La charge de la brigade verbale - La Comedie de Clermont Ferrand
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La charge de la brigade verbale - La Comedie de Clermont Ferrand
La charge de la brigade verbale Au Théâtre de Gennevilliers, Pascal Rambert propose « Répétition », avec Audrey Bonnet, Emmanuelle Béart, Denis Podalydès et Stanislas Nordey. Quatre monologues pour un spectacle sur le spectacle sur fond de fin d’une époque. Il y a des auteurs qui ont l’art du dialogue. Pascal Rambert, lui, fait plutôt dans le monologue. C’est ce qui avait fait le succès de « Clôture de l’amour » (2011) quand il avait mis face à face Audrey Bonnet et Stanislas Nordey pour une rupture amoureuse de haute volée verbale. Il renouvelle la chose avec quatre personnages, les deux susnommés, rejoints par Emmanuelle Béart, dans une pièce intitulée « Répétition ». Voilà donc les quatre acteurs, lesquels s’appelleront par leur vrai prénom. Ils sont réunis pour répéter ensemble une pièce autour d’une table virtuelle. Début de l’explication, qui rappelle ce que disait Victor Hugo dans sa préface à « Lucrèce Borgia » : « Le théâtre est une tribune. Le théâtre est une chaire. Le théâtre parle fort et parle haut » Audrey ouvre la danse, tendue comme la corde d’un arc, cheveux de jais, œil de braise, doigt accusateur, parole d’accusatrice publique. C’est une femme blessée et humiliée qui parle. Elle annonce aux trois autres qu’elle quitte la « structure », comme ils disent, car elle ne peut supporter que son compagnon, Denis, ait succombé au charme d’Emmanuelle. Elle n’accuse personne, mais elle dit que pour elle c’est fini, elle ne peut supporter pareille situation, elle préfère claquer la porte. Emmanuelle prend le relais, si l’on ose ainsi s’exprimer. Oui, elle aime deux hommes, et alors ? Elle n’en a pas honte. Oui, elle assume ses fantasmes sans rougir et sans gêne. Oui, elle entend le crier à la face de ceux qui sont dérangés par de telles mœurs. Lui succède Denis, l’auteur, celui qui travaille sur un texte tournant autour du personnage de Staline, celui qui écrit pour la « structure » et qui garde l’espoir. La crise passera, le groupe survivra, car l’art est plus fort que tout. Enfin arrive Stan, le metteur en scène, l’homme de la synthèse, celui qui sent qu’une époque est finie, qu’une autre commence et qu’il faut oser s’y affronter, pour ne pas être balayé par l’histoire. Avec les accents de Treplev dans « La Cerisaie », de Tchékhov, il appelle à trouver des formes nouvelles, mais avec un propos qui dépasse le cadre du seul théâtre. Apostrophant les « jeunes gens », Stan appelle à sortir des illusions du long XXème siècle pour plonger dans le monde nouveau, relever le défi de l’imagination, dépasser les illusions d’hier. Puis, comme ses partenaires avant lui, il s’allonge sur le sol, symbolisant ainsi la fin d’une époque. Alors apparaît une jeune chorégraphe qui vient donner une note d’espoir dans ce spectacle où les mots portent les tensions du siècle et les souffrances intimes. Chacun dans son genre, les quatre acteurs réunis par Pascal Rambert illustrent la maxime de Constantin Stanislavski : « Ce qui peut arriver de mieux pour un acteur, c’est d’être complètement pris par son rôle ». Audrey Bonnet est une bombe à neutrons déguisée en femme. D’allure fragile, Emmanuelle Béart résiste à la charge et assume ses amours pluriels. Denis Podalydès est le créateur sûr de sa vocation et de la puissance artistique. Stanislas Nordey est l’homme qui fait exploser les barrières anciennes. Pascal Rambert donne un rythme étonnant à cette succession de monologues qui fonctionnent comme des effeuillages d’âme. Son écriture musicale fonctionne à la manière des déferlantes sur les plages. Certes, il n’évite pas toujours les facilités de langage et les tics dans l’air du temps. Quelques coups de ciseaux n’auraient pas nui à l’affaire, ne serait-ce que pour se concentrer sur l’essentiel, à savoir ce combat entre des corps et des voix sur fond d’interrogation idéologique majeure. Jack Dion.