L`art de chasser les mammouths

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L`art de chasser les mammouths
« Comment chasser le mammouth sans y laisser
sa peau? »
Conférence donnée par Mme Sonia Lupien, PH. D.
L’objectif de Sonia Lupien lors de cette conférence était de démystifier le stress et de faire
comprendre à l’auditoire que le stress au travail en tant que tel, ça n’existe pas. En effet, nous
comprendrons plus loin que ce qui stresse les travailleurs est la même chose qui stresse les enfants et les
personnes âgées. Mais d’abord, voyons comment le commun des mortels définit le stress.
Découvrir le stress
Tout le monde a une vision plus ou moins différente du stress, mais la définition populaire la plus
courante de ce phénomène serait qu’il s’agirait d’une pression du temps, à savoir qu’on a trop de choses à
faire pour le nombre d’heures dans une journée. De plus, la croyance populaire veut que le stress affecte
davantage les travailleurs que les enfants ou les personnes âgées. Faux! Le cerveau des enfants et de nos
aînés est plus fragile, ce qui les rend encore plus vulnérables au stress. Allons découvrir ce que la science
a à nous révéler à ce sujet.
La notion de stress a pris naissance à Montréal, en 1936. Selye nous apprend à ce moment que
notre cerveau est un détecteur de menace pour assurer notre survie. Nous voilà devant une théorie
évolutive qui tient bien la route. En effet, à la préhistoire, lorsque vous étiez devant un mammouth, votre
corps envoyait une hormone de stress à votre cerveau pour vous permettre de fuir ou de combattre ce qui
menaçait votre survie. Jusque-là, le stress est bénéfique. C’est pour ça que l’humain existe encore! On
appelle ce phénomène le stress aigu. Cependant, nous sommes face à un problème lorsque le stress
devient chronique. Voyons pourquoi.
Stress aigu versus stress chronique
En 1968, on découvre que 10 minutes après que la menace soit détectée, les hormones du stress
remontent au cerveau et affectent les émotions et la mémoire. À cet égard, on n’oublie jamais un
événement qui a été stressant, ni les émotions qu’il a générées en nous. Encore une fois, c’est adaptatif
comme réponse de notre corps, car cela nous permet de réagir plus rapidement et efficacement si la
menace se présente à nouveau. Mais qu’arrive-t-il lorsque notre corps génère trop souvent des réponses
de stress, c'est-à-dire que notre stress devient chronique? Cela affecte notre perception du monde à long
terme, car nos émotions et notre mémoire deviennent déréglées. S’ensuivent des dépressions et des
burnouts, par exemple. Mais comment s’y prendre pour éviter ces conséquences, sachant que nous
sommes entourés de situations potentiellement stressantes, et que celles-ci n’affecteront pas les gens au
même degré ni de la même façon?
En 1968, Mason, a découvert quatre ingrédients qui mènent inévitablement à du stress, et ce, de
façon uniforme, peu importe l’âge et la culture des gens. Ces éléments sont 1) l’impression que nous
n’avons pas le contrôle sur une situation, que celle-ci est 2) imprévisible ou 3) nouvelle et qu’elle a le
potentiel de 4) menacer notre égo. Ces quatre facteurs (à retenir grâce à l’acronyme CINÉ : Contrôle,
Imprévisibilité, Nouveauté et Égo) sont chacun des mammouths qui ont le potentiel de générer du stress, et
ce, de façon individuelle et additive. En d’autres termes, un mammouth c’est menaçant, mais 2, 3 ou 4
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Conférence donnée par Mme Sonia Lupien, PH. D.
mammouths, c’est de plus en plus stressant. Bien sûr, le stress garde quand même son côté
idiosyncrasique, car une même situation peut être nouvelle pour une personne et menacer l’égo d’une autre.
Reste que ce sont ces éléments précis qui transforment des situations objectivement neutres en
mammouths subjectivement menaçants. Maintenant, voyons où se trouvent ces mammouths dans notre
société contemporaine.
Stress absolu versus stress relatif
Un mammouth, c’est une menace réelle pour tout le monde, à l’instar d’un tremblement de terre.
C’est ce qu’on appelle une menace absolue. Au Québec, ce type de menace n’existe plus vraiment. C’est
donc dire que notre stress est principalement relatif, c'est-à-dire qu’il s’agit de situations ayant le potentiel
de produire des menaces, dépendamment de l’interprétation que chacun en fait. Prenons l’exemple d’un
saut en parachute. Pour l’un, cette expérience mènera à de l’eustress (stress positif), car son interprétation
de l’événement sera positive (j’ai l’impression de voler, quelle sensation exceptionnelle, etc.). Son corps ne
réagira pas à la présence d’une menace, car la personne n’en perçoit pas. Pour un autre, ce même saut en
parachute pourrait être la pire expérience de sa vie, car son interprétation sera négative (le parachute ne
s’ouvrira pas, je vais mourir, etc.), ce qui mènera à de la détresse (stress négatif) et à une réponse du corps
comme s’il y avait une menace. Pourtant, la situation est la même. Bref, pour qu’il y ait production de
mauvais stress (détresse), notre cerveau doit percevoir une menace, qui elle dépend de notre interprétation
de la situation dans laquelle on se trouve. C’est en somme une bonne nouvelle, car puisque nous avons de
l’influence sur nos pensées, nous pouvons donc modifier l’interprétation des situations que l’on vit pour les
rendre moins stressantes. Ce n’est pas peu, quand on songe aux effets pervers du stress chronique.
Les conséquences du stress chronique
Lorsque nous vivons du stress sur une longue période (i.e. stress chronique), notre système de
production d’hormones de stress se dérègle. Deux conséquences sont possibles, soit une hyperproduction
d’hormones de stress, menant souvent à la dépression, ou une hypoproduction d’hormones de stress,
menant souvent au burnout. Comme si ce dérèglement ne suffisait pas, il entraîne avec lui le dérèglement
de nos autres systèmes hormonaux, ainsi qu’un lot de conséquences telles que l’obésité abdominale,
l’augmentation du rythme cardiaque et du cholestérol, le diabète de type II et une diminution du système
immunitaire. La question reste à savoir qu’est-ce qui fait que tant de gens vivent du stress chronique,
puisqu’il n’y a pratiquement plus de stress absolu dans notre société.
Le problème, c’est que notre corps ne fait pas la différence entre le stress absolu (les mammouths) et
le stress relatif (ex. être pris dans la circulation). Ainsi, il envoie l’énergie nécessaire à la fuite ou au combat
d’un mammouth, peu importe le type de stress. Cette énergie mobilisée nous donne la fausse impression
qu’on l’a dépensée, alors une réaction de faim ou de fatigue s’ensuit. Conséquemment, le stress chronique
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peut mener à une prise de poids, entre autres. Mais comment en arrive-t-on à perdre le contrôle sur notre
stress?
Comment le stress devient-il chronique?
Le stress, à répétition, nous rend ultimement incapables de discriminer entre ce qui est menaçant
et ce qui ne l’est pas. Il en résulte que tout devient menaçant, ce qui se solde trop souvent par une
dépression. À l’inverse, cette incapacité à discriminer peut faire en sorte que plus rien n’est menaçant, ce
qui cause du cynisme et éventuellement des burnouts. Comment ce phénomène se produit-il? Le stress
diminue notre attention sélective, ce qui nous empêche d’être assez concentrés pour avoir un bon jugement.
Il en résulte un impact économique actuel de 36 milliards de dollars en présentéisme au travail. A l’inverse
de l’absentéisme, le présentéisme se produit lorsque la personne qui vit du stress chronique se présente au
travail, mais que sa performance est grandement diminuée compte tenu des effets du stress chronique sur
sa capacité de performer. Pour certaines entreprises, les coûts en absentéisme peuvent représenter
jusqu’à 56% de leur masse salariale. Et ce n’est pas tout. Lorsqu’on force le présentéisme de nos
employés même quand ils vivent du stress à la maison, leur performance est affectée, car ils n’ont pas la
tête à être efficaces. Plutôt, ils pensent au mammouth qu’il faut combattre à la maison. Évidemment, on ne
peut pas régler les problèmes de nos employés. Toutefois, comme le présentéisme représente à lui seul
des coûts de 36 milliards de dollars annuellement (absentéisme = 10 milliards/année; présentéisme = 36
milliards/année) pour les entreprises et la société, il est pertinent de se questionner, à savoir si, en tant que
gestionnaire, vous pouvez faire diminuer au minimum le stress que vivent vos employés au travail, et
comment?
Outils pour enrayer le stress chez ses employés
Les gestionnaires peuvent minimiser le stress chez leurs employés par les sept moyens suivants.
D’abord, il s’agit de 1) gérer la source du stress (CINÉ) plutôt que ses conséquences. Par exemple, gérer
l’imprévisibilité peut se faire en donnant des échéanciers réalistes à ses employés, et préserver l’égo de
ceux-ci peut être réalisé en maintenant de bonnes interactions sociales au sein de l’équipe de travail.
Ensuite, il s’agit 2) d’accorder une importance aux mentors comme gestionnaire potentiel du stress au
travail. En effet, le supérieur immédiat est moins attitré pour cette tâche, car il fait trop souvent figure de
mammouth, de par son rôle d’évaluateur de la performance de l’employé. Aussi, pour comprendre le stress
individuel, il faut 3) considérer le stress dans sa globalité, ce qui veut dire la réalité travail-famille. À cet
égard, vous pouvez, par exemple, permettre à une mère monoparentale de quitter plus tôt pour aller
chercher ses enfants avant la fermeture de la garderie, en lui laissant le loisir de travailler de la maison, à
partir du portable que vous lui aurez fourni. Par ailleurs, il est important de 4) connaître ses employés, pour
mieux savoir qui est susceptible de vivre du stress dans sa force de travail. En ce sens, la recherche a
démontré que les personnalités qui ont une tendance à l’hostilité sont plus stressées, car ce trait mène à la
rumination, laquelle fait générer des hormones de stress de façon chronique. De plus, ces personnes
hostiles sont stressantes pour leurs collègues. Il faut donc les repérer et agir, en introduisant un mentor
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dans son entourage, par exemple. Par ailleurs, les personnalités qui ont tendance à anticiper le pire
(anticipe le mammouth avant qu’il n’arrive, ce qui, soit dit en passant, produit encore plus d’hormones de
stress que lorsqu’on fait face à une menace réelle) vivent éventuellement du stress de façon chronique.
Enfin, les personnalités qui ont tendance à avoir une faible estime d’eux-mêmes sont plus vulnérables au
stress, entre autres, parce que ces personnes n’ont pas l’impression d’avoir le contrôle sur leurs succès,
qu’ils attribuent à la chance ou à l’aide des autres. Le cinquième rôle du gestionnaire est de savoir que 5)
les hommes et les femmes ne vivent pas le stress de la même façon. À cet égard, les femmes anticipent le
pire plus facilement que les hommes, mais ceux-ci réagissent trois fois plus que les femmes au stress
lorsqu’il survient. Ce que la recherche a démontré à ce sujet est que le support social diminue le stress,
mais de façon différente pour les hommes et les femmes. Les femmes bénéficient davantage de leurs
amies du même sexe, tandis que les hommes bénéficient plus du soutien de leur conjointe. Aussi, il est
important de 6) reconnaître les réactions de stress chez les employés afin de pouvoir intervenir, au moment
opportun. Par exemple, un employé ayant une tendance à l’hostilité sera réactif lorsque son égo est
menacé ou lorsqu’il a l’impression de ne pas avoir le contrôle. Ou encore, un employé qui a une tendance à
l’anticipation sera réactif à tout ce qui est nouveau ou imprévisible. Enfin, un employé ayant une faible
estime de lui sera réactif lorsqu’on lui laisse trop de latitude, car il aura l’impression de ne pas être à la
hauteur de ce qu’on lui demande. Bref, tous les types de personnalité sont essentiels au bon
fonctionnement d’une entreprise, car les forces et les faiblesses doivent être réparties pour qu’il règne un
équilibre. Il s’agit simplement de savoir les reconnaître et d’ajuster son style de gestion aux différentes
personnalités. La dernière tâche du gestionnaire est de 7) savoir gérer son propre stress pour ne pas qu’il
devienne chronique, car celui-ci est susceptible de déteindre sur la santé psychologique de vos employés.
Mais comment s’y prendre? Lorsque vous sentez le stress monter, il faut vous raisonner pour faire
comprendre à votre cerveau qu’il n’y a pas de mammouth, pour éviter qu’il nous bombarde d’hormones de
stress. Plusieurs stratégies peuvent être mises en place pour y arriver. D’abord, il y a l’évitement. Par
exemple, si vous rentrez stressés du bureau, il peut être utile d’aller promener votre chien avant d’interagir
avec vos enfants ou votre conjoint afin de ne pas leur faire subir vos frustrations de la journée. Ce genre de
solution n’est, en revanche, pas viable à long terme. Éventuellement, il faudra affronter le mammouth de
front pour le chasser une fois pour toutes. À cet égard, il s’agit de déconstruire le stresseur. Pour y arriver, il
faut chercher la source de ce qui vous stresse dans le CINÉ. Ensuite, c’est sur cette vulnérabilité que vous
travaillerez, car c’est la cause profonde de votre stress quotidien. De plus, pour chaque situation qui vous
stresse, il est utile d’établir un plan B. Cette méthode vous donnera un sentiment de contrôle sur la situation,
même si vous ne mettez pas votre plan à exécution. Aussi, il peut être utile de prendre une heure par jour
pour être seul avec soi-même. Inévitablement, ces moments de solitude feront resurgir vos mammouths.
Vous pourrez alors les régler en utilisant les techniques ci-haut. Cela évite d’avoir à le faire lorsqu’on se met
au lit le soir. Enfin, il est très utile d’utiliser votre corps, car il peut être votre allié antistress s’il est bien
utilisé. D’abord, respirez par le ventre (respiration diaphragmatique). Chanter et écouter de la musique
douce s’avèrent des techniques très efficaces pour y arriver. Ensuite, il faut bouger, pour dépenser l’énergie
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sa peau? »
Conférence donnée par Mme Sonia Lupien, PH. D.
que votre corps a mobilisée pour fuir le mammouth. Enfin, trouvez le moyen de rire, car celui-ci diminue la
production d’hormone de stress.
Ce qu’il faut retenir
En résumé, tout ce que vous faites qui vous empêcherait d’être capable de tuer un mammouth envoie
le message à votre cerveau qu’il n’y a pas de mammouth, donc ça empêche votre corps de produire des
hormones de stress. Tout est dans l’interprétation des situations. Il faut donc s’arranger pour avoir
l’impression d’avoir le contrôle sur les situations, dédramatiser l’imprévu, voir la nouveauté positivement et
piler sur notre orgueil pour ménager notre égo.
Pour plus d’informations
www.stresshumain.ca : Vous y trouverez le Mammouth magazine à télécharger gratuitement.
www.sonialupien.com : Vous y retrouverez, entre autres, les différentes conférences offertes par Sonia
Lupien.
www.passeportsanté.net : Vous y trouverez des capsules sur le stress
www.leburnoutsesoinge.com
Rédigé par Éliane Bergeron
Doctorante en psychologie I/O
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