail visant
directement les communautés pauvres. Selon
les témoignages de partenaires et de leaders
communautaires, les CSLP font sentir leurs
effets dans trois domaines : la gouvernance,
l’éducation, et le bien-être économique des
pauvres. On retrouve dans chaque pays étudié
le même souci à l’égard du sort des femmes.
Renforcement des liens entre les politiques
nationales et les programmes locaux
« Quand je demande au gouvernement combien
il a dépensé en santé, il me répond, déclare un
Tanzanien, mais si je demande combien a été
versé à ma communauté et dans quels buts, il
ne répond pas. Le manque de transparence du
gouvernement me fait douter de l’impact du
CSLP. »
Un des défis majeurs des CSLP est leur mise en
œuvre efficace et la capacité de rendre compte
à l’échelle locale. Ainsi, au Sénégal, la population
semble moins sensibilisée et engagée dans la
démarche du CSLP. À l’échelle nationale, des
groupes de la société civile participent activement,
avec le gouvernement, aux débats sur les priorités
et les orientations stratégiques du CSLP. Cette
participation, bien que non négligeable, ne
remplace pas la consultation directe auprès
des pauvres qui sont directement touchés. Le
savoir et la capacité analytique des organismes
de la société civile, à l’échelle nationale, doivent
En plus des témoignages, Vision mondiale a
mené deux études de cas approfondies sur
l’enseignement à l’échelle locale : l’une en
Tanzanie et l’autre au Mozambique. Ces études
font ressortir des similitudes, mais également
d’importantes différences. (Voir à la page 30
les données recueillies lors de l’étude de cas
menée en Tanzanie.)
Conter nos histoires : Tirer les enseignements stratégiques de l’expérience du développement
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être combinés à l’expérience terrain des
organismes communautaires et des ONG qui
travaillent dans les villages pauvres. Cela est
essentiel si l’on veut mieux sensibiliser les gens
au CSLP et les inciter à participer à la surveillance
et à l’évaluation de ses éléments spécifiques.
Comme chacun le sait au Canada, la décentralisation est une épée à double tranchant. S’il est
vrai que « small is beautiful », le pouvoir peut
néanmoins s’en trouver dilué. En premier lieu,
les politiques de décentralisation, en transférant
des responsabilités aux échelons inférieurs,
peuvent permettre au gouvernement national
d’abdiquer ses responsabilités face aux
secteurs clés de lutte contre la pauvreté. De plus,
l’uniformité des normes et des services pourrait
s’en ressentir à travers le pays. En Éthiopie,
par exemple, les intérêts particuliers des
administrations régionales peuvent porter
préjudice à l’élaboration, à la qualité et aux
résultats des programmes. Il n’est pas garanti
que ces administrations répondront mieux aux
besoins des communautés. Enfin, la capacité
des administrations locales et régionales doit
être considérablement renforcée au chapitre
de la connaissance et de l’administration des
programmes.
Au Mozambique et en Tanzanie, les groupes de
la société civile jugent déficientes la réponse des
programmes de CSLP à l’échelle communautaire
et leur capacité à rendre des comptes. Les projets
de CSLP viennent d’en haut et souvent, ils
s’adaptent mal aux situations locales. Quand
les ONG et les groupes communautaires se
tournent vers l’administration locale pour
superviser la progression des programmes de
CSLP dans leurs communautés, ils découvrent
que les représentants locaux sont souvent mal
renseignés et ne connaissent pas le CSLP.
Dans les deux pays, les administrations locales
sont dans une large mesure gardées à l’écart du
processus du CSLP. Au Mozambique, le CSLP
est officiellement lié au gouvernement central
plutôt qu’aux administrations locales. La Tanzanie
s’est dotée d’un plan de décentralisation, mais
sa mise en œuvre manque de volonté politique;
il en résulte une participation très irrégulière à
l’échelle locale.
Quel que soit le niveau de responsabilité gouvernementale dans la mise en œuvre des CSLP,
la participation et la responsabilité locales
doivent être accrues. On ne doit pas se servir
des villages comme de moyens pour s’assurer
que l’argent des CSLP est dépensé de la façon
dont quelqu’un de l’extérieur en a décidé. Les
conditionnalités strictes que l’on a imposées
de l’étranger n’ont pas fonctionné quand elles
émanaient de la version du consensus de
Washington lié à l’ajustement structurel. Il est
peu probable qu’un consensus « de Maputo,
ou de Dakar » soit plus efficace à l’échelle des
communautés locales.
En Éthiopie, bien que le processus du CSLP
soit officiellement décentralisé au profit des
administrations régionales, les ONG doutent
de la capacité à réaliser le CSLP. Ainsi, une
ONG œuvrant surtout dans la santé a déclaré
être en faveur de la décentralisation des
dépenses à l’échelle des woredas (districts),
mais a dit que cela comportait des risques :
Les personnes les plus touchées doivent pouvoir
participer aux décisions qui concernent la
bonne marche de leur village. Elles doivent
également avoir droit au chapitre en matière
de gestion des nouveaux programmes. Il s’agit
« La capacité technique est très restreinte à
l’échelle des districts. Plusieurs intervenants
du secteur de la santé craignent que les leaders
des districts établissent leurs priorités au
détriment de la santé… »
Conter nos histoires : Tirer les enseignements stratégiques de l’expérience du développement
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non seulement d’une question de principe
démocratique, mais aussi d’une manière de
stimuler l’efficacité en permettant à la population
locale de faire savoir si les programmes sont
inefficaces, et de proposer des programmes de
rechange innovateurs.
soutenues par l’État : la production d’arachides
et l’approvisionnement en électricité. Aucune
étude d’impact sur les pauvres n’avait pourtant
été effectuée.
Vision mondiale conclut dans son étude :
« Aucun effort ne semble avoir été fait pour
harmoniser les nouvelles conditions du prêt
avec les prochaines orientations du CSLP. »
Comme l’a dit l’une des personnes interrogées :
« On doit considérer les pauvres non pas
comme les bénéficiaires des programmes gouvernementaux ou des consommateurs, mais
comme des citoyens actifs, des collaborateurs
et des intervenants solidaires. Il faut mettre en
valeur leurs compétences afin de les amener à
influencer, à s’engager et à tenir responsables
les institutions avec lesquelles ils interagissent. »
La principale récolte au Sénégal, c’est l’arachide.
Or, deux années plus tard, l’examen de l’industrie
de l’arachide au Sénégal montre que la privatisation forcée, sans égard relativement aux
répercussions sur les producteurs, accroît en
fait la pauvreté au lieu d’améliorer les conditions
de vie. Le CSLP proposait une diversification
vers la culture du yucca et du maïs, qui sont
plus longs à générer des profits, mais aucune
stratégie de transition n’a été mise en œuvre.
De plus, l’infrastructure, essentielle au développement de l’agriculture, demeure insuffisante.
Entre-temps, le gouvernement a convaincu les
exploitants agricoles de vendre leurs arachides
aux acheteurs officiels, en échange d’obligations.
Lorsque par la suite les acheteurs ont fait
défaut, les petits producteurs ont subi d’énormes
pertes. Le gouvernement, à court d’argent, devait
verser des subventions. La confiance entre
celui-ci et les exploitants agricoles s’est
atténuée, et plusieurs d’entre eux préfèrent
dorénavant éviter les acheteurs officiels et
vendre directement aux marchés informels.
Les stratégies de développement économique
doivent viser l’atténuation des inégalités
aussi bien que la croissance nationale
On a lancé les CSLP en promettant ce que les
IFI ont appelé une « croissance favorable aux
pauvres ». Mais, selon les partenaires des quatre
pays, ces stratégies économiques comportent
plusieurs lacunes. Un examen plus approfondi
révèle la similitude entre ces stratégies et les
programmes d’ajustement structurel, qui étaient
contestés et auxquels les CSLP devaient remédier.
Au Sénégal, comme dans la plupart des pays en
développement, l’amélioration des conditions
de vie des pauvres passe par le développement
du secteur agricole. Malheureusement, en
rédigeant son document de stratégie pour la
réduction de la pauvreté, le Sénégal a omis
d’élaborer une stratégie agricole détaillée.
D’autres décisions prises au même moment
ont eu des retombées négatives sur l’agriculture.
Dans une étude plus récente intitulée Masters
of Their Own Development et qui porte sur les
CSLP, Vision mondiale décrit comment, en pleine
discussion sur le CSLP et sans consultation, le
FMI a octroyé au gouvernement sénégalais des
prêts importants assortis de conditions, dont
la privatisation de deux importantes industries
Dans ce cas, l’ironie est que les outils devant
servir à une croissance axée sur le marché ont
forcé les gens à délaisser le marché officiel
pour retourner à un mode informel de survie,
au détriment des plans de développement
communautaire. L’autre ironie c’est que par la
suite le Centre de recherches pour le
développement international du Canada et le
Centre de recherches économiques appliquées
de Dakar ont simulé une évaluation des
impacts sur la pauvreté; la simulation démontre
une baisse probable des profits des exploitants
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Dans les quatre pays, les stratégies d’emploi
pour les pauvres, dont les jeunes, semblent
avoir été négligées. Les études du Programme
des Nations Unies pour le développement qui
rapportent les succès du développement dans
huit pays d’Asie soulignent toute l’importance
de telles stratégies pour rompre le cycle de la
pauvreté. Les partenaires de Vision mondiale
des quatre pays africains ont exprimé leur
inquiétude face aux masses de jeunes qui n’ont
pas reçu suffisamment d’attention lors de
l’élaboration de leur CSLP.
d’arachides et une aggravation de la pauvreté des
ménages qui dépendent indirectement de l’agriculture. Ces préjudices auraient pu être évités.
En Éthiopie, où la sécurité alimentaire pose plus
ou moins problème de façon chronique, des
groupes locaux disent que le plan de développement axé sur l’agriculture, qui fait partie du CSLP,
n’est pas assez mis en valeur. Ainsi, des
exploitants agricoles participant à un programme
de relocalisation ont été envoyés sur des terres
qui ne se prêtaient pas à l’irrigation. Dans une
perspective de développement durable au sein
du CSLP, il faudra s’attaquer sérieusement à ce
grave problème en Éthiopie.
La reddition des comptes aux pauvres,
l’accès à l’information et la participation
des citoyens
En Tanzanie, on a maintenu les frontières
ouvertes aux investissements, entraînant une
exploitation forestière incontrôlée dans certaines régions du pays et une réduction des
nappes phréatiques locales. Cette diminution
de l’approvisionnement en eau portera aussi
préjudice aux femmes, chargées d’aller
chercher l’eau. On n’a pas inclus les femmes
lors des consultations du CSLP, or beaucoup
parmi elles vivent dans la pauvreté. Leur participation aurait peut-être permis de constater
toute l’ampleur des répercussions de ces choix
économiques. L’exploitation forestière contribue
à la croissance nationale, mais elle complique
également la vie de certaines femmes démunies.
IFI, donateurs, ONG et groupes communautaires :
tous les participants croient que la surveillance
et l’évaluation des CSLP vont accroître la reddition
des comptes et garantir une utilisation efficace
des fonds. Pour que les collectivités puissent
tenir les administrations responsables de la
mise en œuvre des programmes, on a proposé
la préparation d’un bilan communautaire et
d’autres méthodes. Mais dans les faits, il reste
beaucoup à faire dans les quatre pays en
matière d’obligation de rendre compte et de
transparence dans la mise en œuvre du CSLP.
Dans un premier temps, il est essentiel que
des données faciles à comprendre soient
largement diffusées.
En général, suggèrent les partenaires de
recherche, en matière de lutte contre la pauvreté
les privatisations forcées et la libéralisation du
commerce sont contre-productives. Il est
essentiel d’évaluer les impacts sociaux et
d’établir des stratégies de transition. Au lieu
de fonder le CSLP sur des hypothèses, on doit
associer plus efficacement les producteurs
pauvres à l’élaboration de stratégies réalistes
de développement économique. Les stratégies de
développement économique qui fournissent
des moyens de subsistance aux pauvres sont
essentielles pour que les investissements en
santé et en éducation de l’ACDI soient efficaces
et durables.
Au Sénégal, par exemple, où un comité intersectoriel est censé mettre en œuvre le CSLP, il
est de notoriété publique que les ministères
représentés se préoccupent uniquement des
intérêts de leurs secteurs respectifs, au détriment
d’une stratégie cohérente et unifiée de lutte
contre la pauvreté. Pire, il n’existe aucun outil
de contrôle et d’évaluation à l’échelle communautaire. Mis ensemble, ces deux facteurs
nuisent à une surveillance et à une évaluation
efficaces du CSLP par la société civile.
En Tanzanie, la société civile a peu participé à
l’élaboration des lignes directrices et au suivi
des dépenses publiques. Bien que les mon-
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société civile croit encore en l’importance de
cette influence sur les décisions en matière de
développement. Il est également clair que les
groupes de la société civile désirent la prise en
charge des projets de développement.
tants globaux des dépenses soient disponibles,
les données spécifiques sur des villages
demeurent confidentielles.
Il existe des problèmes similaires en Éthiopie.
Quand on leur demande quels effets a eus le
CSLP, les gens disent trouver difficile d’en
évaluer l’impact dans différents secteurs en
raison du manque d’ouverture du gouvernement. Lors du dernier rapport d’étape annuel,
ni les communautés ni les groupes qui travaillent
avec les pauvres n’ont été consultés. En lisant
ce rapport, les ONG ont relevé de nombreuses
incohérences et d’importantes lacunes. De plus,
les données d’étape fournies étaient cumulatives
dans certains secteurs, masquant d’importants
écarts et différences entre les populations,
notamment les répercussions selon le sexe. Il est
donc difficile d’établir si, aux yeux des pauvres
eux-mêmes, le CSLP améliore réellement leur
sort, puisqu’ils n’ont pas été consultés.
La prise en charge demeure un objectif insaisissable. Si les organismes donateurs sont
réellement dévoués à la prise en charge locale,
ils doivent trouver des façons de renforcer la
capacité des citoyens de tenir leur gouvernement
responsable.
Des politiques macroéconomiques plus
souples de la Banque mondiale et du FMI
Se fondant sur les débuts difficiles des CSLP
dans des pays comme le Sénégal, nombre de
critiques prétendent que les CSLP n’ont pas
modifié les relations entre les IFI et les gouvernements – malgré l’apparence trompeuse, il s’agit
toujours des mêmes remèdes. Selon tous les
rapports de recherche de Vision mondiale,
une partie du problème réside dans le fait que
les politiques macroéconomiques sont encore
conçues en dehors du processus des CSLP, en
contradiction avec l’objectif principal de prise en
charge locale. Selon Vision mondiale et d’autres
organismes, même les parlements des pays en
développement demeurent souvent dans l’ignorance quant aux conditions négociées avec les
IFI en ce qui concerne les prêts importants. Les
personnes censées prendre en charge les plans
de lutte contre la pauvreté ne sont donc pas
informées de la teneur de ces conditions, qui
ont pourtant des répercussions majeures sur la
lutte contre la pauvreté.
Les CSLP étaient censés accroître la prise en
charge du développement à l’échelle locale.
Les détracteurs des IFI et des agences de
développement des pays donateurs ont déjà
souligné avec justesse que les programmes de
développement sont axés sur les intérêts des
donateurs. Ils ont aussi pris à partie les ONG
internationales dont les projets obéissaient
non pas aux besoins déclarés des personnes
concernées, mais aux directives de leurs
bureaux principaux à l’étranger.
Concernant le rôle des donateurs, les partenaires
de Vision mondiale interrogés dans le cadre de
l’étude ont proposé à maintes reprises que les
donateurs usent de leur influence auprès des
gouvernements nationaux pour inciter à une
plus grande transparence envers les citoyens,
à une meilleure écoute de la population locale,
et à des mécanismes permettant au CSLP de
répondre plus efficacement aux besoins
locaux. Il se peut que les donateurs aient une
certaine influence sur les gouvernements; il
est frappant toutefois de constater combien la
Cette année, Vision mondiale a été étonnée
d’apprendre que la Banque mondiale, au terme
de son évaluation des CSLP, reconnaissait
dorénavant la nécessité de remplacer la consultation par une réelle participation. Mais la Banque
ne remet pas pour autant en question son propre
mécanisme de décisions macroéconomiques,
dont dépend l’ampleur de la lutte contre la
pauvreté dans les pays en développement.
Conter nos histoires : Tirer les enseignements stratégiques de l’expérience du développement
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Dans son évaluation, la Banque recommande
notamment l’élargissement du dialogue entre
les parlements et les groupes de la société
civile, en matière de lutte contre la pauvreté.
Mais elle ne préconise pas une plus grande
transparence, ni même un dialogue élargi,
dans le secteur le plus directement sous son
contrôle : les politiques macroéconomiques
inscrites dans ses contrats de prêts.
Les alliances stratégiques en matière
d’analyse politique et de plaidoyer
À la suite de ce projet de recherche, Vision
mondiale épouse de plus en plus une approche
axée sur les alliances stratégiques, dans le
cadre de son travail en matière de politiques et
de plaidoyer. Dans le milieu des ONG, il est
beaucoup question des relations entre les
partenaires du Sud et du Nord en matière de
choix des programmes et des politiques que
les ONG vont promouvoir. Selon certains, les
ONG du Nord devraient transmettre les messages
de leurs partenaires du Sud, afin de promouvoir
efficacement les questions de développement.
D’autres prétendent que les partenaires du Nord
devraient simplement donner l’occasion aux
partenaires du Sud d’entreprendre un dialogue
avec les organismes donateurs, et ainsi de suite.
La Banque et le Fonds doivent faire preuve de
plus de souplesse en matière de politiques
macroéconomiques. Le Canada pourrait les
inciter à faire des changements significatifs,
en utilisant ses bons offices et son statut de
membre du conseil des IFI. Il serait utile,
aussi, de soutenir la recherche indépendante
sur l’impact des politiques macroéconomiques
sur la pauvreté des ménages, ainsi que la recherche
et l’analyse d’autres modèles. En effet, si le
développement ne doit pas être envisagé de
manière uniforme, il est absolument essentiel
de disposer de politiques concrètes de
rechange permettant une croissance qui
favorise les pauvres.
En plus de faire la recherche avec ses partenaires,
Vision mondiale a tenté d’établir des alliances
stratégiques tirant profit de la capacité de chaque
partenaire à défendre des causes communes
dans son propre pays. Ainsi, nos partenaires
en Tanzanie et au Mozambique, qui ont étudié
les répercussions des CSLP dans le secteur de
l’éducation, se sont servis de ces études dans
leur travail de plaidoyer afin d’améliorer la
mise en œuvre et la révision des plans de
développement de leur pays.
Selon Kathy Vandergrift, « les Canadiens,
forts de leur expérience en matière de lutte
contre le déficit, comprennent l’importance
d’un débat public sur la situation financière,
afin que la population appuie les choix difficiles
ayant une incidence sur la vie des gens. Nous
ne devons pas laisser notre agence donatrice,
l’ACDI, se faire la complice de plans de
développement qui excluent les citoyens des
pays en développement d’un processus égalitaire
de participation à la gestion de leur pays. » Ce
projet de recherche a incité Vision mondiale à
demander au ministre canadien des Finances
de faire usage de la position du Canada au conseil
de la Banque mondiale pour faire changer de
façon significative l’approche de la Banque en
matière de CSLP.
En même temps, à titre d’ONG canadienne,
Vision mondiale Canada amorce un échange
avec l’ACDI pour que celle-ci améliore sa
façon d’élaborer ses stratégies par pays. « Les
citoyens canadiens, explique Kathy Vandergrift,
ont besoin de s’approprier les politiques
fédérales qui concernent d’autres pays. Cette
recherche nous aide à saisir les impacts des
grands principes de notre politique d’aide
internationale, et à recommander des changements dans la politique de développement
canadienne. »
Conter nos histoires : Tirer les enseignements stratégiques de l’expérience du développement
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pauvreté, ou à des analyses indépendantes sur les
liens entre les décisions macroéconomiques et
la pauvreté des ménages, par souci de trouver
des politiques économiques mieux adaptées
aux réalités locales. Dans le même ordre d’idées,
l’ACDI pourrait collaborer avec les réseaux
nationaux et internationaux d’ONG de développement, qui encouragent la participation
active des citoyens à la surveillance et à la révision
des politiques et des programmes des CSLP.
Comment procéder autrement, pour un
pays donateur comme le Canada ?
Les nouvelles modalités de l’aide, que l’ACDI a
adoptées sans une analyse critique suffisante,
sont dorénavant inscrites internationalement
dans la Déclaration de Paris sur l’efficacité de
l’aide au développement, adoptée en mars 2005.
Les plans de développement par pays et les
CSLP constituent les pierres angulaires de ces
nouvelles orientations. Il importe donc que le
Canada s’affaire à améliorer les fondements de
sa stratégie en matière d’efficacité de l’aide.
Le second mécanisme accessible aux donateurs
consiste à accorder plus d’importance aux droits
de la personne dans le processus du CSLP. Les
conventions internationales sur les droits de
la personne mettent l’accent sur les populations,
ce qui est essentiel pour la lutte contre la pauvreté.
Et les pauvres et les personnes vulnérables ont
le droit de participer aux décisions qui les
concernent. Nombre des facteurs traités dans
les CSLP sont abordés dans les conventions
existantes sur les droits économiques et sociaux,
lesquelles offrent une base de discussion entre
le pays donateur et le pays bénéficiaire, puisque
tous deux ont signé lesdites ententes internationales. Si un CSLP prenait en considération
les engagements en matière de droits de la
personne et aidait le pays en développement à
honorer ses engagements, cela renforcerait le
rôle des personnes touchées, sans crainte
d’interférence politique abusive par le gouvernement donateur.
Par ses recherches, Vision mondiale a défini
deux grandes orientations de changements. La
première concerne la bonne gouvernance, qui
se retrouve à la tête des priorités de la politique
étrangère canadienne. En ce moment, on met
l’accent principalement sur le renforcement
de la capacité technique des ministères en
matière de prestation de services et de gestion
des finances. L’ACDI doit fournir un meilleur
soutien aux mécanismes de responsabilisation
des citoyens, dans le cadre des plans de
développement par pays. On entend par
responsabilisation l’obligation de rendre
compte aux citoyens d’un pays, plutôt qu’aux
organismes donateurs. L’ACDI pourrait
notamment soutenir les projets qui renforcent
les processus démocratiques, tels les mécanismes
permettant aux citoyens de nouer le dialogue
avec les parlementaires quant aux priorités du
CSLP, ce qui peut se faire sans intervenir sur le
contenu des échanges. D’après les renseignements recueillis par Vision mondiale Canada
dans les quatre pays, le renforcement des
processus démocratiques est politiquement
moins contraignant que la pratique actuelle qui
vise à influencer les décisions des responsables
ministériels sans rendre compte à la population.
Conformément au leadership exercé par le
Canada sur les droits des enfants, on peut
examiner le rôle que pourrait jouer la
Convention relative aux droits de l’enfant. Dans
chacun de ces quatre pays, plus de la moitié de
la population a moins de 18 ans. La Convention
offre un cadre particulièrement holistique
pour le développement. Elle comprend des
dispositions visant une réalisation progressive,
qui favorise un progrès continu qui ne suscite
pas d’attentes irréalistes.
Des projets émanant des citoyens pourraient
contribuer à l’élaboration de stratégies d’emploi
concrètes pour les personnes en situation de
Conter nos histoires : Tirer les enseignements stratégiques de l’expérience du développement
28
outils d’évaluation d’impact et des mécanismes
de surveillance, afin de s’assurer que les
stratégies de lutte contre la pauvreté accordent
une importance suffisante aux droits des
enfants, dans les pays où les enfants constituent
la majorité de la population. Le Canada pourrait
aussi faire montre de leadership en menant
une campagne afin que les IFI aident – au lieu
d’entraver – les pays en développement à
respecter leurs engagements en matière de
droits de la personne.
En 2002, le Canada, de concert avec d’autres
membres des Nations unies, a adopté un plan
d’action international pour défendre les droits
des enfants, intitulé Un monde digne des enfants.
On y prône des plans d’action nationaux avec
des buts et objectifs plus spécifiques, l’intégration desdits buts aux CSLP et l’engagement
« d’accroître les capacités des communautés
en matière de suivi, d’évaluation et de planification ». Le plan d’action national du Canada,
approuvé par le Cabinet en avril 2004, comprend
des engagements internationaux pour chacune
de ses principales thématiques – renforcer les
communautés, promouvoir la vie saine, mettre
les enfants à l’abri du danger et promouvoir
l’éducation et l’apprentissage. De plus, le Canada
s’engage à suivre une approche axée sur les droits,
dans le cadre de son travail auprès des enfants.
dans chacun de ces quatre pays,
plus de la moitié de la
population a moins de 18 ans.
En résumé, pour rendre l’aide plus efficace, un
CSLP doit lier la politique nationale aux
programmes locaux. Les stratégies de
développement économique doivent s’attaquer
autant aux inégalités qu’à la croissance
nationale. Il faut resserrer l’obligation de rendre
compte aux pauvres, l’accès à l’information et
la participation des citoyens. Le Canada et les
autres pays donateurs doivent se servir de leur
influence pour inciter les IFI à adopter des
politiques macroéconomiques plus souples.
C’est un défi de taille. Mais le Canada peut
contribuer énormément en se mettant à l’écoute
de ceux qui vivent dans la pauvreté, en soutenant
des mécanismes de responsabilisation des
citoyens et en s’assurant que les CSLP tiennent
compte des droits de la personne.
Le Canada doit veiller à ce que les CSLP soient
conformes aux engagements qui ont été pris à
l’égard des enfants du monde entier dans Un
monde digne des enfants, Un Canada digne des
enfants et autres documents semblables.
L’ONG allemande Kindernothilfe a publié
récemment une recherche intitulée Les CSLP
occultent-ils les droits des enfants qui travaillent ?,
selon laquelle les CSLP tiennent rarement
compte des droits des enfants, notamment
ceux qui travaillent. La relation entre l’éducation
et les moyens de subsistance des jeunes est au
cœur d’une lutte efficace contre la pauvreté.
L’ACDI pourrait tout d’abord concentrer ses
efforts dans les pays où les jeunes constituent
plus de la moitié de la population.
Si le Canada veut être le chef de file dans la
promotion des droits de l’enfant, il pourrait,
de concert avec d’autres pays, élaborer des
Conter nos histoires : Tirer les enseignements stratégiques de l’expérience du développement
29
d
d
d
d
L’éducation et la lutte contre la pauvreté en Tanzanie
« Dans ces conditions difficiles, j’ai besoin de connaissances en production
agricole et en entrepreneuriat. Avec de la chance, nos enfants réussiront mieux
que nous. En attendant, ils doivent maîtriser cet environnement difficile. »
Ramadhani, personne interviewée en Tanzanie
partagions la classe avec des élèves de 2e année.
Lorsque le professeur enseignait aux élèves de 2e
année, nous restions en classe… car nous ne
nous sentions pas plus savants qu’eux… Je ne me
rappelle plus combien d’élèves savaient lire dans
ma classe. Moi, j’ai appris à écrire par moimême, après mes études… parce que je voulais
faire des affaires… Seuls les professeurs possédaient des livres… Chaque classe comptait
environ 20 élèves… Parfois, seulement 5 élèves
se présentaient en classe… »
Vu la grande importance accordée à l’éducation dans la lutte contre la pauvreté, il faut
prêter attention aux témoignages de gens
comme Ramadhani, qui savent d’expérience
que l’éducation, pour être efficace, doit être
liée à d’autres facteurs.
Comme beaucoup d’autres de ses pairs,
Ramadhani a étudié sept ans à l’école primaire
de Gendagenda, dans le district de Handeni de
la région de Tanga, en Tanzanie. Il espérait
ainsi bénéficier des privilèges et des possibilités
que confère l’éducation.
Depuis que Ramadhani a obtenu son diplôme
en 1984, son école s’est sensiblement
améliorée. Dans le cadre du plan de
développement de l’éducation primaire (PDEP),
l’école compte maintenant cinq nouvelles
salles de classe et quatre enseignants plutôt
qu’un seul. Les inscriptions dans les classes de
premier niveau sont passées de 30 à 90 en une
année. Les manuels scolaires et les livres de
référence seront bientôt disponibles pour tous
les élèves.
Mais lorsqu’on lui demande si son éducation
primaire lui a été utile, il répond avec une franchise désarmante : « Cela ne m’a servi à rien. »
Cette admission a piqué la curiosité de ceux
qui étaient assis dans le logement improvisé
que les villageois de Gendagenda appellent un
dispensaire. Ils s’adressaient à un homme
costaud en haillons. Il était nu-pieds, mais ses
yeux brillaient d’espoir. Voici un extrait de son
témoignage :
L’un des élèves parmi les 17 de la 7e année, qui
a réussi l’examen et obtenu son diplôme, n’a pu
obtenir une place à l’école secondaire. La situation
ne s’est donc pas beaucoup améliorée, comparée
à deux autres écoles du même district, situées
dans un secteur plus « urbain ». À l’école
Mzundu, 12 élèves ont été sélectionnés pour
accéder au secondaire, tout près. À Mumbwi, 5 des
9 élèves qui ont réussi leurs examens ont été
sélectionnés pour le secondaire. Les résidents
« L’école comptait trois salles de classe et un seul
professeur. Nous nous rendions à l’école vers les
10 h, après avoir travaillé au moins quatre heures
à la ferme familiale. Le professeur se présentait
habituellement à la même heure, car lui aussi
devait s’occuper de sa propre shamba… Deux
classes se donnaient à la même heure, dans la
même salle. Je me rappelle qu’en 6e année nous
Conter nos histoires : Tirer les enseignements stratégiques de l’expérience du développement
30
compte du statut social, l’amélioration de la
formation et des conditions de vie des
enseignants, et plus d’écoles secondaires.
Selon eux, la participation de la communauté
au programme éducatif est essentielle pour
modifier le comportement social qui empêche
les filles de finir leurs études. Ils identifient aussi
la nécessité de lier l’amélioration de l’éducation
à de meilleures possibilités économiques locales,
afin d’améliorer les moyens de subsistance.
de l’endroit apprécient cette amélioration,
mais ils réalisent que c’est encore insuffisant
pour atteindre les objectifs de lutte contre la
pauvreté grâce à l’enseignement.
Voici comment le président du comité scolaire
local décrit la situation :
« Il est malheureux que tous ces changements
aient si peu d’impact sur la fréquentation scolaire
et la pauvreté vécue au quotidien par la population
locale. S’ils contribuent en plus grand nombre
à accroître la fréquentation scolaire, les villageois
n’en sont pas moins confrontés à des conditions
difficiles de production alimentaire et à une
pénurie d’activités générant des revenus; c’est
pourquoi à la moindre occasion ils laissent
leurs filles et leurs garçons se joindre à ces
activités au lieu d’aller à l’école. C’est
d’ailleurs la raison pour laquelle la distribution
des repas du midi est un échec. Des jeunes de
6 et 7 ans de deux villages avoisinants se
retrouvent de longues heures sans manger… dans
des écoles satellites ? Où sont les enseignants ? »
Des communautés telles que Gendagenda exigent
une approche plus holistique de la lutte contre la
pauvreté. Ainsi, le jour où les élèves d’aujourd’hui
deviendront les décideurs de demain, ils sauront,
mieux que Ramadhini, mesurer l’importance
de l’éducation pour lutter contre la pauvreté.
d
Comment cette situation a-t-elle évolué ? Et quel
a été l’impact du CSLP en Tanzanie ?
Au fil des ans, afin d’améliorer la qualité de vie
de ses habitants, la Tanzanie a énormément
investi dans des stratégies orientées vers la
garantie du minimum vital. Le gouvernement
préconise notamment une éducation primaire
universelle et des soins de santé primaires au
niveau communautaire. Les succès observés
dans les années 1970 en éducation, en santé et
dans la prestation d’autres services sociaux
n’ont pas duré. Pris dans l’étau de la dépression
économique internationale du début des
années 80, le pays a traversé de graves difficultés
macroéconomiques, qui ont entraîné la détérioration générale des services publics. Les
politiques d’ajustement structurel du FMI et
de la Banque mondiale adoptées par la suite
ont éliminé progressivement les politiques axées
sur le bien-être, afin de favoriser l’instauration
d’une économie de marché, alors perçue comme
le remède à la crise économique. En éducation,
les politiques d’ajustement structurel préconisaient le partage des coûts, le retrait du soutien
gouvernemental au système d’éducation
Cette triste situation s’explique du fait que
Gendagenda est situé à 27 km de la route principale. Officiellement, le train est le seul
moyen de se rendre au village; mais le service
n’étant pas assez rentable, il a été interrompu.
Les 21 employés des chemins de fer qui étaient
les seuls salariés du village (à l’exception des
quatre enseignants) sont en voie d’être transférés
à d’autres stations. La seule route à proximité du
village s’arrête au camp de l’armée de Mgambo;
pour atteindre le village, il faut encore franchir
une végétation dense, à pied ou à bicyclette.
Voilà qui explique en partie la pénurie d’activités
générant des revenus dans le village. Pour les
villageois de Gendagenda, la valeur de l’éducation
se mesure donc à l’aune de sa capacité à
améliorer leurs moyens de subsistance.
Les leaders communautaires proposent
plusieurs changements possibles pour le secteur
de l’éducation : un programme éducatif qui
intègre les connaissances pratiques et tienne
Conter nos histoires : Tirer les enseignements stratégiques de l’expérience du développement
31
scolarité, l’instauration d’une éducation primaire
obligatoire, l’ajout d’enseignants et de salles
de classe et la démocratisation des conseils
scolaires. Depuis les trois années de mise en
œuvre du PDEP, ce dernier a fait grimper en
flèche les inscriptions et progresser l’équilibre
garçons/filles; plus de jeunes passent du primaire
au secondaire, et la population locale s’implique
de plus en plus en éducation.
publique et une plus grande participation du
privé. Ces politiques ont-elles réussi ou échoué ?
La controverse demeure, mais après deux
décennies de néolibéralisme économique
force est de constater qu’environ le tiers des
Tanzaniens vivent encore dans la pauvreté
absolue. Vingt-neuf pour cent ne savent ni lire
ni écrire dans aucune langue. Et un plus grand
nombre encore souffrent de maladies qui
auraient pu être prévenues.
Vision mondiale Canada, en collaboration avec
Vision mondiale Tanzanie, a conçu une étude
pour déterminer les effets de ces changements
à l’échelle locale, cherchant à savoir surtout si
la hausse des inscriptions d’élèves a été
accompagnée d’une amélioration de la qualité
de l’éducation. Elles ont recueilli les données
auprès du Bureau du vice-président, du
Research on Poverty Alleviation (REPOA), de
la Economic and Social Research Foundation,
du Programme des Nations Unies pour le
développement et du ministère de l’Éducation.
Les chercheurs ont passé une semaine dans le
district de Handeni, dans la région de Tanga,
où ils ont visité trois villages : Mzundu,
Gendagenda et Mumbwi.
depuis l’instauration du cslp,
le secteur de l’éducation a subi
de nombreux changements.
Au tournant du siècle, la Tanzanie a instauré
plusieurs politiques complémentaires s’attaquant à la pauvreté et à d’autres problèmes
de développement, en particulier dans le
domaine de l’éducation, notamment un CSLP
qui visait principalement à encourager la
croissance économique, à réaliser la justice
sociale en répondant aux besoins essentiels et
à promouvoir la bonne gouvernance et la
démocratie. Depuis l’instauration du CSLP, le
secteur de l’éducation a subi de nombreux
changements visant surtout à la rendre accessible à tous, quels que soient leur situation
géographique, leur revenu, leur âge, leur sexe
ou leur capacité physique.
Depuis l’instauration du CSLP et du PDEP,
l’enseignement de base s’est énormément
amélioré dans le district de Handeni. À
Mzundu, les inscriptions pour les classes de
premier niveau ont plus que doublé en 2003,
passant de 70 à 160, s’élevant à 190 en 2004 et
devant atteindre 210 en 2005. Cette hausse
s’explique notamment par l’abolition des frais
de scolarité et des autres contributions obligatoires. Plus de parents ont donc les moyens
d’envoyer leurs enfants à l’école. Les livres
sont fournis à l’école. Quant à l’application de
la loi, les enseignants semblent mieux disposés
à gérer les listes de présences et d’absences
des élèves. Plus de parents suivent le progrès
de leurs enfants; les parents qui négligent les
avertissements d’absentéisme peuvent faire
l’objet d’action en justice.
En 2002, le gouvernement a commencé à mettre en œuvre son Plan de développement de
l’éducation primaire (PDEP) dans le cadre du
programme Développement du secteur de
l’enseignement. Le Plan de quatre ans vise
quatre objectifs : augmenter les inscriptions;
améliorer la qualité de l’enseignement en
développant le milieu scolaire et les ressources
disponibles; accroître la participation de la
population locale en éducation; et renforcer la
disponibilité financière et la gestion des
écoles. Le Plan prévoit l’abolition des frais de
Conter nos histoires : Tirer les enseignements stratégiques de l’expérience du développement
32
d’autres priorités à leurs enfants. L’émission
d’une directive gouvernementale abaissant
l’âge d’entrée à l’école des jeunes filles aidera
peut-être à résoudre le problème. Cependant,
l’éducation doit être adaptée aux besoins de la
communauté, un but qui peut être atteint en
augmentant l’implication de la communauté.
L’enseignement primaire est également plus
accessible, à la suite de la construction de nouvelles
écoles et de l’ajout de salles de classe dans les
écoles existantes. À Handeni, 72 salles de classe
ont été construites dans 22 écoles en l’espace
d’un an (depuis 2003). Le nombre de classes
ne répond toujours pas à la hausse des inscriptions d’élèves, mais c’est l’accès aux écoles
secondaires qui préoccupe le plus les personnes
interrogées dans les communautés. Deux
problèmes ont été soulevés lors des échanges :
d’une part, l’inscription dépend du nombre
d’écoles secondaires se trouvant dans une
région donnée; d’autre part, le gouvernement,
par souci d’économie, a décidé de réduire les
installations pour le logement et les repas au
secondaire. Les gens craignent que les trois
écoles secondaires de la région ne suffisent pas
à la demande. Ce problème est particulièrement
préoccupant à Gendagenda, où le seul étudiant
de 7e année à avoir réussi ses examens en 2003 n’a
pu obtenir une place dans une école secondaire.
Le manque d’installations pour le logement et
les repas complique encore plus la vie des
élèves des villages éloignés.
Un autre facteur qui contribue à maintenir aux
études les enfants est d’avoir un repas le midi.
Si un repas est servi à l’école, les enfants qui
habitent à plus de deux km seront enclins à
rester sur place. Le cas de l’école primaire de
Gendagenda est fort révélateur. Comment
desservir équitablement les enfants des trois
villages avoisinants ? Les enfants des deux villages
légèrement plus éloignés de Gendagenda
doivent marcher plus longtemps et ont tendance
à abandonner leurs études. Un programme
offre présentement un repas à l’école le midi,
avec le concours du comité scolaire. Cependant,
la plupart des parents n’ont pas participé au
programme en 2004, en raison de l’insécurité
alimentaire.
Améliorer l’infrastructure d’enseignement
n’implique pas nécessairement que la qualité
de l’enseignement s’améliore, mesurée par la
compétence des enseignants, par le taux de
réussite des écoles primaires et le nombre d’élèves
par enseignant et par salle de classe. La plupart
des villageois reconnaissent l’importance
d’une fréquentation régulière de l’école, mais
les parents ont de la difficulté à renforcer les
activités scolaires avec leurs enfants, en raison
du taux élevé d’analphabétisme chez les adultes.
Ainsi, plusieurs parents dont les enfants manquaient l’école sans arrêt ont été amenés
devant un tribunal civil local. Pour sa défense
l’un des parents a invoqué son incapacité à
déchiffrer la date sur les cahiers d’exercices de
ses enfants.
Il n’y a aucune raison de croire que la hausse
des inscriptions a été accompagnée d’une discrimination sexuelle. Aucune différence notable
n’a été observée à ce chapitre lors de l’inscription
dans les classes de 1re année à Gendagenda. En
effet, selon les dossiers, bien que les garçons
soient plus nombreux, la totalité des garçons et
des filles admissibles âgés de 7 à 8 ans étaient
inscrits en 2005. Le maintien des filles aux
études en inquiète certains, surtout dans des
cas de grossesse précoce. C’est dans une classe
de 4e année que la plupart des élèves, âgées de 10
ans en moyenne, ont dû interrompre leurs
études pour cause de grossesse. C’est plus
courant à Mumbwi, où le taux d’analphabétisme
chez les adultes est élevé et où les parents
jugent plus important que leur fille se trouve
un emploi, se marie et ait des enfants. Il faut
éduquer les parents sur l’importance de l’éducation, sous peine qu’ils continuent à imposer
Le corps enseignant s’est considérablement
enrichi, de nouvelles recrues garnissant l’effectif
réduit de plusieurs écoles. Cependant, le rapport
Conter nos histoires : Tirer les enseignements stratégiques de l’expérience du développement
33
entre le nombre d’enseignants et le nombre
d’élèves n’a pas beaucoup augmenté dans les
trois villages examinés au cours de cette étude.
À Gendagenda, qui en avait pourtant grandement
besoin, à peine trois nouveaux enseignants ont
été dépêchés au cours des trois années du Plan
de développement de l’éducation primaire. Le
gouvernement a tenté d’y transférer d’autres
enseignants, mais ceux-ci, rebutés par la pauvreté
des conditions de vie et de travail, demandent
un transfert aussitôt arrivés au village. On
compte maintenant huit enseignants à Mumbwi,
contre douze à Mzundu. Malgré cette augmentation de l’effectif, le rapport entre le nombre
d’enseignants et le nombre d’élèves n’a pas
changé, en raison de la hausse importante des
inscriptions, passées de 90 à 210 élèves
uniquement pour les classes de 1re année. Le
rapport entre le nombre d’enseignants et le
nombre d’élèves est reconnu comme un facteur
crucial pour le maintien aux études et la réussite.
Dans ces conditions, il n’est pas étonnant de
constater une augmentation si minime du taux
de réussite des examens de 7e année.
Un autre exemple du manque de souplesse et
de coordination des communautés locales
concerne la disponibilité des enseignants.
L’absentéisme des enseignants semble s’être
aggravé depuis que le gouvernement les incite
à pousser leur formation. Les enseignants de
classe B passent la majorité de leur temps à
étudier pour des examens, afin d’être promus
à la classe A et d’obtenir un diplôme.
La participation des citoyens à l’enseignement
est au cœur de la stratégie de lutte contre la
pauvreté, dont le leadership constitue un
aspect important. Or, les leaders locaux sont
portés à croire que leur rôle se limite à exécuter
les instructions du gouvernement, plutôt que
d’être à l’écoute et au service des gens. À Mumbwi,
deux professeurs de classe B étaient prêts à
donner des cours à l’école, mais l’administration
locale le leur a défendu, prétextant ne pas pouvoir
payer leur salaire. Interrogé sur le financement
du PDEP, l’enseignant a répliqué que la plus
grande partie de l’argent est assortie d’instructions précises sur la manière de le dépenser.
L’école n’a pas trouvé le moyen de dépenser
l’argent en tirant parti des ressources locales,
ce qui va à l’encontre du mandat proposé pour
le conseil scolaire soit de « préparer le
développement scolaire dans son ensemble…
pour permettre aux écoles de prendre en
charge leur développement, en tirant parti de
l’expertise locale des communautés, des élèves
et des enseignants ».
la participation des citoyens
à l’enseignement est au cœur
de la stratégie de lutte contre
la pauvreté.
Un autre facteur qui influe sur la qualité de
l’enseignement, en particulier à Mzundu, est
le mode décisionnel mal coordonné entre le
gouvernement central et les ONG œuvrant
dans les communautés, ce qui entraîne de
fréquents chevauchements. Par exemple, alors
que les ONG avaient construit des salles de
classe pour répondre aux besoins locaux,
d’autres salles de classe ont été construites
dans le cadre du PDEP, sans prendre en
compte celles des ONG. Résultat : certaines
écoles se retrouvent maintenant avec trop de
salles de cours tandis que d’autres en manquent.
L’analphabétisme chez les adultes est aussi
perçu comme un obstacle à la participation
locale. Plusieurs personnes interrogées dans
les trois villages ont émis des réserves sur la
capacité des parents à prendre des décisions
éclairées. On invite les parents aux réunions
concernant leur école, mais très peu d’entre
eux y participent. Comme il est probable que
des parents alphabétisés investissent plus
dans l’éducation de leurs enfants, et participent
activement à l’amélioration de la qualité de
l’école, l’accent mis sur l’éducation primaire
Conter nos histoires : Tirer les enseignements stratégiques de l’expérience du développement
34
doit aller de pair avec l’alphabétisation des
adultes. Cette participation limitée s’explique
aussi par le fait que les parents sont accaparés
par le travail à la ferme, qu’ils ne comprennent
pas l’importance de s’impliquer ou qu’ils se
sont sentis ignorés à leur dernière participation.
bilités, sinon à quoi bon s’instruire ? » Tous
semblent s’entendre sur le fait que c’est le
moment opportun d’envoyer ses enfants à l’école,
car les perspectives d’avenir augurent bien.
L’obligation de rendre compte n’a pas fait
l’objet de discussions, mais les chercheurs ont pu
faire quelques observations. À Gendagenda, le
président du comité scolaire cumulait également
les fonctions de président du conseil du village.
Cette situation posait problème, car d’une part le
comité scolaire doit rendre compte à la population,
en passant d’abord et avant tout par le conseil
du village; d’autre part, la personne présidant
les deux groupes se retrouvait en situation de
conflit d’intérêts. Il faut donc des mécanismes
et des contrôles entre les différents ordres de
gouvernance. Comme cette question a des
répercussions sur la démocratisation de la
gouvernance des écoles, il serait important de
réviser les lignes directrices des comités scolaires.
Défis et conclusions
d
L’expérience menée au village de Gendegenda
révèle l’ampleur des problèmes liés à l’importance de l’éducation pour la lutte contre la
pauvreté. Le cycle de la pauvreté sautait aux yeux
dans cet endroit éloigné. Sans moyen de transport
fiable, les villageois ne peuvent s’engager dans des
activités concrètes générant des revenus.
Quelques jeunes s’aventurent dans la vaste
réserve de chasse de Saadani pour attraper du
gibier ou aller chercher des produits de la mer à
Pangani, de l’autre côté de la réserve. Plusieurs
tentatives de vendre à Tanga des mangues, qui
poussent abondamment au village et dans les
environs, se sont soldées par des échecs, en raison
du peu de fiabilité du train. La circulation de
l’argent est très limitée, car seulement 25 adultes
peuvent compter sur un salaire fiable. En 2004, le
comité villageois a tenté en vain de rassembler la
somme de 600 000 TZS afin d’ouvrir un compte
bancaire pour le village. Sans ce compte, ils ne
peuvent recevoir les fonds de développement
versés par le gouvernement.
Un rapport récent sur la façon dont est perçu le
Plan de développement de l’éducation primaire, basé sur 1260 témoignages provenant
de 6 conseils, montre que 70 p. 100 des gens
sont satisfaits de l’enseignement primaire.
Mais cette satisfaction ne porte pas tant sur la
qualité de l’enseignement que sur l’amélioration
de l’infrastructure et l’abolition des frais de
scolarité. Il est indéniable que l’élimination de
la pauvreté est leur principale préoccupation.
Depuis sa fondation en 1977, ce village éloigné
manque également de services sociaux. Il n’a aucun
service de santé ni aucune source fiable d’approvisionnement en eau. En ce moment, le village
compte environ 360 ménages, dont 880 adultes
et, selon les aides en santé, 300 enfants de
moins de cinq ans. Jusqu’à il y a trois ans, l’école
ne comptait que trois salles délabrées, sans
toilette ni lavabo, et les nouveaux enseignants
aussitôt arrivés repartaient par le premier
train. La population est fière d’avoir dorénavant
à sa disposition quatre enseignants, de nouvelles
salles de classe et des toilettes. Ils souhaitent
un avenir meilleur à leurs enfants, mais ils
sont encore confrontés à de nombreux défis.
Selon les personnes interrogées, la lutte contre
la pauvreté dans les régions rurales exige des
efforts concertés non seulement en éducation,
mais aussi pour répondre à d’autres besoins
comme les possibilités économiques et l’accès au
crédit ainsi que les techniques et connaissances
adaptées aux entreprises agricoles. D’ici à ce
que leurs enfants puissent jouir de ces possibilités,
il leur est difficile de porter un jugement sur la
qualité de l’enseignement offert. Selon un élève :
« l’enseignement devra offrir de telles possi-
Conter nos histoires : Tirer les enseignements stratégiques de l’expérience du développement
35
entre le nombre d’enseignants et celui des
élèves, en plus de diminuer le chômage chez
les jeunes. Plusieurs diplômés pourraient être
tentés par une carrière en enseignement,
surtout si elle est assortie d’une subvention et
d’une formation en cours d’emploi pour
améliorer leurs compétences pédagogiques.
Le gouvernement doit étendre ses services aux
écoles éloignées, réduire les distances à marcher
pour se rendre à l’école, augmenter le nombre
d’enseignants et améliorer les conditions de vie.
Il faut développer des activités générant des
revenus, de concert avec les écoles, afin de
renforcer les liens entre la communauté et l’école
et de favoriser une plus grande prise en charge
communautaire de la bonne marche de l’école.
Même si l’ensemble de la communauté est
concerné par l’enseignement, la façon dont
chaque intervenant peut jouer un rôle dans
son amélioration n’est pas encore claire. Il faut,
au moyen de discussions, mieux définir les
rôles que chacun est appelé à jouer au sein des
communautés afin d’assurer une gouvernance
productive en matière d’éducation et de prise
en charge par les villageois.
Un autre important défi sera de changer la
division hommes/femmes liée au travail et aux
perceptions du rôle que filles et garçons
doivent respectivement jouer dans la société.
On a suggéré qu’une partie des programmes
officiels d’enseignement du CSLP – la distribution des manuels et des livres de référence
et l’éducation non institutionnelle – serve à
changer la mentalité des gens relativement à
l’équité des sexes. Les activités qui assignent
des rôles spécifiques à chaque sexe doivent
être retirées du programme éducatif.
Les objectifs du CSLP en Tanzanie sont
louables en ce qui a trait à l’amélioration de la
qualité de l’enseignement et à la lutte contre la
pauvreté. Malheureusement, les inégalités, la
difficulté de s’attaquer aux problèmes à
l’échelle locale et l’impuissance à changer la
mentalité des gens sur l’éducation entravent
leur réalisation. Si l’égalité des sexes et la
qualité de l’enseignement ont progressé, ce
progrès est nuancé par les inégalités entre les
régions. Tout projet de lutte contre la pauvreté
doit être assez souple pour prendre en considération les facteurs géographiques et appliquer diverses stratégies pour tenir compte des
réalités locales. Les choses doivent changer,
comme le disait avec tant d’éloquence
Ramadhani. Ses enfants ne devraient pas avoir
à compter sur la « chance » pour avoir une vie
meilleure.
S’il est important, à cette étape, d’améliorer le
sort des jeunes filles sur le plan de l’accès à
l’emploi et d’autres activités générant des
revenus, il faut également veiller à en donner
l’accès aux jeunes garçons. Il est suggéré que
l’enseignement devrait amener tous les
enfants à prendre leur place dans la société, quel
que soit leur sexe. À cet égard, il est essentiel
d’inclure plus de connaissances pratiques
dans le programme éducatif.
Les enfants apprennent par l’exemple. Si les
enseignants ne sont pas satisfaits, il est peu
probable que l’enseignement s’améliore. Les
efforts investis pour améliorer la qualité de
l’enseignement primaire et secondaire doivent
aller de pair avec l’amélioration des conditions
de vie et de travail des enseignants. La création
d’un fonds de dotation pour les enseignants
serait un pas dans la bonne direction. On
pourrait encourager les diplômés au chômage
à entrer dans l’enseignement afin d’accroître les
effectifs. Une telle initiative réduirait l’écart
d
Conter nos histoires : Tirer les enseignements stratégiques de l’expérience du développement
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