Payé pour témoigner

Transcription

Payé pour témoigner
l’imposture de l’Echo !
Se faire passer pour un témoin bidon à Ça se discute quand on a déjà piraté d’autres émissions
télé, c’est limite. Mais profiter qu’on est en direct pour balancer des propos salaces sur la
Première dame de France, là ça dépasse les bornes. Conséquence de l’imposture : Delarue se
fait remonter les bretelles par France 2, qui lui interdit à l’avenir tout sujet trash.
Le serial branleur pirate
–Je me masturbe tous les jours, parfois plusieurs fois par jour…
(ricanements du public et des invités). Delarue au public :
– Cʼest facile de ricaner, non mais… je vous en supplie…
– Oui, on peut parler sérieusement, ce nʼest pas forcément
sujet à plaisanterie.
– Quʼest-ce que vous apporte la masturbation par rapport
aux rapports à deux ?
– Je suis très cérébral…
– Donc la machine à fantasmes fonctionne à plein ?
– Ouais, ça fonctionne à plein tubes. Je peux me faire toutes
les femmes du monde…
– Hier, je me suis fait Carla Sarkozy, par exem
Gros malaise sur le plateau. Delarue reprend :
– Pas de détail, merci… tout ça est évidemmen
la télé-réalité
mple. Elle était assez chaude, dʼailleurs.
:
nt imagé, hein.
16 avril 2008. Je suis en direct sur France 2, assis
au milieu de lʼarène médiatique de lʼémission Ça se
discute. Jean-Luc Delarue fait trois pas vers moi :
– Bonsoir Fred. Vous êtes marié, vous aimez votre
femme... Vous aimez tous les deux le sexe, mais
vous faites très peu lʼamour. Pourquoi ?
Près de 3 millions de Français attendent que je leur
déballe mon intimité. Comment est-ce que jʼai atterri
dans cette galère ?
25 mars. Je viens dʼécrire le point final dʼune autofiction en bande dessinée, Pattes dʼeph et col roulé
(éditions Delcourt), où je raconte ma folle jeunesse.
Sur 130 pages, quelques-unes sont consacrées à la
branlette, activité essentielle de tout ado qui se respecte (exceptés les adolescents incultes, pour paraphraser Desproges). Et juste là, paf, je tombe sur un
appel à témoin pour lʼémission de Delarue : “Vous
préférez la masturbation à des rapports sexuels normaux ». Mon sang ne fait quʼun tour (dans mes corps
caverneux), jʼappelle Estelle de Réservoir Prod :
– Voilà, depuis que jʼai découvert la masturbation,
je nʼai jamais connu de plaisir aussi intense. Jʼy ai
dʼailleurs consacré un livre…
Ferrer le poisson
Jʼabonde en détails graveleux, elle mord à lʼhameçon. Toutes mes ex mʼont largué à cause de ma
branlomanie, sauf ma femme qui en a fait son deuil ;
je me suis même fait virer quand mon patron mʼa
surpris en flag à mʼastiquer sous mon bureau ; je suis
un cérébral, mes fantasmes seront toujours plus puissants que nʼimporte quel rapport bêtement charnel :
Bardot jeune, Priscilla vieille, des meufs avec trois
seins, des bimbos hermaphrodites... No limit ! Je fais
mon expert :
– Je peux prolonger lʼorgasme pendant des heures,
ou me faire jouir par une simple pression du doigt.
– Vous faites du tantrisme ?
– Non, de lʼonanisme. (Ça la fait même pas rire).
Elle insiste pour parler à ma femme, histoire de vérifier mes dires :
– Vous savez, on tombe parfois sur des imposteurs,
on doit recouper les informations...
– Ah bon ? Bon, je vais lui demander, mais cʼest pas
gagné, elle est plutôt timide.
En effet, ma chérie refuse net. La pauvre a déjà le
mérite de supporter mes canulars continuels, mais
elle ne veut pas sʼimpliquer personnellement. Quʼà
cela ne tienne, je donne à Estelle le téléphone de
Fabrice Tarrin, mon complice dʼimpostures. Qui joue
bien le jeu, rajoute des détails truculents (« Il aime
bien demander des précisions sur lʼintimité de ma
copine, ça nourrit ses fantasmes »), et pousse la manipulation jusquʼà ajouter « Mais je sais pas si cʼest
une bonne idée quʼil passe à la télé... par rapport à
sa famille, tout ça... ».
Le poisson est ferré : elle me rappelle, enthousiaste,
me donne des précisions sur la date dʼenregistrement. Je demande :
– Cʼest en direct ?
– Ah oui, là si vous dites des bêtises, on pourra pas
vous couper, hein ! (rires)
Bon, je me fais pas trop dʼillusions. Il suffit de taper
mon nom sur un moteur de recherche, pour avoir
Le lendemain, passage au zapping de
Canal. Au Grand journal, Denisot reçoit
Raffarin.
– Jean-Pierre Raffarin, quʼest-ce que vous
retenez de ce mélange très varié ?
– Je trouve que Delarue fait un drôle de
métier.
– On a appris que le témoin serait un
imposteur…
– En plus !
la collection complète de
toutes mes farces (impostures de lʼEcho, caméras
cachées pour lʼémission
dʼArdisson, etc.) En plus,
jʼai déjà joué au témoin
bidon, notamment pour
Cʼest mon choix, également produit par Réservoir Prod, la boîte
de Delarue. La dernière
émission que jʼai couillonnée avait fait trois pages
dans Entrevue, difficile
de faire moins discret.
En plus, jʼai donné mon
vrai nom à Estelle, étant
donné quʼils vérifient
souvent les identités
avant les émissions. Il y a
une chance sur mille pour que jʼarrive
jusque devant les caméras de Ça se
discute.. À moins quʼils soient vraiment
super crétins.
Dʼailleurs, pas de téléphone la semaine suivante. Je me dis « cʼest mort »,
quand la belle Estelle (jʼai sévèrement
fantasmé sur elle entre-temps) me rappelle pour mʼannoncer que ma candidature est définitivement retenue.
Un instant, je me demande sʼils préparent pas une émission sur les imposteurs, avec un thème à la con, la
branlette, pour drainer tous les farceurs... Mais non, je suis trop parano.
Deux jours plus tard, je reçois deux
aller-retour pour Paris (sympa pour
ma chérie) et une réservation dans un
trois-étoiles.
Les coulisses de
lʼexploit
Jour J. Un taxi affrété par Réservoir
Prod me dépose devant le Studio VCF,
Plateau 900, à la Plaine-Saint-Denis.
20h, soit H moins 3. On me guide à
travers bâtiments et couloirs, jusquʼà
une salle de restauration, où quelques
convives aux allures de losers sexuels
bien castés sont déjà en train de grignoter. Je rafle quelques sandwiches
que jʼemporte dans ma loge. Beurk,
ils sont tout congelés à lʼintérieur (les
sandwiches, hein). Je suis bien décidé
à mʼisoler jusquʼà la dernière minute,
histoire de ne pas tomber sur quelquʼun qui me reconnaisse. Je me suis
laissé pousser une moustache « gayfriendly » pour changer mon apparence, mais cʼest dérisoire.
Sur la porte de la loge, une étiquette :
« Frédéric et Aude ». Voilà que rapplique une grande rouquine. Je me
lance :
– Euh... Vous allez témoigner pour
quoi ?... si cʼest pas indiscret...
– Oh, pas du tout... Je vais en parler
devant des millions de gens, alors...
La conversation prend un ton surréaliste.
Elle mʼexplique que lʼacte sexuel la
dégoûte, que son pauvre copain,
quʼelle aime pourtant, doit faire centure (de chasteté).
Je lui parle de mon cas. On se trouve
des points communs. Le serial-branleur
et la coincée du cul, on forme un beau
couple, dans notre petite loge. Je compatis intérieurement, elle a lʼair plutôt
cool comme fille. Je lui demande :
– Vous nʼavez jamais consulté un psychologue ?... Ou un sexologue ?
– Non.
– Donc... lʼémission, cʼest la première
chose que vous faites, concrètement,
pour trouver une solution ?
– Ben oui.
Une fille de la production lʼamène
Quelques jours après avoir été
postée sur Dailymotion, la vidéo
de la performance est étrangement retirée… Pas fiers, chez
Réservoir Prod ?
dans la pièce à côté pour la rebriefer encore un petit coup. Je saisis de bribes :
– Là, Jean-Luc va vous demander... Alors
là vous pouvez dire : « pour moi, faire
lʼamour, cʼest aller au charbon ».
En sortant du maquillage, je rencontre
Estelle en live. Elle me rebriefe à mon
tour. Habillée un peu sexy, moi je mate
ses jambes ostensiblement, bien à fond
dans mon perso de branleur cérébral.
Jʼai droit au mode tutoiement :
– Donc quand il te demande en quoi
la masturbation est préférable à lʼacte
sexuel, tu lui parles de tes fantasmes...
Par contre, faudrait éviter les histoires
avec les hermaphrodites, là... Le public
aime pas trop ce genre de truc, hein...
Mais tu pourrais dire « les plus belles
femmes du monde ».
– Je pourrais citer des noms ?
– Bien sûr !
H moins 10ʼ. Tous les invités sont rassemblés en backstage. Tout le monde a le
trac, sauf le sexologue de service qui
fanfaronne.
H moins 5ʼ. On se pose dans nos fauteuils respectifs. Le public est déjà là. Le
chauffeur de salle enchaîne ses vannes
nulles. Soudain, je vois passer devant
moi une meuf, cheveux queue de bœuf,
casque et micro... Merde ! Je lʼai déjà vue
quelque part, celle-là ! Mais où ? Chez
Sacrée Laurence lʼan dernier ?... Elle
passe devant moi, je me baisse en faisant
mine de refaire mon lacet. Ça y est ! Je
me souviens ! Cʼest elle qui mʼavait incendié quand jʼavais traîné Fabrice, dans un
fauteuil roulant de location, au milieu du
plateau du Téléthon, il y a deux ans.
Elle repasse, je tourne la tête de lʼautre
côté. H moins 1ʼ, ce serait trop con de tout
foirer au dernier moment.
Delarue apparaît. On tourne. Sauvé par
le gong! La suite en images.
2007 : Squatt en direct sur le plateau
du Téléthon.
Contrecoup de lʼimposture
Lʼaffaire enfle. Triple Zapping, interviews à Canal +, Europe 1,
Direct 8, gros buzz dans les journaux et sur le net… Raffarin
qui brocarde Delarue en direct…
La semaine suivante, la direction de France 2 sermonne lʼanimateur-producteur. Patricia Boutinard Rouelle, directrice de
mateur-producteur.
lʼunité documentaires et magazines de la Deux : « Les propos
tenus sont inacceptables pour une chaîne de service
service public. Il
faut être plus vigilant au moment des pré-enquêtes sur les invités (…) À lʼavenir, les sujets choisis pour les directs seront moins
délicats. » (source : 20 minutes)
es). Ou comment une imposture
de lʼEcho boute la trash-TV hors du service public…
Plus tard, jʼapprends quʼEstelle Gilles, ma «coach», sʼest fait
licencier. Une question demeure : fallait-il que Delarue punisse
une simple employée, histoire de marquer le coup, ou est-ce le
principe « sujets glauques en direct » qui est en cause, comme
le précise justement la direction de France 2 ? Ça se discute.
Quoi quʼil en soit, soyons rassurés pour Jean-Luc, la sécurité de
son emploi est préservée.
« Passoire Prod » : salaire de nabab pour travail dʼamateur
Lʼhomme qui gagne 120 000 euros par mois bâcle-t-il son boulot ? En 2003, je piège sa boîte (qui
produit lʼémission Cʼest mon choix) ; 5 ans plus tard, je récidive, toujours sous mon vrai nom.
Le radin bidon que le PAF
sʼarrache
Il y a cinq ans, Fabrice me fait une petite farce : il répond à mon nom à un
appel à témoin, pour lʼémission Cʼest
mon choix. Le thème : « Vous êtes le
pire des radins ». Je décide de jouer
le jeu, je me compose un personnage
abominable, pilleur de fleurs dans les
cimetière, chapardeur de papier-cul,
je tire la chasse quʼune seule fois par
jour... Et je suis sélectionné pour figurer au panthéon de la beauferie télévisuelle, en compagnie dʼun copain
qui joue le rôle de mon frère.
cumulent, pannes de courant, il manque
du public pour faire la claque... En définitive, on a un retard de plus de cinq
heures.
Il est beau mon radin !
Quelques années passent, et un jour
je reçois un coup fil dʼEurope 1. La
journaliste travaille pour lʼémission
de Dechavanne, aujourdʼhui on parle
des radins, et justement un copain à
elle, qui bosse chez Réservoir Prod,
lui a transmis mes coordonnées. Je
comprends à ce moment pourquoi on
voit toujours les mêmes têtes dans ce
genre dʼémission : ils se refilent les fiches des « bons clients »... Peut-être
même quʼil y a un marché parallèle, «
il est beau mon radin, qui nʼen veut ? »
La fille me prie de ne pas préciser que
cʼest elle qui mʼa appelé, cʼest les
auditeurs qui sont censés appeler. Je
passe en direct à lʼantenne. Dechavanne : « Alors Frédéric, vous êtes un
gros radin !... ». Moi : « Pas du tout.
Votre collaboratrice mʼa appelé parce que je suis passé à Cʼest mon choix,
mais cʼétait bidonné. Votre émission
aussi on dirait, vu que vous faites croire
que cʼest les auditeurs qui appellent...
». Gros embarras dans le studio. Mon
ancien « coach » de Réservoir mʼappelle aussi sec, horrifié. Jʼen profite pour le
narguer (jʼai mauvais fond).
Sacré bidonnage
Malgré ce « coming out », quelques
années plus tard, je suis à nouveau sollicité par Studio 89, une filiale du groupe
M6, pour une nouvelle émission, Sacrée
Laurence. Quatre ans que mes références de super radin circulent de prod en
prod…
Studio 89 est allé chercher des infos
sur mon blog, ils savent que je suis imposteur professionnel pour lʼÉcho des
Savanes... mais visiblement ça ne les
refroidit pas !
Lʼenregistrement est prévu pour le début
dʼaprès-midi. Mais les cafouillages sʼac-
2003 :
le radin voleur de PQ sur France 3
2007 :
copié-collé sur M6 !
Payé pour témoigner
Tout le monde est stressé, et pour couronner le tout, ce connard de radin fait
des siennes : « Il est hors de question
que je reste jusquʼà 19 heures ! Jʼétais
OK pour vous donner gratuitement
mon après-midi, mais maintenant je me
barre. ». Je lis dans leurs yeux quʼils
sont super emmerdés, jʼy vois même de
la haine, mais ils essaient de garder le
sourire :
– Allez Frédéric, cʼest pas possible...
On a tout préparé pour vous, le plateau, et tout... Il y a beaucoup dʼargent
en jeu...
– Je mʼen fous. Vous, vous êtes payés,
moi je touche pas un centime. Bon, je
me barre.
– Quʼest-ce que vous voulez ? Champagne ?
– Jʼen nʼai rien à foutre du champagne.
Ce que je veux, cʼest de lʼargent.
Lʼassistante réal est cramoisie :
– Cʼest pas possible Frédéric, on peut
pas vous payer... On paye pas les invités...
– Alors je me barre.
Grosse panique. Elle part chercher
le producteur. Pendant ce temps,
deux gentilles intermittentes me font
la conversation, on sent quʼelles ont
été briefées pour me faire patienter :
– Et sinon, tu fais de la BD ? Cʼest
super intéressant !...
Le producteur (qui se présente comme celui de Pékin Express) arrive, il
mʼinvite à faire quelques pas dehors.
Il mʼexplique que cʼest pas possible
de payer les invités, cʼest « contraire
à la déontologie journalistique ». Il
me dit quʼils ont été réglos, ils nous
ont défrayé ma femme et moi, train,
hôtel, resto... Je réponds que cʼétait
la condition de départ pour que je
leur donne mon après-midi. Sʼils veulent que je reste après 18 heures, il
faut me verser une compensation. Je
demande 150 euros.
La négociation se prolonge vingt
minutes. Finalement il dégaine son
portefeuille et me tend un billet de
cinquante : « Cʼest de ma poche ».
Là, je lis clairement le mépris dans
son regard. Bon, ils ont voulu le roi
des radins, ils lʼont eu. Je lui dis que
je suis peut-être rateau, mais pas escroc : je lui enverrai une facture. Je
note ses nom et coordonnées.
Une minute avant lʼenregistrement,
toujours flanqué de mes deux intermittentes, je soupire :
– Allez jʼen ai marre, je me casse.
– Ah non Frédéric, vous nʼavez pas le
droit, vous avez été payé pour rester !
– Non, je plaisantais !
Elles rient jaune.
Cʼest parti. Je fais un copié-collé de
mon show pour Cʼest mon choix. Les
« hooouuuu ! » du public me replongent quelques années en arrière. Je me
permets une petite nouveauté :
– Vous avez quʼen plus, je me suis arrangé pour me faire payer par le producteur ?
Je sors mon billet de cinquante, ça jette
un gros froid. Évidemment, le passage
sera coupé au montage.
Lʼaffaire est reprise par la presse. À la
rentrée suivante, lʼémission nʼest pas reconduite.

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