bonus-malus automobile : une fausse bonne idée
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bonus-malus automobile : une fausse bonne idée
bonus-malus automobile : une fausse bonne idée réMy Prud’hoMMe Professeur émérite, à l’université Paris XII Le bonus-malus automobile est l’une des idées-phares du Grenelle de l’Environnement, et la première à avoir été mise en œuvre. Un an après sa mise en place, le bilan économique qu’il est possible d’en tirer paraît pour le moins contestable. l e principe du bonus-malus est simple : les véhicules qui rejettent moins de 10 grammes de CO au km bénéficient à l’achat d’une prime (de 00 à 000 euros), ceux qui rejettent de 10 à 160 g ne sont pas affectés, ceux qui rejettent plus de 160 g sont frappés d’une taxe (de 00 à 600 euros). Le dispositif est à première vue attrayant. Il pousse les acheteurs à préférer des véhicules moins gourmands en carburant et en CO. L’auteur de ces lignes avoue avoir, comme à peu près tout le monde, plutôt bien accueilli cette initiative. Pourtant, à mieux réfléchir et à davantage calculer, ce bonus-malus apparaît bien discutable. Comme le système fonctionne depuis le début de l’année 008, on dispose maintenant de données qui permettent d’en esquisser une évaluation. Ce que disent les ventes On connaît en effet, pour neuf catégories de véhicule (définies par les rejets de CO et les bonus-malus associés), le montant des ventes pendant les dix premiers mois de 007 et 008. Ces chiffres montrent, comme on pouvait s’y attendre, une profonde modification de la structure des ventes : les ventes des véhicules les plus polluants en CO se sont effondrées de 0 ou 0 %, les ventes des véhicules les moins polluants ont au contraire progressé de plus de 0 %. Ces chiffres montrent . L’auteur est redevable à Jean-Pierre Orfeuil et à Yves Letoile de plusieurs des idées exprimées, mais ceux-ci ne sont pas nécessairement pour autant d’accord avec ce texte. . La comparaison des dix premiers mois de 007 et de 008 est probablement plus significative que celle des douze mois de ces années : la raison en est qu’à la fin de 007, les consommateurs ont anticipé la mise en œuvre du système en augmentant leurs achats de gros véhicules et en réduisant leurs achats de petits véhicules. 2 eme trimestre 2009 • 73 Dossier : l’économie du carbone également une augmentation totale des ventes de véhicules d’environ %. Le bonusmalus aurait ainsi à la fois soutenu l’industrie automobile et diminué les rejets de CO. Ses promoteurs se frottent les mains. Une telle comparaison, cependant, n’est pas très sérieuse. Elle fait du bonus-malus le seul facteur explicatif de l’évolution 007-008, comme si cette même période n’avait pas aussi connu une très forte augmentation du prix des carburants et les premiers signes d’une crise économique grave ! Ces événements ont évidemment pesé lourdement et sur le volume des ventes d’automobiles et sur la structure de ces ventes. Pour apprécier l’impact du bonus-malus, il faut commencer par éliminer l’impact de ces événements, et estimer ce qu’aurait été la demande en 008 en l’absence de cette belle invention. Cet exercice est difficile, mais pas impossible. On peut, pour le conduire, s’appuyer sur deux données. La première est l’évolution de la demande des véhicules non bonussés (ceux qui rejettent entre 11 et 160 g de CO par km). Or leurs ventes étaient en 007 inférieures de 6,9 % à celles de 008. On peut donc en première analyse penser qu’elles n’ont pas été affectées par le système mis en place. La deuxième est l’évolution de la demande dans les pays comparables qui n’ont pas eu la chance de bénéficier de notre merveilleux système. Dans l’Europe des Quinze, les ventes étaient en 007 inférieures de 6 % (pour les dix premiers mois), avec d’assez grandes variations d’un pays à un autre (de + % en Belgique à - % en Espagne). On retiendra ce chiffre de - 6,9 % en notant qu’il est conforté par le chiffre moyen de l’évolution de l’Europe des Quinze. En appliquant ce taux de - 6,9 % aux ventes de 007 par catégorie de véhicule, on a une estimation de ce qu’auraient été les ventes de 008 en l’absence du bonus-malus. En comparant cette estimation aux chiffres effectivement enregistrés, on a une idée de l’impact de cette politique. Le tableau suivant présente ces résultats en regroupant les 9 catégories en trois principales. 74 • Sociétal n°64 Bonus-malus automobile a PRIORI, POSITIF Tableau 1 • Estimation de l’impact du bonus-malus sur les ventes de véhicules, 2008 Catégorie (100 véh.) <130 g CO2 = bonus Sans B-M (1 000 véh.) avec B-M (1 000 véh.) Effet du B-M (nbre véh.) (%) 578 920 +342 + 59 % 131-160 g CO2 = rien 88 88 0 0 > 161 g CO2 = malus 453 283 -170 - 38 % Total 1 913 2 085 +172 +9% sources : calculs d’après les données du CCFA NB. Les chiffres pour l’ensemble de l’année sont ceux des dix premiers mois de l’année multipliés par 1/10. Pour la situation de référence, les chiffres de 007 ont été multipliés par 0,91. Les calculs ont été effectués pour les 9 catégories de véhicules, regroupés et arrondis. À première vue, le bilan semble satisfaisant. À y regarder de plus près, cependant, on s’aperçoit qu’il est mauvais pour au moins quatre raisons. Davantage de Co2 Tout d’abord, le bonus-malus ne conduit pas à réduire les rejets de CO, ce qui est pourtant sa raison d’être. L’explication de ce paradoxe est la suivante. Les véhicules achetés en 008 sont certes en moyenne moins polluants qu’ils ne l’auraient été en l’absence du système. Mais ils sont plus nombreux. Et ceci compense cela. Pour chaque catégorie de véhicule, on a pris le rejet moyen (1 g pour la catégorie 1110 g, par exemple), multiplié par le kilométrage annuel moyen (1 000 km) et par le nombre de véhicules achetés. Il apparaît qu’en l’absence de bonus-malus, les véhicules achetés en 008 auraient rejeté annuellement ,1 millions de tonnes de CO. Du fait du bonus-malus, les véhicules effectivement achetés en 008 rejetteront , millions de tonnes – c’est-à-dire davantage – de CO. La différence (, %) n’est pas grande, et pas très significative compte tenu de l’incertitude attachée à certaines des hypothèses de calcul. Mais le fait est que les chiffres suggèrent un impact écologique faible et négatif. Cela n’empêche pas les « experts » de l’Ademe d’écrire du système : « C’est une avancée considérable. Sans la mise en place du bonus écologique, nous aurions mis neuf ou dix ans pour atteindre les mêmes résultats ». L’analyse ci-dessus, objectera-t-on, est critiquable en ce qu’elle postule implicitement que les voitures neuves achetées en 008 s’additionnent au parc de 007. En 2 eme trimestre 2009 • 75 Dossier : l’économie du carbone réalité, au moins au cours des années précédentes, le stock augmentait annuellement d’environ 00 000 véhicules alors que les achats de véhicules neufs étaient d’environ millions. Les achats servent donc d’abord (à 8 %) à compenser des mises au rebut. Comme les véhicules mis au rebut rejettent bien plus de CO que les véhicules neufs (même en l’absence de tout bonus-malus), on a dans ce renouvellement du parc un puissant moteur de réduction des rejets de CO. Même si les rejets des véhicules neufs ne s’amélioraient guère, les rejets moyens diminueraient chaque année. Ce phénomène est-il accentué par l’introduction du bonus-malus ? Quelle sont, dans les 170 000 ventes supplémentaires, celles qui correspondent à une augmentation du stock de véhicules et celles qui correspondent à une augmentation des mises au rebut ? Un bonus (ou plus généralement une baisse du prix d’achat des véhicules) modifie l’arbitrage entre la conservation d’un véhicule ancien et coûteux à l’usage et l’achat un véhicule neuf. Le bonus accélère le rythme des mises au rebut et, par voie de conséquence, raccourcit la durée de vie des véhicules. Cette accélération du remplacement des véhicules gros consommateurs de carburant par des véhicules plus sobres entraîne une réduction importante des rejets de CO. Deux facteurs, cependant, viennent contre-balancer cet avantage. Tout d’abord, cette réduction du prix d’achat n’aura d’effet qu’une seule fois, lors de l’introduction de la mesure. L’année suivante, les immatriculations (toutes choses égales par ailleurs) vont diminuer, même si la mesure est maintenue, et revenir à leur niveau habituel. Si elle était abandonnée, les ventes tomberaient même en dessous du niveau habituel. C’est ce qui s’est passé avec l’introduction temporaire, puis l’abandon, de la « Juppette » ou prime à la casse : en 1996, les ventes ont augmenté de 00 000 unités, puis en 1997 ont diminué de 00 000 unités. Le modèle simplifié suivant montre bien pourquoi un bonus est un fusil à un coup dans un pays où les achats sont principalement des achats de renouvellement. Considérons un pays dans lequel le stock (S) est constant, et la durée de vie des véhicules (d) donnée. Les ventes de l’année n (Vn) vont être égales aux ventes de l’année n-d (Vn-d) et constantes (V). Supposons une baisse des prix de vente au début de l’année n, causée par exemple par l’introduction d’un bonus qui modifie l’arbitrage entre achat et conservation, et donc la durée de vie des véhicules, qui Dans un pays où les achats sont principalement des achats de renouvellement, un bonus est un fusil à un coup. 76 • Sociétal n°64 Bonus-malus automobile diminue d’une année et devient d-1. Au cours de l’année n vont être remplacés non seulement les véhicules vendus en n-d, mais aussi les véhicules vendus en n-d-1. Les ventes de l’année n vont donc doubler et passer de V à *V. Au cours de l’année n + 1 suivante, vont seulement être remplacés les véhicules mis en service d-1 années plus tôt (Vn-d + 1), qui sont par construction égales à V. Le niveau des ventes va donc passer de *V à V, c’est-à-dire diminuer de moitié, et retrouver le rythme de croisière antérieur. Il va rester à ce niveau tant que le bonus sera présent. Si le bonus venait à être supprimé, un phénomène inverse se produirait. Les ventes diminueraient et même dans notre exemple disparaîtraient, pour une année seulement. Le modèle gagne en généralité (mais pas en clarté) si on introduit une augmentation du stock, ou si la baisse de prix entraîne une diminution de la durée de vie inférieure ou supérieure à une année ; mais il envoie le même message. Le malus a également un effet exactement contraire à son objectif dans la mesure où il incite les propriétaires de grosses voitures à garder plus longtemps leurs véhicules (très gourmands en carburant et gros émetteurs de CO), ce qui rallonge leur durée de vie et entraîne une augmentation des rejets de CO. L’effet net sur le nombre de véhicules mis au rebut est certes positif. Mais l’effet net sur les rejets de CO ne l’est pas forcément. Les véhicules dont la durée de vie est prolongée sont probablement davantage émetteurs de CO que les véhicules dont la durée de vie est raccourcie. On retrouve le paradoxe mis en évidence plus haut. L’analyse des impacts du bonus-malus sur les rejets de CO doit également prendre en compte une autre modification de la structure des ventes : le glissement des voitures à essence vers des voitures à gazole. Pour une taille donnée, une voiture à gazole rejette moins de CO au km qu’une voiture à essence. Le bonus-malus favorise donc davantage les voitures à gazole que les voitures à essence. Les chiffres le montrent bien : les voitures à gazole qui représentaient 0 % des ventes en 007 comptent pour 70 % des ventes en 008. Bon pour l’environnement ? Hélas non. Les lois de la chimie font qu’on ne peut pas produire du gazole sans produire en même temps de l’essence. Les raffineries françaises font de leur mieux, mais elles ne produisent pas assez de gazole et trop d’essence, relativement à la demande. Il en résulte que nous importons (principalement de Russie) beaucoup de gazole et que nous exportons (principalement aux États-Unis) beaucoup d’essence. Le bonus-malus ne crée pas ce déséquilibre, mais en déplaçant encore davantage le curseur de la consommation du côté du gazole, il l’aggrave. 2 eme trimestre 2009 • 77 Dossier : l’économie du carbone Il faut bien voir que l’essence exportée par la France va être consommée quelque part dans le monde, et relâcher son CO. La réduction des rejets de CO enregistrée en France du fait de l’importance des véhicules diesel est exactement compensée par une augmentation de ces rejets ailleurs. Elle est donc parfaitement illusoire. Les prétendus gains de CO engendrés par une augmentation de l’importance des véhicules diesel due au bonus-malus sont également illusoires. Cette illusion a un coût écologique. Elle engendre des transports de carburant considérables (près de 0 millions de tonnes par an, soit 00 voyages de pétroliers de 100 000 tonnes), avec les rejets de CO associés, sans parler des risques de pollution. D’une façon générale d’ailleurs, il n’est pas très sérieux d’affirmer dans un même souffle que l’épuisement des ressources de pétrole est inéluctable à brève échéance et qu’il faut absolument réduire les rejets de CO dus à la consommation de dérivés du pétrole. Si toutes les ressources de pétrole du globe sont consommées, tout le CO qu’elles contiennent sera rejeté. un mauvais coût Il est facile de calculer ce que rapporte le malus (0 millions), ce que coûte le bonus ( millions), et de voir que le système coûte finalement 1 millions par an à l’État. Dans l’état actuel des finances publiques françaises, ce détail est fâcheux. Le véritable enjeu fiscal d’une mesure comme le bonus-malus concerne la TIPP. Moins de CO, moins de carburant, moins de TIPP. Un véhicule qui change de catégorie (- 0 g de CO par km), c’est 6 euros de moins chaque année, soit 60 euros de moins en dix ans (0 si l’on actualise au taux officiel de %). Cela met le coût de la tonne de CO évitée à plus de 00 euros, ce qui est beaucoup. On pourrait croire qu’en mettant en circulation des véhicules qui consomment moins de carburant, le bonus-malus a diminué les recettes de TIPP de l’État. Mais il a également augmenté le nombre de véhicules et donc ces mêmes recettes. En réalité, les deux phénomènes se compensent, exactement comme pour les émissions de CO. . Une estimation plus complète prendrait en compte l’augmentation des recettes des cartes grises, une douzaine de millions d’euros, en une seule fois. 78 • Sociétal n°64 Bonus-malus automobile l’industrie sous le choc Le bonus-malus est un mauvais coup porté à l’industrie automobile. Comment, dira-t-on, il augmente ses ventes de 9 % ! Certes, mais il en change la structure. Il conduit les consommateurs à substituer des véhicules bas de gamme à des véhicules haut de gamme. L’activité d’un secteur économique ne se mesure pas en nombre de produits vendus, mais en valeur de ces produits, ou si l’on préfère en chiffre d’affaires (ou, mieux, en valeur ajoutée). Les données sur l’évolution générale de la valeur des ventes d’automobiles en France par les entreprises françaises ne sont pas (encore) disponibles, mais on peut proposer quelques évaluations et réflexions. On a considéré les 1 modèles d’une grande marque française. L’Auto Journal donne pour chacun de ces modèles le prix affiché et le bonus ou le malus correspondant. On a calculé la moyenne des prix des modèles caractérisés par un même bonus (ou malus) : 16 000 euros pour les modèles qui bénéficient d’un bonus de 700 euros, 0 100 euros pour un bonus de 00 euros, 1 600 euros pour un bonus-malus nul, etc. Comme on connaît le nombre de véhicules vendus dans chaque catégorie, on peut estimer la valeur des ventes en France en 008 : , milliards d’euros en l’absence de bonus, ,7 milliards d’euros avec le système de bonus. Le chiffre d’affaires n’aurait augmenté que d’environ 1,1 % en dépit d’une augmentation de 9 % du nombre de véhicules vendus. Cette augmentation faible – et fragile compte tenu des incertitudes de l’estimation – n’est pas une bonne affaire pour l’industrie automobile, pour plusieurs raisons. Tout d’abord, comme on l’a vu à propos des rejets de CO, elle est n’est pas durable. Dès 009, toutes choses égales par ailleurs, les ventes devraient retrouver leur niveau antérieur (du fait de la crise, elles vont évidemment décroître bien plus fortement). Ces coups d’accordéon sont dommageables pour une industrie. Ensuite, même si le chiffre d’affaires du secteur restait constant, l’ampleur et la brutalité du changement de structure constitueraient un choc difficile et coûteux à absorber. On ne transforme pas en un tournemain une usine qui produit des Laguna en une usine qui produit des Clio : les ouvriers de Sandouville le comprennent mieux que les experts de la rue de Grenelle. . Il ne s’agit ici que d’une estimation assez grossière. Rien ne garantit que l’échantillon utilisé soit représentatif des modèles effectivement vendus. Notons cependant que les estimations effectuées avec les médianes, ou avec des prix unitaires calculés avec une régression linéaire, donnent des ordres de grandeur comparables. 2 eme trimestre 2009 • 79 Dossier : l’économie du carbone l’ampleur et la brutalité du changement de structure de l’industrie automobile va constituer un choc difficile et coûteux à absorber. On sait par ailleurs que les marges sont plus élevées sur les modèles coûteux – ceux dont les ventes reculent – que sur les modèles bon marché. L’impact sur les bénéfices (et par voie de conséquence sur les investissements) sera donc bien plus négatif que l’impact sur le chiffre d’affaires. L’analyse de l’impact industriel des changements introduits par le bonus-malus est compliquée par la dimension internationale du marché de l’automobile. Une part importante (60 % en valeur) des véhicules produits en France sont exportés ; et une part également importante (0 % en nombre) des véhicules achetés en France sont importés. Beaucoup des véhicules malussés sont importés, notamment d’Allemagne. Le système affecte donc la production européenne autant que la production française. Mais une part importante des véhicules bonussés sont construits à l’étranger (parfois par des entreprises françaises) et l’augmentation de leur production/ventes ne bénéficiera guère aux usines françaises. Les entreprises françaises s’efforcent depuis longtemps déjà de produire des véhicules haut de gamme pour le marché français et pour l’exportation : le malus, qui réduit drastiquement les ventes en France de ces produits, va augmenter leur coût unitaire et porter un coup sérieux aux efforts entrepris dans ce domaine. La situation de l’industrie automobile est devenue si mauvaise (pas uniquement à cause du bonus-malus bien entendu) que l’on a décidé de l’aider via un plan de soutien spécifique. Avec le bonus-malus, l’argent du contribuable a pris part à enfoncer cette industrie. Il doit désormais servir à la sauver. un cadeau empoisonné Enfin, le bonus-malus a un impact mesurable sur la satisfaction des consommateurs. On pourrait croire que les 1 millions d’euros pris aux contribuables augmentent d’autant la satisfaction des consommateurs. Il n’en est malheureusement rien. Considérons le malus. Un certain nombre de consommateurs achètent et utilisent des voitures plus petites que celles qu’ils auraient achetées en l’absence du système. On peut considérer que cela est bon pour l’intérêt général (on a vu qu’il n’en était rien en réalité), mais il faut bien voir que cela diminue l’utilité des consommateurs. 80 • Sociétal n°64 Bonus-malus automobile Une famille nombreuse qui voulait acheter une grande voiture et qui, du fait du malus, doit se contenter d’une voiture plus petite perd du bien-être. On peut estimer l’importance de cette perte. La figure suivante illustre cette situation. S’En COnTEnTER Graphique 1 • Perte d’utilité engendrée par un malus Prix K E B D C A 0 Q2 Q1 Quantités La courbe BA représente la demande d’une voiture soumise à un malus ED. En l’absence du malus, l’équilibre s’établit en A : le prix est OD, la demande est Q1, et le surplus des utilisateurs est KDA. Le malus augmente le prix et le porte à OE. L’équilibre s’établit en B. La quantité achetée devient Q. Le surplus des consommateurs est maintenant KEB. Il a diminué de EBAD. Du point de vue de la société toute entière, cette perte de surplus est pour partie, mais pour partie seulement, compensée par le produit du malus EBCD. Finalement, le malus produit une perte nette égale à BAC. Symétriquement, comme le montre la seconde figure, un bonus entraîne une augmentation du surplus des consommateurs, compensée – et au delà – par la subvention que représente le bonus. Avant le bonus, un équilibre s’établit en A, avec le prix OD, et les quantités achetées OQ1. Le bonus d’un montant unitaire DE abaisse le prix à OE, un nouvel équilibre s’établit en B, avec des quantités achetées OQ. Le surplus du consommateur augmente d’une quantité DABE. Mais c’est au prix d’une subvention égale au bonus DCBE. Au total, le bonus engendre une perte de bienêtre de ACB. 2 eme trimestre 2009 • 81 Dossier : l’économie du carbone PaS SI SIMPLE Graphique 2 • Perte d’utilité engendrée par un bonus Prix K D A E B 0 Q2 C Q1 Quantités Les données disponibles permettent d’évaluer ces grandeurs, catégorie de bonus/ malus par catégorie, et de les additionner. Les résultats de ce calcul sont présentés au tableau suivant. PERTE nETTE Tableau 2 • Impacts socioéconomiques du bonus-malus, 2008 Malus (Me) Bonus (Me) Total (Me) Variation du surplus - 352 + 424 + 72 Variation des impôts + 230 - 543 - 313 Solde - 122 - 119 - 241 La perte d’utilité (la variation du surplus) engendrée par le malus s’élève à millions d’euros. Même si on prend en compte les 0 millions d’impôts rapportés par ce malus – impôts qui permettront des dépenses utiles (il faut l’espérer) –, le coût social net du malus s’élève à 1 millions. Le bonus engendre au contraire pour ceux qui en bénéficient une augmentation de surplus de millions. Mais elle est financée par une augmentation des subventions, c’est-à-dire des impôts, qui implique une perte d’utilité de millions pour ceux qui paieront ces impôts, en sorte que le bonus lui aussi génère un coût social net de 119 millions. Au total, le système engendre une perte pour la société d’environ 1 millions. . Une analyse plus complète considérerait comme une perte le coût d’opportunité (0 %) de l’impôt supplémentaire (1 millions d’euros) : cette perte supplémentaire s’élèverait à 9 millions d’euros. 82 • Sociétal n°64 Bonus-malus automobile On doit y rajouter le coût économique du glissement vers le gazole. Le déséquilibre gazole/essence décrit ci-dessus engendre deux types de coûts supplémentaires : des coûts de transport et des coûts d’approvisionnement. Par rapport à une situation d’équilibre dans laquelle des importations de pétrole brut suffiraient à satisfaire la demande nationale d’essence et de gazole, les importations de gazole et les exportations d’essence représentent près de 0 millions de tonnes par an dont le coût de transport (à euros la tonne) est de 0 millions d’euros. Par ailleurs, le fait d’importer du gazole raffiné plutôt que d’importer du brut et de le raffiner (la capacité de raffinage le permettrait) a un coût économique difficile à estimer mais qui se chiffre probablement en centaines de millions. Le bonus-malus n’est pas la cause de ces coûts qui sont finalement supportés par le consommateur. Mais en aggravant ce déséquilibre, le bonus-malus les augmente d’un montant que nous n’avons pas pu estimer ici, mais qui se chiffre certainement en dizaines de millions d’euros. Le bilan de cette mesure emblématique du Grenelle de l’Environnement apparaît assez inquiétant. Elle coûte plus de 00 millions d’euros au contribuable, mais n’augmente que de 7 millions d’euros la satisfaction des acheteurs de véhicules, engendrant un coût social de 1 millions. Elle inflige des chocs structurels lourds et brutaux à l’industrie automobile, sans augmenter son chiffre d’affaires, au moment précis où celle-ci connaît les pires difficultés depuis des décennies et s’apprête à licencier des milliers de travailleurs. Et tout cela sans gain écologique, puisqu’elle ne réduit que peu ou pas, ou pour peu de temps, les rejets de CO. Encouragé par ces beaux résultats, le ministère de l’Écologie affiche sa satisfaction et se bat pour créer des bonus-malus pour une dizaine d’autres produits – sans succès pour le moment. L’idéologie remplace l’évaluation, l’intérêt général est mal servi. 2 eme trimestre 2009 • 83