AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS COUR D`APPEL DE PARIS 4ème

Transcription

AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS COUR D`APPEL DE PARIS 4ème
i
Grosses délivrées
aux parties le :
RÉPUBLIQUE FRANÇAISE
AU NOM DU PEUPLE FRANÇAIS
COUR D'APPEL DE PARIS
4ème Chambre - Section B
ARRÊT DU 2 DÉCEMBRE 2005
(n°
, 9
pages)
Numéro d'inscription au répertoire général : 04/22431
Décision déférée à la Cour : Jugement du 15 Septembre 2004 -Tribunal de Grande
Instance de PARIS - RG n° 02/6630
APPELANTES
Société ALDEMAR AG
société de droit suisse
agissant poursuites et diligences en la personne de ses représentants légaux
dont le siège social est GRAFENAUWEG 10 - 6301 ZUG
SUISSE
représentée par la SCP ROBLIN - CHAIX de LAVARENE, avoués à la Cour,
assistée de Maître HOLLIER-LAROUSSE, Avocat au Barreau de Paris,
Société en Commandite Simple C&AFRANCE
agissant poursuites et diligences en la personne de son gérant
dont le siège social est 122, rue de Rivoli
75001 PARIS
représentée par la SCP ROBLIN - CHADC de LAVARENE, avoués à la Cour,
assistée de Maître HOLLIER-LAROUSSE, Avocat au Barreau de Paris,
INTIMEE
S.A. CHRISTIAN DIOR COUTURE
agissant poursuites et diligences en la personne du Président du Conseil d'Administration
ayant son siège 30, avenue Montaigne
75008 Paris,
représentée par la SCP HARDOUIN, avoués à la Cour,
assistée de Maître Michel-Paul ESCANDE, avocat au Barreau de Paris, R266.
COMPOSITION DE LA COUR :
L'affaire a été débattue le 28 octobre 2005, en audience
publique, devant la cour composée de :
Madame PEZARD, président,
Madame REGNIEZ, conseiller,
Monsieur MARCUS, conseiller,
qui en ont délibéré.
GREFFIER, lors des débats : L. MALTERRE-PAYARD
ARRÊT:
- contradictoire.
- prononcé publiquement par Madame PEZARD, président.
- signé par Madame PEZARD , président et par
L.MALTERRE- PAYARD, greffier présent lors du prononcé.
La cour est saisie de l'appel interjeté par la société de droit suisse ALDEMAR AG du
jugement contradictoire de la troisième chambre (l ere section) du tribunal de grande
instance de Paris, en date du 15 septembre 2004, qui a :
- reçu la société en commandite simple C & A FRANCE (ci-après société C & A) en son
intervention volontaire en demande,
- reçu les sociétés ALDEMAR et C & A en leurs demandes mais les a dites mal fondées,
- reçu la société anonyme CHRISTIAN DIOR COUTURE (ci-après société DIOR) en sa
demande reconventionnelle mais l'a dite mal fondée,
En conséquence,
- débouté les sociétés ALDEMAR, C & A et DIOR de leurs demandes respectives,
- dit n'y avoir lieu à application de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile,
- condamné in solidum les sociétés ALDEMAR et C & A aux entiers dépens ;
*
*
*
Il convient de rappeler que la société ALDEMAR est titulaire de plusieurs marques
communautaires portant sur le signe "RODEO", parmi lesquelles :
•
la marque n°000.790.154, déposée le 3 avril 1998,
enregistrée le 18 janvier 1999 et publiée en date du 25
novembre 1999, pour désigner notamment des "appareils et
instruments optiques",
•
la marque n°000.106.252, déposée le 1er avril 1996,
enregistrée le 22 décembre 1997 et publiée en date du 15 mai
1998, pour désigner notamment des "vêtements, chaussures
et chapellerie''' ;
La société C & A exploite en France lesdites marques "RODEO" et commercialise sous
celles-ci des vêtements et des lunettes ;
Ayant découvert que la société DIOR commercialisait depuis septembre 2000, sur le
territoire français, un modèle de lunettes dénommé "RODEO DRIVE", la société
ALDEMAR s'est faite autorisée par ordonnance du Président du tribunal de grande
Cour d'Appel de Paris
4ème Chambre, section B
A R R E T DU 2 / 1 ^ 0 0 5
RG n°2O04/22431 - 2èniéjfege
instance de Paris en date du 14 mars 2002 à faire pratiquer une saisie-contrefaçon dans les
locaux de la société DIOR, saisie-contrefaçon qui eut lieu le 2 avril 2002 ;
En date du 7 mai 2002, la société ALDEMAR a fait procéder à deux nouvelles saisiescontrefaçon, autorisées en vertu d'une ordonnance du Président du tribunal de grande
instance de Paris en date du 25 avril 2002, la première dans les locaux d'un magasin à
l'enseigne "LES OPTICIENS CONSEILS", la seconde dans les locaux d'un magasin à
l'enseigne "AFFLELOU", sis respectivement 130 et 140, rue de Rivoli, à Paris (1 er
arrondissement) ; l'huissier instrumentaire saisit, en copies, divers brochures et catalogues
mentionnant les lunettes litigieuses ;
Par actes en dates des 16 avril et 12 mai 2002, la société ALDEMAR fit assigner la société
DIOR en contrefaçon et concurrence déloyale ; la société C & A est ensuite intervenue
volontairement à l'instance ;
Dans leurs dernières conclusions signifiées en date du 20 octobre 2005, la société
ALDEMAR AG et la société en commandite simple C & A FRANCE, appelantes, prient
la cour de :
- infirmer la décision entreprise,
- dire que la société ALDEMAR a la propriété exclusive de la marque communautaire
"RODEO" n°000.790.154 pour désigner, notamment, les "appareils et instruments
optiques",
• dire que la société ALDEMAR a la propriété exclusive de la marque communautaire
"RODEO" n°000.106.252 pour désigner, notamment, les "vêtements",
- dire que l'usage par la société DIOR de la dénomination "RODEO DRIVE" pour des
lunettes de soleil constitue la contrefaçon de la marque communautaire "RODEO"
n°000.790.154 en application de l'article L.713-3 du Code de la propriété intellectuelle,
- dire que l'usage par la société DIOR de la dénomination "RODEO DRIVE" pour des
lunettes de soleil constitue la contrefaçon de la marque communautaire "RODEO"
n°000.106.252 en application de l'article L.713-3 du Code de la propriété intellectuelle,
- dire que l'usage par la société DIOR de la dénomination "RODEO DRIVE" pour des
lunettes de soleil constitue un acte de concurrence déloyale commis au préjudice de la
société C & A, en application de l'article 1382 du Code civil,
- interdire à la société DIOR l'usage de la dénomination "RODEO DRIVE", sous quelque
forme et de quelque manière que ce soit, sous astreinte définitive de 1.000 euros par
infraction constatée et par jour de retard à compter de la signification de l'arrêt à intervenir,
- condamner, en réparation du préjudice subi, la société DIOR à verser à la société
ALDEMAR la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts, quitte à parfaire,
- condamner, en réparation du préjudice subi, la société DIOR à verser à la société C & A
la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts, quitte à parfaire,
- les autoriser à faire procéder à la publication de 1 ' arrêt à intervenir dans trois journaux ou
revues de leur choix, aux frais de la société DIOR, le coût des publications à la charge de
la société DIOR ne pouvant excéder la somme de 30.000 euros H.T., et ce au besoin, en
tant que complément de dommages et intérêts,
- condamner la société DIOR à leur verser la somme de 15.000 euros en application de
Cour d'Appel de Paris
4ème Chambre, section B
te
„ A ? ^ T ( : \-UJ\ 2/2005
RG n 2 0 0 4 / 2 J 2 4 3 \ p ^ e p a g e
l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'en tous les dépens, lesquels
comprendront notamment les frais des saisies-contrefaçon diligentées par Maître PEVERIMARIONNEAU, huissier de justice à Paris, les 2 avril 2002 et 7 mai 2002 ;
*
La société anonyme CHRISTIAN DIOR COUTURE, intimée, demande à la cour, dans ses
dernières conclusions signifiées en date du 12 octobre 2005, de :
- déclarer les sociétés ALDEMAR et C & A mal fondées en leur appel,
- débouter les sociétés ALDEMAR et C & A de toutes leurs demandes,
- confirmer le jugement entrepris en toutes ses dispositions à l'exception de celles
concernant les dommages et intérêts qui lui ont été alloués en réparation de son préjudice,
Y ajoutant,
- dire que tant le tribunal de grande instance que la cour d'appel de céans statuent en
qualité de tribunaux des marques communautaires,
- condamner in solidum les sociétés ALDEMAR et C & A à lui payer la somme de 20.000
euros à titre de dommages et intérêts pour procédure abusive et pour atteinte à sa
réputation,
- condamner in solidum les sociétés ALDEMAR et C & A à lui payer la somme de 10.000
euros au titre de l'article 700 du nouveau Code de procédure civile, ainsi qu'aux entiers
dépens qui comprendront les frais de saisies-contrefaçon ;
CELA ÉTANT EXPOSÉ
SUR LA COMPÉTENCE DE LA COUR
Considérant que la société DIOR, intimée, demande à la cour de dire qu'elle statue en
qualité de tribunal des marques communautaires ;
Considérant que les sociétés ALDEMAR et C & A, appelantes, ne contestent pas cette
demande ; qu'elles relèvent au surplus qu'en se fondant sur les dispositions de l'article 93
§ 5° du règlement 40/94 CE du 20 décembre 1993, elles ont saisi la cour en vue de
connaître des agissements de la société DIOR, argués de contrefaçon, sur le seul territoire
français ;
Considérant en effet qu'il n'est pas contesté par les parties que les appelantes fondent la
compétence de la cour sur les dispositions de l'article 93 § 5° du règlement communautaire
40/94 CE ; qu'il ressort de l'article 94 § 2° de ce même règlement que :
"Un tribunal des marques communautaires dont la
compétence est fondée sur l'article 93 paragraphe 5 ° est
compétent uniquement pour statuer sur les faits commis ou
menaçant d'être commis sur le territoire de l'État membre
dans lequel est situé ce tribunaV ;
Que, dans ces conditions, il échet de constater que la cour n'est effectivement saisie que
des agissements, prétendus contrefaisants, imputés à la société DIOR, commis sur le seul
territoire français ; qu'il en sera donné acte aux parties ;
Cour d'Appel de Paris
4ème Chambre, section B
RGn
n^nùfnfÂf^À
2004/22431 j- 4.
SUR L'USAGE DE LA DENOMINATION "RODEO DRIVE"
Considérant que les sociétés ALDEMAR et C & A demandent à la cour de constater que
la société DIOR commercialise en France une gamme de lunettes de soleil sous la
dénomination "RODEO DRIVE" ; qu'elles invoquent à cette fin les procès-verbaux de
saisies-contrefaçon dressés par Maître PEVERI-MARIONNEAU, huissier, en dates des
2 avril et 7 mai 2002, qui établiraient non seulement que la société DIOR commercialise
des lunettes sous cette dénomination mais encore qu'elle aurait édité un catalogue intitulé
"CHRISTIAN DIOR SUNGLASSES COLLECTION 2002", distribué auprès des
opticiens, destiné à être présenté à la clientèle, et dans lequel figureraient notamment les
modèles commercialisés sous la dénomination litigieuse ; qu'elles ajoutent que de
nombreux sites internet feraient apparaître les modèles "RODEO DRIVE" de lunettes
commercialisés par la société DIOR ;
Considérant que la société DIOR entend préciser les conditions dans lesquelles elle fait
usage de la dénomination "RODEO DRIVE" ; qu'elle indique qu'elle n'a pas déposé ladite
dénomination à titre de marque, que cette dénomination ne fait l'objet d'aucune publicité
auprès du public, que ses lunettes sont commercialisées sous les marques "CHRISTIAN
DIOR" et "CD", que ladite dénomination ne figure que très discrètement sur l'intérieur
d'une des branches des lunettes litigieuses, que les catalogues saisis ne sont aucunement
destinés au public mais au contraire remis en exemplaire unique à chacun de ses
revendeurs agréés afin qu'ils puissent prendre connaissance de sa collection et de passer
commande auprès de son licencié, qu'elle n'est pas auteur des sites internet cités par les
appelantes ;
Considérant que sur l'intérieur de la branche gauche des modèles de lunettes
commercialisés par l'intimée figure la dénomination "RODEO DRIVE" ; qu'il ressort par
ailleurs des procès-verbaux de saisies-contrefaçon précités que si la société DIOR ne
semble distribuer qu'un seul exemplaire de son catalogue "CHRISTIAN DIOR
SUNGLASSES COLLECTION 2002" par revendeur agréé, il n'en demeure pas moins que
ce catalogue, dans lequel apparaissent les modèles de lunettes "RODEO DRIVE", est
consultable par la clientèle ; qu'il convient en conséquence de constater que la société
DIOR fait un usage public de la dénomination "RODEO DRIVE" ;
SUR LA CONTREFAÇON
Considérant que les appelantes sollicitent l'infirmation du jugement entrepris en ce qu'il
a débouté la société ALDEMAR de sa demande au titre de la contrefaçon de ses marques
communautaires "RODEO" sur le fondement de l'article L.713-3 du Code de la propriété
intellectuelle ; qu'elles font valoir à l'appui de leur prétention, d'une part, que les produits
revendiqués par les marques communautaires "RODEO" seraient soit identiques (pour la
marque n°000.790.154, qui protège des "appareils et instruments optiques") soit similaires
(pour la marque n°000.106.252, qui protège des "vêtements", dont les lunettes, accessoires
de mode, sont des produits complémentaires) aux produits commercialisés par la société
DIOR, d'autre part, que l'intégralité du signe "RODEO" serait reprise dans la
dénomination "RODEO DRIVE", que les marques "RODEO" seraient exploitées de
manière conséquente en France par la société C & A, enfin, qu'il existerait bien un risque
de confusion entre la dénomination "RODEO DRIVE" et les marques "RODEO", dans la
mesure où le terme "RODEO DRIVE" n'aurait aucune signification particulière pour le
consommateur d'attention moyenne, où il ne serait pas justifié que les termes "RODEO
DRIVE" auraient une signification propre distincte du terme "RODEO", où le fait que les
clientèles des sociétés en cause et que les prix des produits en cause soient très différents
serait inopérant, et où le fait que la marque "RODEO" soit plus souvent utilisée pour
désigner des vêtements que des lunettes serait encore inopérant ;
Considérant que la société DIOR sollicite la confirmation du jugement déféré en ce qu'il
Cour d'Appel de Paris
4ème Chambre, section B
A I « E T | 1 J 2/12/2005
^G n 2004^243 fcme page
a retenu qu'il n'existait pas de risque de confusion entre les deux signes aux motifs que la
marque "RODEO" ne serait absolument pas connue du public visé par les produits revêtant
la dénomination "RODEO DRIVE", que la marque "RODEO" serait avant tout exploitée
pour désigner des vêtements et n'aurait pas de notoriété pour désigner des lunettes, que les
deux sociétés, par leurs produits respectifs, ne cibleraient pas du tout la même clientèle,
que les signes "RODEO" et "RODEO DRIVE" se distingueraient, sur le plan visuel, par
leur structure et leur longueur, et sur le plan conceptuel, par leur signification propre, que
le terme "RODEO" désignerait un jeu sportif d'origine américaine connu du public
français, que la dénomination "RODEO DRIVE" désignerait, quant à elle, une des plus
célèbres avenues du monde,, connue du grand public, située dans le quartier de Beverly
Hills à Los Angeles aux États-Unis, qu'elle n'a fait qu'un usage très limité de la
dénomination "RODEO DRIVE" ;
Considérant que l'article L.713-3 du Code de la propriété intellectuelle se lit comme suit :
"Sont interdits, sauf autorisation du propriétaire, s'il peut en
résulter un risque de confusion dans l'esprit du public :
a) la reproduction, l'usage ou l'apposition d'une marque,
ainsi que l'usage d'une marque reproduite, pour des
produits ou services similaires à ceux désignés dans
l'enregistrement ;
b) l'imitation d'une marque et l'usage d'une marque imitée,
pour des produits ou services identiques ou similaires à ceux
désignés dans l'enregistrement" ;
Que la société DIOR commercialise des lunettes de soleil sous la dénomination "RODEO
DRIVE" ; qu'il ne saurait être contesté que de tels produits sont strictement identiques à
ceux protégés par la marque "RODEO" n°000.790.154, à savoir des "appareils et
instruments optiques" ;
Que la marque "RODEO" n°000.106.252 protège notamment, quant à elle, les
"vêtements" ; que c'est avec raison et motifs pertinents que la cour adopte que les premiers
juges ont pu retenir que les montures de lunettes étaient des produits similaires aux
vêtements dès lors qu'elles sont devenues des accessoires de la mode et des articles
d'habillement, ainsi que le démontre d'ailleurs la politique de diversification des maisons
de haute couture, telle la société DIOR, qui proposent désormais systématiquement des
accessoires, notamment de ce type, parallèlement à leurs collections de produits de luxe ;
Que les signes "RODEO" et la dénomination "RODEO DRIVE" sont incontestablement
proches tant sur le plan visuel que phonétique, dans la mesure où le terme identique
"RODEO", placé en première position, et qui comporte trois syllabes, par opposition au
terme "DRIVE" qui n'en comprend qu'une seule, apparaît prépondérant au sein de la
dénomination litigieuse ;
Qu'il ressort des pièces versées aux débats, et notamment de l'étude réalisée par l'Institut
LOUIS HARRIS, que sur le plan intellectuel, la dénomination "RODEO DRIVE" n'a
aucune signification pour environ la moitié des personnes interrogées et que seul 1% de
ces personnes associe cette dénomination à une rue de la ville de Los Angeles ; qu'il est
inopérant de soutenir, ainsi que le fait l'intimée, que cette pièce ne serait pas probante car
la dénomination "RODEO DRIVE" serait surtout connue du public constituant sa propre
clientèle, à savoir une tranche aisée de la population, par ailleurs soucieuse des tendances
de la mode, dès lors qu'il est constant que le risque de confusion doit être apprécié par
rapport à un consommateur d'attention moyenne ;
Qu'à ce titre, il n'est pas contesté que le mot "RODEO" est bien connu du public français ;
que le consommateur d'attention moyenne sera naturellement amené à isoler le terme
"RODEO" contenu dans la dénomination en cause, pour lui associer le sens qu'il y
rattache ;
Cour d'Appel de Paris
4ème Chambre, section B
/
RG n°
-6-
*
ARRE] >U 2/12/2005
- 6ème page
04/224
Qu'au surplus, le terme "RODEO" demeure prépondérant au sein de l'expression
litigieuse, dans la mesure où le mot "DRIVE", qui peut être traduit en français par "route"
ou "rue pavée", ne constitue qu'une appellation sans pouvoir évocateur propre ; que c'est
d'ailleurs ainsi que la recherche effectuée sur Internet relativement à l'utilisation de
l'expression "RODEO DRIVE" a pu aboutir à de nombreux résultats ; qu'il ne saurait
cependant en être déduit que cette dénomination a acquis une signification propre pour le
consommateur d'attention moyenne ;
Que le risque de confusion dans l'esprit du consommateur d'attention moyenne ne saurait
être écarté au motif que la renommée de la marque "RODEO"serait uniquement avérée
pour les vêtements, dès lors qu'il a été précédemment démontré que les vêtements étaient
des produits similaires aux lunettes de soleil ; qu'enfin, le fait que la société DIOR n'a fait
usage de l'expression "RODEO DRIVE" qu'à titre de dénomination et non de marque, ou
qu'il existerait une différence, même significative, de prix de vente entre les produits
commercialisés par les deux sociétés en litige est dénué de pertinence, dès lors que l'article
L.713-3 du Code de la propriété intellectuelle ne distingue pas selon les usages de la
marque imitée ;
Qu'il résulte de ces constatations que la reprise du terme "RODEO" au sein de la
dénomination "RODEO DRIVE" est de nature à susciter une confusion dans l'esprit du
consommateur d'attention moyenne quant à l'origine des produits en cause ; que la société
DIOR, en commercialisant une collection de lunettes de soleil sous la dénomination
"RODEO DRIVE", a commis des actes de contrefaçon des marques communautaires
"RODEO" n°000.790.154 et 000.106.252 ; que le jugement sera infirmé sur ce point ;
SUR LE PREJUDICE DE LA SOCIETE ALDEMAR
Considérant que la société ALDEMAR sollicite la condamnation de la société DIOR à lui
verser la somme de 100.000 euros à titre de dommages et intérêts en réparation du
préjudice qu'elle a subi du fait de la contrefaçon de ses marques ;
Considérant que la société DIOR sollicite quant à elle le débouté de la société ALDEMAR
sur ce point ; qu'elle fait valoir que cette dernière n'aurait subi aucun préjudice, notamment
du fait que la marque "RODEO" ne serait quasiment pas exploitée en France pour désigner
des lunettes ;
Considérant que la société ALDEMAR a nécessairement subi un préjudice du fait de la
contrefaçon de ses marques "RODEO" ; que néanmoins, la société ALDEMAR n'exploite
pas directement en France lesdites marques ; qu'elle ne rapporte pas la preuve du préjudice
commercial qu'elle aurait subi ; qu'en conséquence, l'atteinte qu'a subie cette société du
fait de la contrefaçon de ses marques "RODEO" sera intégralement réparée par l'allocation
d'une somme de 5.000 euros à titre de dommages et intérêts ; que la société DIOR sera
condamnée à lui verser ladite somme ;
Que cette condamnation sera assortie d'une mesure d'interdiction dans les termes du
dispositif ;
SUR LA CONCURRENCE DELOYALE
Considérant que la société C & A critique le jugement en ce qu'il l'a déboutée de sa
demande en concurrence déloyale alors que sa demande ne saurait se fonder sur des faits
identiques à ceux invoqués à l'appui du grief de contrefaçon dans la mesure où, n'étant pas
titulaire des marques en cause, elle ne formerait aucune demande de ce dernier chef ;
qu'elle ajoute qu'elle fait des dépenses extrêmement importantes afin de promouvoir
lesdites marques et que le simple fait pour la société DIOR de commercialiser des produits
Cour d ' Appel de Paris
4ème Chambre, section B
„
/ £RKÇT DU 2|
^ G n 2004/22W31 - 7
identiques à ceux qu'elle-même commercialise, sous une marque quasi-identique, engendre
une confusion dans l'esprit du public et porte atteinte au pouvoir distinctif et attractif
desdites marques qui lui cause un préjudice dont elle est fondée à demander la réparation
à hauteur de 100.000 euros ;
Considérant que la société DIOR sollicite sur ce point la confirmation du jugement en ce
qu'il a débouté la société C & A au motif qu'elle se fondait sur des faits identiques à ceux
invoqués à l'appui de la demande du chef de la contrefaçon ;
Considérant que la société C & A ne présente aucune demande fondée sur le grief de la
contrefaçon ; que son action en concurrence déloyale est dès lors recevable quand bien
même elle viserait des faits identiques à ceux invoqués par la société ALDEMAR pour
fonder sa propre demande du chef de la contrefaçon ;
Que toutefois, il convient de relever que les sociétés C & A et DIOR ne sont pas en
situation de concurrence quant aux produits qu'elles commercialisent ; que leurs lunettes
ne s'adressent pas à la même clientèle, qu'elles ne sont pas proposées à la vente dans les
mêmes magasins, qu'elles ne sont d'ailleurs pas vendues à des prix comparables ;
Qu'en tout état de cause, pour que l'action en concurrence déloyale de la société C & A
puisse prospérer, il est nécessaire qu'elle rapporte la preuve d'une faute imputable à la
société DIOR ; qu'il convient de relever des constatations précédemment évoquées que
cette preuve fait défaut ; que la société C & A sera en conséquence déboutée de sa
demande fondée sur des faits de concurrence déloyale ; que le jugement sera confirmé sur
ce point ;
SUR LES AUTRES DEMANDES
Considérant que la société DIOR présente à la cour une demande reconventionnelle tendant
à faire condamner les sociétés appelantes pour procédure abusive ; qu'elle invoque à
l'appui de cette demande que la présente instance n'aurait été engagée à son encontre que
par riposte à une action en contrefaçon préalablement engagée par elle à rencontre de la
société C & A, que la société ALDEMAR aurait ainsi engagé la présente action de
mauvaise foi ; qu'elle fait valoir au surplus que les saisies-contrefaçon réalisées par les
sociétés appelantes auraient été inutiles et auraient porté atteinte à sa réputation ; qu'elle
sollicite l'allocation d'une somme de 20.000 euros en réparation du préjudice qu'elle
prétend avoir ainsi subi ;
Considérant que les sociétés ALDEMAR et C & A sollicitent le rejet de cette demande ;
qu'elles arguent du fait que la société DIOR ne rapporterait pas la preuve de ses allégations
et que leur action serait parfaitement justifiée eu égard aux seuls faits de l'espèce ;
Considérant en effet qu'eu égard aux faits de l'espèce et particulièrement à la
condamnation de la société DIOR pour des actes de contrefaçon des marques "RODEO"
en cause, cette dernière apparaît mal fondée à contester la légitimité de l'action intentée
à son égard ; que la demande reconventionnelle de la société DIOR sera rejetée ; que le
jugement sera confirmé de ce chef ;
Considérant qu'eu égard aux faits de l'espèce, il n'y a pas lieu de prononcer une mesure
de publication ;
Considérant en revanche que l'équité commande de condamner la société DIOR, qui
succombe, à payer aux sociétés appelantes la somme de 10.000 euros au titre de leurs frais
irrépétibles, ainsi qu'aux entiers dépens depremière instance et d'appel, qui comprendront
les frais de saisies-contrefaçon ;
Cour d'Appel de Paris
4ème Chambre, section B
ABtRET ÏMJ 2/1
RG n°2004/22431 /• 8è:
PAR CES MOTIFS
Donne acte aux parties de ce que la cour n'est saisie que des agissements de la société
anonyme CHRISTIAN DIOR COUTURE commis sur le territoire français
Confirme le jugement entrepris en toutes ses dispositions sauf en ce qu'il a débouté la
société de droit suisse ALDEMAR AG de sa demande en contrefaçon de ses marques
communautaires "RODEO" n°000.790.154 et 000.106.252 et sur l'application de l'article
700 du nouveau Code de procédure civile ;
L'infirme sur ces points ;
Dit que la société anonyme CHRISTIAN DIOR COUTURE a commis des actes de
contrefaçon des marques communautaires "RODEO" n°000.790.154 et 000.106.252 ;
Condamne la société anonyme CHRISTIAN DIOR COUTURE à payer à la société de droit
suisse ALDEMAR AG la somme de 5.000 euros en réparation de son préjudice du fait de
la contrefaçon de ses marques communautaires "RODEO" n°000.790.154 et 000.106.252 ;
Interdit à la société anonyme CHRISTIAN DIOR COUTURE l'usage de la dénomination
"RODEO DRIVE", sous quelque forme et de quelque manière que ce soit, sous astreinte
de 1.000 euros par infraction constatée et par jour de retard à compter de la signification
du présent arrêt ;
Rejette toutes autres demandes plus amples ou contraires ;
Condamne la société anonyme CHRISTIAN DIOR COUTURE à verser à la société de
droit suisse ALDEMAR AG et à la société en commandite simple C & A FRANCE la
somme de 10.000 euros en application de l'article 700 du nouveau Code de procédure
civile ;
Condamne la société anonyme CHRISTIAN DIOR COUTURE aux entiers dépens de
première instance et d'appel, qui comprendront les frais des saisies-contrefaçon et admet
la SCP d'avoués ROBLIN CHAIX de LAVARENE au bénéfice de l'article 699 du
nouveau Code de procédure civile .
LE GREFFIER
LE PRESIDENT
Cour d'Appel de Paris
4ème Chambre, section B
ARRET DU 2/12/2005,
RG n "2004/22431 - 9Ême pat
-9-
(
/
*