La maigreur constitutionnelle

Transcription

La maigreur constitutionnelle
Mise
au
point
La maigreur constitutionnelle
Constitutional thinness
Constitutional thinness is different from anorexia nervosa.
Highlights
»»La maigreur constitutionnelle n’est pas une anorexie mentale.
»»La maigreur constitutionnelle représente une situation opposée
à l’obésité.
»»Malgré un IMC bas et une leptine abaissée, la fonction de
reproduction est normale.
»»Une perte de masse osseuse est présente dès la fin de
l’adolescence.
Constitutional thinness is a clinical situation at the opposite
from obesity.
Despite low BMI and decreased leptin levels, reproductive
function is not altered.
Risk of osteopenia has been identified as soon as the end of
adolescence.
Mots-clés : Maigreur – Ostéoporose – Régulation hormonale des
prises alimentaires – Obésité.
L’
environnement obésogène de notre monde
actuel explique la progression de l’obésité,
appelée “épidémie” (1). Il est enfin reconnu que
les régimes, les cures d’amaigrissement ou les traitements médicaux n’ont pas fait la preuve de leur efficacité
à long terme (2). Seule la chirurgie bariatrique apparaît comme une stratégie thérapeutique efficace (3).
En France, l’étude de suivi ObÉpi confirme la progression
de la prise de poids dans toutes les catégories : obésité,
excès de poids, sujets normaux ; excepté dans le groupe
“maigreur”. Pour un indice de masse corporelle (IMC)
inférieur à 18,5 kg/m2, le pourcentage de patients reste
stable entre 1997 et 2006 et inférieur à 5 %, alors que,
dans les autres groupes, la prise de poids a augmenté
(figure 1).
Les diagnostics étiologiques associés à une maigreur
sont variés, allant de la cachexie néoplasique, infectieuse, aux malabsorptions digestives, en passant par la
famine, les maladies psychiatriques et l’excès de sport.
Dans ces maigreurs, il existe une catégorie rare appelée
“maigreur constitutionnelle” (MC). Peu d’articles lui
sont consacrés dans la littérature. Il faut citer un auteur
français, M. Apfelbaum, qui, en 1982, évoquait cette
situation (4). Cet article définit les contours de cette
maigreur. Il la différencie définitivement de l’anorexie
mentale (AM) chez la femme [5] et la positionne comme
une variante de la normalité et/ou comme une situation
en miroir de l’obésité.
Keywords : Thinness – Osteoporosis – Apeptide regulating
hormone – Obesity.
La maigreur constitutionnelle n’est pas
une anorexie mentale atypique : DSM-IV
Le premier diagnostic étiologique de maigreur chez
la femme jeune en termes de fréquence est l’AM. Les
autres diagnostics sont faits dans un contexte de
dégradation de l’état général qui facilite la réflexion.
Une patiente dont l’IMC est inférieur à 17,5 kg/m2 et
* Service d’endo­­crinologie, diabète,
maladie métabolique
et TCA,
CHU de Saint-Étienne.
70
ObÉpi 1997
ObÉpi 2000
ObÉpi 2003
ObÉpi 2006
ObÉpi 2009
57,5
60
55,5
52,7
52,4
50
50
Population (%)
P o i nt s f o rt s
B. Estour, B. Galusca, N. Germain*
40
29,8
30
30,6
31,5 31,9
30,6
20
10
0
4,2
3,8
3,9
3,9
8,2
9,7
12,3
11,2 13,4
3,6
0,3
Maigreur
Normal
Surpoids
Obésité
0,4
1,1
0,7 0,8
Obésité
massive
Figure 1. Évolution du statut pondéral des individus de plus de 15 ans (ObÉpi-Roche 2009).
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 4 - avril 2012
109
Mise
au
point
Dutch Eating Behavior Questionnaire (DEBQ)
55
AM guérie
Anorexie
Boulimie
Maigreur
Témoin
45
35
25
15
5
Restriction de la prise alimentaire
Eating Disorder Inventory (EDI)
35
40
30
25
20
15
10
5
0
–5
0
–5
Préoccupation pour le schéma corporel
Préoccupation pour la nourriture
Figure 2. Réponses aux questionnaires psychologiques (données non publiées).
28
26
Les différences organiques entre maigreur
constitutionnelle et anorexie mentale
à poids égal
24
IMC (kg/m2)
22
20
18
16
14
12
10
0 1 2
3 4
5 6 7 8
9 10 11 12 13 14 15 16 17 18
Âge (années)
Figure 3. Courbe pondérale de patients atteints de maigreur constitutionnelle (8).
qui ne se plaint d’aucune asthénie est suspecte de
présenter une AM. La présence des symptômes de la
classification des maladies psychiatriques (DSM-IV)
caractérisant l’AM permet d’établir le diagnostic (5).
Cette classification repose sur des critères psychologiques et organiques : déni de la maigreur, peur de
110
grossir associée à l’aménorrhée. Ces éléments ne sont
pas retrouvés dans la MC.
Les questionnaires qui interrogent le caractère et le comportement alimentaire “silhouette” (6), le Dutch Eating
Behavior Questionnaire (DEBQ) [7], le Eating Disorder
Inventory (EDI) [6] et le Eating Disorders Examination
(EDE) [7], montrent une différence significative entre les
2 groupes de patientes (résultats personnels) [figure 2].
Les patientes atteintes de MC expriment un souhait de
prise de poids et ne supportent plus les sobriquets qui
leur sont attribués tels que “fil de fer” ou “haricot vert”,
alors que celles atteintes d’AM souhaitent maigrir. Dans
le cas de la MC, les patientes sont conscientes de leur
maigreur, alors que dans l’AM, elles sont dans le déni.
Malgré l’objectivité des scores de ces questionnaires, il
est toujours possible de les remettre en cause pour le
diagnostic différentiel entre MC et AM. Dans la classification DSM-IV, il est stipulé l’aménorrhée. La patiente
qui arrête sa contraception estroprogestative présente
une aménorrhée secondaire dans l’AM, alors que les
menstruations surviennent dans le mois qui suit dans la
MC. La présence des règles et la conscience du trouble
devraient éliminer le diagnostic d’AM. Malgré la minceur,
la MC n’est pas une AM.
L’histoire naturelle du poids
L’histoire naturelle du poids différencie ces 2 entités. Lorsqu’on interroge les patientes ayant un IMC
entre 14,5 et 16,5 kg/m2, seules celles atteintes d’AM
rapportent – seules ou sous la pression de la famille
– une perte de poids d’une dizaine de kilogrammes.
Cette maigreur succède à un amaigrissement. Dans
le cas de la MC, la reconstitution de la courbe pondérale (figure 3) montre un sous-poids dès l’enfance
qui se maintient à l’âge adulte, et se définit dans un
couloir de – 2 à – 3 déviations standards. Il n’y a pas
d’amaigrissement.
La balance énergétique
Cette stabilité du poids dans la MC est associée à une
balance énergétique équilibrée (8). L’apport alimentaire, évalué par des interrogatoires nutritionnels, et
la dépense énergétique, mesurée par l’eau doublement marquée, montrent une différence négative
entre apport et dépense de 80 kcal dans le groupe
témoin, de 120 kcal chez les patientes ayant une MC,
et de 700 kcal chez celles atteintes d’AM. Cet écart
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 4 - avril 2012
La maigreur constitutionnelle
de balance énergétique n'est pas significatif chez les
témoins et les patientes atteintes de MC. Le déficit de
la balance énergétique des AM, connu, explique leur
perte de poids (9).
La composition corporelle
Cette divergence en termes d’histoire pondérale s’associe à une compo­sition corporelle différente et à un
profil hormonal différent (tableau). Pour un même IMC,
on retrouve dans l’AM une diminution importante de
la masse grasse, corrélée à la perte de poids, évaluée
aussi bien par impédancemétrie que par densitométrie
osseuse. Les patientes atteintes de MC présentent une
masse grasse significativement plus grande que les
patientes atteintes d’AM (19 versus 8 %), même si ce
pourcentage est inférieur à celui du groupe témoin.
Cette diminution modérée mais certaine participe à la
maigreur. Elle est associée à des taux de leptine (hormone sécrétée par l’adipocyte) abaissés par rapport
aux témoins, mais toujours supérieure à ceux des AM.
Les marqueurs de la dénutrition
Le système endocrine reconnaît cet état de maigreur
comme étant physiologique, puisque la MC ne présente pas les anomalies liées à la dénutrition décrites
dans l’AM pour un même IMC. L’intégrité de la fonction
gonadotrope, paramètre organique qui différencie une
MC d’une AM, s’associe à l’intégrité des autres fonctions hormonales classiques, corticotrope, somatotrope,
thyréotrope, connues pour être perturbées chez l’AM
dénutrie. Il n’y a pas d’hypercortisolisme, d’excès de GH
ni de déficit en triiodothyronine ni en IGF1 (tableau).
Cette MC à fonction endocrine normale est donc une
variante de l’état normal.
Les hormones de régulation de l’appétit
Outre les anomalies hormonales classiques, il est rapporté dans l’AM depuis les années 2000 des anomalies
des hormones de régulation de l’appétit. L’hypothalamus
reçoit de la périphérie des informations qui adaptent le
comportement alimentaire par l’intervention des neurones hypothalamiques NPY à fonction orexigène et
des neurones à Melanocyte-Stimulating Hormone (MSH)
à fonction anorexigène (11). Une seule hormone périphérique stimule l’appétit par le biais du NPY. C’est la
ghréline, hormone décrite par Kojima et al. (12). Elle
est notamment sécrétée par l’estomac, sous forme de
pics qui précèdent le déjeuner et le dîner. Ces pics sont
associés à une sensation de faim (13). Sur le nycthémère,
la ghréline (totale et octanoylée) se comporte dans la
MC comme chez le sujet normal, alors qu’elle est élevée dans l’AM. Son élévation dans l’AM est adaptée à la
situation de dénutrition et se normalise à la reprise de
poids (10, 14). Les autres hormones périphériques qui
participent à la régulation de l’appétit sont toutes anorexigènes, agissant par stimulation des neurones MSH
ou par inhibition des neurones NPY (11). L’insuline est
normale dans la MC comme chez les témoins du même
âge et du même sexe, alors qu’elle est basse dans l’AM.
La leptine est abaissée dans la MC par rapport à celle des
témoins en corrélation avec le pourcentage de masse
grasse. Elle garde cependant son cycle nycthéméral.
Elle est effondrée dans l’AM dénutrie de même IMC que
les MC (15).
Le peptide YY (PYY) est une hormone sécrétée par les
cellules L de l’intestin proximal. Il est plus bas chez les
obèses que chez les témoins (16). C’est la seule hormone qui se comporte différemment entre patientes
atteintes de MC et témoins. Nos résultats montrent soit
une élévation sur 24 heures, lorsqu’elle est déterminée
par des cycles (10), soit une stimulation plus rapide et
plus ample au cours de repas tests par rapport à ce
qui est trouvé chez les témoins (résultats non publiés).
Ces résultats ne sont pas en contradiction avec ceux
de la balance énergétique. Si les patientes atteintes de
MC ont un apport calorique globalement comparable
à celui des témoins, leur comportement alimentaire est
par contre très différent. Les enquêtes montrent qu’elles
mangent moins à chaque repas officiel mais mangent
plus souvent. Elles ont besoin d’une collation à 10 et à
Tableau. Profil hormonal des sujets normaux, des patientes atteintes de maigreur constitutionnelle
et des patientes atteintes d’anorexie mentale (10).
AM
(n = 44)
MC
(n = 25)
Âge (années)
20,4 ± 1,2

Taille (m)
162,8 ± 2,4
IMC (kg/m2)
15,5 ± 0,1*
Masse grasse (%)
Leptine (µg/l)
Témoins
(n = 28)
20,2 ± 1,2

22,4 ± 1,4

163,2 ± 3,1

163,2 ± 2,5

15,8 ± 0,1*

20,7 ± 0,4
9,8 ± 1,1*

18,2 ± 0,7*

26,3 ± 1,2
2,4 ± 0,5*

6,0 ± 0,8*

11,2 ± 1,9
T3 libre (pmol/l)
2,7 ± 0,1*

3,9 ± 0,1

3,5 ± 0,1
IGF1 (µg/l)
163 ± 16*

295 ± 34

283 ± 20
GH (mUI/l)
8,5 ± 0,7*

4,8 ± 0,6

4,7 ± 0,6
Cortisol (nmol/l)
364 ± 31*

216 ± 12

266 ± 17
17β estradiol (ng/l)
14,3 ± 1,4*

73,1 ± 8,6

51,6 ± 11,4
DHEAS (µg/l)
196,2 ± 30*

112,6 ± 19

129,4 ± 17
PTH (ng/ml)
29,1 ± 2,9

35,8 ± 3,6

34,3 ± 7,1
Vitamine D (µmol)
23,0 ± 2,4

21,5 ± 4,2

27,6 ± 3,7
Ca (mmol/l)
2,3 ± 0,04

2,2 ± 0,02

2,3 ± 0,03
DHEAS : sulfate de déhydroépiandrotérone ; GH : hormone de croissance ; IGF1 : Insuline-like Growth Factor 1 ; PTH : parathormone ; Ca : calcium.
* p < 0,05 versus groupe témoin.
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 4 - avril 2012
111
Mise
au
point
16 heures, et souvent avant le coucher (données non
publiées). Le PYY, hormone anorexigène dont le taux
est élevé chez les MC, entraîne une satiété plus précoce et explique les repas plus courts et la nécessité de
collations. L’intervention du PYY élevé donne du sens
à ce comportement alimentaire, dont on comprend
alors la justification. Une patiente atteinte de MC doit
manger souvent pour conserver un apport calorique
normal. La patiente atteinte de MC est une grignoteuse
physiologique. On peut considérer qu’elle présente des
troubles du comportement alimentaire non pathologiques. Au contraire, dans l’AM, toutes les hormones
sont tournées vers la stimulation de la prise alimentaire,
qui est en revanche inefficace. À IMC égal, les hormones
de la régulation de l’appétit différencient parfaitement
la MC de l’AM.
Les conséquences de la maigreur
constitutionnelle
La stigmatisation
La MC étant peu connue, on peut facilement poser
à l’excès un diagnostic d’AM, source de pénalités
psycho­sociales ou professionnelles. La stigmatisation
sociale face à cette maigreur représente la première
pénalité psychologique rapportée par les femmes et
les hommes. Ils souhaitent tous reprendre du poids
pour échapper au regard des autres, pour avoir des
rondeurs, et pour ne plus être affublés à tort du
diagnostic d’AM. Cette méconnaissance de la MC
entraîne des conséquences sociales, marquées par
une réticence à l’embauche (expérience clinique). La
seule situation favorable concerne le mannequinat.
Il est admis que la proportion d’AM est élevée dans
50 kg
1,65 m
18,3 kg/m2
I
II
63 kg
1,75 m
20,5 kg/m2
III
10 mois
10 kg
53 kg
1,63 m
19,9 kg/m2
38,2 kg
1,58 m
15,3 kg/m2
18 mois
10 kg
89 kg
1,58 m
35,6 kg/m2
38 kg
1,58 m
15,3 kg/m2
44 kg
1,63 m
16,5 kg/m2
48 kg
1,58 m
19,2 kg/m2
15 mois
12 kg
Figure 4. Un arbre généalogique emblématique d’une famille atteinte de maigreur constitutionnelle. La fréquence moyenne des sujets maigres par famille est de 2,5 sur 3 générations
contre 0,5 dans les familles atteintes d’anorexie mentale (8). Le sujet en rouge est le propositus.
112
cette profession ou, à l’inverse, que cette profession
favorise le démarrage des troubles du comportement
alimentaire. La MC est parfaitement à sa place dans ce
métier au même titre qu’un garçon petit et maigre est
à sa place comme jockey.
L’ostéoporose
Outre les sobriquets peu valorisants, les patientes
atteintes de MC et d’AM présentent une perte de
masse osseuse, chiffrée par la densitométrie osseuse.
À 25 ans, 50 % des filles ont une ostéopénie et 25 %
une ostéoporose vraie. Dans les facteurs de risque de
l’ostéoporose de la femme ménopausée figure l’IMC
bas (17). Ces résultats chez la patiente atteinte de MC
jeune sont anticipatoires de la ménopause. Même si
une ostéoporose est décrite dans l’AM (18, 19), l’ostéoporose de la MC s’en différencie dans sa constitution
et dans sa régulation sous l’effet des hormones qui
participent au remodelage osseux. Un examen de
type scanner pQCT (peripheral Quantitative Computed
Tomography) permet de mesurer les paramètres qui
constituent la structure de l’os (épaisseur de la corticale, taille des travées, épaisseur des parois). Ces
paramètres sont altérés dans la MC dans le sens de
“petits os” (20). Cette diminution de la masse osseuse
concourt, avec la diminution de la masse grasse, à un
IMC bas. La perte progressive de masse osseuse dans
l’AM vient d’un découplage osseux qui se caractérise
par l’augmentation de la dégradation (21) associée à
une diminution de la formation (18). La mesure des
peptides de dégradation du collagène par le dosage
du C-télopeptide du collagène de type 1 (CTX) plasmatique ou du N-télopeptide du collagène de type 1
(NTX) urinaire, ou par l’enzyme Trap, informe de la
dégradation de l’os. La formation est évaluée par l’ostéocalcine (ou Bone Gla Protein [BGP]), le propeptide
N-terminal du procollagène de type 1 (PINP) et/ou la
phosphatase alcaline osseuse. Ce découplage osseux
est expliqué par les anomalies hormonales associées
à la dénutrition dans l’AM : l’hypercortisolisme, l’insuffisance gonadotrope, la diminution de l’IGF1 et de la
triiodothyronine (22). Le CTX et l’ostéocalcine sont
normaux dans la MC par rapport à ce qui est trouvé
chez les témoins du même âge et du même sexe. On
peut parler d’ostéoporose constitutive (20).
La fonction gonadotrope est en revanche normale. Elle
est en tout point semblable à celle des témoins par
la normalité des caractères sexuels secondaires, par
l’âge de survenue des premières règles, par la fertilité
intacte, par la normalité hormonale de l’axe gonadotrope. Dans la boucle de stimulation qui inclut la leptine, les neurones Kiss et GnRH (23), la leptine est plus
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 4 - avril 2012
La maigreur constitutionnelle
basse chez les patientes atteintes de MC que chez les
témoins. Cette diminution de la leptine sans effet sur
l’axe gonadotrope pose la question du niveau minimal
de cette hormone nécessaire au maintien du fonctionnement de cet axe. Il serait établi à 2 μg/l, soit une
valeur inférieure à celle observée en cas de MC (24).
Enfin, la leptine apporte une aide au diagnostic étiologique des maigreurs. Une jeune femme maigre
sous pilule avec hémorragie de privation et dont la
leptine plasmatique est proche de la normalité n’est
pas atteinte d’AM avec une leptine normale, mais bien
de MC.
La maigreur constitutionnelle :
une situation humaine de résistance
à la prise de poids sans explication
physiopathologique
Comment expliquer qu’un sujet souhaitant prendre du
poids dans notre environnement obésogène demeure
maigre ? C’est l’enjeu actuel des travaux menés pour
mieux comprendre cet état. Existe-t-il des situations
de résistance à la prise de poids chez l’homme, comme
cela a été montré chez l’animal (25-27) ? Pour tester
cette hypothèse, nous avons soumis à une surnutrition
lipidique de 630 kcal/j 10 femmes atteintes de MC (IMC
entre 14,5 et 17,5 kg/m2) et 10 femmes témoins (IMC
entre 18,5 et 25 kg/m2) pendant 4 semaines. Les résultats (en cours de publication) montrent une résistance
à la prise de poids en cas de MC malgré une surnu-
trition confirmée sur le plan clinique et biologique.
Cette étude valide le concept de résistance, mais ne lui
apporte aucune explication. Cette résistance vient-elle
de quelques pertes caloriques mal prises en compte
actuellement ? Il faut traquer les pertes caloriques dans
des secteurs inhabituels. La flore intestinale des obèses
est différente de celle des sujets de poids normal (28).
Qu’en est-il des maigres ? La graisse brune chez l’homme
vient d’être remise à l’honneur chez l’adulte grâce au
PET-scan au FDG (29), comme lieu de déperdition calorique par un découplage mitochondrial (30).
Si l’on ne comprend pas encore le mécanisme intime de
la résistance à la prise de poids, on suspecte un rôle de
l’hérédité et de la génétique. De même que l’excès de
poids est expliqué pour 50 à 60 % par une association
polygénique favorable (31), la MC pourrait être expliquée par un profil génétique spécifique. À l’appui de
cette hypothèse, nous avons décrit des familles où l’on
retrouve des maigres, aussi bien hommes que femmes,
sur plusieurs générations (figure 4) [8]. Ces sujets présenteraient une diminution de la masse grasse et maigre
(ostéoporose) génétiquement ­programmée.
Conclusion
La maigreur constitutionnelle est une entité bien
décrite, rencontrée aussi bien chez l’homme que chez
la femme. Il est désormais très important d’en connaître
la représentation car elle se différencie des autres maigreurs, et notamment de l’anorexie mentale.
■
Remerciements :
ces travaux ont été financés
par des appels d’offres
locaux et des PHRC interrégionaux, et soutenus
par des collaborations
gracieuses.
Références
1. Pearson N, Biddle SJ. Sedentary behavior and dietary intake
thinness from both normal subjects and anorexia nervosa.
in children, adolescents, and adults. A systematic review. Am
J Prev Med 2011;41:178-88.
Am J Physiol Endocrinol Metab 2007;292:E132-7.
9. Platte P, Pirke KM, Trimborn P, Pietsch K, Krieg JC, Fichter
2. Sacks FM, Bray GA, Carey VJ et al. Comparison of weight-loss
MM. Resting metabolic rate and total energy expenditure in
acute and weight recovered patients with anorexia nervosa
and in healthy young women. Int J Eat Disord 1994;16:45-52.
diets with different compositions of fat, protein, and carbohydrates. N Engl J Med 2009;360:859-73.
3. Sjostrom L, Narbro K, Sjostrom CD et al. Effects of bariatric
surgery on mortality in Swedish obese subjects. N Engl J Med
2007;357:741-52.
4. Apfelbaum M, Sachet P. [Constitutional thinness]. Rev Prat
1982;32:245-7.
5. American Psychiatric Association. Diagnostic and statistical manual of mental disorders. Washington, DC: American
Psychiatric Association, 1994.
6. Garner DM, Olmstead MP, Polivy J. Development and validation of a multidimensional eating disorder inventory for
anorexia nervosa and bulimia. Int J Eat Disord 1983;2:15-34.
7. Cooper Z, Fairburn CG. The Eating Disorders Examination:
a semistructured interview for the assessment of the specific
psychopathology of eating disorders. Int J Eat Disord 1987;6:1-8.
8. Bossu C, Galusca B, Normand S et al. Energy expenditure
adjusted for body composition differentiates constitutional
10. Germain N, Galusca B, Le Roux CW et al. Constitutional
thinness and lean anorexia nervosa display opposite concentrations of peptide YY, glucagon-like peptide 1, ghrelin, and
leptin. Am J Clin Nutr 2007;85:967-71.
11. Druce MR, Small CJ, Bloom SR. Minireview: gut peptides
regulating satiety. Endocrinology 2004;145:2660-5.
12. Kojima M, Hosoda H, Date Y, Nakazato M, Matsuo H,
Kangawa K. Ghrelin is a growth-hormone-releasing acylated
peptide from stomach. Nature 1999;402:656-60.
13. Cummings DE, Frayo RS, Marmonier C, Aubert R, Chapelot
D. Plasma ghrelin levels and hunger scores in humans initiating
meals voluntarily without time- and food-related cues. Am J
Physiol Endocrinol Metab 2004;287:E297-304.
14. Germain N, Galusca B, Grouselle D et al. Ghrelin/obestatin
ratio in two populations with low bodyweight: constitutional
thinness and anorexia nervosa. Psychoneuroendocrinology
2009;34:413-9.
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 4 - avril 2012
15. Tolle V, Kadem M, Bluet-Pajot MT et al. Balance in ghrelin and leptin plasma levels in anorexia nervosa patients
and constitutionally thin women. J Clin Endocrinol Metab
2003;88:109-16.
16. Batterham RL, Cohen MA, Ellis SM et al. Inhibition of
food intake in obese subjects by peptide YY3-36. N Engl J
Med 2003;349:941-8.
17. Peacock M, Turner CH, Econs MJ, Foroud T. Genetics of
osteoporosis. Endocr Rev 2002;23:303-26.
18. Galusca B, Bossu C, Germain N et al. Age-related differences
in hormonal and nutritional impact on lean anorexia nervosa
bone turnover uncoupling. Osteoporos Int 2006;17:888-96.
19. Rigotti NA, Nussbaum SR, Herzog DB, Neer RM.
Osteoporosis in women with anorexia nervosa. N Engl J Med
1984;311:1601-6.
20. Galusca B, Zouch M, Germain N et al. Constitutional thinness: unusual human phenotype of low bone quality. J Clin
Endocrinol Metab 2008;93:110-7.
Retrouvez l’intégralité
des références bibliographiques
sur www.edimark.fr
113
La maigreur constitutionnelle
Références
21. Vergély N, Lafage-Proust MH, Caillot-Augusseau A, Millot L,
Lang F, Estour B. Hypercorticism blunts circadian variations of
osteocalcin regardless of nutritional status. Bone 2002;30:428-35.
22. Estour B, Germain N, Diconne E et al. Hormonal profile heterogeneity and short-term physical risk in restrictive anorexia
nervosa. J Clin Endocrinol Metab 2010;95:2203-10.
23. Roa J, Aguilar E, Dieguez C, Pinilla L, Tena-Sempere M.
New frontiers in kisspeptin/GPR54 physiology as fundamental
gatekeepers of reproductive function. Front Neuroendocrinol
2008;29:48-69.
24. Holtkamp K, Mika C, Grzella I et al. Reproductive function
during weight gain in anorexia nervosa. Leptin represents a
metabolic gate to gonadotropin secretion. J Neural Transm
2003;110:427-35.
25. Martinez-Botas J, Anderson JB, Tessier D et al. Absence of
28. Tilg H, Kaser A. Gut microbiome, obesity, and metabolic
dysfunction. J Clin Invest 2011;121:2126-32.
29. Van Marken Lichtenbelt WD, Vanhommerig JW, Smulders
NM et al. Cold-activated brown adipose tissue in healthy men.
N Engl J Med 2009;360:1500-8.
perilipin results in leanness and reverses obesity in Lepr(db/
db) mice. Nat Genet 2000;26:474-9.
30. Virtanen KA, Lidell ME, Orava J et al. Functional brown
26. Anand A, Chada K. In vivo modulation of Hmgic reduces
31. Bulik CM, Allison DB. The genetic epidemiology of thinness.
obesity. Nat Genet 2000;24:377-80.
27. Um SH, Frigerio F, Watanabe M et al. Absence of S6K1 pro-
adipose tissue in healthy adults. N Engl J Med 2009;360:1518-25.
Obesity Reviews 2001;2:107-15.
tects against age- and diet-induced obesity while enhancing
insulin sensitivity. Nature 2004;431:200-5.
Correspondances en Métabolismes Hormones Diabètes et Nutrition - Vol. XVI - n° 4 - avril 2012
131