quand le local rencontre le global : contours et enjeux de l

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quand le local rencontre le global : contours et enjeux de l
QUAND LE LOCAL RENCONTRE LE GLOBAL : CONTOURS ET
ENJEUX DE L'ACTION INTERNATIONALE DES COLLECTIVITÉS
TERRITORIALES
Romain Pasquier
E.N.A. | Revue française d'administration publique
2012/1 - n° 141
pages 167 à 182
ISSN 0152-7401
Article disponible en ligne à l'adresse:
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Pour citer cet article :
-------------------------------------------------------------------------------------------------------------------Pasquier Romain, « Quand le local rencontre le global : contours et enjeux de l'action internationale des collectivités
territoriales »,
Revue française d'administration publique, 2012/1 n° 141, p. 167-182.
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Quand le local rencontre le global :
Contours et enjeux de l’action
internationale des collectivitÉs
territoriales
Romain PASQUIER
Résumé
L’action internationale des collectivités territoriales s’est considérablement accrue depuis les lois de
décentralisation. Cette densification des relations internationales des grandes villes et des régions
depuis deux décennies souligne aujourd’hui les changements d’échelle dans le gouvernement des
territoires. En quelques décennies, l’action internationale est passée du registre de l’échange cultu‑
rel à celui du marketing territorial et de la paradiplomatie. Voilà pourquoi il est bien difficile de
délimiter précisément l’action internationale des collectivités territoriales. Prenant acte du caractère
plastique de cette définition, l’analyse cherchera, tout d’abord, à prendre la mesure des grands para‑
mètres de changement qui affectent l’action internationale des collectivités territoriales. Ensuite,
face au foisonnement des initiatives, elle cherchera à établir une typologie des instruments d’action
publique utilisés par les collectivités territoriales en matière d’internationalisation, avant d’évaluer
les stratégies qu’elles poursuivent ou que leurs actions révèlent.
Mots‑clefs
Action internationale, collectivités territoriales, coopération décentralisée, marketing territoriae,
paradiplomatie
Abstract
— When Local Meets Global: Description and Challenges of Actions of Local and Regional
Authorities at International Level — Local authorities have considerably increased their inter‑
national action since the decentralisation laws were enacted. Over the past two decades major
cities and regions have deepened their international relations, which underlines changes of scale
at local and regional government level today. International action has shifted from cultural
exchanges to territorial marketing and para‑diplomacy in a few short decades. This is why it is
difficult to precisely demarcate the international action of local and regional authorities. Taking
note of the plastic nature of this definition, this analysis first seeks to determine the magnitude of
the major parameters of change which affect international action by local and regional authori‑
ties. Next, given the profusion of initiatives, it will seek to establish a typology of public action
instruments used by local and regional authorities regarding internationalisation, and then goes
on to evaluate the strategies they pursue wherever their actions take place.
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Directeur de recherche au Cnrs, Centre de recherches sur l’action politique en Europe (Crape),
Institut d’études politiques de Rennes
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En mars 2011, 4 789 collectivités territoriales françaises (régions, départements,
communes et structures intercommunales) menaient des projets de coopération interna‑
tionale totalisant près de 12 000 projets avec près de 10 000 collectivités partenaires dans
141 pays. L’action internationale des collectivités territoriales s’est considérablement
accrue depuis les lois de décentralisation. Elle a aussi changé de sens même s’il elle reste
majoritairement concentrée dans l’Union européenne. Si dans les années 1950, la géné‑
ralisation des jumelages entendait sceller la réconciliation franco‑allemande et amorcer
le projet européen, la densification des relations internationales des grandes villes et des
régions depuis deux décennies souligne aujourd’hui les changements d’échelle dans le
gouvernement des territoires 1. En quelques décennies, l’action internationale est passée
du registre de l’échange culturel à celui du marketing territorial et de la paradiplomatie.
Voilà pourquoi il est bien difficile de délimiter précisément l’action internationale des
collectivités territoriales. En témoigne la définition toujours plus extensive de la coopé‑
ration décentralisée qui recouvre aujourd’hui pour les pouvoirs publics « l’ensemble des
actions de coopération internationale menées par les collectivités territoriales : jumelages,
coopérations, projets de développement, échanges techniques, opérations de promotion
économique coopération transfrontalière » 2. Prenant acte du caractère plastique de cette
définition, l’analyse cherchera, tout d’abord, à prendre la mesure des grands paramètres
de changement qui affectent l’action internationale des collectivités territoriales. Ensuite,
face au foisonnement des initiatives, elle cherchera à établir une typologie des instruments
d’action publique utilisés par les collectivités territoriales en matière d’internationalisa‑
tion, avant d’évaluer les stratégies qu’elles poursuivent ou que leurs actions révèlent.
Les changements d’échelle de la gouvernance
territoriale
Plus que tout autre domaine d’action publique, l’action internationale est au cœur
des transformations de la gouvernance territoriale 3. Trois grands paramètres affectent de
manière continue l’action internationale : les dynamiques territoriales de l’économie, les
politiques de l’Union européenne et le cadre de la décentralisation « à la française ».
Les dynamiques territoriales de l’économie
La mondialisation et l’interdépendance économique croissante élargissent le champ
d’activité des autorités sub‑étatiques. De même que les gouvernements centraux, les
1. Lefèvre (Christian) et D’Albergo (E.), « Why cities are looking abroad and how they got it »,
Environment and Planning C: Government and Policy, 25 (3), p.317‑326.
2. Ministère des affaires étrangères et européennes, Coopération décentralisée et action extérieure des
collectivités locales : un état des lieux, mars 2011, p. 1.
3. Pasquier (Romain), Simoulin (Vincent), Weisbein (Julien) dir., La gouvernance territoriale, Paris,
LGDJ, 2007.
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Keywords
International action, local and regional authorities, decentralised cooperation, territorial mar‑
keting, para‑diplomacy
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collectivités territoriales tendent à ajuster leurs comportements en fonction des nou‑
veaux défis nationaux et internationaux dans la mesure où nombre de secteurs d’action
publique – le développement économique, l’environnement, les transports, l’aménage‑
ment du territoire ou la culture – apparaissent de plus en plus conditionnés par l’espace
mondial et/ou européen.
La nouvelle donne territoriale de la mondialisation bouleverse la géographie écono‑
mique soumettant les collectivités territoriales à des défis contradictoires de compétitivité
et de solidarité nouvelle. Ainsi, en Europe, de nouvelles tendances géographiques émergent
avec le resserrement de la croissance autour de grandes zones métropolitaines et une remontée
des inégalités territoriales. La conséquence majeure est le creusement des inégalités de crois‑
sance au profit des régions et des villes les plus riches. Les investissements vont aujourd’hui
dans les régions les plus riches et non pas, comme dans les Trente glorieuses, vers les régions
à bas coûts de main d’œuvre 4. Les représentations traditionnelles du territoire sont remises
en causes et donc, par là‑même, les cadres cognitifs de l’action des collectivités territoriales.
Cette mise en concurrence des territoires s’est encore amplifiée ces dernières années avec la
concentration des activités économiques dans les aires métropolitaines. Toulouse et le désert
midi‑pyrénéen en est un bon exemple. De même, la région Île‑de‑France doit gérer la ten‑
sion entre l’attractivité et la croissance du Grand Paris et le maintien d’activités agricoles
sur le reste de son territoire. Pour les régions côtières de la Manche, de l’Atlantique ou de
la méditerranée, les collectivités territoriales sont confrontées au phénomène bien connu de
l’héliotropisme qui concentre les populations sur le littoral au détriment des arrières pays.
Les intercommunalités des grandes métropoles régionales s’affirment également en acteur
incontournable du développement régional en particulier dans les régions très urbanisées
comme le Nord Pas de Calais, l’Île‑de‑France ou Rhône‑Alpes.
La mondialisation économique fournit de nouvelles ressources aux villes et aux régions
capables d’incarner cette nouvelle modernité de la compétition internationale comme, par
exemple, la Bavière et le Bade‑Wurtemberg en Allemagne, l’Écosse ou le Grand Londres
au Royaume‑Uni, la Catalogne ou Madrid en Espagne, l’Île‑de‑France et Rhône‑Alpes en
France. Le paradigme de l’attractivité territoriale semble avoir définitivement supplanté
celui de l’aménagement du territoire, et donc celui d’un État garant de la justice territoriale.
Ces tensions économiques croissantes entre des zones en expansion et d’autres en voie
de marginalisation sont autant d’incitation à des changements d’échelle dans les stratégies
d’action des collectivités. Les stratégies de projection à l’international deviennent ainsi par‑
tie intégrante des processus de gouvernance territoriale avec l’objectif de fédérer des coali‑
tions d’acteurs publics et privés autour d’une vision partagée du territoire 5.
Un espace européen d’action publique
L’intégration européenne est le second paramètre de changement qui participe
directement au changement d’échelle de la gouvernance territoriale 6. L’intégration
européenne peut en effet être analysée comme une nouvelle structure d’opportunités,
4. Veltz (Pierre), Des lieux et des liens. Essai sur les politiques du territoire à l’heure de la mondialisa‑
tion, Paris, Éditions de l’Aube, 2002.
5. Pinson (Gilles) et Vion (Antoine), « L’internationalisation des villes comme objet d’expertise », Pôle
Sud, 2000, 13 (1), p. 85‑102.
6. Pasquier (Romain), « Villes et régions », in Belot (Céline), Magnette (Paul), Saraugger (Sabine) dir.,
Science politique de l’Union européenne, Paris, Economica, 2008, p. 335‑354.
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fournissant des ressources inédites aux acteurs territoriaux pour renforcer leurs positions
vis‑à‑vis des administrations centrales.
En situation de concurrence face aux administrations centrales des États membres,
la Commission européenne a cherché des alliés auprès des gouvernements et des admi‑
nistrations régionales. Que ce soit lors de la création de la politique régionale dans les
années 1970, lors de la réforme des fonds structurels à la fin des années 1980 ou dans le
rôle joué par les acteurs régionaux et locaux dans les politiques publiques européennes,
la Commission européenne a essayé d’impliquer toujours davantage les régions dans
le processus d’intégration européenne. Cette dynamique s’inscrit dans une logique de
contournement de l’État. La réforme des fonds structurels en 1988 marque à ce titre un
tournant concernant l’implication des acteurs sub‑nationaux dans un espace européen des
politiques publiques. La politique régionale est désormais élaborée et mise en œuvre à
l’aune du principe de partenariat intégrant la Commission, les administrations nationales
et les administrations régionales à toutes les étapes de cette politique. Cette idéologie
partenariale remodèle fortement les interactions entre acteurs publics et privés au niveau
régional, en établissant, plus ou moins indépendamment des pouvoirs politiques existants,
de nouvelles relations non hiérarchiques entre ces acteurs.
Ainsi à travers la mise en œuvre de la politique de cohésion, sans oublier d’autres
politiques interventionnistes dans les domaines de l’agriculture, de l’environnement ou de
la recherche, la Commission européenne, l’Union européenne au sens large, constituent
des partenaires institutionnels incontournables aujourd’hui pour les régions et les villes
européennes. Ces dernières sont ainsi incitées à se mobiliser à une autre échelle pour
influer sur des problématiques aussi variées que le développement économique, l’innova‑
tion, les énergies renouvelables, le développement local ou le tourisme. Ce renforcement
de la légitimité politique des régions dans l’Union européenne est encore accru par l’ins‑
titutionnalisation d’une représentation des pouvoirs locaux et régionaux à l’échelon com‑
munautaire avec la création par le traité de Maastricht, en 1992, du Comité des régions.
Coopération décentralisée et décentralisation « à la française »
Le dernier grand paramètre qui façonne l’action internationale des collectivités terri‑
toriales n’est autre que la décentralisation « à la française » elle‑même. Si les collectivités
sont en principe spécialisées par bloc de compétences, elles interviennent en réalité dans
un large éventail de secteurs parce qu’elles ont toutes une légitimité démocratique de type
territorial et qu’elles disposent d’une clause générale de compétences qui leur permet
de se saisir de tout sujet d’intérêt territorial. Ainsi, l’action internationale ressemble à
d’autres champs d’action publique où l’activisme des collectivités territoriales va débor‑
der les services de l’État, en particulier dans les politiques européennes, contraignant les
gouvernements successifs à adapter régulièrement le cadre normatif 7.
La loi du 2 mars 1982 ne faisait mention, dans son article 65, que de la coopération
transfrontalière. La notion d’action extérieure des collectivités territoriales est reconnue
un an plus tard, par la circulaire du Premier ministre du 26 mai 1983 qui créé le délé‑
gué pour l’action extérieure des collectivités locales 8. Cependant, il faut attendre la loi
7. Gallet (Bertrand), « Les enjeux de la coopération décentralisée », Revue internationale et stratégique,
n° 57, 2005, p. 61‑70.
8. Ministère des affaires étrangères et européennes, Coopération décentralisée et action extérieure des
collectivités locales : un état des lieux, mars 2011.
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d’orientation du 6 février 1992 relative à l’administration territoriale de la République
pour que la coopération décentralisée obtienne sa consécration législative. Dans le respect
des engagements internationaux de la France, cette loi autorise désormais les collectivi‑
tés territoriales françaises à signer des conventions avec des autorités locales étrangères
dans le respect des engagements internationaux de la France. Plus récemment les lois
Oudin‑Santini (2005) puis Thiollière (2007) sont venus consolider le socle juridique du
droit de coopération décentralisée en reconnaissant le rôle des collectivités territoriales en
matière d’aide au développement et/ou d’action à caractère humanitaire. Les collectivités
territoriales, établissements publics de coopération intercommunale, les syndicats mixtes
chargés des services publics d’eau potable et d’assainissement peuvent désormais affecter
jusqu’à 1% de leur budget à des actions de coopération et de solidarité internationale.
Ainsi, les dépenses des collectivités territoriales en matière d’action internationale ont
régulièrement cru pour représenter aujourd’hui environ 230 millions d’euros.
Cette dynamique, l’État cherche moins à la contrôler qu’à la coordonner avec la mise
en place de la Commission nationale de la coopération décentralisée (CNCD) créée en
1992 ou de la délégation pour l’action extérieure des collectivités territoriales qui, au sein
du ministère des affaires étrangères et européennes cherche à mieux insérer l’appui à la
coopération décentralisée dans la politique de coopération internationale. Si cette concer‑
tation semble relativement bien fonctionner pour l’aide au développement et les actions
de solidarité en général, celle‑ci semble nettement plus délicate quand l’action internatio‑
nale des collectivités renvoie aux enjeux de compétitivité territoriale. En effet, les priorités
défendues par les collectivités territoriales peuvent être assez éloignées de celles défendues
par l’État, en particulier dans le champ des politiques européennes où les collectivités
territoriales se heurtent au refus de l’État de les associer officiellement aux négociations
contrairement à d’autres États membres comme l’Allemagne, l’Italie ou l’Espagne.
Les instruments de l’action internationale
Du jumelage à l’aide au développement, en passant par la promotion économique
ou la coopération transfrontalière, l’action internationale des collectivités territoriales est
protéiforme 9. Si l’on raisonne en terme d’instruments d’action publique, il est possible
de dégager trois grands types d’instruments utilisés par les collectivités territoriales en
matière d’action extérieure : les réseaux de coopération, les associations de représentation
et, enfin, les bureaux de liaison et d’information.
Les réseaux de coopération
Les réseaux de coopération reposent sur des logiques bilatérales ou multilatérales.
Le jumelage est la forme de coopération la plus ancienne dans l’histoire de la coopéra‑
tion décentralisée 10. Il concerne aujourd’hui près de 6 000 communes françaises selon le
Conseil des communes et des régions d’Europe (CCRE). Cependant, le développement de
9. Viltard (Yves), « Diplomatie des villes : collectivités territoriales et relations internationales »,
Politique étrangère, n° 3, 2010, p. 593‑604.
10. Vion (Antoine), « L’invention de la tradition des jumelages (1951‑56) : mobilisations pour un droit »,
Revue française de science politique, 53 (2003/4), p. 559‑582.
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Tableau 1. Les instruments de coopération des régions françaises
en Europe (2010) 13
Régions
Coopération bilatérale
Représentation
politique*
Réseaux
thématiques**
Alsace
Basse‑Silésie, Land haute‑Autriche,
Région Ouest Roumanie, Jiangsu
ARFE, ARE,
AREV
Interreg IV Rhin
supérieur
Errin
Aquitaine
Länder de Hesse et Hambourg
Euzcadi, Emilie‑Romagne,
Galati
AREV,
CRPM, CTP
Interreg IV Sud Ouest
Auvergne
Nord Portugal
Bourgogne
Bohême centrale (Rép Tchèque),
Land de Rhénanie Palatinat
Voivodie d’Opole
AREV
Interreg IV
Errin
Bretagne
Saxe, Pays de Galles, Voïvodie de
Wielkopolska
AFCCRE,
CRPM
Interreg IV
Errin
NRG4SD
Centre
Interreg IV
Interreg IV Europe
du Nord Ouest
11. Harguindeguy (Jean-Baptiste), La frontière en Europe : un territoire ? Coopération transfrontalière
franco-espagnole, Paris, L’Harmattan, 2007.
12. Une nouvelle autorité transfrontalière a aussi été créée, le Groupement européen de coopération
territoriale (GECT).
13. Source : Élaboration propre.
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réseaux multiniveaux d’action publique a contribué, tout à la fois, et à la diversification,
et à la professionnalisation des formes de coopération. Les politiques de l’Union euro‑
péenne ont joué à cet égard un rôle particulier avec la mise en place dans les années 1990
de programmes dédiés à la coopération interrégionale, les programmes « Interreg » 11.
Avec la programmation 2007‑2013, la coopération territoriale est même devenue l’un des
trois objectifs fondamentaux de la politique de cohésion 12.
On peut en distinguer deux grands types de réseaux de coopération : les coopéra‑
tions bilatérales qui repose sur un accord de coopération technique et/ou culturel et des
réseaux thématiques multilatéraux qui fonctionnent sur l’échange de bonnes pratiques
entre les collectivités territoriales et leurs homologues étrangères comme le souligne
le tableau ci‑dessous consacré aux différents types de coopérations qui impliquent les
régions françaises, les coopérations régionales bilatérales reposent sur un accord de
coopération plus ou moins développée entre les régions françaises et d’autres régions
européennes de pays tiers. Les coopérations les plus structurées reposent souvent sur
des traditions coopératives inscrites dans le temps et consolidées par des dispositifs
juridiques et financiers comme les eurorégions. La coopération développée depuis plu‑
sieurs décennies entre le Nord Pas Calais et les régions belges fait à cet égard figure
de cas d’école.
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Régions
Coopération bilatérale
Représentation
politique*
Réseaux
thématiques**
Cham‑
pagne‑
Ardenne
Wallonie
Région grande plaine du Nord
(Hongrie)
Région de Nitra (Slovaquie)
ARE, AREV,
ARFE
Interreg IV
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Corse
Sardaigne, Baléares
CRPM
Errin
Imedoc
(groupement des îles
de la méditerranée
occidentale)
Franche‑
Comté
Land de Thuringe
ARE
Interreg IV
Île‑
de‑France
Région Bruxelles‑capitale
Land de Brandebourg
Région de Mazovie
ARE, CCRE,
Metropolis
Errin
Plateforme euro‑
péenne des régions
périurbaines (Purple)
Langue‑
doc‑
Roussillon
Catalogne, Midi‑Pyrénées, Iles
baléares
Eurorégion Pyrénées‑Méditerranée
CTP
Interreg IV
Limousin
Andalousie, Poméranie
ARE,
AFCCRE
Rur@ct
Sen@er
Lorraine
Grande Région (Luxembourg,
Länder de Sarre et de
Rhénanie‑Palatinat, Wallonie,
Meurthe et Moselle, Moselle)
ARE,
AFCCRE
Interreg IV Grande
Région
Midi‑
Pyrénées
Catalogne, Midi‑Pyrénées, Iles
baléares
Eurorégion
Pyrénnées‑Méditteranées
CTP
Interreg IV
Nord‑Pas‑
de‑Calais
Flandres et Wallonie (2 groupe‑
ments de coopération territoriale),
Kent, Rhénanie Nord‑Westphalie
AFCCRE,
CRPM
Interreg IV
Basse‑
Normandie
CRPM
Interreg IV
Errin
Haute‑
Normandie
CRPM
Interreg IV
CRPM
Interreg IV
Errin
Pays de la
Loire
Emilie‑Romagne,
Schweslig‑Holstein, départements
hongrois
Picardie
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Interreg IV
Errin
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Régions
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Coopération bilatérale
Poitou‑
Charentes
Représentation
politique*
Réseaux
thématiques**
CRPM
Interreg IV
PACA
Eurorégion Alpes‑Méditerranée
(Ligurie, Piémont, Val d’Aoste,
Rhônes‑Alpes)
CRPM
Interreg IV
Rhône‑
Alpes
Eurorégion Alpes‑Méditerranée
Quatre moteurs de l’Europe
(Catalogne, Bade-Wurtemberg,
Lombardie)
ARFE
Interreg IV
ECREIN
Errin
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* Association européenne des régions viticoles (AREV), Assemblée des régions d’Europe (ARE),
Association des régions frontalières d’Europe (ARFE), Association française du conseil des communes et des
régions d’Europe (AFCCRE), Communauté de travail des Pyrénées (CTP), Conférence des régions périphé‑
riques maritimes d’Europe (CRPM).
** Par nature les réseaux thématiques sont évolutifs, il s’agit donc ici d’un recensement ad hoc. :
Eco‑Innovation and eco investments Network (ECREIN), European regions research & innovative network
(Errin),Nettwork of regional governements for sustainable developement (NRG4SD), Rur@ct (politiques
rurales innovantes), Sen@er (déclin démographique et vieillissement).
Enfin, il faut ajouter les réseaux multilatéraux qui sont souvent largement finan‑
cés par la Commission européenne et visent à des échanges de bonnes pratiques sur des
thématiques précises comme comme « Eco‑Innovation and eco investments Network »
(ECREIN), « European regions research & innovative network » (Errin), « Network of
regional governements for sustainable developement » (NRG4SD), « Rur@ct » (poli‑
tiques rurales innovantes) ou encore « Sen@er » (déclin démographique et vieillisse‑
ment). Tous ces programmes visent à accroître les échanges, la coopération et l’entraide
entre les autorités locales et régionales à travers l’UE. Ainsi, les collectivités territoriales
françaises ont développé une large gamme d’outils de coopération qui leur permettent de
mieux maîtriser plusieurs dimensions du développement local et régional, ou en tout cas
de ne plus être enfermé dans une relation de dépendance technique et informationnelle
vis‑à‑vis des services de l’État.
Les associations de représentation
Les associations représentatives, quant à elles, ont pour objet de représenter les
autorités sub‑nationales auprès des instances européennes ou internationales et de faire
progresser les opinions de leurs membres sur l’articulation entre autorités locales et régio‑
nales, État membre, Union européenne ou organisation internationale. On trouve tout
d’abord deux associations généralistes qui ont joué un rôle majeur dans la création du
Comité des régions : le CCRE et l’Assemblée des régions d’Europe (ARE). À ces asso‑
ciations généralistes s’ajoutent des représentations économiques ou géographiques qui
s’organisent, quant à elles, autour d’intérêts spécifiques liés à des caractéristiques éco‑
nomiques ou géographiques. L’une des plus influentes, créée en 1973, est la Conférence
des régions périphériques maritimes (CRPM) qui regroupe plus de cent soixante régions
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membres. D’autres associations territoriales existent, on peut citer pêle‑mêle, l’asso‑
ciation Eurocities qui regroupe les plus grandes villes européennes, l’association les
« Quatre moteurs de l’Europe » qui regroupent quatre régions très compétitives de
l’Union européenne (Rhône‑Alpes, Bade‑Wurtemberg, Catalogne, Lombardie), les
Régions européennes d’industrie traditionnelle (RETI), ou l’association européenne des
régions viticoles (CERV) au sein de laquelle les régions françaises sont particulièrement
actives. On peut citer aussi les associations transfrontalières comme l’association des
régions frontalières européennes (ARFE) créée en 1972 ou la Communauté de travail des
Pyrénées (CTP) créée en 1983. Ces associations sont les lieux privilégiés d’échanges en
matières de politiques publiques et de mise en commun d’expériences sur des domaines
variés qu’il s’agit ensuite de valoriser auprès des instances européennes.
À l’échelle mondiale, les collectivités ont également cherché à se structurer.
L’association « Cité Unies France », composante de Cités et Gouvernements locaux unis
(CGLU), dont le siège est à Barcelone, anime ainsi un réseau de 3000 collectivités terri‑
toriales impliquées dans la coopération décentralisée sur différents continents. De même,
plusieurs régions françaises sont parties prenantes du Forum global d’associations de
régions (FOGAR) créé au Cap, en août 2007 sur le fondement de la Déclaration des
régions sur leur participation à la gouvernance de la mondialisation, signée à Marseille
quelques mois plus tôt à l’occasion de la première convention internationale pour une
approche territoriale du développement. Au travers de ses dix‑sept réseaux de régions en
provenance de tous les continents, le FOGAR regroupe aujourd’hui plus de 900 régions.
Les bureaux de liaison et d’information
Les collectivités territoriales ont également développé depuis une vingtaine d’années
des bureaux de liaison et d’information pour promouvoir et défendre leurs intérêts dans
les politiques de l’Union européenne. À Bruxelles, les premiers bureaux de liaison et
d’information à Bruxelles sont créées en 1984 et 1985 par la ville de Birmingham et les
Länder de Hambourg et de Sarre. En 1993 elles sont 54, plus de 140 en 1995, 226 en
2007 14. En France, en Espagne, en Italie comme en Allemagne, la plupart des bureaux
de liaison sont régionaux. On note cependant une corrélation entre le degré d’autonomie
des régions et l’importance de leur représentation 15. Plus les régions peuvent mobiliser
de ressources institutionnelles et financières, plus elles disposent de bureaux de repré‑
sentation étoffés en moyens et ressources humaines. Ainsi, en moyenne, les bureaux de
représentation des Communautés autonomes espagnoles comptent onze employés alors
que les bureaux des régions françaises n’emploient en moyenne pas plus de quatre sala‑
riés permanents 16. Cependant, l’importance et la représentativité de ces bureaux varient
selon les régions. Certains ne représentent que le niveau régional, d’autres l’ensemble des
collectivités territoriales de la région. Une tendance nette à la mutualisation s’observe
cependant comme le montre le tableau ci‑dessous. Depuis le début des années 2000 et la
perspective de l’élargissement, plusieurs régions françaises ont nettement renforcé leur
14. En 2007, les bureaux de représentation accrédités par la Région de Bruxelles capitale sont majori‑
tairement l’émanation d’autorités régionales décentralisées (165) mais aussi d’autorités locales ou encore des
représentations d’acteurs privés régionaux.
15. Pasquier (Romain), Le pouvoir régional. Mobilisations, décentralisation et gouvernance, Paris,
Presses de Sciences‑Po (à paraître).
16. Auxquels s’ajoutent presque toujours un ou deux stagiaire et/ou un volontaire international en
entreprise (VIE).
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romain pasquier
présence à Bruxelles en terme de personnels et donc d’expertise : « On a des contacts per‑
manents avec les régions françaises. Elles sont vraiment bien implantées maintenant » 17.
C’est le cas notamment du bureau Île-de-France Europe, créé en 2003, qui représente le
conseil régional et plusieurs conseils généraux franciliens, le bureau Auvergne‑Centre
Limousin ou encore l’espace interrégional Bretagne‑Pays de la Loire Poitou‑Charentes,
créés tous les deux en 2005, qui comptent respectivement 7 et 8 personnels permanents.
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Régions
Historique
Types de structures
Personnel
Alsace
Bureau Alsace (1979, 1990)
Mutualisation
avec collectivités
alsaciennes
2 permanents
Aquitaine
Bureau Aquitaine Europe
(1999)
Individuelle
4 permanents
Auvergne
Bureau
Auvergne‑Centre‑Limousin
(2005)
Mutualisation entre
trois régions
7 perma‑
nents (dont 2
Auvergne)
Bourgogne
Bureau Bourgogne‑Franche
Comté à Bruxelles
Maisons de Bourgogne à
Mayence et Prague
Mutualisation avec
les autres collecti‑
vités territoriales
Bretagne
Espace interrégional
Bretagne/Pays de la Loire/
Poitou‑Charentes (2005)
Délégation permanente de la
Bretagne (1988)
Mutualisation et
individuelle
8 permanents
mutualisés
+
1 permanent
Bretagne
Centre
Bureau Auvergne‑Centre‑
Limousin (octobre 2005)
Mutualisation avec
les trois régions
7 permanents
(dont 1 Centre)
Champagne‑
Ardenne
Délégation
Lorraine‑Champagne Ardennes
(2008)
Mutualisation avec
les autres collecti‑
vités territoriales
4 permanents
Corse
Antenne de la collectivité terri‑
toriale de Corse (1996)
Individuelle
1 permanent
Franche‑Comté
Bureau Bourgogne‑Franche
Comté à Bruxelles
Mutualisation avec
les autres collecti‑
vités territoriales
2 permanents
Île‑de‑France
Île‑de‑France Europe (1994,
1999, 2003)
Mutualisation avec
les conseils géné‑
raux d’IdeF
6 permanents
17. Entretien, Commission européenne, DG regio, décembre 2008.
18. Source : Élaboration propre de l’auteur
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3 permanents
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Tableau 2. Les bureaux de représentation des régions françaises à Bruxelles (2009) 18
quand le local rencontre le global…
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Régions
Historique
Types de structures
Personnel
Languedoc‑
Roussillon
Maison du
Languedoc‑Roussillon
Individuelle
3 permanents
Limousin
Bureau
Auvergne‑Centre‑Limousin
(2005)
Mutualisation avec
les trois régions
7 perma‑
nents (dont 1
Limousin)
Lorraine
Délégation
Lorraine‑Champagne Ardennes
(1994, 2008)
Mutualisation
avec l’ensemble
des CT
4 permanents
Midi‑Pyrénées
Représentation Midi‑Pyrénnées
(2001)
Mutualisation
avec l’ensemble
des CT
4 permanents
Nord‑Pas‑
de‑Calais
Délégation générale Europe
(1989)
Individuelle
6 permanents
Basse‑Normandie
Représentation
Basse‑Normandie (2006)
Individuelle
2 permanents
Haute‑Normandie
Représentation
Haute‑Normandie (1994)
Individuelle
2 permanents
Pays de la Loire
Espace interrégional
Bretagne/Pays de la Loire/
Poitou‑Charentes (2005)
Mutualisation avec
les trois régions
8 permanents
mutualisés
Picardie
Bureau Picardie
Individuelle
1 permanent
Poitou‑Charentes
‑ Espace interrégional
Bretagne/Pays de la Loire/
Poitou‑Charentes (2005)
Mutualisation
avec les trois
régions
8 permanents
mutualisés
Individuelle
en voie de mutuali‑
sation (Eurorégion)
3 permanents
4 permanents
PACA
Bureau PACA (2000)
Rhône‑Alpes
Délégation rhonalpine (1990)
Individuelle
en voie
de mutualisation
eurorégion
Guadeloupe
Eurodom (1989)
Mutualisation
public/privé
2 permanents
Guyane
Eurodom (1989)
Mutualisation
public/privé
2 permanents
Martinique
Eurodom (1989)
Mutualisation
public/privé
2 permanents
Réunion
Eurodom (1989)
Mutualisation
public/privé
2 permanents
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romain pasquier
L’intérêt d’une représentation à Bruxelles tient avant tout à ce qu’elle permet une
veille d’informations sur la réglementation et les programmes communautaires 19. En
fonction de leurs moyens, les bureaux de représentation assurent une mission de suivi et
de traitement de l’information en provenance des instances communautaires qui peuvent
affecter le territoire régional. Les bureaux répercutent aux décideurs de chaque région
les informations recueillies en même temps qu’elles collectent des renseignements
auprès des acteurs de l’Union. Ils servent également d’appui à un large éventail d’acteurs
régionaux et locaux publics ou privés qui montent un projet de financement européen,
recherchent un partenariat ou plus simplement une information précise à la source. Ces
bureaux peuvent donc être considérés comme des têtes de pont des régions françaises à
Bruxelles, mais en aucun cas comme les outils exclusifs d’une influence politique euro‑
péenne. Si, influence politique il y a, celle‑ci se joue dans une stratégie multi‑positionnée
bien plus large, incluant les scènes politiques régionale, nationale et européenne.
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Après les paramètres de changement et les instruments d’action, il est maintenant
temps d’évaluer les stratégies implicites et explicites des collectivités territoriales en
matière d’action internationale. Le développement de l’action extérieure révèle en effet
trois phénomènes importants dans la gouvernance territoriale contemporaine : la stan‑
dardisation de l’action publique territoriale, le marketing territorial et la paradiplomatie.
L’action internationale comme standardisation de l’action publique territoriale
L’action internationale n’échappe pas à un processus de standardisation de l’action
publique territoriale 20. Deux constats alimentent cette thèse : la professionnalisation des
milieux décisionnels locaux ; et l’accélération des logiques d’échanges entre niveaux et
de gouvernement.
La professionnalisation des élites politiques territoriales s’inscrit dans un vaste mou‑
vement, qui voit se développer la catégorie des professionnels de la politique, vivant de la
politique et pas seulement pour elle selon l’heureuse formule de Max Weber. Au niveau
territorial cette professionnalisation se manifeste par la généralisation de savoir‑faire
décisionnels illustrés par la capacité à mobiliser des registres techniques et des langages
divers (droit, budget, architecture, environnement, démocratie local, développement
économique), et notamment celui de l’attractivité territoriale et de la promotion du ter‑
ritoire bien au‑delà des frontières traditionnelles. Cette professionnalisation alimentée
par l’acquisition régulière de nouveaux savoirs produit des effets de conformisme dont
l’action internationale est une des manifestations. Pour les professionnels de la vie poli‑
tique locale, l’action internationale, sous ces différentes formes, fait aujourd’hui partie de
la boîte à outils pour développer, donner à voir et rendre attractif son territoire. D’autant
19. Aldeocca (F.), Keating (Michael), « Paradiplomacy in Action » Regional and Federal Studies, 9 (1),
1999, p. 1‑16.
20. Arnaud (Lionel), Le Bart (Christian) et Pasquier (Romain), « Does ideology matter ? Standardisation
de l’action publique territoriale et recompositions du politique » in Arnaud (Lionel), Le Bart (Christian) et
Pasquier (Romain) dir., Idéologies et action publique territoriale, Rennes, PUR, 2006, p. 11‑31.
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Enjeux et stratÉgies de l’action internationale
quand le local rencontre le global…
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que cette standardisation ne repose pas seulement sur les élus. C’est l’ensemble des
milieux décisionnels territorialisés qui se trouvent enrôlé dans un univers standardisé. À
commencer bien sûr par les fonctionnaires territoriaux dont la socialisation via la méca‑
nique des concours, de la formation continue, de la mobilité professionnelle se traduit par
une convergence des représentations sociales et des instruments d’action. Mais au‑delà
c’est l’ensemble des élites territoriales qui se trouvent intégrées au jeu standardisé de la
gouvernance : élites économiques, associatives, culturelles universitaires… Tous peuvent
être ainsi facilement intégrés à l’internationalisation d’un projet de développement pour
telle ou telle collectivité.
L’accélération des logiques d’échanges entre niveaux de gouvernement vient démul‑
tiplier cette dynamique de professionnalisation. Elle pousse à la diffusion accélérée de
l’innovation, à la circulation rapide des façons de faire standardisées. Les professionnels
de l’administration territoriale raisonnent et travaillent désormais à l’échelle de territoires
élargis et ouverts : concurrence entre les territoires, intercommunalité, partenariats multi‑
niveaux, là encore la socialisation par frottement et capillarité favorisent la circulation de
modèles d’action publique souvent labellisés « gouvernance » dont la composante interna‑
tionale est omniprésente. Le gouvernement par contrats appelle des rapprochements, des
compromis, des mouvements vers le consensus. L’Union européenne joue encore une fois
à cet égard un rôle particulier dans la mesure où la mise en réseau des nouvelles recettes et
instruments d’action publique sensibilise les collectivités territoriales aux potentialités de
l’action internationale. Ainsi, les institutions s’ouvrent les unes sur les autres, les frontières
traditionnelles entre élus, fonctionnaires et experts de l’action publique territoriale s’ame‑
nuisent au point de faire émerger un monde professionnel avec sa culture, ses habitudes,
sa vision du moderne et de l’archaïque, du pensable et de l’impensable. Les revues profes‑
sionnelles, les associations professionnelles, les organismes de formation, les réseaux mul‑
tiniveaux de politique publique sont autant de machine à standardiser ce milieu. L’action
internationale (comme le partenariat, le développement durable, le projet de territoire, la
bonne gouvernance…) s’impose aujourd’hui comme une évidence interne à ce milieu avant
de constituer une évidence stratégique pour promouvoir les collectivités territoriales.
L’action internationale comme marketing territorial
Le marketing territorial s’est progressivement imposé comme un élément structurant
à l’échelle de l’ensemble des politiques publiques territoriales. On peut le définir comme
« l’ensemble des actions publiques menées par une collectivité afin d’améliorer ou de
parfaire son image auprès de groupes‑cibles supposés être en mesure de participer à son
développement » 21. La question de l’image des territoires a été mise à l’agenda en France
dans les années quatre‑vingt dix, soit une décennie après les réformes de décentralisation.
Le lien entre les deux phénomènes est évident : la décentralisation a accentué les méca‑
nismes de concurrences entre les territoires, chacun s’efforçant d’attirer des richesses par
ses propres moyens. L’action internationale en tant que stratégie de projection extérieure
des collectivités territoriales entre aujourd’hui dans les stratégies d’attractivité dévelop‑
pées par les collectivités territoriales. En témoigne, par exemple, l’activisme récent des
régions et des villes françaises à stabiliser des partenariats en Chine.
21. Le Bart (Christian), « Marketing territorial », dans Pasquier (Romain), Guigner (Sébastien) et Cole
(Alistair) dir., Dictionnaire des politiques territoriales, Paris, Presses de Sciences po, 2011.
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Le marketing territorial fut longtemps cantonné au pur registre communicationnel :
spots et slogans publicitaires, campagnes d’affiches, encadrés dans la presse, logos…
S’il a permis de distinguer quelques collectivités avant‑gardistes, ce registre a vite
démontré ses limites. Quand toutes les collectivités se sont mises à communiquer, le
jeu est apparu pour ce qu’il était : à somme nulle. D’où un glissement vers une vision
à la fois plus modeste et plus ambitieuse de la communication. Le marketing n’est plus
un secteur parmi d’autres de l’action publique territoriale, il devient le référentiel trans‑
versal qui doit imprégner l’ensemble des actions publiques menées afin de renforcer
l’attractivité des territoires. Dès lors aujourd’hui une grande partie de l’action interna‑
tionale des collectivités territoriales emprunte au marketing territorial. Si le choix d’une
action internationale obéit, certes, d’abord à des considérations sectorielles ou géogra‑
phiques, il s’effectue aussi au regard des images de dynamisme et de solidarité que ces
opérations vont véhiculer. Par exemple, pour une grande ville française, participer à
l’association Eurocities, c’est faire partie du gotha des grandes métropoles européennes
et donc de bénéficier du prestige symbolique qui en découle. Ainsi retravaillées par
le marketing territorial, l’action internationale n’est plus simplement affaire de coopé‑
ration décentralisée ou d’aide au développement mais doit participer à la promotion
économique, sociale et culturelle d’un territoire. Ajoutons qu’en ce sens, le marketing
territorial de l’action internationale est une ressource de leadership : il conforte l’image
du maire ou du président de région chef d’orchestre du territoire, maître de la cohérence
de l’action publique, et responsable du développement territorial. Ainsi, on voit nombre
de « grands » élus territoriaux chercher à présider des associations de représentation
territoriale à l’échelle internationale 22.
L’action internationale comme paradiplomatie territoriale
Les activités para‑diplomatiques 23 des collectivités territoriales comportent trois
dimensions essentielles : le recueil d’information ; une mise en réseau des institutions
supranationales et des autorités sub‑étatiques et enfin une influence sur les décisions
supranationales. Nous l’avons vu dans les politiques de l’Union européenne, la très grande
majorité des régions françaises remplissent ces deux premières missions. Pour ce qui est
de l’influence politique, cela suppose d’autres ressources. En effet, contrairement aux
Länder allemands, aux communautés autonomes espagnoles ou aux régions italiennes, les
régions françaises n’ont pas accès au Comité des représentants permanents (COREPER),
instance qui prépare les décisions du Conseil de l’Union européenne. Ainsi, les régions
françaises n’ont pas d’accès légal à la décision européenne. Pour envisager une influence
politique dans les négociations européennes ou internationales, il leur faut construire des
stratégies régionales complexes qui enrôlent les services de l’État et les collectivités terri‑
toriales sur le territoire régional. À ce jeu autour de l’institutionnalisation de l’action col‑
lective, une forte différenciation se fait jour entre des régions qui ont la capacité de bâtir
des coalitions territoriales relativement stables autour d’une vision partagée du territoire
et de son développement, et celles qui ne le peuvent pas comme l’illustre la comparaison
entre l’Île‑de‑France et la Bretagne.
22. Le Drian (Jean‑Yves), président de la Région Bretagne, a ainsi pris, en octobre 2010, la présidence
de la CRPM, principal lobby territorial dans l’UE.
23. Paquin (Stéphane), Paradiplomatie et relations internationales. Théorie des stratégies internatio‑
nales des régions, PIE‑Peter Lang, 2004.
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quand le local rencontre le global…
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La Région Île‑de‑France est bien présente à Bruxelles depuis 1994. Cette antenne
francilienne assume efficacement ses missions techniques de suivi des politiques euro‑
péennes sans pour autant que l’on puisse percevoir une stratégie politique globale de
projection européenne des acteurs franciliens dans une région qui est l’une des plus riches
de l’Union européenne La composition de l’association Île‑de‑France Europe qui assume
la représentation francilienne à Bruxelles révèle la fragmentation politique et économique
de la région. Seules sont représentées les collectivités territoriales dirigées par la gauche
socialiste ou communiste. Quant à la Ville de Paris, elle brille par son absence. Par ail‑
leurs, la Région Île‑de‑France, région capitale doit négocier en permanence sa vision
territoriale avec celle de l’État qui continue de développer sa propre vision du développe‑
ment de la région capitale. Ce contexte politique, économique et institutionnel rend diffi‑
cile la construction d’une stratégie francilienne proactive dans les politiques européennes.
Contrainte de développer une stratégie européenne dans un espace très politisé à identité
faible, la Région Île‑de‑France se contente d’un mode de gouvernance technique et infor‑
mationnelle des enjeux européens.
À l’inverse, les élites politiques bretonnes bénéficient d’une socialisation politique
approfondie et précoce aux enjeux européens dès les années 1960‑1970. Dans le cadre du
Comité d’études et de liaison des intérêts bretons (CELIB), elles multiplient les initiatives
avec, en particulier, en 1973, la création de la CRPM. Ainsi, en Bretagne, une stratégie
européenne s’élabore très tôt autour d’une représentation partagée du développement
régional : la Bretagne, espace périphérique, doit être connectée au mieux du cœur écono‑
mique de l’Europe. L’ouverture, dès 1988, d’un bureau de liaison par le conseil régional à
Bruxelles, traduit cette européanisation des élites politiques bretonnes. À partir de 2004, la
stratégie européenne de la Bretagne se renforce encore. Une conférence des affaires euro‑
péennes est instaurée entre la Région, les quatre conseils généraux et les dix communau‑
tés d’agglomération de Bretagne. Dans cette conférence un consensus émerge : les fonds
européens doivent cofinancer en priorité les investissements ferroviaires pour rapprocher
la Bretagne de Paris et du cœur économique de l’Union européenne. On est donc bien ici
en présence d’une stratégie régionale proactive qui a investi depuis plusieurs décennies
le champ européen. Au‑delà des difficultés légales comme l’impossibilité d’accéder à la
délégation française au Comité des représentants permanents de l’Union européenne, la
coalition bretonne parvient sur certains sujets à une influence politique dans la fabrique
des décisions européennes 24.
*
* *
La politique extérieure, champ d’action traditionnellement régalien, est devenue de
fait une compétence partagée entre l’État et les collectivités territoriales. Sous l’influence
des logiques de mondialisation économique et d’européanisation des politiques publiques,
l’action internationale des collectivités territoriales change de nature. Longtemps canton‑
née à la célébration de liens d’amitié et de solidarité entre les peuples, l’action internatio‑
nale s’intègre désormais à des stratégies globales de projection et d’attractivité territoriale.
Les instruments de l’action internationale se diversifient et se professionnalisent. Aux
réseaux multiniveaux de coopération ou de représentation politique viennent s’ajouter
24. Pasquier (Romain), Le pouvoir régional. Mobilisations, décentralisation et gouvernance en France,
Paris, Presses de Sciences‑po (à paraître).
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la construction d’antennes paradiplomatiques à l’échelle européenne et globale. L’action
internationale est ainsi devenue pour les élus et leurs équipes politico‑administratives
une ressource de leadership qu’ils utilisent à des fins de valorisation et de promotion des
territoires dont ils ont la charge. Cependant, seules quelques grandes villes et régions sont
capables de produire des stratégies suivies de défense des intérêts régionaux. Les villes
et les régions dans lesquelles des croyances et des pratiques politiques spécifiques préa‑
lablement structurées facilitent l’action collective paraissent plus aptes à se positionner
dans les échanges inter‑organisationnels et les nouveaux réseaux politiques qui s’orga‑
nisent à l’échelle transnationale.