Cocktails de fêtes sans prohibition

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Cocktails de fêtes sans prohibition
jeudi 31 décembre 2015 LE FIGARO
26
VIN
Cocktails de fêtes
sans prohibition
Les fulgurances
de Maxime Hoerth
La mixologie à la française impose
son esthétique épurée et contrastée.
l fut un temps où le cocktail nous
évoquait Cocktail, le film de Thomas Donaldson mettant en scène l’acteur Tom
Cruise en barman survolté, faisant virevolter les bouteilles de spiritueux et offrant un numéro de jonglage au New
York des années 1980. C’était l’époque
du « flair », le cocktail était alors le prétexte du show. Le barman secouait au
shaker les alcools variés, jus et sirops et
déversait les mélanges aux couleurs arcen-ciel dans des verres aux décors chargés. Les spiritueux de médiocre qualité
étaient alors masqués par des mélanges
alourdis de sucre et de fruit.
Depuis quelques années, un autre type
de cocktail émerge, loin du trop classique
mojito ou de la nourrissante pina colada.
Un retour au cocktail comme il était au
début du XXe siècle, basé sur un travail
important des produits et des mélanges.
Si le shaker a encore toute sa place, le
barman est devenu « mixologue ». Il
n’est plus acrobate mais alchimiste. Le
client est plus exigeant et son palais est
éduqué. Il ne recherche plus l’ivresse
mais le plaisir de saveurs moins excessives. Le cocktail devient alors luxe et sophistication, il s’érige en art créatif épuré, qui met en exergue des matières
premières nobles.
Les « bartenders » de la nouvelle génération cherchent à sublimer des produits
de qualité par une recherche de fond sur
les textures, la saisonnalité, l’esthétique,
et surtout les assemblages. Certains protagonistes ont une formation en cuisine
ou échangent avec les chefs des établissements auxquels ils sont liés. Cela leur
est utile à la confection des nombreux sirops, émulsions, infusions et jus qui sont
souvent faits maison. « Notre philosophie
est “moins mais mieux”, nous voulons
partager notre univers avec nos clients au
travers de souvenirs, d’émotions et d’histoires. Nous pouvons nous inspirer de ce
que l’on a goûté dans un plat, un dessert ou
encore un thé. Nous communiquons avec la
cuisine, et partageons avec elle des ingrédients encore méconnus. Ce qui nous rapproche, avec les chefs et les pâtissiers, c’est
la créativité », explique Maxime Hoerth,
le jeune et talentueux barman en chef du
bar de l’Hôtel Le Bristol, à Paris.
Des alcools oubliés
Les spiritueux représentent encore un
monde inconnu pour nombre de
consommateurs. Le bar à cocktails éduque et offre une vitrine fantastique. Le
grand choix d’alcools de terroir est valorisé par des assemblages subtils et raffinés, qui n’essaient plus de dissimuler,
avec moins de couleurs et de sucre. Les
quatre jeunes partenaires fondateurs du
Syndicat font le pari d’un bar 100 %
« made in France » pour leur établissement parisien. « Dès le début, nous avons
décidé de fuir les grandes marques pour
mieux mettre en valeur le patrimoine exceptionnel des spiritueux français. Nous
voulons amener notre génération à changer ses habitudes. En France, nos alcools
véhiculent une image vieillotte de poussecafé siroté dans un verre à ballon au coin
du feu, alors que ce sont des produits
époustouflants de modernité, issus d’un
savoir-faire et de traditions séculaires. »
Un vecteur efficace pour faire découvrir à la jeune génération des spiritueux
de haute qualité et remettre au goût du
jour les alcools oubliés. « Le goût a évolué,
la clientèle a redécouvert le cocktail grâce
Érigé en art créatif épuré,
le cocktail devient alors
luxe et sophistication.
aux bars indépendants qui ont permis de le
démocratiser, nombreux n’osant pas entrer dans les palaces. Ces bars ont eu la volonté de travailler avec des alcool haut de
gamme et tout le monde s’est mis à la
page, les établissements se sont remis en
cause », insiste Maxime Hoerth.
La mode est aux « speakeasies » - des
bars à cocktails dissimulés de la vue du
public. Leurs portes secrètes peuvent
être cachées derrière une laverie automatique, une pizzeria ou encore une
boutique, un mot de passe est parfois
demandé à l’entrée. Tout est fait pour
nous faire vivre le frisson de l’interdit de
la prohibition. Les réseaux sociaux ont
permis l’émergence de ces lieux, qui
n’ont plus besoin d’avoir pignon sur rue
pour se faire connaître. Leur ambiance
contrastée, entre spiritueux de luxe et
underground à la française, fait affluer
les Gatsby des temps modernes hypnotisés par la gestuelle élégante du bar. La
scène française du cocktail explose.
Sans copier, elle impose sa propre personnalité, dont le bon goût tient à la mesure et au décalage. Déjà bien plus
qu’une tendance. ■
VIRGINIE GARNIER
I
GABRIELLE VIZZAVONA
£@gvizzavona
Comment réaliser un très bon
cocktail ? « L’essentiel est dans
les ingrédients de qualité.
Personnellement, je travaille avec des
maisons prestigieuses mais aussi avec
des micro-distilleries qui produisent
d’excellents alcools en quantité limitée.
Et puis il faut être vigilant avec la glace,
mettre ses verres au congélateur
si nécessaire… Mais au-delà de la
précision et de toute une addition de
détails, un cocktail, c’est avant tout une
ambiance », explique Maxime Hoerth,
chef barman au bar de l’Hôtel Le Bristol,
à Paris. Traduction : un cocktail
au Bristol, c’est une somme de savoirfaire à peu près inimitable. Avant
de prendre les rênes de cette belle
adresse, le jeune homme - il a moins de
30 ans - a raflé tous les premiers prix
des grands concours de la profession,
y compris celui de Meilleur Ouvrier
de France. Il a créé ou interprété des
dizaines de recettes que l’on retrouve
notamment dans son livre Cocktails.
Des œuvres éphémères, aussi belles
que bonnes, qui répondent aux doux
noms d’Indian Bloody Mary, Good Night
and Good Luck ou Pornstar Martini.
« Beaucoup de choses stimulent mon
envie d’inventer : les saisons, les
primeurs, les couleurs, les textures,
l’atmosphère d’un lieu, une personne...
Alors je note et puis il ne me reste plus
qu’à tester. » Il reconnaît avoir un faible
pour le Old Fashioned, « parce qu’il est
infini, il se décline en centaines de
versions. On peut le faire sec ou doux.
Avec du calvados, il plaît aux femmes ;
avec des arômes de tabac, il séduit
plutôt les hommes ». S’il place son
Old Fashioned sur un piédestal,
il ne le consomme pas forcément :
« Un barman ne boit pas forcément ce
qu’il crée. D’ailleurs, je préfère les short
drinks puissants et aromatiques. »
Un curieux personnage, ce Hoerth, cool
et sérieux à la fois, bien plus artiste que
technicien, et surtout très perspicace,
un garçon dont la devise pourrait être :
« Je sais ce qu’il vous faut !»
STÉPHANE REYNAUD
Cocktails, de Maxime Hoerth,
Solar éditions, 30 €.
Quatre recettes revisitées
La première référence au champagne
cocktail date de 1862, dans l’ouvrage
phare, The Bartender’s Guide, de Jerry
Thomas, père fondateur de la mixologie.
La recette originale ne comportait pas de
cognac. En 1899, John Dougherty en
ajoute dans le cadre d’une compétition
entre barmen new-yorkais. Le 365 est
traditionnellement composé de champagne, de cognac et d’un morceau de sucre
humecté d’angostura bitters. Maxime
Hoerth, du Bristol, le recompose en y
ajoutant des saveurs hivernales de noix et
de miel.
RECETTE Remuer à la cuillère trois traits
de Black Walnut bitters avec 1,5 cl de sirop de miel - un mélange à parts égales de
miel et d’eau chaude - et 2 cl de cognac
dans un verre rempli de glace aux deux
tiers. Verser dans une coupette en filtrant, puis compléter de 12 cl de champagne blanc de blancs frappé. Décorer d’un
zeste de citron et d’une plume de paon.
Bar du Bristol, 112, rue du FaubourgSaint-Honoré (Paris VIIIe).
A
Gen tonique, le gin tonic
uLe
à la française du Syndicat
L’ABUS D’ALCOOL EST DANGEREUX POUR LA SANTÉ, À CONSOMMER AVEC MODÉRATION.
Le gin tonic fut inventé par la compagnie
anglaise des Indes orientales qui cherchait un moyen de faire boire à ses soldats
l’eau de quinine qui les protégeait contre
la malaria. Les notes du gin permettaient
d’atténuer l’extrême amertume de l’eau
tonique. La réinterprétation (photo cidessous) de Sullivan Doh, chef barman
associé du Syndicat, consiste à remplacer
le gin par deux alcools traditionnels
français : la gentiane – eau-de-vie fabriquée à partir des racines de la plante
grande gentiane que l’on trouve dans le
Jura, le Massif central et les Vosges - qui
apporte l’amertume, et le Bonal - alcool
de Chambéry issu de l’infusion de plantes de montagne, de zestes d’orange, et
de quinquina dans une mistelle (mélange de moût et
d’alcool de raisin).
RECETTE Mélanger à la
cuillère 4 cl de gentiane de
Pontarlier avec 2 cl de Bonal
et 5 cl de tonic. Ajouter une
cuillère de sucre pour atténuer un peu
l’amertume si besoin. Servir dans un
verre rempli de glaçons à moitié.
Le Syndicat, 51, rue du Faubourg-SaintDenis (Paris Xe).
le Bellini revisité
uL’Apothéose,
du bar 228 du Meurice
Pour les fêtes, William Oliveri, directeur
du bar 228 du Meurice, souhaite réinterpréter le cocktail le plus fameux de son
Italie natale : le Bellini. Ce cocktail est né
en 1948 de l’imagination de Giuseppe Cipriani, patron du célèbre Harry’s Bar de
Venise qui souhaitait rendre hommage
aux tableaux de Giovanni Bellini par la
couleur rose orangé des pêches utilisées
dans la recette, rappelant les teintes lumineuses des œuvres du peintre. Au
Meurice, le traditionnel « rossecco » est
remplacé par du champagne.
RECETTE Dans une coupe de champagne, versez 2 cl de coulis de pêche, 2 cl de
nectar d’abricot, 2 cl de Passoa, et complétez avec 8 cl de champagne frappé.
Bar Le 228 du Meurice, 228, rue de Rivoli,
(Paris Ier).
Calentita, la margarita
uLa
réinterprétée par la Mezcaleria
Ce cocktail fut créé en 1948 à Acapulco
par l’épouse d’un diplomate, Margaret
Sames, surnommée Margarita. Le couple
d’origine américaine recevait beaucoup
dans sa villa secondaire du Mexique.
Margarita créa ce cocktail à partir de ses
alcools préférés - tequila et cointreau qu’elle équilibra de jus de citron vert.
Pour revisiter la margarita, Alexandre
Terwagne souhaite remplacer la tequila
par du mezcal - spiritueux artisanal lui
aussi issu de la distillation de l’agave - et
le relever de FireBall - une liqueur canadienne de whisky et de cannelle - lui
conférant des saveurs épicées de fêtes.
RECETTE Mélanger dans un
shaker 4 cl de mezcal, 4 cl de
FireBall, 2,5 cl de jus de citron vert
et 4 gouttes de bitter Angostura
orange, verser dans un verre à
cocktail en filtrant la glace et décorer d’un zeste d’orange.
La Mezcaleria, 13, boulevard du
Temple, (Paris IIIe) ■
G. V.
DR
365, le champagne cocktail
uLe
du bar du Bristol

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