Ce qui se conçoit bien s`énonce clairement. Et les

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Ce qui se conçoit bien s`énonce clairement. Et les
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« Ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. Et les
mots pour le dire arrivent aisément » : la
reconnaissance du terme de « féminicide»
le 17 octobre 2014
EUROPÉEN ET INTERNATIONAL | Pénal
PÉNAL | Atteinte à la personne
Auteur : Diane Roman
Au Journal officiel du 16 septembre 2014, la Commission générale de terminologie et de néologie a
publié un avis ajoutant le terme de « féminicide » au vocabulaire du droit et des sciences
humaines.
Se calquant sur la signification retenue en anglais (femicide), en espagnol (femicidio) ou en italien (
femminicidio), la Commission retient la définition suivante : « Homicide d’une femme, d’une jeune
fille ou d’une enfant en raison de son sexe ». En préconisant l’emploi de l’expression, la
Commission s’inscrit également dans la fidélité au vocabulaire des organisations internationales ou
européennes, qui utilisent le terme anglais de « femicide » pour désigner les meurtres individuels
ou collectifs à caractère sexiste (V., sur ce point, notre analyse « Féminicides, meurtres sexistes et
violences de genre : pas qu’une question de terminologie ! », La Revue des droits de l’homme/ADL,
11 avr. 2014). Les avis de la Commission, bien que publiés au Journal officiel, n’ont pas de valeur
contraignante pour l’ensemble des locuteurs de langue française. Et le trouble que les études de
genre et les politiques d’égalité entre les femmes et les hommes ont, curieusement, suscité dans le
débat politique français appelle quelques précisions sur la portée juridique et politique de la
reconnaissance officielle du terme de féminicide.
Reconnaissance terminologique ne vaut point consécration juridique
L’intérêt de l’avis est d’officialiser l’usage du terme féminicide : comme lorsque la langue française
désigne les parricides et les infanticides, la qualité de la victime donne une dimension particulière à
la commission de certains meurtres. L’avis de la Commission révèle ainsi les souplesses de la
langue française et la nécessité d’avoir les mots adéquats pour désigner certains actes. Tout
comme, dans l’après-guerre, le terme de génocide avait été forgé pour désigner l’entreprise
d’extermination d’un peuple, l’emploi du terme de féminicide permet de montrer les motivations
spécifiquement haineuses qui peuvent conduire à certains meurtres. La célèbre affaire dite des «
champs de coton », jugée par la Cour interaméricaine des droits de l’homme, en constitue
l’exemple le plus sordide et le plus connu (CIADH 16 nov. 2009, aff. Champs de coton c. Mexique,
série C, n° 205, RTDH 2010. 815, chron. L. Hennebel et H. Tigroudja). Mais cette reconnaissance
terminologique n’a pas pour effet, bien entendu, de modifier le droit pénal français. À l’heure
actuelle, l’article 221-4 du code pénal, par exemple, sanctionne de réclusion criminelle à perpétuité
le meurtre commis « à raison de l’orientation ou identité sexuelle de la victime ». La disposition fait
donc du caractère homophobe d’un meurtre une circonstance aggravante, tout comme lorsque le
meurtre est motivé par le racisme (C. pén., art. 221-4, 6°).
En revanche, rien n’est prévu pour ce qui concerne les meurtres commis en raison du sexe de la
victime. Demeure ainsi posée la question de savoir s’il faut modifier le dispositif pénal sur ce point
et reconnaître la spécificité des homicides à caractère sexiste, suivant en cela les choix législatifs
effectués en matière d’expression publique (les diffamations ou injures à caractère sexiste sont
sanctionnées pénalement depuis la loi n° 2004-1486 du 30 décembre 2004 modifiant les articles 32
et 33 de la loi du 29 juillet 1881 sur la liberté de la presse. De même, l’article 4 de la loi n°
2012-954 du 6 août 2012 relative au harcèlement sexuel a incriminé les diffamations et injures
publiques commises en raison de l’identité de genre). Mais, pour l’instant, faute de modifications
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législatives en ce sens, la reconnaissance terminologique se contente de traduire une évolution
sociologique.
Reconnaissance terminologique et acceptation sociologique
La liberté de s’exprimer dans la langue de son choix est garantie pour les personnes privées : le
Conseil constitutionnel a ainsi affirmé que la liberté d’expression « implique le droit pour chacun de
choisir les termes jugés par lui les mieux appropriés à l’expression de sa pensée ; […] la langue
française évolue, comme toute langue vivante, en intégrant dans le vocabulaire usuel des termes
de diverses sources, qu’il s’agisse d’expressions issues de langues régionales, de vocables dits
populaires, ou de mots étrangers ». À ce titre, « s’agissant du contenu de la langue », il est loisible
au législateur « de prescrire, ainsi qu’il l’a fait, aux personnes morales de droit public comme aux
personnes de droit privé dans l’exercice d’une mission de service public l’usage obligatoire d’une
terminologie officielle » mais une pareille obligation ne peut être imposée aux personnes privées ou
aux « organismes et services de radiodiffusion sonore et télévisuelle, qu’ils soient publics ou privés
» (V. Cons. const., 29 juill. 1994, n° 94-345 DC, à propos de la loi relative à l’emploi de la langue
française, consid. 6, 8 et 9, AJDA 1994. 731 , note P. Wachsmann ; D. 1995. 295 , obs. E. Oliva ;
ibid. 303 , obs. A. Roux ). Ainsi, les personnes privées sont libres d’employer les termes de «
minivan », « software » ou « hashtag », tandis que les organismes publics doivent suivre les avis de
la commission de terminologie et leur préférer « monospace », « logiciel » et « mot-dièse »…
Or l’avis récemment publié ne manquera pas de susciter le débat, dans le contexte houleux de
l’opposition, largement instrumentalisée, à la reconnaissance du genre comme construction sociale
distinguant entre les femmes et les hommes. La langue, en effet, est un outil de désignation et de
classement. Et la désignation même des femmes dans le vocabulaire administratif et juridique
constitue un enjeu politique. Faut-il, par exemple, continuer à employer l’expression de « droits de
l’homme » ou ne conviendrait-il pas de lui préférer celle de « droits humains », pour désigner que
c’est bien l’humanité dans son ensemble, femmes et hommes à parts égales, qui est titulaire de
ces droits ? (V., pour un aperçu des débats, Commission française consultative des droits de
l’Homme, avis 19 déc. 1998 ; contra A. Callamard, « “Droits de l’homme” ou “Droits humains” ?
Qu’y-a-t-il dans un mot ? », in C. Bunch, C. Hinojosa et N. Reilly [dir.], Les voix des femmes et « les
droits de l’homme ». Campagne internationale pour l’affirmation des droits humains des femmes,
Rutgers University, 2000, p. 23-30). Faut-il, autre exemple, accorder le titre des fonctions avec le
sexe de leur détenteur ou détentrice ? La question n’a jamais posé de problème tant que les
femmes exerçaient des fonctions secondaires (chacun parlait ainsi sans hésitation d’« une
institutrice », « une concierge », « une infirmière », « une aide ménagère » – mais d’« un aide de
camp » dans l’armée). Mais la visibilité des transformations sociales en matière d’accès des
femmes aux fonctions de pouvoir ou de prestige a commencé à perturber lorsqu’il s’est agi de
désigner « une préfète », « une cheffe de service », « une députée » ou « une sénatrice ».
Au point de susciter encore très récemment des débats surréalistes à l’Assemblée nationale, des
députés se déclarant solidaires d’un de leurs collègues qui, au mépris de l’instruction générale du
bureau de l’Assemblée nationale (art. 19), s’obstine à donner à user du masculin pour s’adresser à
une femme présidente… Car, derrière des débats qu’on croyait dépassés depuis vingt ans (deux
circulaires du 11 mars 1986 et du 6 mars 1998 ont prescrit la féminisation des noms de métier,
fonction, grade ou titre), se profilent le genre du pouvoir et cette idée, véhiculée par la langue
française, selon laquelle le masculin est l’universel. Il conviendrait ainsi, selon certains – s’appuyant
pour cela sur les prises de position de l’Académie française –, de taire le sexe des détentrices de
fonctions officielles pour souligner le genre neutre – en réalité masculin – de ces fonctions. Les
justifications au soutien de ce choix, qui insistent sur la « neutralité » des fonctions, peinent à
convaincre : en effet, il n’y a pas de neutre dans la langue française et si le choix a été fait de
qualifier le masculin (« homme ») d’universel (englobant masculin – « les hommes » – et féminin – «
les femmes ») ou de générique, pour reprendre la formule de l’Académie française, c’est bien,
d’une part, car ces fonctions ont été historiquement l’apanage des hommes et, d’autre part,
comme l’exprimait Nicolas Beauzée dans sa grammaire générale de 1767, parce que « le genre
masculin est réputé plus noble que le féminin, à cause de la supériorité du mâle sur la femelle ».
Les hésitations relatives à l’emploi du terme « féminicide » sont de la même nature. En refusant de
reconnaître, par son usage, la spécificité de certains homicides sexistes et en prétendant que le
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vocable d’« homicide », parce qu’il serait universel, permet de désigner aussi bien les meurtres de
femmes que ceux d’hommes, on contribue à invisibiliser certains rapports sociaux de sexe et une
construction sociale fondée sur le genre qui est largement défavorable aux femmes. Or, ce que les
mots hésitent à dire, les chiffres le révèlent : en France, en 2013, 129 femmes ont succombé sous
les coups de leur conjoint ou ex-conjoint. Partout dans le monde, les femmes sont sur-exposées à
des risques de violences et pratiques néfastes, qui peuvent mettre en cause leur vie même. En
dehors de l’univers feutré de la sphère familiale, les meurtres à caractère sexiste prennent parfois
une forme spectaculaire : on se souvient de la tuerie de l’école polytechnique, à Montréal en 1989,
ou des meurtres de Cuidad Juarez au Mexique. Année après année, les travaux du Rapporteur
spécial sur la violence contre les femmes dressent un constat macabre (V., par ex., le rapport 2012,
Gender-Related Killings of Women). Dès lors, il faut certainement penser de façon globale ces
meurtres dont le point commun est d’avoir des femmes pour victimes. Et pour ce faire, avoir les
bons mots. Car, on le sait depuis Boileau, « ce qui se conçoit bien s’énonce clairement et les mots
pour le dire arrivent aisément ».
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